Chapitre 18. Sortir de la caverne [2/2].

Le conduit dans la roche tournait dans tous les sens si bien que Lucretia perdait complètement son sens de l'orientation. S'il n'y avait pas d'embranchements, en revanche, le tunnel descendait de plus en plus profond. La Stanhope commença à s'inquiéter avant de se surprendre à penser qu'elle aurait aimé que la gamine cesse de se taire. Dans une situation comme celle-là, son babillage permettrait au moins de détendre cette atmosphère qui se faisait plus oppressante à chaque pas.

Enfin, elle entendit comme un drôle de clapotis. La jeune femme se figea et tendit l'oreille. A rester dans le noir aussi longtemps, ses autres sens s'étaient aiguisés pour compenser sa cécité. On aurait dit comme un genre de ressac... La mer ? Sous terre ? Qu'était-ce cette fois ? Est-ce que les souterrains pouvaient finir par être inondés alors qu'elles étaient encore à l'intérieur ? Son sang se glaça à cette pensée. Elle avait vu des corps de noyés être repêchés dans le fleuve : la peau flasque, leur visage bouffi et dévoré par les poissons. Par les Trois Aiguilles, c'était bien la dernière manière dont elle souhaitait mourir.

– Qu'est-ce qu'on entend ? balbutia Charlie.

– Soit une bonne, soit une très mauvaise nouvelle, répondit Lucretia en essayant d'avoir l'air confiante.

Elles continuèrent d'avancer en suivant à tâtons la paroi. Le bruit du ressac se faisait de plus en plus puissant et elles sentaient une forte odeur d'iode. Cette fois-ci il n'y avait plus aucun doute, la mer se trouvait au bout de ce tunnel.

Une lueur bleutée apparut soudain dans le lointain tandis qu'un vent frais souleva sa chevelure et battit son visage. Après une telle obscurité, la Stanhope grimaça, mais parvint à se réjouir malgré cette lumière qui lui brûlait la rétine. S'il y avait cette lueur, alors il y avait une sortie et cet appel d'air ne faisait que confirmer l'hypothèse. L'adolescente comprit elle-aussi ce que cela sous-entendant et si elle n'exprima pas à voix haute son excitation, elle sautillait gaiement en accélérant le pas. Lucretia avait l'impression de faire équipe avec un genre de lapin dopé à la joie de vivre.

La jeune femme posa la main en visière sur son front pour éviter d'être éblouie à mesure qu'elles avançaient. Elles parvinrent enfin à destination, qui apportait avec avec le terme de cette longue marche la solution à leur problème.

Le souterrain s'était élargi en une gigantesque cavité dans la roche, comme une énorme bulle où petit lac intérieur stagnait gentiment. Il était cependant alimenté par quelques courants qui entraient par une ouverture au fond de la grotte. Avec une joie croissante, Lucretia distinguait la ligne d'horizon et un carré de ciel bleu pendant que l'air frais venu de l'extérieur caressait sa peau. Pour sortir, elles n'avaient plus qu'à traverser le lac à la nage puis passer l'ouverture. A son avis, elles devraient émerger au pied des falaises, dans ce cas, en les longeant, elles finiraient bien par trouver une petite plage ou reprendre pied. Le plan lui parut excellent, sans doute renforcé par le fait qu'elle n'en avait pas vraiment d'autre.

- Tu sais nager, gamine ? lança-t-elle à Charlie.

Sans réponse, la Stanhope regarda à droite et à gauche en s'apercevant soudain que l'adolescente n'était plus à côté d'elle. Elle soupira de soulagement quand elle constata que la pilote était juste au bord de l'eau à faire des ricochets. Une petite plage de galets séparait la sortie du souterrain d'où elles avaient émergé et l'eau turquoise translucide. Le calcaire blanc rayonnait dans les profondeurs et jetait sur la grotte des rayons bleutés. L'adolescente paraissait fascinée par la beauté tranquille du lieu et par le doux clapotis de l'eau qui habillait le silence, qualités que la Stanhope remarquait à peine.

- A peu près..., répondit la jeune fille quand Lucretia eut répété sa question.

- Alors fais très attention et suis-moi. Les tourbillons sont monnaie courante le long du rivage, mais on a de la chance : le vent de mer s'est levé, nous ne serons pas poussées vers le large. La tempête à l'air de s'être calmée pendant qu'on était dans les souterrains, donc ce n'est pas encore aujourd'hui qu'on ira dire bonjour aux poissons au fond de l'océan. Ça va aller ?

- Je te fais confiance.

- La combienne qui dit ça à une Stanhope...

- C'est pas vrai, tu remets encore ça ? Nous avons un peu dépassé ce stade, tu ne crois pas ?

- Tu ne vas me livrer alors ? ricana Lucretia en poussant un peu plus loin l'interrogatoire.

- Je pense pas.

- C'est ça, et tes supérieurs ils vont accepter sans rien dire ? Arrête de dire des bêtises.

- N'empêche, tu n'as pas à m'aider et tu le fais quand même.

