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EASTON
Il y a des milliers de sensations agréables dans la vie : manger son plat préféré, une bonne nuit de sommeil après une journée fatigante, l'effet de l'eau chaude lorsqu'on est courbaturé, se baigner en temps de canicule. Mais avoir Elyna entre mes bras est de loin la meilleure.
Je n'avais pas idée que le manque de sa personne était si intense avant de la revoir. Je n'imaginais pas qu'une simple étreinte pouvait nous faire oublier tous nos soucis. Et pourtant, depuis que mon regard a croisé le sien, depuis que le son de sa voix est parvenu à mes oreilles, plus rien n'a eu d'importance. C'est l'effet que cette femme a sur moi et c'est celui qu'elle aura toujours.
Dix ans, vingt ans, trente ans, rien ne changera la façon dont cette fille contrôle la moindre parcelle de mon être.
— Désolée de ne pas être venue plus tôt, l'actualité n'était pas arrivée jusqu'en Europe, apparemment, m'explique-t-elle en esquissant un sourire d'excuse.
Ce sourire... Je me mords la lèvre pour réprimer toutes les sensations qu'un simple sourire est capable de faire remuer en moi.
— Pourquoi ne m'as-tu pas appelée, East ? Je sais que nous n'étions pas en contact, mais jamais je ne t'aurais claqué la porte au nez, alors que ta liberté était en jeu, reprend-elle sur un ton un peu plus accusateur.
— Je voulais éviter de t'impliquer dans une merde pareille. Tu ne le méritais pas.
Elle secoue la tête avant de déposer délicatement sa main droite contre mon épaule.
— On n'est peut-être plus ensemble, mais tu restes la personne qui a le plus compté dans ma vie. Ton bonheur fait le mien, ne l'oublie jamais.
Son ton s'est radouci, alors que sa main effectue de petites caresses contre mon épaule. Je ressens à nouveau cette sensation de confort. Celle que personne d'autre n'a su me procurer. Pas même ma propre femme. Mais Elyna n'est pas n'importe qui. Elle ne le sera jamais.
— C'est bon de te revoir, Ely, finis-je par dire en replaçant une mèche derrière son oreille.
Son corps frissonne, suite à mon contact, me provoquant une satisfaction inégalable.
— C'est bon de te revoir, East.
Son regard capture à nouveau le mien, hypnotisant le moindre de mes mouvements. Je suis un homme respecté, un PDG redoutable et pourtant, il suffit à Elyna de me regarder comme elle le fait pour que ma carapace se brise. Malheureusement, elle va bientôt devoir repartir et tout ça n'aura duré qu'un court instant.
J'ai besoin d'une soirée. D'une seule soirée à profiter de sa présence. Et même si je devais terminer en taule après ça, j'irai sans regret, parce que je l'aurais revue une dernière fois.
— Laisse-moi t'emmener dîner. Rien que ce soir, avant que tu ne quittes les Etats-Unis à nouveau.
Elle m'observe silencieusement, réfléchissant sûrement à la proposition. Cette dernière n'a rien de romantique. Je sais qu'elle est engagée auprès de quelqu'un d'autre, et même si je rêve de le voir exilé le plus loin possible d'Elyna, je respecte ça. J'ai simplement besoin de rattraper le temps perdu. De l'entendre rire à nouveau, de capturer chacun de ses nouveaux traits pour la garder en moi à jamais.
Je sais que j'ai sûrement l'air pathétique, mais je ne suis pas en mesure de réfléchir clairement quand il s'agit de cette femme.
Elle ouvre la bouche, mais c'est le son d'une voix que j'exècre qui retentit à la place.
— Elyna Lykaios, c'était un sacré numéro que vous nous avez fait dans cette cour, s'exclame Mylie Lopez.
Elle est accompagnée de Shelby qui balaye son regard entre Elyna et moi, tout en serrant la mâchoire. C'est ça, regarde ce que t'as perdu. Regarde surtout la façon dont j'aimerais toujours cette femme, peu importe nos choix.
