Chapitre 5

Gabrielle s'isola rapidement dans sa chambre. L'attitude de sa tante et ses remarques permanentes étaient vite devenues insupportables. Même si elle avait bien aimé se faire courtiser par le duc de Riberolles, Gabrielle angoissait à l'idée de revoir Hector de Causans. Alfred du Roscoat l'avait prévenue qu'il viendrait lui rendre visite dans l'après-midi. Gabrielle espérait de tout son cœur que sa tante Eugénie partirait avec Aliénor faire une balade pour éviter leurs remarques acerbes. Elle craignait aussi que Monsieur de Causans ne se montre une nouvelle fois collant et insistant à son égard. Elle prit une grande inspiration et contempla son reflet dans le miroir. Elle eut tout juste le temps de réajuster les mèches de son chignon que Margot vint la prévenir que le déjeuner était servi.

Gabrielle descendit à la salle à manger pour y rejoindre la famille Roscoat. Le repas se déroula rapidement et sans accroc. La jeune femme s'installa ensuite dans le salon pour y attendre Hector de Causans. A son grand dam, Aliénor la suivit et se mit à broder, confortablement installée dans un fauteuil face à Gabrielle.

— Si tu continues à faire cette tête d'enterrement, tes prétendants ne vont même pas oser franchir le seuil de la maison, dit Aliénor d'une voix moqueuse.

Gabrielle ne lui répondit pas et se saisit d'un livre qui traînait sur la table. Elle commença à le feuilleter tranquillement, lorsque la voix désagréable de sa cousine retentit de nouveau.

— En fait, même si tu fais une tête normale, ils vont s'enfuir en voyant que tu n'es rien de plus qu'une petite campagnarde.

Une nouvelle fois, Gabrielle ne répondit pas. Aliénor, morte de jalousie, cherchait à tout prix à faire sortir sa cousine de ses gonds. Elle ne supportait plus le calme dont Gabrielle faisait preuve.

— D'ailleurs tu penseras à utiliser du savon pour te laver, je sens d'ici l'odeur des vaches.

Gabrielle se leva avec vivacité. Aliénor pensait avoir enfin réussi à l'énerver, mais sa joie fut de courte durée. La porte du salon s'ouvrit et le majordome de la maison annonça la venue de Monsieur Hector de Causans. Gabrielle lui fit une révérence impeccable, tandis qu'Aliénor faisait grise mine dans son fauteuil. Alfred et Eugénie du Roscoat arrivèrent à leur tour pour saluer le nouveau venu.

La discussion s'amorça rapidement entre Gabrielle et Hector, mais, aux yeux de la jeune femme, la conversation était insipide. Elle tourna principalement autour du nombre d'enfants qu'Hector souhaitait avoir et d'à quel point il trouvait la jeune femme belle. Gabrielle aimait que l'on admire sa beauté. Elle appréciait particulièrement se faire belle, choisir des tenues et se parer de bijoux, mais elle ne supportait pas que quelqu'un ne voit d'elle rien de plus que sa beauté. Et l'homme qui se trouvait dans le salon la considérait seulement comme une jolie poupée qu'il suffisait de combler de belles toilettes la rendre heureuse.

Au bout de quelques minutes, Gabrielle se tut et un silence gênant s'installa entre les deux jeunes gens. Madame du Roscoat se rendit très vite compte du malaise ambiant.

— Souhaitez-vous du thé, Monsieur ? lui demanda-t-elle. Il nous a été offert par le père de Gabrielle. Il l'a récolté lui-même lorsqu'il était en Amérique.

Monsieur de Causans accepta et Eugénie fit un clin d'œil à Gabrielle. Elle venait de lui donner l'occasion de relancer la conversation sur un sujet plus porteur. Madame du Roscoat servit donc une tasse de thé à l'homme qui resta confortablement installé dans un canapé.

Gabrielle grimaça légèrement en observant son attitude. Plus les minutes passaient, plus Hector de Causans s'affalait et ouvrait ses jambes d'une manière fort peu élégante. La jeune femme tenta d'en faire abstraction et ravala son dégoût. Elle tenta de lancer Hector sur le sujet des Amériques et des voyages, mais l'homme ne l'écoutait que d'une oreille. Il bailla au bout de quelques secondes et l'interrompit.

— Vous savez, Mademoiselle, rien ne m'ennuie plus qu'entendre une femme me parler d'aventures alors que sa plus grande crainte est de se casser un ongle ou de faire un accroc à sa jupe.

Gabrielle resta bouche bée quelques secondes devant la remarque irrévérencieuse de Monsieur de Causans. Elle avala sa salive avec difficulté et lui fit un sourire crispé. En face d'elle, elle vit Aliénor ricaner. Un silence s'installa de nouveau dans le salon.

— Gabrielle ma chère cousine, pourquoi ne nous joueriez-vous pas un morceau de clavecin ?

La voix de crécelle d'Aliénor avait rompu le silence. Gabrielle leva les yeux au ciel devant la méchanceté de sa cousine. Cette dernière était convaincue que celle qu'elle appelait « la campagnarde » était incapable de faire de la musique.

Gabrielle lui décocha un regard noir, auquel Aliénor répondit par un sourire innocent. Elle se leva avec grâce.

— Je peux bien entendu vous distraire quelques instants avec un morceau de ma composition, si vous le souhaitez !

