24

ELYNA

— Pour cette nouvelle audience, les avocats de Shelby ont prévu d'appeler en premier témoin, une certaine Brenda Mayer. Ce nom te dit quelque chose ? demande Alicia à Easton.

Ce dernier secoue la tête négativement, affichant un air perplexe. Ce nom ne m'évoque rien non plus. Bon, je ne vis pas ici, alors les chances que je la connaisse sont proches de zéro. Cependant, si Lopez convoque cette Brenda, c'est qu'elle va clairement aider sa cause. Ce qui veut dire que nous devons rester sur nos gardes. Au fil des semaines, j'ai appris que cette femme avait plus d'un tour dans son sac.

— Ça pourrait être une de tes conquêtes ? demandé-je à contre-cœur.

Easton grimace en évitant mon regard.

— Ça va, East. On a tous les deux eu des vies après notre rupture.

— Je ne sais pas. Je n'en suis pas fier, mais je ne retenais pas les noms des femmes que je baisais. Ni leur nom, ni leur visage pour être honnête.

Je ne peux pas le juger, il y a eu une période où je faisais pareil. J'avais besoin d'oublier, alors je couchais avec des mecs sans importance. C'était un moyen d'évacuer le stress du boulot et la perte d'Easton. Puis il y a eu Kallias et je n'ai eu que lui pendant un long moment. Tout comme Easton a eu Shelby. Aujourd'hui, ils n'ont plus d'importance pour nous deux. À présent, la seule personne avec laquelle j'unis mon corps, c'est Easton. Le seul qui compte.

— Non, je ne pense pas qu'elle soit une de tes conquêtes. Brenda est une quadragénaire proche de la cinquantaine. Je ne pense pas que ce soit ton genre, East, souligne Alicia.

Easton lui donne raison d'un hochement de tête. Pas une conquête. Mais alors quel type de personne pourrait causer du tort à Easton en témoignant ? Ce n'est ni une voisine, ni une employée.

— On va bien finir par le découvrir. De toute façon, je ne la laisserai pas te démolir, quoi qu'elle ait à dire. Tu as toujours confiance en moi ?

Il ancre son regard à celui de son avocate en lui adressant un sourire reconnaissant.

— Jusqu'à la fin de ce foutu procès, j'aurais confiance en toi.

Elle sourit à son tour en lui pressant l'épaule d'un geste amical.

— On se voit dans la salle d'audience.

Puis en me lançant un regard complice, elle s'éloigne, me laissant seul avec l'homme que j'aime.

J'entoure sa nuque de mes bras, en plongeant mes prunelles dans ses billes azures.

— Tout va bien se passer. Tant qu'on est ensemble, rien ne nous vaincra, tenté-je de le rassurer en esquissant un doux sourire.

Ses lèvres s'étirent à leur tour, avant de rencontrer les miennes dans un simple et réconfortant baiser.

— Merci d'être là, mon soleil.

— Toujours.

***

— Veuillez déclarer votre identité, je vous prie, s'exclame Millie Lopez à l'intention de son témoin.

La quadragénaire plonge son regard meurtris dans celui de l'avocate, avant de répondre :

— Brenda Miranda Mayer.

Physiquement, Brenda est de taille moyenne, les cheveux bruns et les yeux de la même couleur. Elle est plutôt maigre. Quelqu'un de banale, si on ne se focalise pas sur les traits de son visage. Un visage qui a l'air d'avoir connu les souffrances les plus terribles. Depuis qu'elle s'est assise sur cette estrade, elle n'a cessé de lancer des regards meurtriers à Easton. Comme s'il ne lui inspirait que haine et mépris.

Qu'a-t-elle contre toi, East ?

— Que faites-vous dans la vie, madame Mayer ?

— Je possède ma propre boulangerie à Springfield. J'habitais New York avant, mais j'ai tout quitté après le drame que j'ai vécu.

Le drame ? Easton aurait provoqué un incident ? Lorsqu'il se tourne vers moi, je l'interroge du regard, mais il me fait comprendre qu'il est tout aussi perdu que moi.

— Connaissez-vous monsieur Hathaway, madame Mayer ? poursuit Lopez.

Cette fois, Brenda dévie son regard sur Easton, le toise un instant, avant de secouer la tête.

— Uniquement de nom, grâce à son entreprise.

Cette fois, je suis complètement déboussolée. Que fait-elle là, si elle ne connaît que sa réputation professionnelle ? Que mijote cette foutue avocate ?

— Vous aviez un témoignage, sur ce fameux drame, à nous raconter. N'est-ce pas ?

— Objection. Quel est le rapport avec notre affaire ? Le témoin ne connaît même pas mon client ! objecte Alicia.

Mais Lopez s'y attendait, car elle ne perd pas la face et esquisse même un sourire narquois.

