Chapitre 2

Alleb

Je restai figée un instant sous le choc. Carter me rejoignit, mais je m'en rendis à peine compte. Mon village entier s'était transformé en un immense brasier. Une fumée noire épaisse s'élevait dans les airs et des cendres emportées par le vent s'échouèrent dans mes cheveux. La réalité de la situation se frayant enfin un chemin dans mon esprit, je dévalai la colline en courant, hurlant:

- Papa! June!

Je n'avais qu'un but, les retrouver. Je me dirigeai instantanément vers notre maison, y pénétrant malgré l'air brûlant mes poumons et mes yeux. Des larmes roulèrent sur mes joues, autant causées par la panique que la fumée. Je toussais, avançant à pas lents, à moitié à tâtons. Je dus me rendre à l'évidence, s'il restait quiconque dans cette maison, ils étaient morts.

Je sortis rapidement, peinant à respirer. Carter m'attrapa au passage et me serra dans ses bras.

- Calmes-toi, Alleb, me dit-il avec un regard rassurant. Il faut partir.

- Non, non! Mon père! June!

- Alleb! Sois pas ridicule! Les chances qu'ils soient vivants sont infimes. Il faut se sortir d'ici avant d'y laisser nos peaux!

- Comment peux-tu dire une chose pareille! m'écriai-je.

Les larmes coulant sur mes joues creusaient des sillons dans la saleté et la cendre recouvrant mon visage. Carter avait toujours été plus rationnel que moi. Nous nous complétions bien par notre opposition. Il était calculé, j'étais impulsive. Il était raisonnable, j'étais émotive. Dans ce genre de moment, j'aurais dû l'écouter, mais évidemment, je me laissais emporter. Je me détachai brutalement de lui et courut vers la place publique du village. C'était un point de rassemblement. Si j'avais une chance de trouver mes proches, ce serait là. J'y débarquai comme une hystérique. La place était bondée de blessés que les Anciens guérissaient grâce à leurs maigres connaissances en magie. Je fus horrifiée. Il y en avait tellement et en même temps tellement peu. Le reste du village avait-il réussi à s'enfuir ou...

Mon cœur s'emballa. Je crus un instant que j'allais mourir. Je voulais hurler le nom de mes proches, mais ma gorge serrée ne laissa passer aucun son. Je parcourus rapidement les blessés, me retrouvant confrontée à des visions horribles comme celle d'une jeune mère au visage à moitié brûlé, tenant son bébé mourant dans ses bras. Je me souvenais que, quelques semaines auparavant, sur cette même place, nous célébrions tous la naissance de l'enfant.

Mes entrailles se tordirent et une horrible envie de vomir s'empara de moi. Je poursuivis ma quête, les larmes dévalant mes joues, le cœur battant trop vite, au bord des lèvres. Alors que j'allais abandonner et retrouver Carter, pour m'enfuir avec lui, je sentis une main se poser doucement sur mon épaule.

- Alleb?

Je me retournai rapidement et, reconnaissant le visage balafré de mon père, je me jetai dans ses bras. J'y restai un long moment, envahie de soulagement avant de me détacher de lui. Ses traits tirés lui donnaient l'air d'avoir prit dix ans.

- Que s'est-il passé?! m'écriai-je.

Le son sortit de façon déchirante à travers ma gorge serrée.

- Ils ont attaqués, ça devait arriver un jour ou l'autre. C'est un miracle qu'ils aient prit tant de temps. Ils ont fait ce qu'ils font chaque fois qu'ils arrivent dans un village. Ils le rasent, ceux qui ne périssent pas sont emmenés. Écoute, ils vont revenir bientôt pour finir le travail. Ils ne doivent absolument pas te voir, ma chérie. Pars avec Carter.

- Mais toi?! Et June?! hurlai-je à travers mes larmes.

Il m'envoya un regard triste qui me déchira le cœur.

- Il est trop tard pour June. Et je ne ferais que vous ralentir. Il y a quinze ans, je t'aurais accompagnée avec plaisir, tout pour une nouvelle aventure, mais je suis devenu vieux, ma chérie. Je n'arriverais pas à garder le rythme avec vous, petites jeunesses.

Il tentait de plaisanter, mais cela sonnait plus tragique qu'autre chose. Je secouai vivement la tête.

- Non! Non, non non! Je t'abandonnerai pas!

Mon père prit mon visage entre ses mains et sécha mes larmes avec ses pouces. Il n'était pas très vieux pourtant. Il avait à peine soixante ans! Je vis la lassitude sur ses traits et compris que ce n'était pas qu'il serait incapable de suivre, mais bien qu'il n'en avait pas envie.

- Ma chérie, ta mère s'est battue contre eux toute sa vie, notamment pour te garder hors de leur portée. Tu dois les empêcher de gagner. Pour ta mère, pour moi, June et tous les Effransas.

- Je... Je peux pas... je veux pas... je... sanglotai-je.

