20
ELYNA
— Un pique-nique, sérieusement ? s'exclame Easton en arrivant à ma hauteur.
Je souris malicieusement en hochant promptement la tête. Il esquisse une moue peu convaincue en examinant chaque élément nous entourant.
J'ai appelé Easton, ce matin, en lui proposant — manière sympathique de qualifier le terme « ordonner » — de me rejoindre au Millenium Park, afin de sortir et de se changer les idées. Je n'ai pas mentionné l'activité prévue, étant donné que je savais que cet homme d'affaires rigide n'aurait pas vraiment envie de poser son costume à dix mille dollars sur de l'herbe fraîche. Et à voir sa tête, j'ai bien fait de me taire.
— Ne fais pas ton richou coincé, East. À une époque, tu aimais bien poser tes petites fesses sur n'importe quelle surface.
— Oui, quand je savais que je pouvais m'infiltrer entre tes cuisses, rétorque-t-il dans un sourire goguenard.
Je lève un sourcil, surprise par sa franche répartie. Heureuse de voir que son côté obscène n'a pas disparu. Il s'est d'ailleurs pas mal retrouvé entre mes cuisses, ces derniers jours. Rattraper dix ans, c'est assez long et plutôt sportif. J'ai dû rester cloîtrer chez moi toute une journée pour me remettre de ce marathon du sexe. Il faut dire qu'à trente-trois ans, Easton n'a rien perdu de ses performances. Je dirais même qu'il s'est amélioré, depuis nos années universitaires.
— Tu n'es jamais épuisé ?
— Jamais quand il s'agit de ton corps de rêve, poursuit-il en me volant un baiser au passage.
Je lève les yeux au ciel, mais ne peut contrôler un petit rictus satisfait, suite à sa réponse. Au moins, il sait comment me parler.
— Allez votre majesté, salissez-vous le temps d'une petite heure, afin de passer un moment paisible en compagnie de l'incroyable femme qui se trouve face à vous.
Il fait mine de réfléchir en me reluquant, ce qui lui vaut évidemment un coup dans la jambe de ma part.
Connard.
Il éclate de rire puis finit par capituler en s'asseyant à mes côtés. Je souris plus largement, fière d'avoir gagné cette manche, puis dépose un doux baiser sur sa joue en guise de remerciement.
— Alors que nous as-tu préparé de bon ? me questionne-t-il en louchant sur les différents plats entreposés sur la nappe.
— Alors par ici, tu as un assortiment de crudités : mini carottes, tomates, chou blanc, concombre. Ici, je nous ai préparé des petits toasts au saumon et au jambon. Des chips parce qu'un pique-nique sans chips, c'est nul. Ici tu as des avocats à la mayonnaise et aux crevettes : un pur délice. Et pour le dessert...
Je lui montre une boite blanche qui ne peut lui être que familière. Son grand éclat de rire me le confirme d'ailleurs, quelques secondes plus tard.
— Que serait Elyna Lykaios sans ses incontournables chouquettes ?
— Absolument rien, affirmé-je.
Il rit à nouveau en opinant. Ça fait du bien de le voir dans un tel état. Il a passé ces dernières semaines à brouiller du noir, à rejeter tout le monde autour de lui et à souffrir en silence, afin de ne pas être un fardeau pour ceux qui l'entourent. Alors revoir ce visage étincelant de bonheur sincère, ne peut que réchauffer mon cœur. Parce que le sourire d'Easton Hathaway a la capacité d'illuminer même l'endroit le plus obscur.
— Merci, lâche-t-il après quelques secondes de mutisme.
— Pour quoi ?
Il attrape ma main dans la sienne, puis ancre son regard au mien en la caressant délicatement.
— De rendre ce moment plus facile. De m'empêcher de sombrer. D'être ici avec moi, me rappelant que je ne suis peut-être pas une horrible personne.
— Parce que tu ne l'es pas, East. Tu es de loin la meilleure personne qu'il m'ait été donnée de rencontrer. Et si tu as du mal à t'en souvenir, permet moi de te le rappeler chaque seconde, de chaque minute, de chaque heure de chaque jour qu'il nous est donné de vivre.
Un doux sourire vient orner son sublime visage et il ne lui en faut pas plus pour m'attirer contre lui, avant d'écraser ses lèvres sur les miennes. Et comme à son habitude, sa bouche avide de la mienne nous emporte dans cet univers, où seule la sensation de son corps et son souffle contre le mien ne compte.
— Merci d'être revenue et d'affronter ce moment difficile à mes côtés, susurre-t-il contre ma bouche.
— Je n'aurai voulu être nulle part ailleurs. Quoi que, je ne dirais pas non à une plage privée de sable fin, face à une mer aussi bleue que tes yeux, plaisanté-je.
