26
13 ans plus tôt
EASTON
— Elyna, tu es là ? m'exclamé-je en passant la porte de l'appart de ma copine.
Silence radio. Étrange, elle m'a dit de passer en fin de journée et sa porte n'est pas verrouillée. Bon, tête en l'air comme elle est, oublier de fermer est totalement quelque chose qu'elle aurait pu faire, mais je ne suis tout de même pas convaincu.
J'arpente alors les couloirs de l'appartement en direction de sa chambre. Il est possible qu'elle ait ses écouteurs dans les oreilles et qu'elle ne m'entende pas. Lorsqu'elle dessine ses créations, elle aime être dans son monde, immergé dans sa musique, comme si rien n'existait. J'ai eu la chance d'assister à un de ces moments et je n'en suis que tombé un peu plus amoureux. Elyna est incroyable en toute circonstance, mais lorsqu'elle est passionnée, je n'ai juste pas les mots pour décrire à quel point elle me fascine.
Ça va faire près de deux ans que l'on sort ensemble et je n'ai jamais été aussi heureux. J'ai eu des conquêtes par le passé, mais rien d'assez profond pour que j'en tombe amoureux. Elyna est la première et je prie chaque jour pour qu'elle soit la dernière. Parce qu'honnêtement, j'ai beau être jeune, je sais que je pourrais faire ma vie avec cette femme. L'aimer, la chérir et la rendre heureuse pour le restant de ses jours.
Elyna Skye Lykaios, l'amour de ma vie.
— Elyna, réitéré-je en passant devant la salle de bain.
Un bruit d'objet tombant sur le sol m'interpelle, depuis cette même pièce. Croyant d'abord avoir rêvé, c'est au tour d'un juron de résonner.
— Elyna, tu es là-dedans ?
Nouveau bruit, correspondant maintenant à une quinte de toux, suivi d'un bruit de crachat ? Est-elle en train de vomir ?
— Oui, East... Euh... attends une minute, j'ai bientôt terminé, bredouille-t-elle de l'autre côté.
L'air stressé de sa voix ne m'échappe pas, et me pousse même à m'inquiéter.
S'est-il passé quelque chose ? Est-elle malade ? Le bruit de la cuvette qui se baisse ne m'a pas échappé. Elle a peut-être une gastro ? Pourquoi ne m'a-t-elle pas prévenu ? Je lui aurais ramené des médicaments. Je peux toujours lui préparer une infusion à la mélisse. Lucía me préparait toujours ça pour calmer mes douleurs aux intestins.
— Tout va bien ? Tu es malad...
Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase que la porte s'ouvre à la volée, laissant apparaître la silhouette de ma petite amie. Un sourire vient orner son beau visage. Elle ne m'a pas l'air en mauvais état, c'est même le contraire. Et bien que cela me rassure, son sourire me paraît un peu trop forcé pour être sincère. Ça va faire deux ans que je connais cette fille, j'ai appris à reconnaître chacune de ses expressions faciales. Et celle-ci a le don de me préoccuper.
— Non, je me refaisais simplement une petite beauté. J'ai dû perdre la notion du temps.
Et comme pour me prouver que tout va bien, elle presse ses lèvres contre les miennes, agrippant tendrement ma nuque. Je me laisse aller parce que son contact est capable de me faire tout oublier en un rien de temps. Cependant, lorsqu'elle s'éloigne de moi pour reprendre son souffle, mes sourcils se froncent à nouveau, quand je remarque son regard perturbé. Elle ne me dit pas tout.
Arrête d'analyser les gens à ce point, East. Elle va surement très bien et tu en fais des tonnes pour un rien, me souffle ma conscience.
Probablement, mais cette boule qui me comprime l'estomac, me pousse à penser le contraire.
Néanmoins, je ne préfère rien dire pour le moment, afin de poursuivre mon analyse silencieuse. Elle finira bien par se trahir.
— Tu as faim ? Je n'ai pas eu le temps de préparer quoi que ce soit, mais on peut se faire livrer, si ça te dit ? me propose-t-elle.
— Oui, parfait. Une envie particulière ?
Elle réfléchit un instant avant de secouer négativement la tête.
— Pas vraiment, je te fais confiance.
Un énième sourire vient accompagner sa phrase, ne me perturbant que davantage. Je vois bien qu'elle fuit mon regard, qu'elle ne s'attendait pas à ce que je la surprenne dans la salle de bain et que quelque chose la dérange.
