Chapitre 9. Le châtiment du bâtard [2/2].

[Je me permets de placer un petit Trigger Warning au début de ce chapitre. Jai mis le passage problèmatique en gras. Bonne lecture]

Atalante qui était à leur tête, leur fit soudain signe de s'arrêter. Évidemment, ceux qui avaient allumé le feu avaient placé des sentinelles autour de leur camp, l'une d'entre elles , appuyée contre un arbre, se tenait seulement à quelques pas d'eux. Dans le noir, ils avaient faillis ne pas la voir. Sans tous ces hurlements, elle les aurait d'ailleurs remarquée sans aucun doute.

La jeune femme posa un index sur ses lèvres pour intimer le silence à son groupe. Elle hésita un instant, la main autour de la garde de ses dagues et finalement se décida. Des êtres capables d'infliger de telles souffrances pouvaient bien aller saluer les démons de l'Enfer de sa part.

Elle cala sa lame entre ses dents et rampa telle une vipère vers la sentinelle qui ne se doutait encore de rien. Sans bruit, elle se redressa derrière l'homme, puis d'un coup sec, plaqua sa main sur son menton pour l'attirer vers elle et lui trancha la gorge. Le corps chut entre ses bras avant qu'elle ne l'allonge sur les épines de pin dans le même mouvement.

Son groupe l'avait rejoint entre-temps. Ils voyaient toujours le feu qui scintillait, cependant ils ne pouvaient toujours pas s'en approcher tant que des sentinelles patrouilleraient autour. Ils entreprirent donc de se déployer tout autour de la zone où se trouvait le feu, éliminant les sentinelles qu'ils rencontraient avec la même efficacité que leur seconde.

Quand l'endroit fut enfin débarrassé des sentinelles, ils commencèrent enfin à s'avancer à pas de loup et voir enfin à quoi ressemblait le campement. Les individus qu'ils traquaient s'étaient réunis dans les ruines d'une vieille chapelle, sans doute dressée il y a longtemps en l'honneur des marins morts en mer. Ces temples étaient courant, puis lorsque les Hommes avaient désertés cette partie de la côte pour se réunir en village, l'endroit avait été abandonné. Ses murs de pierres sèches écroulés étaient parfaits pour dissimuler leur avancée, puis s'approcher au plus proche d'eux sans se faire remarquer.

Les groupe mené par Atalante n'était plus qu'à quelques mètres des ruines lorsque la jeune femme vit briller sur le sol à la lueur du feu des instruments aux lames écarlates. Dissimulée derrière un fourrée de genêts, à l'arrière de la chapelle, elle avait une vue plongeante sur la scène qu'elle apercevait entre les tas de pierres et les quelques pans de murs affaissés des ruines.

Son regard remonta vers les bourreaux, à quelques pas seulement de sa cachette, ces derniers s'agitaient autour du supplicié qu'elle ne distinguait pas encore, caché comme l'était par leur silhouette. Ils paraissaient poser des questions noyés par les plaintes atroces, tandis que deux autres hommes se tenaient à l'écart en fumant une pipe, le dos obstinément tourné vers les bourreaux. En les prenant en compte, ils étaient huit.

La seconde fit signe à ses subordonnés de l'attendre tandis qu'elle se plaquait contre un tas de briques couvertes de lichen pour jeter un bref coup d'œil vers leurs proies. Une chose lui sauta alors aux yeux : le sol luisait de sang. Elle fronça les sourcils et son estomac pourtant bien accroché commença à remonter dans sa poitrine et son dîner avec. Elle ne voyait pas souvent des combats, le principe d'un contrebandier c'était précisément de les éviter, mais suffisamment pour que la vue du sang ne l'incommode plus. Mais, autant de sang ? Comment leur victime était-elle encore en vie après en avoir perdu autant ?

Mille horizons...

- Où est le cap' ? Articula silencieusement un marin dissimulé derrière un tronc à côté d'Atalante.

Son interlocutrice haussa les épaules en essayant d'avoir l'air la plus nonchalante possible en dépit de ses haut-le-corps. Freya devait être arrivée avant eux, elle ne devait pas être bien...

- A l'attaque ! Pas de prisonnier !

