Chapitre 1
Sentir l'eau chaude de ma tisane répandre une douce chaleur jusqu'au creux de mon ventre m'accorda un instant de répit.
Il était encore tôt et la nuit ne s'en était toujours pas allée. Par la baie vitrée de la cuisine familiale, une lune ronde luisait du même éclat changeant de mes yeux. Tels des échos, ces deux derniers ce reflétait à ses côtés, un peu plus bas sur la fenêtre.
Comme bien souvent, j'avais été réveillée par des cris déchirants, semblables à des hurlements de loup. Absurde, évidemment. Ma campagne natale en était dépourvue. J'en avais longuement discuté avec la psy chez qui ma mère avait fini par m'envoyer, un an auparavant. Grâce à elle, j'avais pu en venir à la conclusion qu'il s'agissait de mon subconscient, même si elle détestait ce mot. Alors oui, ça arrivait principalement à la pleine lune, mais seulement car je savais qu'elle était pleine.
Et je n'en ratais jamais les cycles.
Depuis que j'avais quitté Martin, j'avais développé une sorte d'obsession pour les loups et tout ce qui s'en rapprochait. Je rêvais également d'eux. Avec une précision hallucinante.
Je ne m'étais jamais souvenue de mes songes, enfant. Adolescente non plus. Ma rupture avec Martin avait changé cela. Désormais, je voyais les loups courir entre des arbres tandis que la lumière se reflétait sur leur pelages. Parfois, ça devenait plus violent. Celui qui semblait être le chef montrait des dents au tranchant ensanglanté. Il grognait devant un loup plus petit à l'échine courbée, n'hésitant pas à mordre. Une fois, deux d'entre eux s'était battu. L'un était mort, ses poils roux avait encore l'allure tendre de la jeunesse tandis qu'ils s'étaient poissés de rouge. A bout de souffle, je m'étais réveillée. Des larmes perlaient aux coins de mes yeux. Mon humeur en avait été impactée des jours durants.
Mais ce n'était rien comparé à la douleur qui me tiraillait l'estomac lorsqu'un autre loup, d'un brun doux, se décidait à tenir tête à l'alpha. Les dents se mettaient à claquer et il ne se ravisait qu'au dernier moment. Cela arrivait de plus en plus fréquemment. La dernière fois, le brun doux avait reçu un mauvais coup de pattes au visage. Les griffes solides de l'alpha avaient entaillé son museau avant qu'il ne se jette de tout son poids sur le rebelle. Celui-ci ne s'en était sorti que de justesse avant de fuir. Je n'avais plus rêvé de la meute depuis et j'en étais malade de peur.
Je dormais beaucoup moins. Et c'était désormais les alentours de ma maison que je voyais dans mon sommeil, me remplissant d'étranges sentiments.
Un autre rêve, bien plus ancien, m'avait singulièrement marquée. Ils y chassaient en meute, un renne — la netteté de mes souvenirs m'avait permis de faire des recherches sur l'espèce précise de cervidé. Néanmoins, un détail me perturbait. J'étais convaincue qu'il s'agissait d'un renne, mais il était bien trop petit pour en être un. À moins que ça ne soient les loups, qui soient trop grand ?
Dans ces moments-là, j'essayais de ne pas trop penser aux détails, même si mon obsession rendait la chose malaisée. Ce n'était que de simples rêves. Les détails n'y sont que rarement corrects. Leur précision devait être due aux nombreux reportages qu'il m'arrivait de visionner en boucle. Je n'avais pas osé dire à Anne Robert, ma psychologue, que les rêves avaient devancé les reportages. Après tout, j'avais bien dû en voir l'un ou l'autre avant, bien que je n'en aie aucun souvenirs. Le fait de toujours me retrouver face à la même meute me perturbait également. Je l'avais mentionné, lors d'une séance. Anne Robert n'avait pas relevé, semblant y accorder bien moins d'importance que moi.