— Son témoignage aura une influence sur l'affaire. Donnez-lui sa chance.

La juge qui paraît aussi intriguée que la plupart d'entre nous, réfléchit un instant avant d'opiner.

Je ne le sens vraiment pas.

— Trois ans plus tôt, je me suis retrouvée dans une cour comme celle-ci. À la même place que madame Hathaway. À l'époque, j'étais une femme comblée avec un mari aimant et deux adolescents adorables. Je travaillais en tant que responsable ressources humaines, tandis que Jacob, mon mari, travaillait en tant que directeur général. J'étais folle amoureuse de lui, c'était un époux et un père formidable. Il avait toujours une petite attention pour nous, il aidait les grandes causes. Il était admiré et c'était mérité.

Si elle parle de ses exploits au passé, et de sa similitude avec Shelby, c'est qu'il a fini par révéler sa vraie nature. Et je crois enfin avoir compris où elle veut en venir et ce qui attend Easton après ça.

— Mais un soir, il cherchait une clé USB pour son travail, un objet très important. Il ne l'a pas trouvée et m'a accusée de l'avoir jetée par mégarde, durant mon ménage. J'ai affirmé que non, que je ne touchais jamais à ses affaires. Mais il n'a pas voulu me croire. À la place, son regard s'est transformé, il s'est approché de moi et m'a plaquée contre le mur. Son visage était rouge de colère, je ne l'ai pas reconnu sur le moment. Puis le premier coup est parti, une simple gifle, mais qui a eu son effet.

Elle marque une pause, lorsque ses larmes viennent nouer sa gorge, l'empêchant de poursuivre directement. Quant à moi, je me fais violence pour retenir les miennes. Cette femme ne ment pas, il y a quelque chose dans sa voix et dans son regard qui ne trompe personne. Et rien que d'imaginer une telle horreur, ça me donne envie de vomir.

— Après ce premier coup, les suivants se sont enchaînés. Quand il en avait fini avec moi, il est sorti faire un tour, me laissant comme une pauvre merde sur le sol de notre chambre. Sur le coup, je ne savais pas quoi faire. Alors je me suis simplement recroquevillé sur moi-même, laissant le temps à mon cerveau de procéder. Mon mari a fini par revenir en larmes. Il s'est effondré à mes côtés et m'a serrée contre lui, en me suppliant de le pardonner.

Elle lâche un rire sans joie, tandis qu'elle lutte pour ne pas s'effondrer. Si le drame s'est passé il y a trois ans, je comprends qu'il est difficile d'en reparler. Surtout si la page n'a pas été totalement tournée.

À mes côtés, Lucía n'a pas su se retenir. Les larmes ont inondé ses joues depuis un moment, tandis que son corps tremble. J'attrape alors sa main dans un geste qui se veut réconfortant et la porte à ma bouche. Elle m'adresse un petit sourire, avant de refermer sa main libre sur notre étreinte.

— Il a juré qu'il ne voulait pas me faire de mal, qu'il s'était emporté et qu'il se détestait d'avoir réagi ainsi. Il m'a retourné le cerveau pendant une bonne partie de la soirée, jusqu'à ce que je finisse par le croire et taire cet incident à jamais.

Quel manipulateur. Dès le premier coup, il faut réagir. Mais c'est clairement plus facile à dire qu'à faire. Souvent dans ce genre de situations, la victime — surtout si elle est amoureuse — a du mal à faire des choix cohérents. Mais si Brenda parvient à témoigner aujourd'hui, c'est qu'elle y est parvenue.

— Quelques mois sont passés, nous nagions à nouveau dans le bonheur. J'avais fini par réaliser que son acte avait été poussé par la peur et qu'il s'en voulait réellement. J'y ai cru, jusqu'à ce deuxième soir. Je m'étais apprêtée pour sortir avec des collègues de bureau. Mais j'étais bien trop belle et trop maquillée pour un tel événement, d'après lui. Il avait surpris mes échanges amicaux avec un collègue de sexe masculin, et il a immédiatement pensé que j'allais le retrouver. Que je le trompais. J'ai tenté de le raisonner, mais il n'a rien voulu savoir. Et ce qu'il m'avait promis de ne jamais recommencer, s'est à nouveau produit.

Ça me rend malade, putain. Ce type est une ordure, un monstre. Mais il n'est pas mon Easton. Jamais l'homme que j'aime ne serait capable de telles atrocités. C'est tout bonnement impossible. Je ne connaissais pas le mari de Brenda, mais je refuse de croire qu'il pourrait être similaire à Easton.

— Il a réussi à me remettre dans sa poche plusieurs fois, avant que je ne me décide à agir. C'est mon fils aîné qui a tout compris et qui m'a suppliée de porter plainte.