— Je pensais qu'on avait un accord, mais apparemment, on ne doit jamais se fier à qui que ce soit, poursuit-elle de son air le plus hautain.
Un accord ?
— Je ne vois pas de quel accord vous voulez parler, réplique Elyna en croisant les bras. Vous avez choisi de me faire appeler à la barre. Jusqu'à preuve du contraire, je ne suis jamais entrée en contact avec vous pour accepter de me ranger de votre côté. Il fallait réfléchir deux fois avant de faire venir quelqu'un dont vous ne saviez rien.
Elyna soutient le regard perçant de l'avocate sans se laisser démonter. Fidèle à elle-même. Impressionnante, comme je l'ai toujours connu.
— Ce n'est pas terminé, Lykaios. Croyez-moi, vous auriez dû vous ranger du bon côté quand il en était encore temps.
— Ah oui ? Pourtant, c'est ce que je pensais avoir fait, répond-elle en attrapant ma main, tout en m'attirant contre elle pour illustrer ses propos.
D'abord surpris par son geste soudain, je me détends et imite mon ex fiancée en toisant méchamment les deux pestes du regard.
— On se revoit très bientôt. Profitez de vos derniers instants, parce que je vais m'assurer que vous preniez le maximum, monsieur Hathaway.
Je ne réponds rien face à ses menaces en l'air, préférant préserver ma salive pour des conversations bien plus utiles.
Lopez et Shelby finissent par nous fausser compagnie en adoptant une démarche bien trop ridicule, même pour elles.
— C'est d'accord, allons dîner. Mais avant, j'ai besoin d'un verre. Quelque chose d'assez fort pour m'empêcher d'aller arracher les extensions de ces deux pétasses, grommelle Elyna en serrant les poings.
Sa réaction m'arrache un rictus amusé, malgré moi. Mais je ne me fais pas prier, passe mon bras autour de ses épaules et la guide jusqu'à ma voiture.
***
— Un jour, Loukas avait passé sa journée au bureau avec mon père et il était fasciné par tout ce que l'endroit possédait. Cependant, une machine l'avait attiré plus qu'une autre : le destructeur de papier. Tu vois arriver le truc ? Mon père s'est absenté cinq minutes et lorsqu'il est revenu, Loukas était en train de détruire tous les papiers sur le bureau, dont des croquis et contrats importants. Oh mon Dieu, si tu avais vu la tête de mon père !! me raconte Elyna sans se retenir de rire à chaque phrase.
J'éclate de rire à mon tour sans cacher ma surprise. Voilà deux bonnes heures que nous sommes arrivés au restaurant et Elyna a passé son temps à me raconter des anecdotes sur sa famille et sa vie en Grèce. J'ai appris que sa sœur avait eu un enfant du nom de Loukas. L'unique bébé de la famille, leur trésor le plus précieux, d'après la brune. C'est Danae qui l'a porté par insémination. Ça ne m'étonne pas vraiment. L'aîné des Lykaios a toujours eu cet instinct maternel. Il fallait voir comment elle prenait soin d'Elyna, même à l'âge adulte. Je suis content qu'elle ait enfin pu avoir son propre bébé.
Elyna en a profité pour me parler de son poste et de toutes les responsabilités qu'il implique. Elle ne m'a pas caché le fait d'être débordée et vraiment fatiguée. Cependant, elle ne s'en plaint pas et ne voudrait changer de voie pour rien au monde. Ce qui ne me surprend pas, pour être honnête. La création de vêtements, c'est sa passion. Je me souviens de tous ces croquis qu'elle dessinait et amenait à la vie, lorsque nous étions à l'université. Son appartement débordait de tenues aussi différentes qu'extravagantes. Mais tout était époustouflant. Elyna est née avec ça dans le sang et son succès ne sera jamais quelque chose d'étonnant. J'ai toujours su qu'elle ferait ses preuves.
