Chapitre 69

Les heures après, je tente de m'endormir mais mes pensées me fracassent la tête, m'empêchant de me reposer. Je fais le choix de quitter ma chambre et sortir de la villa. Le sable entre en contact avec mes pieds et quelques lanternes éclairent la plage. Je me dirige vers le lit du jardin et m'allonge sur le matelas après avoir tiré les rideaux en lin. L'air est plutôt agréable et je contemple les étoiles comme si je cherchais une réponse.

Je ferme mes yeux et écoute les bruits des vagues s'échouer sur le sable puis j'entends d'autres bruits. Des frissons parcoure mon échine.

— Tu t'es enfin calmé ? je lance en ouvrant les yeux.

Je le regarde s'asseoir à mes côtés et je tapote la place à côté de moi. Avec réticence, Espen s'allonge à côte de moi et je me tourne sur le côté afin de mieux le contempler. Il a les yeux rivés sur le ciel, les mains jointes sur le torse.

— Quand j'étais jeune, mon père me battait presque tous les jours. Selon lui, c'était la meilleure façon de me rendre fort, invincible... il voulait qu'en grandissant, je devenais comme lui. Ce bâtard m'a fait voir de toutes les couleurs et au fil du temps, j'ai eu des excès de rage incontrôlables. Elles se sont apparues quand j'ai appris qu'il a envoyé ses sbires violer Elsie et quand ma mère a pris la fuite, déclare-t-il sombrement.

Il n'a vécu dans un bon foyer comme je l'imaginais auparavant.

– Avec le temps et grâce à Elsie, ces excès de rage devenaient plus rare mais elles sont toujours présentes. Parfois j'arrive à me contrôler mais parfois non. Je m'excuse pour mon comportement, Almira, chuchote-t-il avec remords.

Comme réponse, je pose tendrement ma main sur sa joue. Mon geste le surprend et il me fixe avec des yeux brillants.

— C'est oublié.

– Par contre, ce chien va crever ! S'il était prêt à te violer, alors il pourra le faire avec d'autres meufs sans défense, réplique-t-il aussitôt.

Je ris légèrement et opine.

C'est fou comment l'éducation que nos parents nous as fourni, peuvent avoir des répercussions plus tard. Pour moi, Espen n'était pas un enfant aimé par ses parents. Il était perçu comme le prochain chef de la mafia au lieu d'être vu comme un gosse qui avait besoin l'amour de ses parents. J'ai de la peine pour lui, il a eu une enfance merdique contrairement à moi.

Finalement cet homme qui se montre cruel cache bien un secret. Depuis tout petit, il n'a jamais été heureux et on s'en fichait de ce qu'il peut bien penser.

— C'est vrai qu'avec mon père, on ne gagnait pas beaucoup d'argent mais j'ai eu une bonne enfance, sans vouloir me vanter. Enrique avait un double rôle. Il était mon père et ma mère, je chuchote avec amertume.

— Ton père t'aimait, Almira.

C'est mon daron qui m'a enseigné sur la puberté, la sexualité et même sur les menstruations. Je m'en rappelle qu'à chaque fois il abordait le sujet sur les règles, j'étais grave embarrassée. Il m'a appris comment mettre correctement une serviette hygiénique ou insérer un tampon.

Mon père était le meilleur de tous.

— Si tu n'avais pas écouté ton père, qu'est-ce tu serais actuellement ? je lui demande en caressant sa joue.

Il semble réfléchir.

— Je ne sais pas. On ne m'a jamais appris à penser pour soi, me répond-t-il lentement. Depuis tout petit, on m'a toujours dit que je serai le prochain chef.

Je souris tristement.

— En vrai, tu as plutôt une tête d'un agriculteur d'une plantation de café, je le taquine.

Enfin, il rigole et cette tristesse dans ses yeux semble dissiper.

— Putain, tu es partie loin mais tu as sûrement raison. Peut-être à mes cinquante ans, je changerai de vocation et deviendrai un de ces planteurs de café, raille-t-il avec amusement.

Mon rire joint le sien puis dans un geste vif, je me retrouve collée contre son corps. Ses bras m'entourent tandis que mon corps se crispe pendant quelques secondes avant de se détendre progressivement. Je lève ma tête vers le sien et ancre mes yeux dans les siens.

