Chapitre 6. Nouvelle aube [1/2].
L'horloge de l'Hôtel de ville sonna sept coups lorsque l'armée rentra dans la ville. Les communications, télégraphe et téléphone, furent coupées dans la minute qui suivit.
La fête nationale avait battu son plein jusqu'au milieu de la nuit où chacun était enfin retourné chez lui. Alors que le soleil émergeait à l'est, la Cité repue après les festivités, ne se remettait pas encore de sa gueule de bois. La ville somnolait sans bruit et sans mouvement. Seules les cheminées des usines de charbon fumaient, répandant dans les airs ses nuages épais de fumée noires, obscurcissant le ciel pourtant dégagé de ce matin de printemps. Les rues vides étaient occupées uniquement par les corps allongés de quelques habitants avinés qui n'étaient pas parvenus à rejoindre leur domicile.
Les bottes des soldats foulèrent le sol encore couvert de confettis et de serpentins, sous les yeux ensommeillés de quelques hommes et femmes penchés aux fenêtres. Personne ne semblait comprendre encore exactement ce qui se passait, imaginant qu'il devait s'agir d'un second défilé.
A la tête de l'immense cortège formé par la sixième et la huitième compagnie, Maxime, juché sur son étalon, remontaient le long des boulevards, la pointe de son étendard dressée vers le ciel. Il sentait battre en lui un sentiment d'excitation tel qu'il n'en avait pas connu depuis longtemps, il avait encore du mal à saisir l'énormité du moment.
Il jeta un coup d'œil en arrière vers ses hommes qui marchaient au pas et à cet instant, il aurait voulu avoir son amie Nuray à ses côtés : quel dommage qu'elle ne soit pas avec lui pour voir le grand jour arrivé... Quand le royaume sera à eux, il la rapatriera à la Capitale, les frontières Est pouvaient bien se passer d'elle. Il songea soudain à l'otage de Blanchecombe qui l'attendait en sécurité dans ses appartements. La pensée qu'il pourrait le rejoindre ce soir dans son lit si tout se passait bien, ne faisait qu'amplifier sa joie et sa détermination.
L'appel strident du sifflet d'une locomotive au loin retentit comme une sirène d'alarme à ses oreilles. Ses parents avaient longuement hésité avant de le mettre dans la confidence, les décevoir en échouant n'était donc pas une option. L'euphorie qu'il ressentait s'apaisa alors immédiatement.
Le plan de bataille se découpait nettement dans son esprit, ils n'en étaient encore qu'aux prémices.
Le cortège de soldats parvint enfin sur la place de la Monarchie où la statue équestre du roi Charles Ygensen semblait prête à partir en guerre. Sa figure de bronze les toisait sévèrement tandis que son épée levée était prête à les transpercer. Maxime songea qu'en réalité le monarque était plus gros, puis en vint à la conclusion qu'il faudrait déboulonner ce monument dans les plus brefs délais.
Cette place jouait un rôle central dans l'organisation de la ville et ce n'était pas qu'une manière de parler. Tout comme le palais, la ville était conçue comme une rose des vents. De la place de la Monarchie partait donc quatre grands boulevards orientés selon les points cardinaux. Au bout du boulevard Sud, bien visible, se dressait le palais royal dont les multiples rotondes scintillaient dans la lueur de l'aurore, tandis qu'au bout du boulevard Nord, trônait l'Hôtel de ville, perché sur la seule colline de la capitale. Deux gares, dont l'une réservée aux seuls dirigeables, se trouvait aux extrémités des boulevards Est et Ouest. Il restait encore quatre petites avenues, chacune insérée entre deux boulevards, ce qui achevait de former la rose des vents. La ville formait un cercle parfait, ceint seulement par une voie de chemin de fer qui faisait le tour d'Onyxfort afin de reporter sur la périphérie une partie du trafic intra-muros.
Le jeune général leva la main et aussitôt, ses deux compagnies se divisèrent en sept cohortes qui s'engagèrent sur les boulevards et les avenues en fonction de leur rôle. Les soldats partaient donc du cœur de la rose des vents vers ses extrémités comme les rayons du soleil touchaient la terre.