Ces dernières heures m'ont enfermé dans une bulle protectrice et apaisante que je n'avais pas ressentie depuis des mois, voire des années. Le procès et toutes les conneries de Shelby ne m'ont même pas traversé l'esprit, une seule seconde. Être ici avec Elyna, écouter son rire, voir son visage s'illuminer, sentir son parfum envoûtant, c'est mon échappatoire. Et si je pouvais rester enfermé dans ce cocon toute ma vie, je le ferais sans hésitation.
Bien sûr, c'est impossible et son départ risque de faire bien plus mal que je ne le pensais. Même si je n'ai passé que quelques heures en sa compagnie.
Comment une simple personne peut-elle être ancrée en soi de la sorte ? Bordel ça fait dix ans qu'elle a quitté ma vie et rien ne l'a effacée. Rien.
— Oh j'imagine très bien. Midas Lykaios aime une seule chose plus que sa propre personne et c'est son entreprise, répliqué-je dans un rire amer.
— Ce n'est pas moi qui vais te contredire, ajoute-t-elle sur le même ton.
Elyna a toujours eu une relation compliquée avec son père. C'est quelque chose sur laquelle elle ne s'est pas confiée dès le départ, surtout pour se convaincre que ce n'était pas si grave. Midas Lykaios n'est pas une mauvaise personne, mais c'est un père épouvantable. Il a toujours vu ses enfants comme quelque chose d'utile, de contrôlable, comme s'il s'agissait de créations qu'il pouvait utiliser à son avantage. Il était exigeant, absent et tout ce qui l'intéressait, c'était qu'ils n'échouent jamais. Leurs passions, leurs sentiments, ce qui faisait d'eux des personnes uniques, ça lui était égal.
Et on va dire que les pères à chier, c'était un truc qu'on partageait.
— En tout cas, ce Loukas m'a tout l'air d'une tornade qui n'a pas fini de vous en faire voir de toutes les couleurs, reprends-je en souriant sincèrement.
Elyna me le rend en hochant vivement la tête.
— Oh ce n'est que le début. Mais honnêtement, il pourrait même mettre la ville en feu, qu'on ne pourrait jamais lui en vouloir. C'est notre bébé.
Le sourire d'Elyna est tellement sincère lorsqu'elle parle de ce petit, que je ne peux que la croire. Et puis, lorsqu'elle le fait, ses joues se creusent et d'adorables fossettes se dessinent. Une vue à couper le souffle.
— Je veux bien te croire. Tu as toujours eu ce côté maternel en toi. Je suis d'ailleurs surpris que tu n'en aies jamais eu.
Elle affiche une moue attristée, ce qui me fait regretter instantanément mes mots. Ce n'est vraiment pas une phrase appropriée, surtout pas quand je n'ai pas mon mot à dire. Je ne sais rien de ce qui s'est passé ces dix dernières années. Si elle essaye, si elle a réussi puis échoué, si son fiancé n'en veut pas...
— Pardonne-moi, je n'aurais pas dû...
— Non, ça ne fait rien, me coupe-t-elle en esquissant un sourire qui n'atteint pas ses yeux. C'est juste qu'avec l'entreprise, j'ai énormément mis ma vie personnelle entre parenthèses.
Sur ça, je peux la comprendre. Lorsqu'on a une position haute dans une entreprise qui brasse des milliards, la vie personnelle est une chose à laquelle on renonce. On doit faire d'énormes sacrifices pour réussir et ce n'est pas quelque chose adapté à tous. Je me suis marié avec Shelby, mais je n'ai pas été un mari exemplaire. Les premiers mois étaient délicieux, on passait beaucoup de temps ensemble, on faisait l'amour plusieurs fois par jour et on discutait vraiment.
Ma femme a toujours été superficielle, intéressée par l'argent, mais elle était aussi gentille, drôle et intéressante. C'est ce qui m'a fait craquer pour elle, au départ. Puis je ne sais pas quand tout a commencé à changer, on s'est éloignés, elle dépensait notre argent à longueur de journée, tout en baisant avec d'autres hommes.
Eh oui, tu as beau être riche, puissant, intelligent et beau, tu peux toujours être cocu.