— Tu es sûre que tu ne couves pas quelque chose ? Je ne voudrais pas commander un plat qui te rende malade ?
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Je ne sais pas, j'ai cru t'entendre vomir, alors je m'inquiète.
Elle fronce à nouveau les sourcils, esquissant une moue désapprobatrice.
— Tu as mal entendu. Je me brossais les dents, j'ai simplement avalé un peu de dentifrice. Arrête de t'inquiéter pour rien, Easton. Vraiment, tout va bien.
Malgré mon scepticisme, je me contrains à hocher la tête, afin de ne pas engendrer une dispute inutile. C'est sans doute ma nature protectrice et méfiante qui ressurgit.
J'attrape alors mon téléphone et le lui tends.
— Tiens, commande où tu veux. Je serais plus rassuré si tu prenais quelque chose qui te fait du bien, insisté-je.
Elle lève les yeux au ciel, mais finit quand même par accepter.
— D'accord, papa poule. Si ça peut te rassurer, je nous commanderai des bruschettas. Tu adores ça.
C'est à mon tour de sourire sincèrement. Le fait qu'elle connaisse aussi bien tout ce que j'aime, ne cessera jamais de m'impressionner. Ce sentiment d'importance que mon père m'a arraché, refait de plus en plus surface au fur et à mesure que je passe mes journées avec cette femme formidable.
Elle sort sur le balcon pour passer commande et je profite de son absence pour me servir un verre d'eau frais. En ouvrant le frigo, je suis surpris de le trouver pratiquement vide. Il était encore plein ce matin, lorsque nous avons quitté l'appartement.
Nous ne vivons pas ensemble, mais cela ne nous empêche pas de passer la majorité de nos nuits dans le même lit. Que ce soit chez elle ou chez moi.
Il n'y a pas d'eau au frais, mais il reste tout de même un fond de jus de fruit. Je m'en contente et le bois cul sec. J'ouvre ensuite la poubelle pour le jeter, mais ce que j'y vois me laisse sans voix.
Eh bien, si je me demandais où toute la nourriture du frigo avait disparu, j'ai ma réponse. La poubelle est remplie d'emballages vides : du fromage, des gâteaux, sachets de pain de mie, emballage de sandwiches. Eh ben, ma copine avait tant d'appétit que ça ou quoi ? Je sais de source sûre que Brooke n'aurait pas pu y toucher, étant donné qu'elle est chez sa famille pour la semaine.
Que se passe-t-il, Elyna ?
— Je nous ai pris des tiramisus en pl...
Elle s'arrête net lorsqu'elle m'aperçoit face à sa poubelle débordante. Une nouvelle lueur de panique traverse son beau regard, confirmant un peu plus mes craintes.
— Tu m'expliques pourquoi la moitié de ton frigo se trouve dans cette poubelle ? demandé-je sur un ton accusateur.
Elle ne répond rien, balayant son regard entre le contenu et moi. Putain, mais que me cache-t-elle ?
— Elyna...
— Non mais de quel droit te permets-tu de fouiller dans mes affaires, puis de t'adresser à moi avec ce fichu ton accusateur ? gronde-t-elle en me fusillant du regard.
La fureur qui émane d'elle, m'arrache un hoquet de surprise, tout en accélérant mon cœur. J'ai déjà vu Elyna en colère, mais jamais avec une telle intensité. Comme si elle cherchait à dissimuler ses secrets en s'en prenant à moi. Et je n'aime pas ça du tout.
— Je n'ai pas fouillé, j'ai simplement voulu jeter cette bouteille et je suis tombé sur ça. Je m'inquiète simplement pour toi, alors ne me rejette pas la faute dessus.
Elle lâche un rire amer alors que son regard noir continue de me scruter. Je ne l'ai définitivement jamais vu dans un tel état.
— Mais putain, si je te dis que tout va bien, pourquoi ne veux-tu pas le comprendre ? Tout était pratiquement périmé, alors j'ai fait du tri. Je n'aime pas les accusations que tu me portes. Et arrête de me regarder comme si j'étais un petit chiot battu. Je suis assez grande pour m'occuper de moi-même, crache-t-elle.
Elle me rejoint à une vitesse impressionnante, arrache le sac-poubelle, le referme puis le sort devant sa porte.