La première cohorte aurait pour objectif de s'emparer de l'Hôtel de ville, elle prenait donc le boulevard Nord. La deuxième de son côté devait sécuriser les alentours de l'Ambassade de Blanchecombe, située au milieu de l'avenue Sud-Est, afin d'empêcher certains ennemis d'y trouver refuge, mais aussi d'éviter que les diplomates ne soient blessés en cas d'imprévu. Dans un troisième temps, deux autres cohortes auraient la charge de fermer les deux gares de la capitale à l'Est et à l'Ouest. Dès huit heures, plus aucun train, ni aucun dirigeable ne sera en mesure de quitter la capitale. L'avant-dernière cohorte, divisée en petits groupes mobiles, aurait enfin pour mission de s'emparer des deux grands journaux d'Onyxfort, ainsi que du central téléphonique où un essaim de standardistes géraient tous les appels de la ville.
Enfin, Maxime et les soldats restant avaient la mission de prendre le palais du Prévôt. Ce dernier, en tant que chef incorruptible de la milice urbaine, allait sans aucun doute leur poser le plus de problèmes.
A ce propos, une petite poignée de gardes de la milice, supposés assurer la police entre les murs de la capitale, débouchèrent sur la place de la Monarchie et s'arrêtèrent net face à l'immense déploiement de force dans les rues. Leurs hallebardes inutiles manquèrent de leur tomber des mains, et la plume du tricorne du chef de la petite troupe se pencha soudain sur le côté, comme un drapeau en berne. L'effet de surprise jouait en faveur de leur coup d'Etat avec l'efficacité qu'ils avaient escompté. Les pauvres gardes du Prévôt n'osaient même pas essayer de les arrêter.
Le fils Flamdragon brandit son étendard et aussitôt, ses soldats lui emboitèrent le pas, alors qu'il investissait la grande Avenue de l'Opéra. Pour l'instant, en l'absence de résistance, la route devant lui était dégagé. A ce rythme, La cité lui appartiendrait dans une poignée d'heures. Un nouveau sentiment de fierté s'empara de son coeur alors que les toits du palais des Prévôts se profilaient devant lui. Il avait promis à ses hommes l'honneur et la gloire, et à présent, il se sentait capable de tenir cette promesse.
Maxime sortit sa montre de sa poche, il était dans les temps, tout allait bien. A cette heure, ses parents ne devaient pas chômer au cœur du palais royal, quant à ses cohortes, elles devaient déjà se trouver devant l'Hôtel de ville. Ses loyaux officiers fermeraient les portes du conseil municipal avant d'installer le drapeau des Flamdragon à son sommet. En y songeant, ceux qui devaient prendre en charge de l'Ambassade de Blanchecombe y seraient bientôt et l'endroit sera alors gardé avec plus d'attention que la réserve d'or nationale.
En quelques minutes, il fut arrivé au palais du Prévôt. Le vieil homme, un des plus anciens soutiens de la famille royal, comprit immédiatement ce qui se passait. Il avait combattu au côté de son père lors de la révolte des barons, un ancien soldat encore efficace : évidemment qu'il n'allait pas laisser le jeune général prendre son poste sans résister.
Le fils d'Uther avait pris garde à ne pas exposer ses troupes en les amenant directement sur la place devant le palais du Prévôt, mais des tireurs embusqués à l'étage du bâtiment le prirent par surprise. Les défenseurs de la place avaient décidé d'ouvrir le feu sans sommation. Il donna l'ordre de se mettre à couvert, mais c'était trop tard, quatre soldats de l'avant-garde s'effondrèrent sous ses yeux en gémissant.
Maxime poussa un effroyable juron, sauta immédiatement au bas de son cheval, puis appuya sur les mécanismes de sa main droite. En une fraction de seconde, ses doigts métalliques se rétractèrent à l'intérieur de son poignet et son bouclier se déploya. Formant ainsi une cible moins évidente que juché sur sa monture, il courut vers les soldats à terre sous les cris horrifiés de ses officiers.
Adonis soit loué, l'un des malheureux respirait encore. Plusieurs impacts de balle contre son bouclier lui firent ployer le genou alors que la surface métallique se constellait de bosses. Ah, ils s'en donnaient à cœur joie ces maudits tireurs ! Toutefois, bon courage à eux pour venir à bout de son blindage !