J'ai beau être quelqu'un d'occupé, je ne serai jamais le cliché du PDG qui trompe sa femme avec son assistante. Lorsque je m'engage, c'est pour la vie (ou au moins jusqu'au divorce). Mais la fidélité est une de mes valeurs et ma femme n'a pas été foutue de la partager. Alors qu'elle a toujours clamé le contraire, ironique non ?
— Crois-moi, je sais de quoi tu parles.
Mes yeux louchent ensuite sur le diamant ornant son annulaire gauche, me serrant l'estomac.
Tu es marié, vous êtes séparés, tu n'es clairement pas en position d'être jaloux, me rappelle ma voix intérieure.
Elle n'a pas tort, mais ça fait toujours mal de voir la personne que tu aimais comme un dingue, épanouie avec un autre.
— Des félicitations sont d'ailleurs de rigueur. Kallias Galanis, à la tête d'une des plus grandes entreprises pharmaceutiques. Tu n'as pas fait les choses à moitié.
Elle lâche un petit rire en louchant à son tour sur l'anneau.
— Faut croire que j'ai toujours eu le béguin pour les PDG, plaisante-t-elle en me regardant droit dans les yeux.
Je ne peux réprimer un sourire en repensant aux années que nous avons partagées. Ce qui est sûr, c'est que la nostalgie est présente ce soir et elle a bien décidé de m'emmerder.
Regarde bien ce que tu as laissé partir, Easton.
Après le départ d'Elyna, les regrets m'ont consumé pendant des mois. Je passais mes journées à me demander si les choses auraient pu être différentes si j'avais été moins lâche, plus égoïste. Si j'avais prononcé d'autres mots, ce soir-là... À plusieurs reprises, j'ai été tenté de l'appeler, mais je n'en ai jamais eu le courage. Parce que son bonheur valait plus que mes sentiments.
— Hmm, je n'étais pas encore PDG lorsque nous étions ensemble, si je me souviens bien, lui rappelé-je, d'un air taquin.
— Mais j'ai toujours su que tu y arriverais. Même quand ton père te rabaissait, même quand tu doutais, ça n'a jamais été mon cas. Tu as toujours été un leader, East. Cette carrière, tu l'as méritée. Je suis fière de toi.
Mon cœur se comprime à l'entente de cette dernière phrase. Des mots si simples, mais qui ont une importance phénoménale pour moi. Des mots que j'ai toujours rêvés d'entendre de la bouche de mon père. Rien qu'une fois. Lui et moi, on n'a jamais eu de relations. Ma naissance a gâché sa vie et il a pris soin de me le rappeler à chaque instant. Je n'ai toujours été qu'un fardeau. Son fardeau. Celui qui aurait dû crever ce jour-là.
Non, Easton, ne pense pas à ça. Pas ce soir. Profite d'Elyna et du bien que te procure sa présence. Avant que tout ne disparaisse.
Alors je chasse ces mauvaises pensées et attrape sa main dans la mienne, lui montrant ma reconnaissance par un simple geste.
— Ça compte énormément. Et sans toi, je ne serais jamais devenu l'homme que je suis aujourd'hui, Ely.
Ses yeux s'illuminent à cette mention, alors que ma bouche vient déposer un doux baiser contre la paume de sa main.
— J'espère que Kallias a conscience de la chance qu'il a.
Elle mord sa lèvre et baisse les yeux à cette mention. Sûrement coupable d'être heureuse en ménage alors que de mon côté, c'est plutôt un désastre. Mais elle ne doit pas l'être. Elle mérite d'être heureuse, elle mérite d'être aimée, valorisée. Et elle mérite quelqu'un de fort et de courageux, qui saura lui répéter chaque jour à quel point elle est formidable et indispensable à sa vie.
Chose que je ferais sans hésitations, si j'en avais la chance.
— Que s'est-il passé, East ? Comment t'es-tu retrouvé embarqué dans une telle situation ? finit-elle par me dire, nous sortant de ce silence pesant.