Et dire que des enfants ont été mêlés à tout ça. Je n'imagine pas la peine qu'a pu ressentir toute cette famille, suite à de telles épreuves. Je sais que Brenda est ici contre Easton, mais je suis obligée de compatir. Cette femme est une survivante.

— Le procès a été difficile, mon mari était un homme très apprécié, alors il avait du monde derrière lui. J'ai failli abandonner à de nombreuses reprises, prendre mes enfants et fuir le plus loin possible. Mais je ne voulais pas leur infliger cela. Alors je me suis battue corps et âme, et j'ai fini par gagner. Une erreur supplémentaire de mon mari a tout renversé, et ce monstre a fini derrière les barreaux.

Elle pose à nouveau son regard assassin sur Easton. Il lui est impossible de voir quelqu'un d'autre que son ex-mari. Il était assis à la même place, accusé des mêmes crimes. Elle fera tout son possible pour le descendre, et Millie l'a rapidement compris. Ça me dégoûte qu'elle utilise le chagrin d'une personne, pour arriver à ses fins.

— Je ne connais pas monsieur Hathaway, mais je sais de quoi il est accusé. J'ai entendu le témoignage de sa femme. Et je me suis reconnue en elle. Sauf que contrairement à moi, elle a réagi dès les premiers coups et n'a pas eu à revivre ces instants de pure souffrance. Shelby Hathaway est une survivante, une battante, et elle ne mérite pas de finir sur le banc des accusés.

Elle marque une pause pour renifler et ravaler sa peine. Puis se tourne cette fois-ci vers les jurés.

— Mon mari était un brave homme, il avait le cœur sur la main, il était proche de sa famille et de ses amis. Ces derniers ont d'ailleurs eu du mal à le croire capable de telles atrocités et ce sont évidemment rangés de son côté. Il était respectueux et droit en apparence, toujours prêt à aider son prochain. Mais quand la porte se fermait et que le public disparaissait, sa vraie nature refaisait surface et la bête en lui ravageait tout sur son passage. S'il ne s'était pas saboté lui-même, Jacob serait en liberté aujourd'hui, et je ne serais sans doute plus de ce monde. Vous aurez envie de croire monsieur Hathaway, comme les jurés ont voulu croire les larmes de mon mari. Ne faites pas cette erreur.

Son silence marque la fin de son intervention. Plus personne ne parle : certains sont chagrinés, d'autres surpris, perplexes, dans le doute le plus total. Et dans tout ça, ce sont les yeux de l'homme qui fait battre mon cœur, que je cherche. Il ne s'est plus tourné dans ma direction, il est resté immobile, me mettant dans l'incapacité de voir ses réactions. Ce qui m'inquiète encore plus, parce que je le connais et je sais que lui aussi a été troublé par cet aveu. Lui qui ne croyait déjà pas beaucoup en son innocence. J'ai peur de le retrouver en miettes, après cette audience.

— Voyez-vous, messieurs et mesdames les jurés, résonne la voix de Lopez, Easton Hathaway est exactement décrit comme l'était le mari de madame Mayer : un homme charmant, attentionné, respectable. Il avait, je suppose, un physique avantageux, une carrière plus que confortable et un carnet d'adresses plus peuplé que la Chine. Un sourire et il avait n'importe qui dans sa poche. Et ce sont ces caractéristiques qui ont failli coûter la vie à cette femme, ici présente. C'est en refusant de croire les victimes qui osent parler, que les monstres de ce genre sont toujours en liberté. Ma cliente a été courageuse, elle n'a pas cédé et s'est enfuie dès qu'elle en a eu l'occasion. Elle a tout risqué pour être ici aujourd'hui et se débarrasser de celui qui aurait pu davantage la briser. Et c'est elle que vous condamnerez, si vous attribuez le bénéfice du doute à cet homme-ci. C'est son sang que vous aurez sur les mains, si monsieur Hathaway venait à gagner. Les femmes ne sont jamais prises au sérieux. Ce sont des profiteuses, des ingrates, des manipulatrices. Il suffit que l'homme plaide non coupable, qu'il montre son désarroi pour être pris en pitié. Pour que la femme soit accusée de vice et de complot. Alors je vous en conjure, faites le bon choix et ne condamnez pas à mort une femme qui a simplement cru en l'amour.

Encore une fois, un silence de mort s'abat sur la pièce. Millie Lopez savait très bien ce qu'elle faisait en appelant cette femme à la barre, et cette fois-ci, même Alicia ne pourra rien y faire.

***

— Où est-il ? demandé-je à Jaxon, lorsqu'il revient en compagnie d'Alicia.

— Il avait besoin de prendre l'air et d'être seul. Cette fois-ci, l'intervention l'a complètement anéanti, me répond l'aîné des Hathaway, alors que la colère se lit facilement sur ses traits.

