Hayle
Je me réveillai dans ma chambre. J'eus d'abord un moment de flottement avant de me souvenir des évènements m'ayant mené ici. Je poussai un grognement furieux. Mon père m'avait dit de ne pas revenir et je me retrouvais exactement là où il ne souhaitait pas que je sois. Tout ça allait très mal finir.
Je croisai les yeux bleus si pleins de douceur de mon petit frère. Cette grande échalote était à peine plus petite que moi, soit environ un mètre quatre-vingt-cinq. Thom ressemblait à notre mère. Il avait les traits fins de notre mère, les cheveux bruns pâles de notre mère et le grand cœur de notre mère.
- Hey, frérot... dis-je, ma colère mourant avant de n'avoir pu voir le jour.
- Qu'est-ce qui s'est passé? demanda-t-il sans tourner autour du pot.
Je lui racontai tout, sans omettre le moindre détail. Il grimaça lorsque je lui parlai de ma botte s'échouant sur le nez d'Alleb et comment je l'avais traitée par la suite.
- T'as mérité de te faire assommer.
- Et pourquoi donc?
Il me regarda comme si c'était évident. Je roulai des yeux et m'exclamai:
- Je lui ai même pas cassé le nez! Et puis c'était pas ce que je voulais, mais merde elle arrête pas de m'attaquer! J'y peux rien si j'ai des réflexes!
- Tu devrais la laisser tranquille.
- Tu sais que je peux pas.
- À cause d'une stupide prophétie?
Je plantai mon regard grave dans celui de mon frère.
- Non, répliquai-je sérieusement. À cause de toi.
Il parut agacé.
- T'as pas besoin de me protéger!
- Alors tu veux que je laisse notre père te battre? m'exclamai-je. Il va finir par te tuer, Thom!
Il tenta de répliquer, mais ne le put. Il savait que j'avais raison. Et il savait que la seule façon pour moi de le protéger était d'obéir à notre paternel et de prier les dieux pour qu'il ne se fâche pas pour rien.
- Je mettrais le monde à feu et à sang pour te protéger, Thomas-Jared. Et cette fille, aussi innocente soit-elle, ne vaut pas ta sécurité.
- Elle est comment? souffla-t-il.
Je soupirai et poussai un ricanement en me souvenant de nos rencontres.
- Elle s'appelle Alleb, Alleb Delevia...Et j'ai jamais vu quelqu'un comme elle.
°°°
J'avais chassé mon frère de ma chambre, exaspéré par son manque de soutien. Sa réponse à ma description de ma cible avait été: «Si tu la trouves si extraordinaire, pourquoi ruiner sa vie?» Je ne savais pas s'il parvenait à comprendre tout ce qui était en jeu. Je n'avais pas besoin qu'il sème ce genre d'idées sentimentales dans mon esprit.
Je ne cessais de me repasser en mémoire les images de notre confrontation. Particulièrement mon pied atterrissant sur son nez. J'avais stupidement tenté de m'excuser après sans pour autant perdre la face. Sauf que son attitude m'avait mis en colère. J'avais essayé d'être gentil. Je pensais que c'était peut-être la meilleure tactique considérant la prophétie. Mais elle ne voulait pas que je sois gentil. Elle voulait que je sois un monstre. Alors je lui ai donné raison.
Ou peut-être que t'es juste nul pour être gentil.
Oh, toi la ferme.
Je devenais fou.
La fatigue amenuisait mes défenses, permettant à la culpabilité de me ronger. J'avais plus ou moins réussi à tenir pendant dix-huit ans, mais je me sentais briser. J'aurais voulu avoir un bouton sur lequel je pourrais peser qui anéantirait toutes émotions, qui mettrait fin à mon humanité. En fait, ce que je voulais réellement, c'était être libre. Mais libre de quoi? De mon humanité? Du joug tyrannique de mon père? De la vie?
Non... non... ça j'avais promis à Thom de ne jamais m'en libérer.
J'aurais voulu que ma mère soit là. Qu'elle me rassure, me dise que tout finirait par s'arranger, qu'elle me protégerait toujours. En pensant à elle comme ça, je pouvais presque sentir sa main caressant mes cheveux comme dans mon enfance. Une larme s'échappa de mon œil avant qu'un masque d'impassibilité ne tombe sur mon visage.
Je me levai et me plaçai devant la baie vitrée de mon salon. Je retraçai mentalement les chemins que j'empruntais avec ma mère et Thomas dans la ville. Ma mère était une bonne reine, elle n'était pas née dans l'or, elle avait vécu la misère et cela l'avait forgée. Elle était forte de sa compassion, sa grandeur d'âme, son intelligence et sa gentillesse. Mon père détruisait, ma mère réparait.
Mon coeur se serra. J'aurais donné énormément pour être à la place de mon frère qui ignorait tout des circonstances de sa mort.
Je fus sorti de mes pensées par la porte de ma chambre s'ouvrant et se refermant et des pas qui résonnèrent dans la pièce. Tout mon corps se tendit, en alerte. J'avais appris à reconnaître cette démarche qui était de mauvaise augure.
- Mon fils, dit-il d'un ton solennel.
- Sors, répliquai-je sèchement d'une voix blanche.
- Puisque tu es revenu contre mes ordres, j'ai à te parler.
- Je sais père. Je sais que j'ai échoué encore une fois. Je sais aussi que tu veux pas entendre mes excuses, alors je m'expliquerai pas.
- Fais attention à ton ton, jeune homme. C'est à propos de la fille, en effet, mais je ne suis pas venu te sermonner.
Je ne dis rien, l'écoutant, toujours dos à lui. Je ne voulais pas le voir et je ne voulais pas qu'il me voit.
- Elle est presque rendue à la capitale, ce qui était une destination évidente.