Je sais qu'elle mourrait d'envie d'en parler, depuis que nos chemins se sont recroisés. Je peux la comprendre, ce n'est pas tous les jours qu'on est convoqué depuis un autre continent, pour témoigner contre un homme qu'on a aimé. J'ai pensé à la contacter, à plusieurs reprises et puis je me suis dit qu'elle ne méritait pas ça. Elle était heureuse, j'ai presque envie de dire qu'elle avait oublié sa vie aux États-Unis, sa vie avec moi. L'embarquer dans mes problèmes n'aurait pas été juste envers elle. Je suis beaucoup de choses, mais je ne suis pas égoïste. Surtout pas quand il s'agit d'Elyna.
— Il y a eu un moment où Shelby et moi étions vraiment bien ensemble. On s'est rencontrés lors d'un gala de charité et on a bien accroché. On est sortis ensemble pendant six mois avant que je ne lui demande de m'épouser. Je sais, c'était tôt. Peut-être trop tôt, quand j'y repense aujourd'hui.
Elyna ne dit rien, mais elle n'en pense pas moins. Son visage a toujours parlé pour elle et elle meurt d'envie de me dire que j'ai merdé. Heureusement, elle se retient et ne me coupe pas dans mon récit.
— Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je n'avais pas eu de relations sérieuses depuis des années.
Depuis toi, avais-je envie de dire.
— J'étais con, mon grand-père était malade et je voulais qu'il me voit épouser une femme, avant qu'il ne nous quitte. Même si pour tout te dire, il n'était pas fan de Shelby. Il était cependant heureux pour moi, et s'il avait fallu que j'épouse la première venue pour voir son visage aussi illuminé, je n'aurais pas hésité.
Cette fois, c'est un doux sourire qui vient remplacer sa mine perplexe. Elyna a connu mon grand-père, elle connaissait exactement l'intensité de notre relation et ce lien particulier qui nous unissait. Il a passé sa vie à combler le vide qu'a laissé la haine de mon père en moi. J'aurais tout fait pour lui. Tout. Sa mort a laissé un grand trou béant en moi.
— Je suis tellement désolée, Easton. J'aurais dû t'appeler, lorsque j'ai su. Je...
Je la coupe en caressant délicatement sa main.
— Ne t'en veux pas. Je sais que tu l'aimais et que tu as pensé à moi.
Il est vrai que la présence d'Elyna m'aurait aidé, à cette période, mais je ne lui en veux pas. On avait coupé contact. On sait tous les deux la dangerosité que représentait nos sentiments l'un envers l'autre. Se revoir, s'appeler sachant qu'on ne pouvait pas être ensemble, ça nous aurait détruit.
— Pour en revenir à ce que je disais. Les premiers mois se passaient bien. On était un couple normal, un couple heureux. Et puis mon travail a commencé à prendre plus de temps. Je compensais en offrant à Shelby tout ce qu'elle désirait. Elle est devenue de plus en plus intéressée par le luxe, alors j'en ai profité pour être de plus en plus absent. Et pendant que j'étais dans l'illusion d'un mariage heureux, ma femme s'envoyait tout Chicago.
Bien que notre mariage ne fût pas le plus stable, sa trahison laisse toujours un goût amer sur ma langue. Parce que j'ai toujours cru aux liens sacrés du mariage. Et qu'au lieu de me quitter, ma femme a préféré me planter un couteau dans le dos pour chaque mec qui la sautait.
— C'est vraiment affreux, murmure-t-elle d'une voix presque inaudible. Tu ne méritais pas ça.
— Il faut dire que je n'étais pas le meilleur des maris.
— Ça n'a pas d'importance. Tu méritais un minimum de respect. Le divorce existe, si ta femme était trop intéressée par tes millions pour le voir, c'est elle la fautive.
