Prologue | C'est plus facile en fermant les yeux.

Prologue | C'est plus facile en fermant les yeux.

Inspire, expire. Ouvre les yeux. Affronte-les.

Je balaie le lycée du regard une nouvelle fois. Mon cœur loupe un battement en voyant les élèves agglutinés sur les marches de l'entrée. Ils sont si nombreux. Mes yeux se posent sur le grand blond au blouson de l'équipe de football, que je reconnais tout de suite, même de dos. Un frisson remonte aussitôt le long de ma colonne vertébrale. Je ferme les paupières un instant, puis me force à les rouvrir. Devant moi se dresse le lycée de Baltimore. Le théâtre de mes tourments alors que j'essaie de convaincre la terre entière que je ne suis qu'une figurante.

Je m'autorise à faire un pas en avant, combattant la petite voix qui me crie de faire marche arrière. Une part de moi est convaincue que je suis plus forte que ça. Que ce ne sont que des paroles en l'air, que tout n'est qu'un coup monté dont je suis la cible. Mais cette voix est si faible. Elle parvient à peine à murmurer, alors que les échos de leurs mots ne font que crier.

Puis mon cœur se comprime et tente de rappeler à cette petite voix tout ce que nous avons déjà traversé, et combien ce serait stupide de croire que tout va s'arranger. Il se compresse un peu plus à chaque pas qui me rapproche du bahut. C'est probablement lui qui a raison. Je devrais revenir sur mes pas et rentrer chez moi, me pelotonner sous ma couette jusqu'à ce qu'ils changent de cible, qu'ils décident qu'Eden McShane n'est plus assez distrayante.

— Tu cherches Chad, Eden ? Il est un peu tôt pour commencer ces choses-là, tu ne trouves pas ? me lance Jake en m'attrapant par le coude.

Son contact me brûle et le prénom qu'il prononce bien plus encore. Je me contente de me détourner sans rien répondre. Ne surtout pas répondre. Plus je me fais discrète, plus j'ai de chances de me faire oublier.

Mais Jake ne compte pas lâcher l'affaire aussi facilement, et entoure mes épaules de son bras en ajoutant :

Au fait, tu m'as même pas dit, t'es enceinte de combien ?

Je me dégage aussitôt de son emprise en le repoussant brutalement, avec une folle envie de disparaître à tout jamais. Le souffle court, j'ajuste mon sac à dos sur mon épaule avant d'avancer à grands pas vers la porte. Jake accourt dans mon dos, hilare, et me rattrape par le poignet. Je me tends instantanément. Refusant de rencontrer ses yeux rieurs, je relève la tête vers les quelques marches qu'il me restait à grimper. J'étais si proche.

— Attends, ne t'en va pas comme ça... Je suis désolé. J'en ai oublié mes bonnes manières. Alors, dis-moi, c'est Chad le père, pas vrai ?

Je ferme les yeux à nouveau, me confortant dans le noir plutôt que dans ce monde qui m'entoure et qui ne veut clairement pas de moi.

 Inspire, expire.

Ne rentre pas dans son jeu. Ça ne ferait qu'empirer les choses. Tu vaux mieux que ça. Tu vaux bien mieux que ça.

 Les marches me font encore face lorsque mes paupières s'entrouvrent. Sa main est toujours posée sur mon poignet, ses doigts si proches des dégâts qu'il contribue à provoquer. Je m'écarte brusquement, rencontrant son regard surpris alors que je me défais de sa poigne avec empressement. Sans me retourner, je passe les portes du bahut en sachant qu'il n'a pas pu louper les petites cicatrices qui zèbrent mon poignet. Il me tenait juste au-dessus. Un peu plus et il les effleurait.

Je fonce jusqu'à mon casier la tête baissée. Mes mains tremblent lorsque j'effectue la combinaison. Elle est fausse. Je réessaie une deuxième fois, mais mon cadenas est définitivement bloqué. Les larmes me montent aux yeux et je m'en veux aussitôt. Pleurer pour un cadenas. Sérieux, Eden, t'as pas mieux encore?

J'abandonne l'idée de m'acharner plus longtemps, ramasse mon sac et m'élance à nouveau dans le couloir. Le cœur au bord des lèvres, je pousse la porte des toilettes. Mais il semblerait qu'aujourd'hui, l'univers entier se retourne contre moi. La mer se déchaîne, les dieux me maudissent. Sierra, la petite copine de Chad, fait volte-face en m'entendant passer la porte. La première sonnerie retentit, mais je ne vois que son regard perçant me dévisager, puis me mépriser du plus profond de son être. Je n'entends rien, pas même les pas précipités dans le couloir.

