Chapitre 5. L'ouverture de la chasse [1/2].

Les arènes occupaient une telle place que l'arrière-grand-père du roi Charles Ygensen les avait déplacées à l'extérieur d'Onyxfort, au terme de travaux d'une envergure telle qu'on n'en avait pas vu depuis la construction de l'Opéra. En forme d'œuf, elles s'étalaient sur trois cent mètres de large et quatre cent mètres de long. Une double rangée de murs d'arcades entourait une esplanade ovale au centre de l'amphithéâtre sur lequel donnaient plusieurs séries de gradins, d'abord en pierre, couverts de coussins pour les plus riches et en bois, plus on montait dans les étages. Par temps chaud, des vélums rouge sang étaient tendus au-dessus de l'arène. La couleur de ces vélums étaient assortis à celles des bannières aux armoiries des Ygensen qui pendaient de la tribune officielle. Un sanglier s'y cabrait sur fond de gueule, une couronne de laurier au-dessus de sa tête.

La foule constituait une masse compacte qu'osaient parfois traverser des vendeurs d'éventails, de boissons et de pâtisseries. Ils criaient de toute la force de leurs poumons "Eau de vie ! Gauffres! Pommes!", afin d'essayer de couvrir les clameurs des spectateurs. Chacun avait sorti, qui un éventail, qui une large ombrelle en papier peint, rajoutant encore plus de couleurs à un univers en plein charivari.

En bas, dans l'arène, des palissades de bois et d'acier avaient été construites sur le sol de sable clair comme un immense labyrinthe sans queue ni tête. À chaque détour, une menace attendait les gladiateurs qui avaient le cran de s'aventurer à l'intérieur, le but étant de parvenir vivant au centre. En ce moment même, huit de ces combattants, de vaillants hommes et femmes, tentaient d'y survivre. Une femme avait dû grimper sur le sommet des palissades pour échapper aux deux sangliers qui ruaient contre la paroi, la faisant dangereusement tanguer. Au cœur d'une petite esplanades de bois sur le bord du labyrinthe, deux hommes se faisaient face, en sueur et en sang, chacun une lance à la main, engagés dans un duel sans pitié jusqu'à ce que l'un d'eux ne puisse plus se relever.

Après avoir de justesse échappée à des lames dissimulées sous le sable, une gladiatrice était aux prises avec un automatueur. La machine ressemblait à un squelette de métal. Sa tête était pareille à un crâne écrasé, et son torse, couvert d'une protection de cuir, laissait apparaître les rouages et les fils qui l'alimentaient. Ses mâchoires s'entrechoquaient dans un cliquetis, tandis que les balles que tirait vainement la combattante, ricochaient contre lui sans lui faire une éraflure. Le gourdin dont il était armé, traînait derrière lui, soulevant un nuage de poussière.

La chasse à courre de la veille avait été un échec lamentable. Les diplomates combiens, pour la plupart, ne savaient pas monter à cheval et ceux qui maîtrisaient les rudiments de l'équitation étaient bien incapables de tirer au fusil en plein galop. Si le Maréchal Giusepe Henker se révéla être le seul capable d'atteindre plusieurs fois sa cible, les autres représentants de Blanchecombe s'étaient sentis humiliés par leurs échecs. Castelange avait été à deux doigts de l'incident diplomatique, jusqu'à ce que Dame Morgane Flamdragon propose d'organiser au pied levé un grand tournoi, et tout particulièrement, la spécialité de Baratro : une course d'obstacles.

Au vu du peu de temps qu'il avait été donné aux organisateurs, l'ensemble de l'évènement laissait à désirer. Atalante soit louée, cela suffit aux envoyés combiens qui retrouvèrent le sourire. Ils applaudissaient d'ailleurs en ce moment-même la combattante aux prises avec l'automatueur. Cette dernière venait de trancher la machine en deux après avoir retourné contre son ennemi les pièges qu'elle avait évités peu avant.

Assis au milieu des autres membres du gouvernement, Uther et son épouse observaient le spectacle en feignant d'y consacrer un peu d'intérêt. A dire vrai, le conseiller du roi attendait le bon moment pour conter par le menu sa discussion avec Giuseppe Henker, le frère du monarque de Blanchecombe.

Hélas, aucune opportunité ne s'était présentée et s'il ne saisissait pas celle qui lui était offerte alors que tout le monde était occupé à observer les combats, il pouvait toujours continuer d'attendre. L'homme aux cheveux bouclés tendit donc sa main à son épouse qui se leva pour prendre son bras, puis tous les deux s'éclipsèrent sans un bruit, Morgane ne cherchant pas à demander d'explications. Un courtisan remarqua bien leur évasion, mais un double regard noir adressé par le couple le dissuada de prononcer un mot. À présent, perché tout en haut des gradins, à l'ombre de la marquise qui indiquaient la sortie, le couple se faisait face.