— Vous composez ? Quelle talentueuse jeune femme vous êtes ! Je ne vais jamais pouvoir vous quitter !

Gabrielle vit le visage de sa cousine se décomposer en entendant ces mots. Elle s'installa sur la banquette devant le clavecin et déposa avec délicatesse ses doigts fins sur les touches. Elle respira lentement, les yeux fermés, pour savourer cet intermède musical qu'elle appréciait tant. Une mélodie charmante naquit sous les doigts de la jeune femme, emplie de joie et de fraîcheur. Le morceau qu'elle jouait était l'un des premiers qu'elle avait composé. Elle avait voulu le faire à son image : plein de joie de vivre et de douceur.

Dans le salon, tout le monde était obnubilé par le talent de la jeune musicienne. Monsieur de Causans ne la quittait pas des yeux, absorbé par sa beauté irréelle. Monsieur et Madame du Roscoat étaient admiratifs devant la magnificence du morceau qu'elle jouait. Aliénor, verte de jalousie, fusillait du regard sa cousine.

Tous sauf Aliénor applaudirent à la fin du morceau. Gabrielle les remercia humblement et regarda sa cousine.

— Merci de m'avoir permis de mettre mes talents en avant devant Monsieur de Causans ! Si vous le souhaitez, je pourrais vous aider à vous améliorer au clavecin. Il y a du travail, mais avec un bon professeur vous devriez progresser rapidement.

Le prétendant approuva bruyamment et renchérit.

— Je suis persuadé que Mademoiselle de Saint-Just fera un professeur de clavecin hors-pair !

Gabrielle observa avec bonheur Aliénor ravaler sa rage et sa colère. Elle retourna s'asseoir et reprit sa discussion avec son prétendant. Il s'en alla quelques minutes plus tard au grand soulagement de la jeune femme. Sa journée avait été longue alors même qu'elle n'avait pas quitté l'hôtel particulier des Roscoat. Elle aurait aimé marcher dans Versailles et découvrir la ville, mais la nuit commençait déjà à tomber. Gabrielle prit donc le parti de se prendre un long bain chaud et de s'installer dans sa chambre pour poursuivre la rédaction de sa pièce de théâtre. Elle savoura le calme de la pièce et, assise en tailleur sur son lit, elle observa longuement les flocons de neige tomber avec légèreté du ciel pour aller former un tapis blanc et épais sur le sol versaillais. Gabrielle avait hâte de pouvoir passer du temps au château et de moins voir les Roscoat. Son oncle était particulièrement gentil, mais les deux femmes étaient plus compliquées à gérer.

***

La journée du lendemain se déroula de manière similaire à celle de la veille. Des prétendants vinrent rencontrer Gabrielle, et Monsieur de Causans lui proposa une balade dans Versailles. Elle déclina cette invitation, ne souhaitant pas donner de faux espoirs à Hector. Elle savait que jamais, au grand jamais, elle n'épouserait un homme comme lui.

Le soir, Aliénor décida de se donner en spectacle une nouvelle fois.

— Mère ! Comment se fait-il que Gabrielle reçoive autant de visites alors que avant mes fiançailles presque personne ne venait me voir ! C'est injuste !

— C'est parce que l'inconnu intrigue. Ta cousine est en quelque sorte la bête de foire de la cour de Versailles en ce moment. Cette euphorie se calmera dans quelques jours lorsqu'ils se seront rendus compte qu'il n'y a rien d'intéressant à voir.

— D'ailleurs, comment se fait-il que Maxime ne soit pas venu me visiter ces derniers jours ? Je me languis de lui !

— Qui est Maxime ? demanda Gabrielle, curieuse.

— Mon fiancé ! se pavana Aliénor. Il est beau, jeune, riche, il a un titre. Il est parfait.

Gabrielle hocha la tête. Au fond d'elle, elle plaignait le jeune homme qui s'était retrouvé pris dans les filets de son horrible cousine.

— Maxime doit être très pris en ce moment, j'ai entendu dire qu'il était dans les bonnes grâces du roi et qu'il passait beaucoup de temps au Trianon avec Marie-Antoinette.

— Je vais donc être présentée à la reine ! dit Aliénor d'une voix stridente. Quel honneur !

Gabrielle leva les yeux au ciel, exaspérée.

— Tu le verras sûrement au bal demain soir, c'est probablement à cette occasion qu'il va te faire sa demande en mariage officielle ! ajouta Eugénie du Roscoat.

Aliénor continua à se pâmer de joie pendant de longues minutes, ravie d'avoir pu capter l'attention de son auditoire. Agacé, son père coupa rapidement court à ses bavardages bruyants.

— La journée de demain va être longue, il est important de se coucher tôt.

Sa femme approuva en tapant dans ses mains.

— Oui ! Au lit tout le monde, il ne faut pas avoir le teint terne pour demain !

***

Et voilàààà le chapitre 5 !!! 

Que pensez-vous de l'histoire ? L'intrigue va commencer à s'installer progressivement... 

Hector de Causans, un prétendant en or, n'est-ce pas ? ;)

Et Aliénor ? Toujours aussi insupportable ? 

A bientôt pour un nouveau chapitre sur le bal donné par Louis XVI !!! Gros bisouuuus ! 

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