— Ne t'éloigne plus de moi, Mira. Je ne le supporterai plus une deuxième fois, déclare-t-il dans un murmure.

Une chaleur naît dans ma poitrine quand il prononce enfin mon surnom. Comme réponse, je lui souris et hoche lentement la tête.

— J'ai besoin de toi pour guérir. Je sais que tu es mon antidote, continue-t-il gravement.

— Je t'aiderai, Espen. Je te le promets, je chuchote sérieusement.

— Et tu ne me trahiras pas, Mira, dit-il en attrapant le bout de mon menton. Tu ne me trahiras jamais.

Il prononce ce mots avec une crainte mêlée à de l'espoir. Ses doigts font une légère pression sur mon menton et j'approche lentement mon visage du sien avant de lui murmurer :

— Jamais je te trahirai, je te le promets, Espen.

**

*  


Les rayons du soleil me foudroient la tronche et péniblement, je me réveille en papillonnant les paupières. J'entends les bruits des vagues et je me rappelle que je me suis endormie aux côtés d'Espen, sur le lit du jardin. Je trouve un petit plaid sur moi mais la place à côté de moi est vide.

Vivement, je me redresse et regarde aux alentours mais aucun signe de vie. C'est sans plus attendre que mes pieds m'orientent à la villa qui est étrangement vide. Bon s'il n'est pas là, c'est qu'il est sûrement au travail. Il ne faut pas que j'oublie qu'Espen reste tout de même un chef de la mafia et ses affaires sont importantes pour lui.

Je suis assez déçue qu'il ne m'ait pas laissé un petit mot. Outre les appels manqués de ma jumelles et les textos d'Elsie, le diable n'a même pas eu la merveilleuse idée de me laisser un petit texto.

Je soupire en éteignant à nouveau mon écran et mange quelques fruits avant de flâner dans les alentours du quartier. J'ai décidé de le suivre, me voilà maintenant à m'ennuyer comme jamais !

Je retourne à la villa et m'affale sur le canapé en allumant la télé. Et comme si ce n'était pas suffisant, le feuilleton qui passe est tellement barbante et très cliché au Mexique. Un type plein aux as tombe raide amoureux d'un nana pauvre qui vit dans les bidonvilles.

Ce genre de feuilleton vend du rêve pour les nanas qui sont pauvres. En vrai au Mexique, si les meufs veulent attirer l'attention des hommes riches, elles devront suivre certains critères comme avoir les seins refaites, un gros cul et être dotée d'une personnalité d'une salope. Je sais que mon avis est cruel mais je vois les choses ainsi au Mexique.

Le Mexique est un pays qui vend du rêve mais une fois sur place, c'est comme un château de carte qui se dégringole. Il y a rien qui va ici, c'est un pays corrompu et très dangereux.

Je sens du mouvement à côté de moi et vivement, je tourne la tête avant de rencontrer un regard verdâtre. Les coudes sur les cuisses et un poing sous son menton, Espen me fixe attentivement.

— Tu étais où ? Tu ne pouvais pas me laisser un petit mot avant de partir ? je lui assène aussitôt. J'ai cru que tu m'avais abandonnée ici, toute seule.

— J'ai eu une affaire importante à régler et avec l'empressement, je n'ai pas eu le temps de te prévenir.

— Tu pouvais tout simplement me réveiller.

— J'ai essayé Mira mais tu ne te réveillais pas. Au contraire, plus je te bougeais et plus tu ronflais, me taquine-t-il avec un sourire en coin.

Le ronge me monte aux joues et amicalement je le pousse l'épaule.

— Tu pensais à quoi ? reprend-t-il sérieusement.

— Eh bien, juste au fonctionnement de la société mexicaine.

— Je présume que tu commences à avoir du mal à supporter notre société. Après, je peux te comprendre, tu n'as jamais vécu dans un endroit aussi fou comme le Mexique.

Il se lève et je le suis jusqu'à la cuisine. Mon ventre commence à crier famine alors, sans plus attendre, je nous prépare un repas rapide.

— J'avoue que j'ai du mal à comprendre, ouais. Ici, si on te fait agresser, on va plutôt te pointer du doigt et te réprimander qu'il ne fallait pas mettre cette robe ou cette jupe. Les flics d'ici vont tout simplement dire à la victime qu'elle a provoqué son agresseur avec sa tenue, dis-je d'un ton amère.