 — Tu devrais aller en sport, Eden, me lance-t-elle. Tu en as besoin, on le sait toutes les deux. Enfin, tu vois ce que je veux dire.

Je n'arrive même pas à la regarder dans les yeux. Elle, qui a pourtant été pendant un temps mon seul repère dans ce lycée. J'avais projeté en elle l'image de l'amie parfaite, celle qui serait la moitié de mon cœur. Mais Sierra a très vite anéanti ce projet, et si elle a pris mon cœur, ce n'est pas pour le compléter, mais pour le briser en un tas de morceaux qu'elle ne cesse de piétiner.

— J'ai entendu dire que même le club d'échecs s'était retourné contre toi, sourit-elle. Pour être honnête, je ne comptais pas vraiment sur eux pour se rallier à ma cause, mais il faut croire qu'il n'est pas si difficile de les monter contre toi.

 Elle se marre. Je retiens un haut-le-cœur.

— Tu es une cible si facile, Eden, tu ne peux pas savoir. Oh, arrête de me regarder comme ça. Tu es trop sensible, tu sais ?

 Elle glisse une mèche derrière mon oreille et se place dans mon dos. Je sais déjà ce qu'elle s'apprête à dire, alors que nous nous retrouvons toutes les deux confrontées à mon reflet dans le miroir.

— Voyons voir, reprend-elle. La timide Eden McShane... Si peu sûre d'elle et pourtant si traître quand on regarde bien. La patineuse déchue, la petite fille ronde qui veut échapper à son reflet... C'est un jeu d'enfant de déformer ton tableau, Eden. C'est si facile de leur vendre ça, tu vois ?

Elle me lance un sourire radieux avant de pousser la porte et de disparaître, me laissant seule dans cette pièce où je ne perçois que ma respiration et les bruitages assourdis du couloir.

J'aimerais, rien qu'une fois, pouvoir mettre sur pause la tempête qu'ils s'obstinent à abattre sans relâche sur moi. Juste pour reprendre mon souffle. Parce que je sais que Sierra n'a aucune intention d'arrêter tout ça, et que tous y prennent trop de plaisir pour cesser d'eux-mêmes. Parce que même si je tente de me convaincre que je n'entends pas tout, rien ne m'échappe. Rien ne passe à côté de mon cœur écorché. Chaque mot, chaque geste tape dans le mille.

Mes paupières se ferment d'instinct. C'est plus facile quand on ne voit rien. Quand on ferme les yeux. Puis, lentement, je m'autorise à lever la tête, à ouvrir mes paupières pourtant si lourdes.

Mon regard se porte automatiquement sur mes courbes. Sur mes hanches, mes cuisses, mon ventre. Sierra a raison, j'étais une petite fille enrobée. Je me sentais bien dans mon corps, mais ça m'a valu tant de remarques dans la cour de récré que dès que j'ai pu, je me suis réfugiée dans le patinage pour échapper à cette image de moi qu'ils essayaient de m'inculquer. J'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour m'éloigner du portrait qu'ils dressaient de mon corps, que je commençais à mépriser petit à petit. Durant mes années collège, plus rien ne restait de la petite fille que j'étais. Ils ont réduit à néant mon innocence, je me suis chargée de réduire à néant tout ce qu'ils pouvaient pointer du doigt. Mais depuis que j'ai fait cette erreur, Sierra a fait en sorte de ressortir tous ces souvenirs. Elle a utilisé contre moi tout ce que j'avais pris soin de faire disparaître. Juste à cause d'une soirée.

Ils mentent.

Comment aurais-je atteint un tel niveau en patinage artistique, si j'étais aussi médiocre qu'ils le prétendent ? Comment me serai-je hissée jusqu'aux qualifications pour l'équipe nationale, la semaine prochaine ? Comment aurais-je pu conserver mon seul point d'ancrage dans cette tempête qui ne demande qu'à m'écorcher un peu plus ?

 Ils mentent. Ils mentent tous. Et je vaux mieux que ça. Je le sais.

Je crois.

Hey hey hey ! Alors, ce prologue ?

Vous ne pouvez pas savoir à quel point ça me fait plaisiiiiir de partager cette réécriture avec vous et de vous retrouver ! J'ai des scènes particulières en tête où j'ai tellement hâte d'avoir vos réactions haha !

(j'ai plus l'habitude de faire des NDA omg)

Qu'avez vous pensé de ce prologue ? De cette nouvelle couverture... et de ce nouveau résumé ?

Au plaisir de vous retrouver (et de vous rencontrer, pour ceux qui arrivent tout juste),

Avec amour,

Louise

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