Je reposai enfin ma tasse et contemplai son fond vide, sans même une feuille de thym qui se serait enfuie de son sachet.
Mes rêves mis à part, la vie était étrangement terne. Ces dernières années s'étaient écoulées avec la sensation de tout laisser en suspend.
Anne Robert n'avait pas tardé à faire le lien entre ma rupture avec Martin, le sentiment d'être aussi vide que ma tasse et mon incapacité à me remettre en couple avec quelqu'un d'autre. Je pense que, pour elle, je traversais une dépression amoureuse que j'essayais de combler par tous les moyens possibles et inimaginables, sans jamais que ça ne soit les bons.
J'avais doucement couper les contacts avec mes amis. Les rares garçons à qui j'accordais une chance, pleine d'espoir, me laissaient souvent déçues avant que ça n'aille très loin.
Il m'arrivait de penser qu'Anne Robert avait raison mais se trompait de personne. L'inconnu au cheveux du même brun doux que le loup désormais enfui resurgissait souvent dans mon esprit. Et même de manière incessante les semaines qui avaient suivi notre "rencontre". Je revoyais ses larges épaules, voulais découvrir la force de ses bras... Son regard me troublait de nouveau, m'implorait encore de m'enfuir, sans que je ne comprenne pourquoi je l'avais écouté.
Évidemment, je n'avais pas mentionné cet inconnu à Anne Robert. Avoir une obsession pour des loups était une chose. En avoir une pour un inconnu entraperçu presque trois ans auparavant... Je préférais le garder pour moi.
Début de l'été, j'avais obtenu mon double diplôme en droit et gestion. Mes parents m'accordaient une année sabbatique avant que je n'intègre l'entreprise familiale. Après avoir passé un mois de vacances avec eux, les laissant m'embarquer dans un road-trip alternant entre grandes villes et parcs nationaux, je repartais dans une dizaine heures, un mélange de marche et train cette fois. Seule.
J'avais planifié un voyage itinérant au travers des pays nordiques. Je voulais voir les interminables journées estivales, rester suffisamment longtemps que pour me noyer dans des aurores boréales, me construire un igloo et y vivre un moment. Et surtout, voir les loups.
La meute de mes rêves se retrouvaient la plupart du temps dans un paysage enneigé. Je voulais plus que tout y trouver le brun doux. C'était stupide mais j'avais l'impression qu'il y avait un lien entre le loup rebelle et l'inconnu du café.
Ma mère espérait me voir rentrer rapidement, que les nuits en tentes du début de mon périple me rebuteraient. Je savais que, secrètement, elle priait pour que je l'appelle avant d'avoir atteint la première gare, l'implorant de venir me rechercher, les pieds en compote d'avoir trop marché, sans même le courage de monter dans le train et de m'éloigner un peu plus d'elle. Mais elle savait aussi que ça n'arriverait pas.
On avait beau se ressembler physiquement — d'une même taille haute, affublées de pommettes saillantes — c'était au caractère qu'on percevait que j'étais adoptée, que je n'étais pas vraiment un portrait d'elle dans une sorte de version albinos. Et ce n'était qu'en sachant qu'elle n'était pas ma mère biologique que les personnes arrivaient à distinguer les traits dissimilaires cachés à moitié derrières le maquillage dont elle aimait nous parer.
Avec mon père, bien que nous partagions plus de similitudes dans nos attitudes, sa peau sombre ne laissait aucun doute quand à nos liens. Lui aussi, avait passé les premières années de sa vie, oubliées, dans un orphelinat. Il n'avait pas voulu d'enfants biologiques et ma mère, dont l'évocation du mot grossesse provoquait des frissons, n'y avait jamais rien trouvé à redire.
— Oh ! Bonjour, mon coeur. Tu es déjà levée ? J'avais prévu de te devancer pour te cuire des crêpes.