— Une société de merde, n'est-ce pas ?

Je me tourne dans sa direction et le fixe sérieusement.

— Ça te fait rire ?

— C'est ta réaction qui me fait rire. Tu seras habituée avec tout ça, Mira. Malheureusement, la société est faite ainsi et je n'ai pas le pouvoir de la faire changer. On doit juste faire avec, déclare-t-il en haussant les épaules. Et puis, si ce putain de pays ne te plaît pas, tu peux toujours retourner aux States. Je ne vais pas t'empêcher.

Je roule les yeux et mets fin à cette discussion en lui tournant le dos. Espen attrape le couteau entre mes doigts et me pousse sur le côté. Surprise, je l'observe couper les légumes d'une agilité surprenante.

— Je croyais que tu ne savais pas cuisiner et tu coupes vachement vite ! je m'exclame, étonnée.

— Je visualise que cette carotte est un doigt d'un de mes victimes, dit-il en haussant les épaules.

Cette fois-ci, mon visage se décompose alors qu'un dégoût s'installe au fond mes entrailles. J'essaie d'imaginer cette scène machiavélique mais ma conscience souhaiter préserver le peu d'innocence qu'il me reste.

Cet homme est vraiment chelou.

Une heure plus tard, nous dînons ensemble en discutant sur le dos des gars et je ne manque pas m'étouffer avec un morceau de carotte quand Espen m'avoue un sombre secret sur Antonio. Je déglutis difficilement sous l'air amusé du diable.

— Attends, Antonio est gay ? je demande avec les yeux grands ouverts comme des soucoupes.

— Fin', il aime les mecs et les meufs, soupire l'homme en piquant sa fourchette dans sa viande. À vrai dire, je m'en fiche de ce qui l'aime ou pas, tant que ça ne porte pas préjudice à mon business. Personne le sait sauf moi. Antonio a un peu honte de l'avouer aux autres.

J'opine. Antonio aura du mal à supporter les avis des autres et surtout, personne ne le prendrait au sérieux s'il annonce à tout le peuple qu'il est bi. 

Peu importe son orientation, je verrai toujours Antonio de la même façon, c'est-à-dire un mafieux doté d'une sagesse.

— Ça fait combien de temps que tu connais les gars ?

— Matteo et Gaël sont mes amis d'enfance, on s'est connus sûrement à nos dix ans. Je connaissais déjà Niguel mais on était pas pote jusqu'à nos seize ans et Antonio je l'ai connu à mes vingt ans. J'ai une confiance aveugle pour tous ces enculés et en fait, je les considère même comme mes frères. Je ne pourrai pas supporter si l'un d'eux crèvent, déclare-t-il alors je hoche de la tête.

— Finalement le grand Espen Reyes n'est pas si insensible qu'il nous laisse penser, je lui fais remarquer avec humour.

Il lève grossièrement les yeux au ciel.

— Je me préoccupe toujours de mes potes, c'est juste que je ne le montre pas.

Soudain, son téléphone vibre sur le marbre de table et il s'excuse avant de s'éloigner afin de prendre l'appel. Pendant ce temps, je termine mon repas et débarrasse les couverts avant de les nettoyer. Je jette un coup d'oeil dans la direction du mafieux qui semble contrarié à cause de son appel. Je me demande qui cela peut être de l'autre côté de coup de fil.

Il revient, la mine étirée.

— Je dois m'éclipser, j'ai une affaire à régler, m'annonce-t-il gravement alors que je fronce mes sourcils.

— Ce sont tes associés, non ? Je viens avec toi !

— Surtout pas ! Tu restes ici.

Son ton autoritaire me rend confuse et son comportement encore plus. 

— Je n'ai pas pour longtemps, Mira, reprend-t-il plus doucement. Je reviens avant le coucher du soleil.

— Mais qu'est-ce qui se passe bon sang ? je souffle, perdue.

Il pose une main tatouée sur ma joue et m'embrasse d'une tendresse si étonnante de sa part. Finalement, parfois un monstre peut faire preuve de douceur et de tendresse. Nos lèvres se quittent mais je peux toujours lire cette inquiétude au fond de ses prunelles.

— Je t'expliquerai plus tard. Ne fais pas de bêtise pendant mon absence !

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