Je médite quelques minutes sur ses mots en tentant de les intégrer. Parce que mine de rien, j'ai toujours eu l'impression que tout était de ma faute. Toute ma vie, on m'a prouvé que je n'étais qu'un bon un rien, qui était toujours responsable des malheurs des autres. Ma naissance a brisé mon père, Elyna est partie, car je n'ai rien dit, mon grand-père a passé plus de vingt ans en guerre contre son fils unique, par ma faute. Difficile de penser que tu n'es pas une erreur, quand toute ta vie t'a prouvé le contraire.
— Parfois, je me demande si je ne l'ai pas vraiment fait, avoué-je, appréhendant sa réaction.
Ma remarque lui fait froncer les sourcils automatiquement, ne comprenant pas où je veux en venir.
— De quoi tu parles, Easton ?
J'avale ma salive difficilement, effrayé par la révélation que je m'apprête à faire. Effrayé que son regard sur moi change à jamais.
— Des accusations de Shelby. La vérité, c'est que je n'ai aucun souvenir de cette soirée.
Ses yeux s'écarquillent, alors que sa bouche s'ouvre tellement qu'elle pourrait gober une mouche.
— Tout ce que je sais, c'est que je venais la confronter pour ses infidélités et plus rien. Le lendemain, je me faisais réveiller par la police, m'embarquant au poste.
Le choc se lit clairement sur son visage, mais je ne saurais deviner les autres émotions qui l'habitent, à ce moment-là.
— Le procès est délicat, car je n'ai aucun moyen de prouver que c'est faux. Pas même à ma propre personne.
— Oh East... Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé plus tôt ?
Je détourne le regard, honteux d'avouer que j'étais trop bourré ou trop défoncé pour m'en souvenir. Parce qu'Elyna a laissé derrière elle un homme honnête, un homme bon et droit. Je ne voulais pas qu'elle parte en ayant les mêmes doutes que moi.
Parce que je pouvais supporter des années en prison, mais pas la déception de cette femme.
— J'avais peur que ton regard change...
Ses sourcils se froncent davantage et je crois même déceler une lueur de colère traverser ses yeux.
— Tu te fous de moi ? Tu crois sérieusement que j'aurais pu douter de toi, un seul instant ? Après tout ce qu'on a vécu ?
— Comment aurais-je pu penser le contraire, alors que je doute moi-même ?
Elle lâche un rire amer avant de se lever.
— Qu'est-ce que tu fais ? demandé-je, totalement dépassé par la situation.
— Je ne sais même pas pourquoi je perds mon temps avec un homme que je ne reconnais pas.
Elle me jette un nouveau regard empli de déception avant de sortir en trombe du restaurant. Me laissant complètement sonné par la scène qui vient de se jouer si rapidement.
Putain.
Je laisse plusieurs billets sur la table, bien trop pour le peu que nous avons consommé, mais je m'en moque. Impossible que notre conversation s'achève de la sorte.
— Elyna, m'écrié-je en accélérant le pas pour la rattraper.
J'attrape son bras en arrivant à sa hauteur et la bloque contre le mur le plus proche, pour l'empêcher de filer à nouveau. Nos visages sont si proches que nos souffles se mélangent et que je suis en mesure d'entendre son cœur battre à la chamade.
Trop proches. Beaucoup trop proches.
— Pourquoi es-tu parti ainsi ?
— Parce que t'es trop con, Easton. Putain, tu es l'homme le plus bienveillant que je n'ai jamais rencontré. Comment peux-tu imaginer un instant pouvoir commettre de telles horreurs ? Comment peux-tu me regarder en face et me dire que l'homme qui a le plus compté pour moi, n'est qu'un monstre qui bat sa femme ? Merde, Easton, tu as ramené la lumière en moi quand la vie avait noirci mon âme. Tu m'as soutenu alors que je te prouvais par A+B que j'étais complètement bousillée.
Elle attrape mon visage en coupe en plongeant son regard dans le mien. Accélérant les battements de mon cœur à une vitesse bien trop dangereuse.