— Voilà, je l'emmènerai dans la benne à ordures plus tard. Maintenant, c'est soit tu cesses ton inspection, soit tu te casses.
Surpris et blessé par ses propos, je lui lance à mon tour mon plus mauvais regard tout en me dirigeant vers la porte. Aucune conversation n'aura lieu alors qu'elle est dans cet état. Je préfère m'en aller et la laisser revenir quand elle sera en mesure de me parler.
— Très bien, alors je vais te laisser faire ta crise et on en reparlera plus tard, déclaré-je fermement.
— Attends, t'es sérieux ? Tu vas vraiment partir pour ça ?
— J'estime que les secrets n'ont rien à faire dans une relation. Alors quand tu seras prête à m'avouer ce qui a l'air de te ronger. Je serai là. En attendant, je rentre chez moi.
Puis sans lui laisser une chance de répliquer, je claque la porte pour rejoindre la sortie de l'immeuble.
***
Il est près de vingt-trois heures, lorsque la sonnerie de ma porte d'entrée retentit. J'ai passé la majorité de ma soirée à regarder un match de hockey tout en repensant à ma dispute avec Elyna. J'y suis peut-être allé un peu fort, mais je n'y peux rien. J'ai besoin qu'on soit tous les deux honnêtes, l'un envers l'autre. Chacun peut avoir son jardin secret, mais l'angoisse que j'ai décelé sur son visage n'a fait que m'inquiéter. Et à partir du moment où l'un d'entre nous n'est pas rassuré, j'estime qu'il est important de discuter de ce qui ne va pas.
Et les regrets m'assaillent davantage lorsque j'ouvre la porte et y retrouve ma copine en larmes. Mon cœur se comprime comme il ne l'avait encore jamais fait.
— Je suis désolée, mon amour, sanglote-t-elle.
Ni une ni deux, je l'attire contre mon cœur, en resserrant fermement mes bras contre son corps tremblotant. Et simplement comme ça, toute la colère que je ressentais à son égard, s'envole, comme si elle n'avait jamais existé. Le chagrin que ressent la femme que j'aime passera toujours en priorité. Peu importe le degré de fureur que j'ai pu ressentir.
Je la soulève délicatement, afin de l'accrocher à ma taille, puis referme la porte derrière nous. Je la dépose doucement sur le canapé avant d'éteindre la télé, pour que nous soyons plus tranquilles.
J'attrape ensuite, entre mes mains, son visage baigné de larmes, essayant de les essuyer du mieux que je peux. Je déteste la voir dans un tel état, sachant qu'il y a quatre-vingt-dix neuf pour cent de chance que ça soit ma faute.
— Pardonne-moi, Elyna, je ne voulais pas...
Elle dépose un doigt contre ma bouche, m'incitant à me taire.
— Ne t'excuse pas, je n'aurais jamais dû te parler comme je l'ai fait. Tu as juste joué ton rôle de copain parfait et j'ai été une vraie peau de vache. Si tu savais comme je m'en veux.
Elle baisse les yeux, honteuse, m'obligeant à lui relever la tête instantanément.
— On a tous des problèmes. J'aurais dû être plus patient.
— C'est vrai, j'ai un problème. Enfin, j'avais un problème que je pensais guéri, mais ça n'est apparemment pas le cas.
Elle fuit à nouveau mon regard, comme si elle pensait que j'allais la juger. Chose que je ne ferai jamais, peu importe ses révélations.
— Tu peux me parler sans crainte. Je ne te reprocherai jamais rien.
Elle hoche la tête, inspire et expire longuement avant de reporter son petit regard attristé sur moi.
— Je suis boulimique. Ça a commencé lorsque j'étais au collège et ça a duré jusqu'à mon avant-dernière année de lycée, m'avoue-t-elle, me laissant à nouveau sans voix.
Putain, oui, tout prend sens maintenant. Les vomissements, la nourriture qui disparaît soudainement. Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ?
— Tu n'es pas obligée d'en parler si c'est trop dur, la rassuré-je en caressant son visage.
— Non, j'ai besoin d'être totalement transparente avec toi. Tu avais raison, l'honnêteté, c'est ce qui est le plus important dans une relation. Alors je vais l'être. J'ai simplement besoin que tu me laisses parler sans m'interrompre.
J'acquiesce sans hésitation. Si elle a besoin que je devienne muet le temps qu'elle me raconte son histoire, je le serai.