- Et? demandai-je avec peu d'intérêt.
Mon père poussa un soupir agacé.
- Elle sera sous la protection du roi. Elle sera informée, entraînée, surveillée! Comment compte-tu l'atteindre une fois rendue là?
Sans y mettre plus d'intérêt ou une quelconque autre émotion, je répliquai:
- Ne sous-estime pas son impulsivité et sa stupidité. Par deux fois je l'ai combattue et par deux fois elle s'est jetée sur moi sans réfléchir. Elle veut se venger et elle ne prend pas le temps de réfléchir avant d'agir. Tout ce qui la sauve, in extrémis, à chaque fois, c'est son copain, qui lui a plus que deux neurones et sait minimalement s'en servir. On l'isole, on gagne. Qu'elle soit dans la capitale ou non.
- Tu l'as bien cernée, dit-il avec satisfaction.
Un brin de colère perçant dans ma voix autrement vide, je répliquai:
- J'ai fait mon travail. Je suis pas un imbécile.
- Je sais. Je te fais confiance pour cette prochaine mission. Ne me déçois pas cette fois.
Je ne lui adressai toujours pas le moindre regard et je le sentis frustré par mes manières.
- Vous partez demain.
- Nous? demandai-je, la surprise me poussant presque à me retourner vers lui.
- Tu amèneras ton frère. Il est temps qu'il serve à quelque chose.
Mon visage se décomposa et je restai face à la vitre, attendant qu'il sorte. Dès que j'entendis le bruit de la porte se refermant derrière lui, je poussai un cri de rage et enfonçai mon poing dans la vitre qui se brisa malgré sa solidité extrême. Des morceaux de verre enfoncés dans mon poing ensanglanté, je sortis de ma chambre, marchant d'un pas rapide, menaçant, et les gens s'écartèrent devant moi. Je n'avais même pas pris le temps d'enlever les morceaux de verre de ma main. Je me dirigeai vers une section lugubre dans les sous-sol du palais. Je frappai de ma main blessée sur une porte en bois sale.
- Vous n'avez pas à attendre ma permission pour entrer. Je suis un prisonnier, pas un invité d'honneur.
J'entrai dans la pièce sombre et insalubre avec une petite grimace de dégoût. Mon regard se posa sur le vieil homme, son œil barré d'une cicatrice et son bras manquant. Une vague de culpabilité monta en moi. Il suivit mon regard et me fit un petit sourire amusé.
- Ah... tu vois, ça faisait déjà près de vingt ans que je tentais de mettre mon passé derrière moi. Je n'en aurais pas eu grandement besoin. Mais je ne pourrai définitivement pas sortir de la retraite.
- Une chance pour moi, soufflai-je.
Il me jaugea du regard.
- À mon vieil âge, tu m'aurais battu facilement.
- J'en suis pas si sûr. Je connais ta réputation.
- Réputation que je me suis faite quand j'étais encore une petite jeunesse! Depuis que je suis père, je n'ai pas eu ne serait-ce qu'une dispute de taverne! Je suis rouillé. Et puis, ta réputation égale facilement la mienne.
Je haussai les épaules. Je ne pensais pas être à la hauteur, mais je devais admettre qu'une partie de moi aurait voulu le combattre lorsqu'il était au sommet de sa forme. Il sembla devenir plus sérieux et dit:
- Je peux te demander quelque chose?
Je m'assis sur une caisse, face à lui et hochai la tête pour lui signifier que je répondrais à sa question.
- Est-ce qu'elle va bien? demanda-t-il, l'inquiétude perçant dans sa voix.
- Bien? Je pense pas. Mais elle s'en sort. Carter Jones prend soin d'elle.
- Alors, tu ne les as pas encore attrapés.
Mes lèvres pincées lui donnèrent sa réponse.
- Et elle sait?
- Non... Pour l'instant. Elle va vers la capitale, donc je me doute que le roi lui expliquera tout dans les détails.
Jian eut une petite grimace qui me fit sourire.
- Il est de votre côté pourtant, pourquoi tu réagis comme ça?
- Ah! Longue histoire! Rogan est un homme bon, on s'est juste jamais entendu. Peut-être parce que je ne me suis jamais entendu avec son père non plus. C'est bien qu'elle aille là-bas. C'est ce que je voulais qu'elle fasse.
Je restai assis, fixant ma main pleine de sang.
- Veux-tu vraiment l'attraper?
La voix du vieil homme me fit presque sursauter.
- Pourquoi tu me demandes ça? répliquai-je sèchement.
L'homme me scruta de ses yeux, l'un gris et l'autre aveugle.
- Parce que, d'après ce que j'ai entendu de toi... si tu voulais vraiment l'attraper, elle serait déjà ici. Je me trompe?
Ma respiration s'accéléra et je serrai la mâchoire. Je lui envoyai un regard menaçant.
- Ne questionne pas ma loyauté, grondai-je.
- Oh, je ne la questionne pas. Je sais que tu penses que tu veux accomplir la tâche que ton père t'a donné. Mais au plus profond de toi, est-ce que tu le veux vraiment?
Je me souvins de toutes les fois ou mon père avait levé la main sur ma mère, sur mon frère, sur moi. Une partie irrationnelle de moi souhaitait toujours son approbation, bien que je savais que je ne l'aurais jamais. Parce que je n'étais pas comme lui.
Jian m'envoya un regard doux. Le genre de regard que j'aurais aimé que mon père pose sur moi. Je me levai brusquement. Alors que j'allais passer la porte, l'homme me lança:
- Tu as un bon fond, Zachary, je le sais.
_____
Hey!!
Comment vous avez trouvé le chapitre?
Enfin on a le nom de notre cher Hayle!!
À plus les chèvres!
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