La jeune femme vit alors son capitaine jaillir de derrière un pan de mur abattu de la chappelle comme un diable de sa boîte et se ruer sur les hommes près du feu. Son grand sabre avait transpercé le premier quand son camarade eut enfin la présence d'esprit de dégainer. Il eut tout juste le temps de parer in extremis avant que la lame de son adversaire ne lui transperce le ventre. L'équipage, aussi surpris par cette action que les attaqués, surgit à son tour avec un temps de retard.

Dagues au clair, ils fondirent sur les bourreaux, tels un cormoran sur un poisson. Personne n'eut l'idée stupide de sortir leur pistolet, car dans une telle cohue, il était aisé de toucher un allié. Leur capitaine leur avait ordonné de ne pas faire de prisonniers, ils attaquaient donc pour tuer, ce qui était très rare. Toutefois, les cris de la victime les avaient tous convaincus de ne montrer aucune pitié pour ses bourreaux. Ceux qu'ils assaillaient furent donc immédiatement submergés par leur nombre et en une poignée de secondes, tout fut fini.

Atalante avait sorti ses armes pour rien, l'équipage avait agi avant elle, en revanche, malgré cette réussite, nul cri de victoire ne retentissait.

Elle voulut rejoindre le cœur des ruines où se trouvait celui qui avait poussé des cris aussi horribles, cependant, elle fut encore une fois trop lente et sa vue se retrouva bien vite bloquée par les autres qui se pressaient autour de la victime. Les hurlements avaient cessé, cependant avec le silence qui s'était abattu sur la clairière, la jeune femme entendait distinctement des gémissements de souffrance. Elle vit un contrebandier et la cartographe s'éloigner de la scène en courant pour vomir contre un pin.

Par Adonis, qu'est-ce qu'il se passait ?

Elle écarta les marins qui la gênaient et se figea quand elle vit ce qu'ils fixaient tous.

Cela avait dû être un homme avant, grand aux épaules carrées. Il avait dû même être beau. A présent il n'était qu'un amas de chairs à vif, un corps décomposé encore en vie par la volonté sadique des pires démons de l'Enfer.

Ses membres pendaient comme les bras d'un pantin désarticulé des deux côtés de la planche de bois sur laquelle l'homme avait été attaché. L'os du mollet de sa jambe droite saillait à l'air libre, brisé en deux, tandis que son bras droit paraissait détaché de son épaule.

L'air était saturé par l'odeur du sang et de la chair brûlée. La jeune femme voulut lui prendre la main malgré l'horreur et poussa un glapissement : les ongles de ses mains et de ses pieds avaient été arrachés

La paupière arrachée de son œil droit laissait apparaître une cavité vide pleurant des larmes de sang. Entre les mèches de ses cheveux sanguinolentes collés sur son visage, son unique œil roulait dans son orbite comme celui d'un cheval fou. Ses lèvres tremblaient comme s'il essayait de parler en ayant oublié comment on faisait. Il les ouvrait et les fermaient pour chercher de l'air et de la force, dévoilant une bouche ensanglantée sans dent, les gencives ravagées tel une terre retournée par les laboures.

- Tia, tia..., annonnait-il.

Avec une sorte de respect horrifié, Zéloth avait entrepris de trancher les cordes qui le retenaient, tandis qu'Atalante se pencha pour essayer d'entendre ce qu'il essayait désespérément de dire.

- Pas dit... Lucretia... Pas dit... Lucretia... Pas... dit... Lucretia...

- On peut faire quelque chose, Gus ? Souffla Freya, raide comme un monolithe, pâle comme la mort.

La jeune femme redressa la tête et s'aperçut que Gus, le vieux médecin de l'équipage s'affairait autour du mort en sursis. Ce dernier leva vers sa seconde et son capitaine un visage désemparé.

- Ça d'pend, si on parvient à l'emmener jusqu'à l'Evasion... Mais il n'tiendra jamais...

- On d'vrait p't'être abréger ses souffrances ? suggéra une voix étouffée dans le fond.

Atalante ne savait que penser et elle essaya de s'imaginer à la place du malheureux. Dans cet état, est-ce qu'elle ne préférerait pas mourir ?