Elle prend à nouveau quelques minutes pour respirer normalement et se préparer mentalement. Les TCA touchent un bon nombre de personnes, et très souvent, il leur est très difficile d'en parler. Ce qui est totalement compréhensible.
— Tout a commencé au collège. Comme tu le sais, j'ai vécu un premier temps en Grèce avant de venir m'installer aux États-Unis. Alors bien que ma mère soit américaine, j'ai principalement grandi en parlant la langue maternelle de mon père. Évidemment, ma mère avait tenu à ce que nous soyons bilingues, alors je maîtrisais parfaitement l'anglais. Cependant, mon accent anglais était grec et donc bien plus prononcé que l'accent américain. Ce qui me rendait différente aux yeux de tous. C'est de là qu'a commencé le harcèlement que j'ai subi pendant une très longue période.
Elle marque une pause, tentant d'essuyer ses larmes, afin de pouvoir poursuivre sans craquer totalement. J'attrape alors sa main pour lui montrer mon soutien, comme elle a pu le faire lorsque je lui ai parlé de mon père.
— J'étais vu comme une étrangère qui parlait bizarrement et qui n'avait pas sa place dans ce pays. Je ne savais même pas que des enfants pouvaient avoir ce genre de pensées. Je suis née aux États-Unis, alors j'avais la double nationalité. Je pensais que ça suffirait pour me sentir à ma place, mais ça n'a pas été le cas. Pendant des années, mes camarades m'insultaient, me jugeaient, me frappaient. Je n'étais pas des leurs et ils avaient besoin de me le faire savoir.
Je serre les dents, sentant la rage monter en moi. Comment des gosses peuvent-ils s'en prendre à une personne, à cause d'une différence d'ethnie, putain ? C'est tellement tordu.
— Je n'avais pas d'amis, simplement mon jumeau, qui n'était même pas dans la même classe que moi. Alors très souvent, il ne voyait pas tout ce que je subissais. Mes harceleurs ou harceleuses, étant donné que c'était uniquement des filles, s'occupaient de ça dans les toilettes des filles ou dans les vestiaires du gymnase. À l'abri des regards. Là où personne ne pouvait m'entendre hurler, lorsqu'elles me rouaient de coups ou me crachaient dessus. J'étais si faible, si maigre, incapable de me défendre. Seule contre une foule de filles en colère.
Sa voix se brise et ses larmes redoublent d'intensité. J'aimerais tellement pouvoir retrouver ces filles et leur faire subir tout ce qu'Elyna a enduré, mais en pire, en dix fois pire.
— J'encaissais jour après jour, sans jamais me confier à qui que ce soit. Mes parents étaient très occupés par le travail et je ne voulais inquiéter personne. J'étais déjà assez détestée comme ça, je ne pouvais pas me permettre de passer pour la balance de service. Alors je gardais ce mal être pour moi et je mangeais mes émotions. Ma première crise a eu lieu à l'âge de douze ans. J'étais en colère contre ces filles, car elles avaient volé mes sous-vêtements pendant que je prenais ma douche, et j'ai dû m'afficher devant tout le monde la poitrine à découvert, étant donné que mes vêtements étaient transparents. Tout le monde m'a reluquée sans gêne, je me suis prise des mains au cul et certains en ont même profité pour me tripoter la poitrine. Je n'avais que douze ans, East. Douze ans, comment a-t-on pu me faire une chose pareille ?
Crois-moi, mon soleil, je me pose la même putain de question. Et je fais vraiment tout pour me contenir et ne pas casser chaque objet qui m'entoure. Savoir que la femme que j'aime a subi de telles horreurs, me brule tellement l'estomac que j'ai l'impression d'exploser de l'intérieur.
— Alors j'ai profité que personne ne soit là pour me venger sur la nourriture. J'étais comme dans une transe et je mangeais sans m'arrêter. Tout ce que j'aimais y passait. C'est comme si ma conscience s'évanouissait et que le contrôle quittait définitivement mon corps. Je n'avais même pas faim, en réalité, c'est mes émotions que je mangeais : ma colère, mes angoisses, mon stress, ma tristesse. Tout ce que je gardais enfoui au plus profond de mon être, se répercutait dans ces tonnes de nourriture. Mais évidemment, ça ne s'arrêtait pas là. Parce qu'après avoir autant mangé, de lourdes crampes à l'estomac surviennent et un horrible sentiment de culpabilité te percute. Tu as honte de ton comportement, et c'est à ce moment-là que tu déverses l'ensemble de ce que tu as ingurgité, aux toilettes. Tu vomis encore et encore jusqu'à ce que ton estomac se vide complètement. Et cette épreuve est encore plus terrible que la première, parce que tu as mal, tu pleures sans arrêt, regrettant ce comportement complètement disproportionné.