Mon père me prit dans ses bras, mais lorsque l'on entendit le bruit sinistre des sabots, il se tendit et m'entraîna vers une maison en ruine.

- Écoute-moi bien, Alleb. Tu restes cachée ici, tu ne fais aucun bruit. Lorsqu'ils seront partis, tu attendras encore quelques minutes avant de sortir.

Carter nous retrouva à ce moment. Mon père lui indiqua de se cacher avec moi et lui dit:

- Veille sur elle, Carter Jones. Je compte sur toi.

Il s'apprêtait à nous dire autre chose, mais les bruits se rapprochant le forcèrent à s'éloigner en vitesse de notre cachette. J'arrivais à voir ce qui se passait sur la grande place à travers un trou discret dans le mur. Des hommes montés sur d'imposants chevaux arrivèrent en trombe sur la place publique, forçant de pauvres blessés à s'écarter pour leurs vies. Les intrus déscendirent de leurs chevaux pour embarquer les habitants, sauf celui en tête du groupe qui resta nonchalamment installé sur son grand étalon noir. Mon père se planta dignement devant lui, la tête haute, avec un regard presque provocateur. Un éclair d'exaltation illumina le visage de l'envahisseur. Je réalisai qu'il semblait beaucoup trop jeune pour être dans une telle position. Il descendit de son cheval d'un mouvement agile, empreint d'une certaine grâce, pour confronter mon père.

- Tiens tiens! Qui je trouve après toutes ces années! Jian! Dis donc, tu as perdu de ta splendeur. Avec tout ce que j'avais entendu, j'admet que je m'attendais à mieux.

- On verra quand tu auras plus de soixante ans, jeune homme, si tu es toujours dans la fleur de l'âge.

Le jeune homme sourit, visiblement amusé.

- Je te l'accorde. De plus, passer seize ans à se terrer, ça doit épuiser quelqu'un. Pourquoi ne pas avoir emménagé dans la capitale, ça me parait plus sécuritaire.

Mon père grimaça. J'étais abasourdie par la désinvolture de la conversation. Pourtant, une tension menaçante pesaient dans l'air.

- J'ai toujours détesté la ville. De plus, je voulais la garder à l'abri de toute cette histoire le plus longtemps possible.

- Ah! Donc elle ne sait rien?

Mon père ne répondit pas, mais l'autre homme comprit qu'il avait raison. Était-ce de moi qu'ils parlaient? Le jeune homme reprit:

- J'imagine qu'elle est ici, si tu es devant moi.

Jian secoua la tête.

- Je l'ai envoyée très loin dès que j'ai entendu que vous arriviez.

En un éclair, l'amicalité du jeune homme disparut.

- Où? lança-t-il avec un calme froid, lourd de menaces.

Mon père lui envoya un sourire qui semblait bienveillant, mais cachait une moquerie provocatrice.

- On pourrait en parler autour d'une tasse de thé.

Le jeune homme serra les mâchoires.

- Tu tentes désespérément de gagner du temps, Jian. Je pensais que tu saurais que c'est inutile.

- Oh, mais l'est-ce vraiment? J'ai passé par ton âge d'impatience, tu sais? J'ai appris beaucoup à travers ma vie.

Le jeune homme dégaina une épée et la pointa à la gorge de mon père. Je voulus me précipiter pour l'aider, mais Carter me retint fortement.

- Le jeu est fini, maintenant, Jian. On passe aux choses sérieuses. Dis-moi où elle est et je te laisserai la vie sauve.

- Et qu'est-ce que ton cher père dirait si tu me tuais?

Alors que Jian pensait le déstabiliser, un sourire inquiétant étira les lèvres du jeune homme.

- Non, c'est vrai. Tu as raison. Mon père ne voudrait pas que je te tue. Il aura bien trop de plaisir à t'arracher la vérité.

D'un mouvement souple et rapide, presque élégant, le jeune homme abattit son épée, tranchant net le bras de mon père. Je poussai un cri, mais Carter, l'ayant anticipé, l'étouffa en plaquant sa main sur ma bouche. Ce ne fut pas suffisant pourtant parce que je vis le jeune homme se retourner vers nous avec un sourire carnassier. Sans se détourner, il parla à mon père et adressa un ordre à ses hommes.

- Jian, sale petit menteur. Taäl, John, occupez-vous de lui. S'il meurt, vous mourrez.

Je me débattis entre les bras de Carter.

- Lâches-moi! m'exclamai-je. Je veux aller le tuer.

- C'est toi qui vas te faire tuer! répliqua Carter.

Il me tira par le bras pour que l'on s'enfuit, mais, évidemment, je ne l'écoutai pas, me dégageant brusquement et me ruant hors de notre cachette, armée seulement de ma petite dague. Je comptais sur l'effet de surprise pour sauter sur l'envahisseur et l'égorger.