— Et il a de quoi. Lopez a eu une idée de génie, renchérit Brendon.

Ouais, alors ça n'aide pas ça.

— Je vais aller le voir, déclaré-je.

Mais le bras de Jaxon m'empêche de faire le moindre pas.

— Peut-être qu'il serait préférable de le laisser reprendre ses esprits. Seul, me conseille ce dernier d'un ton qui se veut bienveillant.

Et je le comprends, mais il est hors de question que je laisse une chose pareille se produire. Je connais Easton par cœur, et actuellement, le laisser seul ne laisse rien présager de bon.

— Je connais ton frère, Jax. Si on le laisse seul trop longtemps, il va tout remettre en question. Il va à nouveau se convaincre qu'il est un connard, un monstre sans cœur qui bat sa femme, et on ne doit plus laisser une telle chose se produire. Les jurés ont déjà le doute, si on perd définitivement Easton en route, ça sera compliqué de se remettre en selle.

— Elyna a raison, Jax. Elle est la seule à pouvoir raisonner Easton. Elle est aujourd'hui notre meilleur atout, pour lui maintenir la tête au-dessus de l'eau. Fais-lui confiance, lui suggère Alicia.

Mon regard rencontre celui de l'avocate et un fin sourire vient étirer mes lèvres, lui exprimant ma gratitude. J'ai eu du mal avec cette femme au début, mais peu à peu, j'ai compris qu'elle vouait le même attachement que moi aux Hathaway et qu'elle tenait vraiment à Easton. Progressivement, elle devient même une amie pour moi, chose que je n'ai pas en masse.

L'emprise de Jaxon se relâche et d'un mouvement de tête, il m'autorise à poursuivre mon chemin.

Je retrouve rapidement l'emplacement d'Easton. Il s'est assis sur un banc dans un parc, à quelques mètres du tribunal. Il a le regard dans le vide, alors que ses pieds raclent le sol avec violence.

La main que je pose avec précaution sur son épaule, lui provoque tout de même un petit sursaut. Il se calme cependant rapidement lorsque nos prunelles s'accrochent. Aucun mot ne franchit la barrière de ses lèvres, mais son regard exprime parfaitement son chagrin. J'attrape alors sa main dans la mienne et relève son menton avec l'autre.

— Ce que cette femme a vécu, c'était atroce, je le conçois. Mais c'est son histoire, Easton. Pas la tienne, pas celle de Shelby. Oui, il y a des milliers de cas de violences conjugales qui ont été portés au tribunal. Oui, parfois la victime gagne, parfois le bourreau l'emporte aussi. Chaque cas est différent, pas forcément juste, mais différent. Je sais que tu remets tout en question, mais c'est ce que Lopez cherche à faire. Elle veut mettre le doute dans chaque esprit, pour plaider sa cause. Ne lui donne pas cette satisfaction, mon amour. Je t'en supplie.

Les larmes qu'il tentait de retenir, coulent désormais malgré lui. Putain, je déteste le voir ainsi. Je donnerai tout ce que j'ai pour lui ôter toutes ces angoisses et ce désespoir. Je veux retrouver l'homme optimiste, téméraire et rayonnant qui a fait battre le cœur, de l'étudiante que j'étais autrefois.

— Elle était si brisée, Elyna. Et si Shelby finissait dans le même état par ma faute.

— Ce ne sera pas le cas, parce que tu n'es pas Jacob. Tu ne seras jamais un Jacob, sois en certain. Ne la laisse pas entrer dans ton cerveau et tout court-circuiter.

Je dépose un long baiser sur sa bouche, tout en le serrant contre moi.

— Ce soir, on ne va pas brouiller du noir. On va sortir et on va oublier cette foutue journée. D'accord ?

Il me fixe un instant, pesant le pour et le contre. Mais ma détermination suffit à le convaincre.

Easton n'a pas besoin d'être seul. Il a justement besoin qu'on lui rappelle qu'il est entouré et que ça ne serait pas le cas s'il était effectivement ce monstre que Lopez a dépeint, quelques heures plus tôt.

Et ça, c'est ma mission.

⚖️⚖️⚖️

Un chapitre assez lourd !

Le cas de Brenda n'est malheureusement pas isolé. Des tas d'hommes et femmes vivent sous l'emprise de bourreaux et n'ont pas la force d'y échapper.

Avec un procès comme celui la, ce genre de témoignage est important et un rappel qu'un homme violent n'a pas de physique type.

Même les plus bons peuvent succomber à ces ténèbres.

Reste à voir si Easton en fait parti 😣

Sinon vous allez adorer le prochain chapitre !

Il contient mon passage préféré du livre qui se trouve à la fin du chap 🥰🥰

A demain !

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