Nouvelle pause pour reprendre son souffle et ravaler ses larmes.
— Au départ, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. Je pensais que ça ne se reproduirait plus jamais, mais j'avais tort. Elles devenaient de plus en plus régulières, au même titre que ce mal être qui grandissait en moi. Mes premières années de lycée ont amplifié mes crises. Les filles continuaient de me juger et de me jalouser, parce que j'étais jolie et que les garçons passaient leur temps à me draguer. Elles ne comprenaient pas comment une fille aussi étrange et maigre que moi pouvait autant attiser les regards. Pour être honnête, je ne le comprenais pas non plus. Elles avaient réussi à m'implanter leurs idées complètement délirantes. Je ne me trouvais pas jolie, plate et sans la moindre courbe attirante. J'étais banale.
Elyna banale ? Ça, c'est bien la blague la plus drôle que je n'ai jamais entendu. Putain cette fille est d'une beauté à couper le souffle : ses cheveux longs et soyeux, ses yeux verts qui me font complètement perdre la notion de la réalité. Et son corps, putain jamais un corps ne m'avait rendu aussi fou. Rien chez elle n'est repoussant. Bien au contraire. Je pourrais passer mes journées à la contempler, à la caresser, sans jamais cesser d'être fasciné par la merveille qui partage ma vie.
Et je suis persuadé que ces filles le savaient et qu'elles la jalousaient pour cette raison.
— Et puis ce mal être s'intensifiait à la maison, à cause de mon père. Il n'était pas mauvais, mais c'était un père exigeant, peut-être trop exigeant. Ils considéraient ses enfants comme des pantins qu'il pouvait contrôler à sa guise. Il fallait que nous soyons parfaits : un comportement irréprochable, des notes excellentes. Nous étions l'avenir de son entreprise et il passait son temps à nous le rappeler. Quant à moi, tout ce que je faisais n'étais pas assez bien, alors je m'en prenais plein la tête à chaque fois. Comme si je n'étais déjà pas assez frustrée par tout ce que je vivais à l'école. De ce fait, mes crises se multipliaient et il m'arrivait de manger et me faire vomir plus de huit fois dans une journée. Et chacune de ces crises me détruisait un peu plus de l'intérieur.
— Personne ne l'a jamais remarqué ? demandé-je, malgré le fait qu'elle m'ait supplié de ne pas l'interrompre.
Je déteste manquer à mes promesses, mais ça me rend complètement fou qu'elle ait dû endurer tout ça pendant des années et que personne ne s'en est jamais soucié.
— Pas avant un long moment. Quand on développe des TCA, on est souvent honteux et dégoûté par notre comportement. Alors on souhaite éviter à tout prix que quelqu'un le remarque. On commence à développer tout un tas de tactiques pour le dissimuler. Et de mon côté, ça a fonctionné. Jusqu'à ce que ma sœur me surprenne un jour dans la salle de bain, comme toi plus tôt. Elle ne devait pas revenir avant plusieurs heures, j'ai cru bêtement que j'aurais terminé avant son retour, comme d'habitude. Mais ses projets ont été annulés et elle m'a surprise. Elle a d'abord pensé que j'étais malade, mais au fur et à mesure, elle a fini par comprendre. Alors un soir, j'ai craqué et je lui ai tout raconté. Je n'avais jamais vidé mon sac avant ce jour et tu ne sais pas à quel point ça m'a fait du bien. On a pleuré ensemble, elle m'a réconfortée et m'a serrée dans ses bras, durant des heures.
Un maigre sourire étire son visage trempé. Cette vision me serre tellement le cœur que j'ai l'impression qu'il va cesser de battre à tout moment. Cette femme est si forte, une vraie battante qui a su se relever malgré l'enfer qu'elle a pu vivre. Et j'en suis davantage admiratif.