— Peu importe ton état, ce soir-là, jamais tu n'aurais pu lever la main sur cette femme. Elle aurait bien pu baiser ton frère devant toi, que tu ne serais jamais aller aussi loin. Ça fait peut-être dix ans qu'on ne s'est pas vu, mais je connais ton cœur. Jamais il n'aurait supporté un tel comportement de ta part.
Nos visages ne sont plus qu'à quelques millimètres. Mon regard se promène entre ses yeux et sa bouche. Cette bouche pleine pour laquelle je serais prêt à donner un de mes reins, rien que pour l'effleurer. Pour me rappeler sa saveur et le bien qu'elle me procurait, à une époque.
Elyna le ressent, car je la surprends à imiter mon geste. Elle sait qu'un simple mouvement de tête pourrait remédier à tous nos problèmes. Pourtant, lorsque mes yeux se posent sur sa main tenant fermement ma joue, c'est sa bague que j'aperçois. Et ce seul objet suffit à m'écarter, en me rappelant qu'Elyna n'est plus à moi et que ses lèvres ne pourront plus jamais combler les miennes. Cet honneur, c'est un autre qui le possède.
La brune ferme les yeux, se rendant compte de la connerie qu'elle s'apprêtait à faire.
— On ferait mieux de rentrer, dans quel hôtel loges-tu ? demandé-je, alors que le regret de ne pas être allé plus loin, plane toujours.
— Je séjourne chez Hélios.
— Mince, j'avais complètement oublié qu'il vivait à Chicago. Allons-y.
Elle m'observe un instant de ses grands yeux verts, avant d'opiner.
***
Nous arrivons devant son immeuble, une vingtaine de minutes plus tard. Le trajet s'est fait dans le plus grand des silences. Nous devions nous remettre de nos émotions, après cette soirée mouvementée.
J'accompagne Elyna jusqu'à son étage. Hélios vit au dernier, dans le penthouse d'un des quartiers les plus luxueux de la ville. À quelques minutes d'un de ceux que je possède. C'est complètement fou, il a vécu tout près de moi pendant des années et on ne s'est jamais croisés. Pourtant, nous avions une très bonne relation quand sa sœur et moi étions encore ensemble.
Tu n'étais même pas présent pour ta femme, enfoiré. Comment aurais-tu pu l'être pour une personne appartenant à ton passé ?
Pas faux.
— C'est ici, merci de m'avoir accompagnée. Et... pour cette délicieuse soirée. Tu m'avais vraiment manqué, me confie-t-elle dans un sourire sincère.
Sa remarque me touche et m'arrache un sourire bête. Tel un adolescent après son premier rencard.
— Merci à toi pour tout ce que tu as fait. Sois heureuse, Elyna. Tu le mérites.
Les voilà, les adieux que je redoutais tellement. Mais ils étaient inévitables et je le savais pertinemment. Ça n'en fait pas moins mal pour autant.
Je dépose un long baiser sur sa joue, avant de tourner les talons. Incapable d'entendre un mot de plus.
— Easton ? retentit sa voix lorsque j'atteins l'ascenseur.
Je m'arrête quelques secondes puis finit par me tourner, lui laissant le temps de me rejoindre.
— Je ne pars pas, m'annonce-t-elle soudainement.
Un hoquet de surprise s'échappe de ma bouche, alors que l'incompréhension se fait plus dense.
— Quoi ?
— Je ne pars pas. Toi et moi, on va élucider ce mystère. On va découvrir ce qui s'est vraiment passé, ce soir-là, et on va se battre pour prouver ton innocence.
— Ils ne vont pas te lâcher, Elyna. Ces gens-là sont de vrais requins, ils appuieront où ça fait mal pour te briser.
— Qu'ils essaient. Je ne suis plus la jeune adulte que tu as connu, East. Des requins, j'en ai défiés des centaines et je n'ai pas perdu une seule fois. Peu importe ce qu'ils trouvent, je ne t'abandonnerai pas. Plus jamais.
⚖️⚖️⚖️
Les montagnes russes cette petite soirée !
En tout cas, la tension est toujours présente entre eux 🤭
Reste plus qu'à voir combien de temps ils vont tenir...
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