Un demi sourire étire ses lèvres, alors qu'un de ses sourcils se lève d'un air mi-offusqué, mi-amusé.
— Et moi qui pensais que tu étais la femme parfaite. Un peu de soleil et d'eau clair et tu m'abandonnes à mon propre sort.
— Le bronzage, agápi mou, ça passera toujours en premier.
Il affiche une moue faussement contrariée, avant de croquer dans une carotte. Je m'esclaffe puis embrasse le dos de sa main en guise d'excuse.
— Je plaisante, le sexe avec toi rivalise franchement.
Il plisse les yeux en me fixant, essayant sûrement de ne pas tomber trop rapidement dans mes filets.
— Eh bien tu peux oublier mon corps, dans ce cas-là.
— Oh, Hathaway, toi et moi savons très bien que tu serais le premier à craquer, rétorqué-je de mon plus bel air de peste.
Je défais un bouton de mon chemisier, lui offrant une vue parfaite sur le renflement de ma poitrine, afin d'illustrer mes propos. Son regard brûlant et ce petit grognement qu'il laisse échapper suffisent à me donner raison. À nouveau, j'aborde un air fier et narquois.
Elyna 1, Easton 0.
***
— Tu sais, le dernier pique-nique que j'ai fait était avec mon grand-père, quelques semaines avant sa mort, m'avoue Easton en me serrant davantage contre lui.
Je lève les yeux dans sa direction en lui adressant un regard à la fois intrigué et attristé. Quand il mentionne son grand-père, son timbre de voix devient plus grave. Et c'est tout à fait compréhensible. Après tout, il s'agit de la seule figure paternelle qu'il a eu dans sa vie.
Après avoir mangé, j'ai eu l'idée de tout ranger pour aller sillonner les petites allées de ce vaste parc. Le printemps nous ouvre ses portes, il s'agit donc du temps idéal pour une petite balade au calme. On a tous les deux besoin de ce temps de déconnexion total. Moi, avec mon boulot, qui m'a bouffée pendant dix ans, et Easton avec ce procès qui lui plombe le moral à longueur de journée. Il n'est pas nécessaire d'aller au bout du monde. Parfois, il suffit simplement de trouver l'endroit qui saura apaiser nos cœurs, le temps d'un après-midi.
Cet endroit, pour moi, c'est Easton. Mon refuge, ma maison.
— Il ne voulait pas passer ses dernières semaines à broyer du noir chez lui. Ni de mourir dans un lit d'hôpital. Alors il a passé ses derniers instants à savourer la vie, comme il a su si bien le faire tout au long de son existence.
— C'est clair que Tobias Hathaway a toujours aimé profiter des petits bonheurs de la vie. Et il a su le transmettre parfaitement aux deux incroyables garçons qu'il a élevés.
— Ah, moi qui pensais que seul Jaxon avait reçu tout le côté fun de cet homme, blague-t-il dans un sourire en coin craquant.
Je ne peux m'empêcher de rire à sa remarque, tout en acquiesçant vivement.
— Il est vrai que la plupart du temps, tu n'es qu'un petit con rigide et solitaire.
Il hausse les sourcils, surpris par ma réponse. Il ne peut néanmoins pas cacher son amusement face à la situation.
— Mais l'unique homme rigide et solitaire, qui a su me faire vivre pendant cinq longues et belles années, poursuis-je sur un ton plus charmeur.
Il penche la tête sur le côté, son regard plissé me sondant intensément pour prêcher le vrai du faux. Mais très vite, son sourire traître se manifeste et ses douces lèvres viennent à la rencontre de mon front, m'offrant le plus tendre des baisers.
— Raconte-moi cette fameuse journée avec Tobias, reprends-je après un court instant de silence.
Je sens son petit sourire contre mon crâne, et je ne peux m'empêcher de l'imiter.
— Il avait choisi de manger près de la mer. Il m'a sorti du bureau à l'improviste et m'y a trainé sans me demander mon avis. J'étais assez déconcerté, en premier lieu. Quitter le travail en plein milieu de la journée n'était pas une chose à laquelle j'étais habitué. Mais lui refuser ses dernières volontés m'était imaginable. Alors on a passé tout notre après-midi à longer la plage, tout en discutant longuement.
Easton marque une pause en s'arrêtant pour m'attirer face à lui. Il m'attrape par la taille en plongeant son regard dans le mien, avant de poursuivre son récit.
— Ce jour-là, on est revenu sur plusieurs sujets. Il m'a dit qu'il n'avait peut-être pas été un homme parfait, qu'il n'avait sûrement pas réaliser tous les rêves inscrits sur sa bucket list. Mais s'être occupé de Jaxon et moi, de nous avoir vu grandir et devenir les hommes dont il a toujours été fier, était ce qui se rapprochait le plus de sa vie de rêve. Je me souviendrai toujours d'un petit discours en particulier.