— Danae a voulu en parler aux parents, mais j'avais trop peur, alors je l'ai suppliée de ne rien faire. Elle a accepté à contre cœur, mais en contrepartie, elle m'a fait promettre d'aller consulter et de me faire aider. Alors je l'ai fait. Parce que j'avais besoin que ça s'arrête et que je ne voulais plus que ma sœur soit aussi chagrinée par ce qui m'arrivait. Ça a été long et difficile, mais ma sœur et Hélios, à qui j'ai fini par me confier, ne m'ont pas abandonnée. Ils étaient là, à chaque étape, à chaque rechute, jusqu'à ce que je guérisse complètement. Enfin... C'est ce que je croyais.
Elle grimace, repensant sûrement à ce qui s'est passé, lorsque je l'ai surprise, quelques heures auparavant. Et je m'en veux tellement d'avoir réagi comme un tel connard. Elle souffrait réellement et au lieu d'être compréhensif, je l'ai accusée de malhonnêteté. Je m'en veux tellement, putain.
— Je n'avais pas rechuté depuis le lycée et puis j'ai reçu cet appel de mon père. Je lui ai fait parvenir mes dessins et il a détesté. Il a dit que ce n'était pas assez original et épatant. Il m'a traitée de nulle et d'incompétente, en me disant que ce n'est pas comme ça que j'aurais ma place dans l'entreprise familiale. Alors j'ai pleuré de rage et sans m'en rendre compte, je me suis réfugiée sur le contenu de mon frigo. Lorsque j'ai compris que je rechutais, je me suis empressée d'aller vomir et c'est là que tu es arrivé. Si tu savais comme j'ai honte, East...
Elle ne se retient plus et s'effondre complètement dans mes bras. Je resserre son emprise et la laisse déverser ses torrents de larmes contre mon tee-shirt, caressant ses cheveux en gage de réconfort. Je lutte pour ne pas laisser à mon tour ma tristesse sortir, mais je ne peux retenir ces quelques larmes. La détresse de ma copine ne pourra jamais me laisser indifférent.
Je ne m'attendais pas à découvrir une si grande partie du passé d'Elyna, aujourd'hui. Ni qu'il avait pu être aussi horrible. Je pensais sincèrement qu'elle avait eu une vie idéale, une famille aimante, une vie folle partagée entre deux continents. Non, ça a été tout le contraire et ça me bousille de l'intérieur, de savoir tout ce qu'elle a pu endurer et de ne rien pouvoir faire.
Mais il est hors de question que je la laisse tomber maintenant. Je l'aiderai dans sa rechute et je ferai en sorte que ça n'arrive plus jamais.
— Ne pleure plus, mon soleil. Je suis là et jamais je ne te laisserai endurer ça seule.
Elle relève son visage si bouleversé vers moi, accrochant ses prunelles brillantes aux miennes.
— Tu n'es pas dégoûté ?
— Dégouté ? Tu te moques de moi ? Comment pourrais-je l'être alors que la femme la plus forte et la plus courageuse se trouve devant moi ? Ce qui est arrivé n'était pas ta faute, Elyna. Tu as souffert pendant des années et ton corps a décidé d'encaisser comme il l'a pu. Et malgré tout, tu t'es battue de toutes tes forces pour t'en sortir. Alors non, je ne suis pas dégouté, mais admiratif, fier et émerveillé par la femme que j'ai l'honneur d'appeler ma copine.
J'attrape son visage en coupe en prenant bien soin de ne jamais détourner le regard.
— Je t'aime, Elyna. Peu importe les épreuves que tu as traversées, peu importe tes défauts, peu importe tes troubles, je t'aime comme un fou et jamais je ne cesserai de t'aimer. On va traverser ça ensemble et je te promets qu'à partir de maintenant, tout ira bien. Je te protègerai toujours, n'ai aucun doute là-dessus. Aucun.
⚖️⚖️⚖️
Un chapitre très difficile mais qui touche un bon paquet de gens.
Les TCA sont de plus en plus fréquent et il est très difficile de lutter contre eux.
Vous en savez plus sur Elyna et sur le combat qu'elle a mené toute sa vie contre ses troubles alimentaires.
Ça a été difficile pour moi d'écrire ce chapitre, mais je n'en ai appris que davantage sur le sujet.
Et encore une fois. Easton a su être compréhensif et l'a aidée dans son processus de guérison.
Encore une fois, le prochain chapitre sera étroitement lié à celui là. Pas jolie jolie 🥺
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