Chapitre 5. L'ouverture de la chasse [2/2]
L'évocation des désastres causés par la lignée maudite avait ramené le calme entre eux. Ils se prirent la main et commencèrent à faire ensemble le tour des gradins le long de la coursive. Son épouse brisa à nouveau le silence pour reprendre le fil de la discussion :
– Et ce fut donc à la suite de cet échange que vous avez jeté le Maréchal hors de la salle de réunion.
– Il était à deux doigts de me bassiner à nouveau avec son histoire de « grosses réformes »... En clair, c'était ça où il se prenait un pain, rétorqua le conseiller avec un ton où l'exaspération menaçait à chaque mot.
– Même pas capable de manœuvrer une discussion correctement... Je n'arrive pas à croire que je suis affublée d'un cornichon pareil.
– Mais enfin, vous vouliez que je lui réponde quoi ? Que mon but est effectivement de tout raser, traditions obsolètes, roi impuissant et technologies dépassées compris, pour bâtir un royaume puissant ?
– En clair, un incident diplomatique ou déballer nos plans, c'est la seule alternative que vous aviez ? Parfois, je me demande pourquoi je vous ai épousé, soupira Morgane, lasse.
– Nous n'avons pas eu le choix : j'avais tué votre ancien fiancé en duel. Nos familles allaient s'étriper, bailla Uther.
– Par les sept Enfers et leurs furies, j'oubliais..., acquiesça sa femme. Vous étiez déjà un bourrin en toute circonstance à cette époque.
– Ne venez pas jouer les précieuses. Votre promis n'était pas mieux que moi.
– Et bien j'aurais dû vous égorger tous les deux moi-même. Je me serai épargné la peine d'un mariage.
– Une femme de votre rang célibataire ? Vous vivez en plein rêve, ma parole.
Morgane leva à nouveau les yeux au ciel et poussa un long soupir, ce qui représentait en somme la plupart de ses réactions lorsqu'elle conversait avec Uther. Elle enchaîna cependant bien vite ce qui prouvait qu'elle n'avait cessé de réfléchir à d'autres préoccupations durant leur petit échange.
– Une chose me dérange dans votre discussion avec ce diplomate. Pouvez-vous me répéter exactement ce qu'il vous a dit avant d'aborder le cas Stanhope ?
Uther souffla par le nez, laissa sa femme mariner encore un peu et finalement lui conta au mot près la teneur de leur discussion. La dame Flamdragon arbora d'abord un air pensif, fixant sans vraiment le voir le labyrinthe où la partie la plus intéressante de la course d'obstacles commençait.
La moitié des concurrents étaient éliminés, c'est-à-dire suffisamment blessés pour ne pas être en état de continuer de se battre. Ne restaient que les plus durs à cuire, qui allaient rallier le cœur du labyrinthe pour affronter une nouvelle flopée d'automatueurs supplémentaires qui venaient d'être lâchés dans l'arène. Plus imposants que leurs prédécesseurs, ils n'avaient qu'une faille dans leur armure impénétrable, un défaut dans leur cuirasse sous leur aisselle, mais il fallait être rapide pour parvenir à l'atteindre. Malgré lui, le conseiller observait donc la scène avec intérêt, et fut ainsi surpris lorsque la fureur de Morgane explosa sans prévenir :
– Takezen ! l'insulta sa femme, tellement colère qu'elle employait une injure en patois venant de sa baronnerie natale. Vous ne voyez pas ce qu'il a fait !
Le brusque éclat de voix attira l'attention de leur gardes du corps qui se retournèrent en un instant en pensant qu'on les attaquait. Voyant que cela ne venait que du couple, ils considérèrent que ce n'était pas leur problème, puis, que la situation était parfaitement normale, avant de revenir à leurs affaires.
- Pas de ce ton avec moi ! tonna Uther la figure rubiconde (1).
– Je vous parle avec le ton qui plaît, takezen ! grinça sa femme. Ventre-saint-gris, c'était si évident ! L'homme de Blanchecombe sait, j'en suis intimement persuadée. Ce n'est pas des questions anodines qu'il vous a posées. Il fallait vraiment être aussi obtus que vous pour ne pas le voir. Ces grosses réformes dont il parlait... Il est au courant de nos projets pour Castelange.
Morgane jeta un regard noir à leur escorte, mais ne poursuivit que lorsqu'elle fut sûre qu'aucun d'entre eux n'avait pu entendre. Elle reprit cependant en baissant d'un ton :
– J'aurais dû faire le lien plus tôt. Ce n'est sans doute pas un hasard s'il y a eu un changement d'Ambassadeur à ce moment précis. Et quel Ambassadeur, le propre frère du roi de Blanchecombe ! La famille Henker ne se serait pas séparé d'un membre si précieux si la situation ne l'exigeait pas.
Uther fronça les sourcils. Il n'y avait pas pensé.
- Cela me parait un peu tiré par les cheveux votre histoire. Pourquoi n'empêcheraient-ils pas notre coup d'État ?
– Ils ne peuvent se le permettre dans leur situation. Je résume grossièrement, mais en somme : ils jouissent certes d'infrastructures de pointe et de nouvelles armes. Toutefois, ils ne disposent pas de fonds nécessaires pour rembourser leurs dettes accumulées afin de permettre tous ces changements. L'ouverture de Castelange au commerce renflouerait leur caisse, surtout s'ils parviennent à nous refiler leur technologie. Leur intérêt est donc de laisser parvenir au pouvoir un gouvernement pacifique à leur égard qui mettrait fin à l'autarcie du royaume. En tout cas, si j'étais à leur place, c'est ainsi que je procéderai.