— Qu'est-ce que c'était ?
Il sourit plus largement en laissant son regard dévier derrière moi.
— Il m'a dit : « Easton, la vie est compliquée, parsemée de mystères et d'énigmes épineuses, et le temps qui nous est donné sur cette Terre ne sera jamais suffisant pour l'apprivoiser dans sa totalité. Mais il est primordial de ne pas laisser sa complexité ternir notre vision de celle-ci. Chacun à sa propre vision de la vie de rêve. Et pourtant, la seule et unique véritable réponse est simplement de la vivre. Vivre comme si demain n'existait pas. Ne pas laisser les épreuves nous faire croire que nous sommes condamnés. Tant que le soleil continuera de se lever, il y aura toujours cette possibilité de changer les choses, de les rendre meilleures et plus agréables à affronter. Alors ne cesse jamais de croire en toi et en tout ce que tu peux accomplir. »
Une larme solitaire s'échappe de mon œil gauche. Tobias a toujours su trouver les mots pour bouleverser n'importe quelle mentalité. Plusieurs fois, il a su me remettre en question sans même le vouloir. Un grand homme à qui j'aurais aimé adresser de véritables adieux. J'aurais dû être là.
— C'est peut-être étrange d'avoir retenu mot pour mot son discours, étant donné que je ne l'ai entendu qu'une seule fois. Et pourtant, une écoute m'a suffi pour ancrer ces mots dans mon esprit à jamais, ajoute-t-il dans une moue nostalgique.
Je l'attire contre moi en m'accrochant si fort à lui, qu'il lui est possible de ressentir la chaleur de mon corps et le trop plein d'amour que je souhaite lui transmettre.
— Ce n'est pas étrange. Ton grand-père a toujours eu le don de marquer les esprits. C'est ce qui le rendait si unique et inoubliable.
— Il me manque tellement. Parfois, je me demande ce qu'il aurait pensé de toute cette merde dans laquelle je me suis fourré.
Je m'éloigne assez pour pouvoir lui faire face et encadrer son visage de mes mains, ancrant mes pupilles aux siennes.
— Il aurait été à tes côtés, il se serait battu corps et âmes pour te prouver à quel point tu es formidable et qu'il n'a pas élevé un monstre.
Puis sans lui laisser la chance de me contredire, je joins ses lèvres aux miennes. Un baiser délicat et confortable. Un baiser qui signifie que je suis à ses côtés et que je n'irai plus jamais nulle part.
Parce qu'on a beau ne s'être rien promis, je sais pertinemment que je ne pourrais plus jamais trouver ailleurs, l'équilibre et l'apaisement que me procurent ses bras.
***
— Tu viens chez moi ou Hélios va bouder si tu l'abandonnes une soirée de plus ? demande Easton, alors que nous rejoignons le parking extérieur où se trouve sa voiture.
Sa remarque sarcastique m'arrache un petit rire. Il est vrai que mon jumeau se plaint souvent de ma tendance à passer la plupart de mon temps avec Easton. Mais bon, vu les circonstances atténuantes, il ne peut pas trop m'en vouloir.
— Je passe ma soirée avec toi. Ce petit con comprendra que j'ai pas mal de temps à rattraper. Surtout maintenant que...
Je ne termine pas ma phrase et laisse mes mains, parcourant son torse, parler pour moi. En un échange de regard, on se comprend et on sait d'avance qu'on sautera le dîner pour le dessert.
— Alors en...
Une voix criant son nom nous interrompt. Je me tourne en sursaut pour faire face à une grande brune, se situant dans la quarantaine, s'avancer dans notre direction, le regard brûlant de colère.
— Vous êtes Easton Hathaway, celui qui bat sa femme ?! s'écrie-t-elle en comblant les centimètres restants.
Mécaniquement, Easton se place devant moi pour me protéger de cette furie.
— Qui êtes-vous ? l'interroge Easton bien plus calmement.
— Vous êtes une ordure et vous osez vous balader comme si de rien était. Comme si vous n'avez pas foutu la vie d'une femme en l'air. Vous me dégoûtez, crache-t-elle en le fusillant du regard.
Non mais ça va pas ? Qui est cette folle qui se permet d'émettre des accusations, alors que rien n'a légalement été prouvé.
— Je ne crois pas que ça vous concerne, tente de la calmer Easton.
Mais elle l'ignore, préférant planter son regard sur nos mains entrelacées, puis complètement sur mon visage.
— Et vous ? Vous ne lisez pas les journaux ? Vous n'avez pas honte d'être avec un homme qui frappe les femmes ? Vous êtes la prochaine, ma belle.