- Vous avez mis l'héritier de Blanchecombe à la porte comme un va-nu-pieds, souffla Dame Flamdragon estomaquée alors qu'Uther venait à peine de commencer à raconter son histoire.

Elle le toisait avec un air de sidération. Son épouse arborait sa tenue des grandes occasions, c'est-à-dire une jupe en taffetas bleu pastel ainsi qu'un large chapeau piqué d'une plume de paon. Ses cheveux étaient comme toujours tressés en une simple natte, dégageant sa cicatrice en forme d'hameçon sur le haut de la joue. La baronne n'aimait pas perdre son temps en coiffures inutilement complexes.

Sa sidération se métamorphosa bien vite en exaspération et son vis-à-vis sentit que c'était le moment de se justifier. Cependant, devant son attitude ouvertement agressive, il ne put empêcher la moutarde de lui monter au nez, puis adopta à son tour une attitude menaçante.

Quelques soldats de leur escorte qui avait osé les accompagner jusque là, avaient la nette impression qu'ils allaient se sauter à la gorge. Dans tous les cas, ce n'était certainement pas le moment de se faire remarquer, ils reportèrent donc bientôt leur attention sur tout, sauf sur le couple.

- Je pouvais pas le blairer, gronda Uther.

- Et la version longue ? siffla Morgane en réponse.

- Le petit Maréchal m'a dit avoir trouvé les Stanhopes. Ils se terrent quelque part dans leur capitale.

- Les Stanhope ? Ces parasites ne sont toujours pas morts ? Mais vous auriez dû commencer par ça, bougre d'imbécile !

- Si vous me laissiez un peu le temps d'en caser une, vieille chouette ! Je me suis occupé d'envoyer des hommes à moi discrètement sur place. Le guignol de Blanchecombe a évoqué une altercation pour les débusquer. J'ai donné l'ordre de réactiver quelques agents dormants, mais la situation est hélas entre les mains de Tallman. Normalement, ses agents ne devraient pas les louper si les Stanhoppe refont surface.

- Pour une fois que nous tombons d'accord avec Blanchecombe sur un point..., gronda son épouse.

- Pour buter des gens, on trouve toujours un terrain d'entente.

Une clameur s'éleva de la foule et les interrompit quelques instants. Visiblement, un des duellistes sur l'esplanade l'avait emporté sur l'autre. Le conseiller y accorda autant d'importance qu'au dernier des trouffions : Morgane était suffisamment dangereuse pour qu'elle ait toute son attention au moins pour les prochaines minutes.

Une fois, elle avait quand même tiré sa rapière quand le ton était monté !

- Ceci dit cela se comprend, marmonna la dame Flamragon lorsque les applaudissements se furent taris. Quand les Stanhope travaillaient encore pour nous, ils avaient bien causé cette guerre de succession à Blanchecombe en révélant cette sombre affaire d'inceste entre l'héritière du trône et son frère. Leur royaume n'avait pas connu un tel déchirement depuis la guerre d'indépendance entre eux et Castelange, trois siècles auparavant.

- Guerre, guerre... Plutôt révolution, rétorqua son mari. Tous les aristocrates sont passés à la casserole et on se retrouve avec leur famille de bouseux, nouveaux riches, sur le trône, ces sales Henker. Il faudra qu'on m'enterre avant que je laisse un désastre pareil arriver chez nous.

Le regard de Morgane se perdit dans le vague. Les mots, inaudibles, perlèrent entre ses lèvres.

- Ils ont mérité leur exil.

Cette fois-ci, son mari acquiesça. Le fantôme des événements passés, qu'aucune âme vivante à ce jour n'avait pourtant connu, flottait partout. Il cesserait de hanter les vivants que lorsque tous les membres de la famille seraient enfin effacés de la surface de la Terre.

- Nous sommes passés à deux doigts du même chaos. Foutus Stanhope. Que leur savoir meurt avec eux. Ils sont trop dangereux pour rester en vie, même de notre côté, conclut Morgane.

Petit chapitre bien court, mais sinon j'aurais échu avec une partie de plus de 3000 mots ! J'ai donc préféré séquencer. Cependant, j'ai l'impression de m'arrêter en plein élan, d'autant que ce début de chapitre était plus l'occasion de plonger dans l'ambiance plutôt que d'attaquer les dialogues qui seront beaucoup (beaucoup) plus importants dans la seconde moitié. Je pense donc publier exceptionnellement la suite du chapitre mercredi soir à 19h.

Pour autant qu'en 1500 mots vous ayez pu vous faire une idée, que pensez-vous alors des tournois de Catselange ? En tout cas, les Stanhope sont décidément mal parties... Comment pensez-vous que se terminera le cinquième chapitre ?

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Crédit image.

-"L'été" par Alphonse Mucha (issu d'une série de quatre tableaux représentant les quatre saison, car oui, on repart sur une autre série d'œuvres!)

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