Il serra les dents, puis saisit le blessé à bras le corps. Ventre-saint-gris, c'était dans ses moments qu'il regrettait l'absence de Nuray... Quelle guerrière cette femme ! Malgré lui, il se prit à rire : de l'action, de la pure comme à présent que cela faisait du bien !
Il se recula péniblement à couvert vers ses officiers, tandis que le soldat commençait à lui peser sur les bras. Tout juste hors d'atteinte des tireurs, ses hommes se précipitèrent vers lui pour prendre le relais afin d'apporter tous les soins nécessaires au malheureux et vérifier que leur supérieur n'avait rien.
- Avec tout le respect que je vous dois mon général, c'était inconscient ! s'étouffa un de ses colonels.
- On pensait que pareil comportement vous était passé ! rétorqua un second.
Le jeune Flamdragon n'écouta ni l'un ni l'autre et rétracta difficilement son bouclier. Les forgerons du palais allaient lui accorder une carte de fidélité à force de le réparer si régulièrement...
- Occupez-vous surtout de ce soldat.
Ses subordonnés échangèrent un regard las devant le manque de considération de Maxime pour sa propre vie, mais choisirent de passer outre, comme à l'habitude.
- Octave est déjà auprès de lui, mon général, enchaîna donc un de ses capitaines.
Ces mots parurent rassurer le jeune homme qui put ainsi se concentrer sur la situation. Le bâtiment n'était pas un fort et ne tiendrait pas deux heures de siège. Le vieux Prévôt ne se livrait donc qu'à un baroud d'honneur, ce qui était tout à fait respectable comme geste, Maxime saluait lui-même l'effort. Toutefois, il n'allait pas laisser ses hommes tomber comme des mouches à cause de ce contretemps. Sans oublier que toutes ces minutes d'opposition étaient des marques de faiblesse du nouveau régime qui s'installait. Qu'on apprenne qu'un vieillard leur menait la vie dure et ils seraient la risée du royaume.
Ceci étant dit, Maxime n'était pas le plus jeune général depuis un siècle grâce au simple privilège de sa naissance. Avec un sang-froid impeccable, il fit appeler quelques hommes, puis les envoya chercher deux charrettes. Avec la fête qui avait battu son plein la veille, ce n'était pas cela qui manquait, abandonnées dans les rues : les soldats trouvèrent donc bien vite deux immenses chariots qui avaient servi à transporter les mannequins censés représenter les dieux de la fertilité et des récoltes. Ils les chargèrent avec tout ce qu'ils trouvèrent d'inflammable, embrasèrent le tout et les firent rouler en direction de la porte du Palais du Prévôt.
L'épaisse fumée noire qui se dégagea enfuma alors toute la façade du bâtiment et aveugla complètement ses défenseurs qui tirèrent quelques balles au hasard sans jamais parvenir à toucher quiconque. Le jeune général esquissa un sourire, puis fit enfin signe à ses soldats qui avaient encerclé le palais :
- A l'assaut ! tonna-t-il en s'élançant lui-même en première ligne.
La première vague, armée de bélier de fortune eut tôt fait d'enfoncer la porte latérale ainsi que celle de derrière. Celle principale résista plus longtemps, mais comme les autres finit par céder ce qui permit aux troupes putschistes de s'engouffrer enfin à l'intérieur de la place.
Les choses sérieuses commencent ! Nous voilà au début du putsch et les choses ne font que de commencer car les parents de Maxime ne sont certainement pas en train de chômer... Qu'est-ce qui pourrait mal tourner ? Prochaine étape, nous aurons le point de vue de Morgane !
Alors comment trouvez-vous que se débrouille le jeune général ? Que pensez-vous de lui ? Qui est cette Nuray qu'il mentionne plus tôt ? Auriez-vous envie de vous balader dans Onyxfort (hors coup d'État, cela s'entend)?
La suite au prochain épisode ! On se retrouve donc vendredi prochain à 19h !
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Crédit image.
"L'hiver" par Alphonse Mucha (issu d'une série de quatre tableaux représentant les différentes saisons)
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