Je ne comptais pas intervenir, pour éviter des problèmes à Easton, mais là c'en est trop pour moi. Je ne laisse déjà pas cette harpie de Shelby proférer des mensonges sur l'homme que j'aime. Alors encore moins une inconnue qui croit tout ce qu'elle lit dans les journaux.
— Écoutez-moi bien, m'exclamé-je en me dégageant de la poigne d'Easton, pour faire face à cette mégère. Je ne vous connais pas et vous ne nous connaissez pas non plus. Lire les journaux est un droit, se faire une opinion d'une personne l'est aussi. Mais venir porter des accusations, alors que rien n'a été prouvé, c'est grave. Alors pensez ce que vous voulez, ça m'est égal, mais venez encore une fois agresser l'homme que j'aime de la sorte, et cette fois ci, les charges pour coups et blessures seront prouvées.
Je ne suis pas du genre à user ma voix pour rien, mais hors de question que quelqu'un s'attaque à mes proches, sans que je ne lève le petit doigt. Apeurée, elle recule en continuant de nous dévisager. Son regard alterne entre Easton et moi, tandis que le dégoût continue de prendre forme sur son visage.
— Tous des malades. J'espère que la justice fera bien son boulot, pour une fois.
Puis elle tourne les talons, non sans nous avoir lancé un énième regard noir.
— C'est ça, casse-toi, pétasse, grogné-je une fois qu'elle disparaît de mon champ de vision.
Je reporte mon regard sur l'homme à mes côtés, mais c'est sa mine fermée et son regard vide qui m'accueillent.
— East... Je t'en prie ne l'écoute pas, ce n'est qu'une tarée qui croit tout ce qu'on lui dit, l'imploré-je en attrapant son visage en coupe.
— Elle n'a pas tort, Elyna... Je suis un...
— Ne t'avise même pas de terminer ta phrase. Pas alors qu'on vient de passer la meilleure des journées. Pas après tout ce qu'on vient de dire sur ton grand-père.
Il baisse à nouveau la tête en faisant traîner son pied droit sur le bitume. Je déteste quand il fait ça : un pas en avant et trois en arrière. Je me bats pour prouver au monde qu'il n'est responsable de rien, mais si je dois me battre avec lui aussi, on ne s'en sortira jamais.
— Easton, je n'aurais pas éternellement la force de me battre pour deux. Je le ferai aussi longtemps que j'en suis capable, mais il va falloir que tu m'aides. Ne sombre pas, n'abandonne pas. Je t'en supplie, fais-le au moins pour moi.
Je le force à nouveau à ancrer son regard au mien, afin qu'il m'écoute attentivement.
— Bats-toi pour nous, pour ce futur qui nous attend quand tout sera terminé.
— J'ai des flashs qui me reviennent, Elyna. Les mêmes que celui de notre première soirée à la maison. Je l'entends hurler mon nom, elle est terrifiée, je n'avais jamais vu son regard si désemparé. Elle me supplie de ne pas lui faire de mal, alors que je continue d'avancer mécaniquement. Puis je vois du sang, je la vois au sol, j'entends les éclats de verre.
Il pousse un long soupir, m'attrape fermement par le bras et replonge ses pupilles dans les miennes.
— Comment tu expliques ça, putain ? Comment je suis censé y croire, alors que ma mémoire commence progressivement à se ranger du côté de ma femme ?!
— Ce ne sont que des putains de flash, Easton. Tu l'as dit toi-même, c'est flou. Il peut s'être passé n'importe quoi entre-temps. Tu ne peux pas t'y fier, tant que tu ne te seras pas clairement vu en train de la rouer de coups.
Je me dégage de son emprise et appuie fermement ma main contre son torse pour le faire reculer jusqu'au mur le plus proche, et ainsi l'empêcher de s'échapper.
— Il n'y a rien que tu puisses faire, qui me repousserait. Je ne te lâche pas, East. Et si tu as du mal à y croire ou si tu ne penses pas le mériter, sache que je m'en fous complètement. Mon cœur connait le tient et rien d'autre ne compte.
Il me fixe intensément, essayant de me convaincre d'abandonner, mais il sait aussi bien que moi que ce n'est pas près d'arriver. Alors à la place, il baisse les armes et fond sur ma bouche. Ses mains rejoignent ma taille, mes bras agrippent sa nuque, ma langue danse à nouveau avec la sienne et c'est ainsi que nous nous abandonnons entièrement. Parce que nos problèmes ne disparaîtront pas, mais les mettre en pause, le temps d'une étreinte, nous est vital.
⚖️⚖️⚖️
On peut essayer de ne pas penser aux problèmes, ça ne veut pas dire qu'il n'existe plus !
Une petite journée toute mignonne qu'on aurait préféré finir sur une bonne note 🫣
Mais ils ont beau être heureux, la réalité du procès est toujours là malheureusement !
On se retrouve pour deux prochains chapitres demain dont un petit flashback 😊
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