- Si on décide un truc, faut qu'on décide vite, trancha Zéloth.

Le maître-timonier observa ce qui avait dû être un homme avait que ses bourreaux ne le réduisent en charpie.

- Il a tenu jusque-là, il a supporté c'te boucherie... C'est qu'il a un but, et maintenant, son cœur tient encore. Il s'accroche. J'sais pas pourquoi, mais j'sais qu'on devrait au moins essayer d'faire c'qu'on peut.

Freya hocha la tête et enchaîna immédiatement.

- Je suis d'accord. Vous six, vous le portez sur la planche. Pas de mouvements brusques et on essaye de faire vite.

- Et s'il nous claque ent'e les doigts ? objecta quelqu'un.

- Alors on l'enterrera dignement sur la plage. On n'est pas comme ces monstres.

L'équipage hocha la tête et les personnes désignées se précipitèrent vers l'inconnu tandis que Gus leur glapissait des ordres.

- Et pour eux, on fait quoi cap'taine ? lança Zéloth en écrasant sa botte sur le visage mort d'un des bourreaux.

Freya se dressa devant eux, une grimace de répugnance et de haine déformant son visage buriné par le sel et les années. Elle rejeta sa longue natte rousse en arrière quand elle se détourna des corps.

- On les laisse comme ça. Les bêtes de la lande dévoreront leur sale carcasse.

Un murmure d'assentiment les parcourut. Zéloth se rangea à côté d'Atalante tandis que leur capitaine ramenait l'équipage à la crique.

- J'm'demande qui c'était..., souffla la jeune femme.

- C'est. Il est pas encore canné, la corrigea son ami, la mâchoire contractée.

- Tu penses qu'il va survivre ?

- Aucune idée. Mais Gus f'ra de son mieux. Il était un grand automaticien avant qu'il soit viré d'son ordre. Si y'en a un qui peut essayer d'le rafistoler, j'pense qu'c'est lui. S'il tient jusqu'à la plage... Alors p'être b'in qu'ce gars a une chance.

La seconde hocha la tête et balaya la clairière du regard, écœurée par l'horreur qui avait eu lieu.

- On aurait dû aller voir plus tôt au lieu de trembler comme des gamins, grommela-t-elle soudain honteuse.

Zéloth serra les poings. Ce qu'ils ressentaient tous les deux à cet instant allaient au-delà de la culpabilité, ils éprouvaient un véritable dégoût envers eux-mêmes.

- Ouais, il crèvera pas, grinça-t-il comme une sorte de promesse.

Atalante cracha sur le cadavre d'un des bourreaux et répéta avec colère :

- Il crevera pas.

Alors, crèvera ? Crèvera pas ? Survivra-t-il, mais dans quel état ? Pourra-t-il retrouver sa sœur ? Alors Atalante et Zéloth ? Quel avis ? Comment réagiront les royaumes en découvrant les deux équipes mortes ? Quel pronostic sur la vie d'auguste à partir de là ? Dans quel état sera-t-il s'il survit ? Traumatisé, détruit, plein de vengeance, en colère... Et une rage plus contre les Stanhope ou Castelange ?

Mais à toutes ces questions vous n'aurez pas de réponses avant un petit moment, car nous allons quitter Auguste pour passer à une autre partie. Il est en effet temps de revenir sur Lucretia, à l'endroit où nous l'avions laissé, dans les couloirs gelés de ce dirigeable. Il est temps d'être fixé sur la nature de la femme inconnue qui se tient sur le seuil de la cabine de pilotage : amie ou ennemie ?

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Crédit image.

"Fruits d'entrailles" par Chaïm Soutine

Si vous avez lu le chapitre et la découverte d'auguste vous comprenez pourquoi ce peintre et lus particulièrement ce tableau était une évidence. Soutine est un peintre juif russe exilé qui avait la manie de peindre des natures mortes disons... Pas de la manière la plus esthétique et ce tableau est une des démonstrations les plus flagrantes de cette particularité. Je l'ai découvert dans une Expo en 2018 à Paris (mais je ne me souviens plus laquelle).

En revanche, je ne connais pas votre sensibilité. Si cette peinture vous heurte, je la change sans hésiter.

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