La voix douce de ma mère me tira de mes pensées. Je n'avais même pas remarqué le soleil qui se pointait à l'horizon, nimbant le bas du ciel de lueurs dorées et réchauffant l'herbe verte des prairies qui s'étalaient à perte de vue devant moi. Elle déposa un baiser sur mon front et entreprit de sortir une poêle ainsi qu'un bol de pâte préparé la veille.
Elle était étrangement matinale pour une personne qui aimait lézarder dans son lit jusqu'à dix heures. Je savais néanmoins que c'était pour passer du temps avec sa fille unique, avant que celle-ci ne s'en aille pour une durée indéterminée — peut-être d'un an.
Cela me touchait, mais je savais également qu'elle tenterait de me faire changer d'avis jusqu'au dernier moment.
— Alors, des crêpes, ça te dit ?
Je tournai le dos au soleil naissant et m'assis face à elle. Elle me fixait, des lueurs d'espoir plein les yeux. Je lui souris.
— Évidemment.
***
Mon sac était lourd, plus qu'il ne l'aurait dû.
Ma mère, terrorisée à l'idée que je ne manque de quelque chose, m'avait "aidée" à le préparer, le chargeant bien plus que nécessaire. Cependant, celui-ci bien calé sur mon dos, je m'efforçais à me tenir droite, un sourire collé au visage.
Mes parents me faisaient face dans la cruelle attente d'un dernier au revoir avant un bon moment. Les longs cheveux de ma mère étaient en partie retenus par l'élégante pince que je lui avais offerte quelques mois plus tôt, pour son anniversaire. Elle portait son beau peignoir de soie, une sorte de kimono au motif floraux. Les yeux humide, elle maintenait une main sur sa bouche dans l'optique de ne pas trop se laisser déborder.
Sur la joue de mon père, une larme perlait.
— Tu vas me manquer, affirma-t-il en me prenant dans ses bras. Tu prends soin de toi et tu te méfies des inconnus, d'accord ?
— D'accord.
Il caressa mes joues, remis une mèche de cheveux albâtre derrière mon oreille et palpa mon sac.
— Tu as bien tout ?
— Maman y a veillé.
Je le détaillai, ancrant son visage dans les moindres détails. Les pattes d'oies aux coins de ses yeux s'étaient creusées, son front avaient pris de nouveaux plis, mais sa peau semblait toujours aussi douce, sa barbe rasée à blanc sur sa peau brune.
— N'oublie pas ce que le Docteur Robert t'as dit, ajouta-t-il. Si tu as besoin de lui parlé, tu peux l'appeler. Essaie juste de faire attention aux fuseaux horaires pour la contacter à une heure décente.
La remarque m'arracha un souffle de rire.
— Elle m'a prévenu qu'elle ne me répondrait pas à minuit.
— Aller, vas-y avant que ta mère ne craque et ne t'empêche de partir, murmura-t-il dans le creux de mon oreille lors d'un énième câlin. Je la soupçonne d'avoir caché des cordes dans son peignoir. Fais attention quand elle te prendra dans les bras.
— Mon bébé ! éclata-t-elle enfin en se joignant à nous. Tu vas me manquer ! Tu n'es pas obligée de partir !
L'étreinte dura un moment sous ses suppliques. J'en profitai puis décidai de me dégager.
— Vous allez me manquer.
Je saisis la poignée, l'abaissa et sortis dans l'allée bordée de bois. Mon père garda ma mère dans ses bras, la réconfortant et la câlinant du mieux qu'il le pouvait.
— Notre fille est prudente. Ça ne saurait lui faire que le plus grand bien, lui affirma-t-il une lueur d'inquiétude dans les yeux.
Il lui déposa un baiser dans les cheveux. Je leur fis un signe de main avant de me détourner complètement et de commencer mon périple.
Une sensation étrange m'envahit. Ça m'arrivait souvent ses derniers temps.
Je ne remarquai même pas la sorte de grande ombre sombre qui me suivaient discrètement à la lisière des arbres.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top