– Comment vous savez tout ça vous ?
– Parce que vous êtes une patate en politique, mais qu'heureusement, votre épouse ne l'est pas. J'ai mes informateurs.
– Je pensais que vous aviez des soucis avec le chef des Renseignements, objecta son mari.
– Plus maintenant, je viens d'éliminer le problème, lâcha la dame Flamdragon avec désinvolture.
– Donc selon vous, Castelange se plierait au changement. Pas d'ennuis de ce côté-là ?
– Il faudra faire le premier pas en ouvrant des négociations pour de nouveaux accords commerciaux une fois que nous serons en place. Cela devrait les calmer et leur ôter l'envie de venir fourrer leur nez dans nos affaires. Certains de mes contacts y réfléchissent déjà.
Uther hocha la tête. Toute cette paperasse et ces magouilles de bureaucrate l'ennuyaient. Son esprit divagua un instant vers les postes de défenses qu'il projetait d'installer, puis les mots de sa femme concentrèrent à nouveau son attention.
– J'envisage le pire. Blanchecombe ne sait peut-être rien. Toutefois, une telle coïncidence dans leur changement d'Ambassadeur, avouez que c'est troublant.
Le conseiller tira lui-même les dernières conclusions.
– Bon, admettons que vous ayez raison. Dans ce cas, pas trente-six solutions : on a une taupe. Laissez-moi régler ça.
Morgane hocha la tête, l'air préoccupé.
– Faites vite... Ou alors, on déclenche l'opération plus tôt que prévu. Vous êtes-vous occupé des régiments ?
– Ils nous suivront. La fête nationale est dans cinq jours. Cela pourrait le faire.
Il s'écoula quelques minutes durant lesquelles son épouse rumina le problème. Dans l'arène, plusieurs mètres plus bas, la moitié des automatueurs et des gladiateurs étaient à terre. Comme si le chaos ambiant n'était pas suffisant, une horde de sangliers s'était éparpillée au milieu des combattants, attaquant tout ce qui passait à leur portée.
– Il va falloir repenser la chronologie. Le nouvel ambassadeur a été dépêché uniquement pour prendre connaissance de nos intentions. Si nous souhaitons conserver nos voisins hors de toute cette affaire, la délégation ne doit pas être inquiétée. Donc, au lieu d'agir durant le défilé, nous agirons le lendemain de la fête nationale, lorsque les diplomates seront en sécurité à l'Ambassade et non pas au palais.
– Je convoque nos amis ce soir. Charles et Tallman seront présents lors de la nouvelle réception donnée en l'honneur de la délégation. Le champ sera libre.
– Bien. Procédons ainsi. Je hais agir dans la précipitation ! Un faux pas et on sera raccourci d'une tête.
Uther explosa de rire gras et son éclat lui valut un haussement d'épaule exaspéré de sa femme.
– J'en ai assez de ce régime de couilles molles, trancha-t-il. Nous avons un gouvernement de vieilles femmes tremblantes. Toute cette belle brochette de tire-au-flancs, je vais les mettre au pas. La rigolade a suffisamment duré.
Les traits du visage de Morgane se détendirent suffisamment pour que la satisfaction de son mari la contamine. Son menton se redressa et son regard perçant balaya les affrontements dans l'arène. Il ne restait plus que deux combattants qui se démenaient comme des furies au cœur du labyrinthe. Avec l'aide de l'autre gladiateur, la femme restante fit tomber une des parois du labyrinthe pour bloquer l'arrivée des automatueurs par un couloir.
Le dernier sanglier, acculé, fonçait au hasard en agitant ses énormes défenses à droite et à gauche. Épuisé, le gladiateur ne parvint pas à éviter un de ses coups : une des défenses de la bête se planta dans sa cuisse. Il hurla de douleur, tandis que mugissant de rage, la guerrière se jetait sur leur ennemi, dagues et hachettes au clair.
– Nous agissons pour le mieux de CastelAnge. La dynastie actuelle a failli. Il est temps pour la relève de prendre leur place.
– Rien de personnel.
Uther lança un regard complice à sa femme qui rit en retour.
– Non, rien de personnel en effet.
Au loin, le timbre grave d'un cor résonna dans l'amphithéâtre. C'était la fin : la combattante survivante venait finalement d'égorger à la dague le dernier animal. Le sang de la bête jaillit sur le sable clair et tandis que la gagnante dégoulinante de sueur brandissait ses armes vers le ciel, les époux échangèrent enfin un sourire carnassier.
– La chasse est ouverte. Allons dépecer du sanglier.
Bienvenue dans les magouilles du couple Flamdragon ! Leur plan est maintenant très clair : ils veulent prendre le pouvoir à Castelange ! Alors comment est-ce que cela va se passer : allons-nous vers un échec ou une réussite ? Que pensez-vous de ce couple ? Jusqu'où sont-ils capable d'aller pour avoir du pouvoir ? Trouvez-vous que la peur des Stanhope est justifiée ? Et alors le tournoi, penseriez-vous survivre dans une telle arène ?
Merci pour vos lectures et on se retrouve vendredi prochain pour une réponse à la plupart de ces questions !
(1) Rubiconde (adj.) : rouge
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Crédit image.
"L'automne" par Alphonse Mucha (tiré d'un ensemble de quatre tableaux représentants les saisons)
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