C'était sans compter le fait qu'il s'y attendait et qu'il avait de bien meilleurs réflexes que je ne l'avais anticipé.

Peut-être parce que t'as pas réfléchi deux secondes avant d'agir?
C'est pas le moment, fille.
Je fais que dire ce que tu penses!

Le jeune homme m'attrapa brutalement à la gorge. Je sentis ma respiration se couper sous la pression de sa main. J'enfonçai mes ongles dans son poignet, pourtant il ne réagit même pas.

- Là, je dois avouer être déçu, dit-il en me dévisageant de ses grands yeux bleu glacier qui semblaient transpercer mon âme. Je pensais que tu me donnerais un peu plus de difficulté.

Il relâcha sa prise sur ma gorge et je m'écroulai à ses pieds, peinant à faire entrer de l'air dans mes poumons.

- Pardonne-moi cet acte de violence, dit-il en se penchant et caressant doucement ma gorge. Il faut dire que tu as tenté de me tuer. Je pouvais pas te laisser faire.

Je relevai un regard plein de haine vers lui. Des mèches de ses cheveux de jaie tombaient sur son visage pâle et ses yeux bleus. J'étais horrifiée par son jeune âge qui était encore plus évident de si près. Il devait être à peine plus vieux que Carter, je lui donnais dix-huit ans, maximum. Sa beauté me frappa et me dégoûta. Comment un être si horrible pouvait-il avoir une apparence si trompeuse?

- Tu viens dans mon village, tu détruis tout autour de toi, tue des gens avec qui j'ai passé l'entièreté de ma vie, coupe le bras de mon père et tu t'excuses pour m'avoir étranglé? Va falloir revoir tes priorités.

Je crus apercevoir l'ombre d'un sourire amusé étirer ses lèvres, mais il disparut si vite que je pensai l'avoir imaginé.

- Déjà c'est pas ton père et il s'est mit en travers de mon chemin. Comme tous ces gens que j'ai dû tuer pour te retrouver.

Je lui envoyai un sourire enragé, hystérique, haineux... tout sauf joyeux.

- As-tu déjà entendu parler des liens du cœur? Oh non, c'est vrai, tu n'en as pas!

Le jeune homme roula des yeux et m'attrapa par l'épaule pour me relever. Je réalisai à quel point il était imposant. Il me dépassait de plus d'une tête et n'était que muscles souples. Une véritable machine à tuer. Mais qu'est-ce qui m'avait prise de l'attaquer comme ça?

C'est ce que je dis depuis vingt minutes.
Toi, ta gueule.

- Arrête tes conneries et suis-moi, grogna-t-il.

Mon cœur se mit à pulser de toutes ses forces, un froid atroce glaça tous mes membres, je sentis ma respiration devenir pénible et mon corps en entier commença à trembler. Non! Non! Quelle idiote j'étais d'avoir été si impulsive! Je ne voulais pas le suivre! J'aurais dû m'enfuir avec Carter!

...Carter!

Je fis mine de trébucher, m'étalant de tout mon long par terre. Alors que le jeune homme s'approchait de moi avec agacement pour me relever, il reçut une flèche dans le flanc. Pourquoi le flanc, imbécile?! Le cœur aurait été plus efficace!

Je sautai tout de même sur l'occasion pour me lever à toute vitesse et m'élancer dans la direction opposée. Je remarquai Carter, arc à la main et carquois à la ceinture, prêt à tirer de nouveau. Alors que l'envahisseur allait monter son cheval pour nous rattraper, Carter atteignit la bête, en pleine gorge cette fois. Je le vis faire un petit signe de respect, signifiant que commettre cet acte ne le laissait pas indifférent. À ma grande surprise, l'envahisseur se lança à notre poursuite, malgré sa blessure. J'attrapai le bras de mon meilleur ami et nous commençâmes à courir. Les membres de mon village, avec un courage qui m'émeut, tentèrent de bloquer le chemin de notre assaillant, parvenant au moins à le ralentir.

Carter et moi courûmes pendant longtemps, si longtemps que lorsque nous nous arrêtâmes, je vidai mon estomac dans un buisson et m'écroulai au sol. Le jeune homme devait avoir abandonné la poursuite puisque le seul bruit résonnant dans la forêt silencieuse était celui de nos respirations erratiques.

Notre pause demeura de courte durée. Malgré notre épuisement, nous devions nous éloigner le plus possible.

- La capitale, soufflai-je.

- Quoi? demanda Carter.

- Il faut aller à la capitale. Il a demandé à mon père pourquoi il n'était pas allé à la capitale, que ça aurait été plus sécuritaire.

- Ok, direction la capitale, alors.

Le soleil se leva, nous guidant vers notre destination: la sécurité.

_____

Voilà voilà!

Première vraie introduction à Jian qui a tout de même changé entre les deux jets (vous allez comprendre pourquoi, puisque j'explore plus son background dans le 2e jet)

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Bonne journée les chèvres!

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