Lucretia fronça le nez et elle ressentit une sorte de gêne : ce n'était pas logique en effet. Ses contradictions dansaient devant elle et elle ne parvenait pas à toutes les démêler.

Non, ce n'était pas qu'elle ne pouvait pas, elle n'en avait simplement pas envie.

Son esprit pragmatique choisit cet instant pour se rappeler à elle : sortir de la grotte, réfléchir après.

- Tais-toi gamine. On y va. Fais gaffe au courant.

Lucretia retira ses vêtements, les plia dans son sac, posa le paquet sur son crâne et glissa doucement dans l'eau. D'aucun parle de la morsure du froid sur la peau lorsqu'il se baigne. Dans le cas de Lucretia, elle parlerait plus de déchiquetage en règle. L'eau était tellement glacée qu'elle se retint de ressortir immédiatement. En quelques secondes, la jeune femme ne sentait déjà plus ses pieds ni ses mains : évidemment une baignade au début du printemps n'était pas la meilleure idée possible.

Elle s'était déjà éloignée du rivage en quelques brasses rapide pour ne pas se laisser l'opportunité de faire demi-tour lorsque la gamine rentra dans l'eau à son tour. Charlie poussa aussitôt un petit cri :

- Gast ! Elle est gelée !

Lucretia s'amusa de son attitude en essayant de dissimuler de son côté son claquement de dents à cause du froid :

- Petite nature ! Elle est délicieuse !

- Délicieuse ? s'étrangla la pauvre jeune fille. Tu as du sang de dragon dans les veines ou quoi ! C'est de la glace liquide !

- Nage, ça te réchauffera.

- Ouais, c'est ça !

La Stanhope ne put alors le retenir : l'éclat de rire résonna en écho dans la caverne. Cela faisait deux fois que la gamine parvenait à la faire rire, mais ce n'était pas comme le premier un rire moqueur et sarcastique, pour la première fois, c'était un rire franc et pur. Cette moue, cette attitude contestataire et ce regard... Lucretia avait l'impression de se voir neuf ans auparavant quand elle avait encore en elle cette fougue et cet espoir en la vie. Son jeune reflet se renfrogna devant son hilarité, ce qui ne fit qu'augmenter l'amusement de la jeune femme.

- Allez, le froid n'est qu'un état d'esprit, gamine, railla la jeune femme avait de reprendre son chemin au travers de l'eau noire.

Charlie suivait comme elle pouvait. Ses mouvements guindés se fluidifiaient à mesure qu'elle s'habituait au froid.

- Essaye de garder tes bras dans l'eau. Tu t'agites trop, tu es en train de mouiller tes vêtements, lui conseilla Lucretia dont les mouvements de brasse remuaient à peine la surface.

- C'est facile à dire..., protesta l'adolescente en essayant de suivre le conseil de son guide.

Lucretia détourna son regard de la gamine et se concentra sur son chemin. Elle repérait les tourbillons, les évitait. Elle sentait les écueils sous ses pieds et probablement toutes les bestioles qui grouillaient là-dessous. Dieu qu'elle détestait nager entre les rochers ! Elle bénissait les cieux : s'il y avait eu un peu de vent, il aurait été impossible de sortir de la grotte sans se fracasser contre les roches qui émergeaient de l'eau et dardaient leur arrêtes tranchantes hors de l'eau.

La plage se profila enfin devant eux et Lucretia reprit pied.

- Je suis morte ! souffla Charlie en s'affalant sur le sable.

- Pauvre petite chose, ricana la Stanhope goguenarde. Je te dirais bien que j'allumerai un feu, mais il n'y a pas de bois... Si on reste là, on va crever de froid. On va courir un peu sur la plage pour se sécher avant de se rhabiller et on continuera à longer la côte jusqu'à ce qu'on trouve un village. Je veux dormir dans un lit.

- Qu'est-ce qu'on fera après ?

- On avisera.

Un silence tomba entre les deux interlocutrices. Elles étaient parfaitement conscientes de ce que Lucretia sous-entendait et n'avaient aucune idée de ce qu'elles feraient. Lucretia était toujours recherchée et c'était le devoir de la gamine de la ramener, mais beaucoup de choses avaient changé depuis le crash de l'avion. Lucretia repoussa encore une fois le moment de prendre une décision.

Marcher et aviser.

- Gast ! Je me caille ! lâcha Charlie pour détendre l'atmosphère de plomb qui s'était abattue.

- Le froid n'est qu'un état d'esprit, grommela Lucretia en entrant dans son jeu.

Son sac sous le bras, la jeune femme prit l'initiative de courir, la gamine sur ses talons. Bientôt, il ne resta sur le sable que leur trace de pas que la mer effaça bientôt.


Un petit chapitre très court afin de vous mettre en bouche pour le prochain chapitre de samedi ! Le prochain chapitre qui suit est une partie "Souvenir", nous allons donc plongé plus en détail dans le passé des personnages. A partir de maintenant, chaque "Souvenir" aura un gros impact sur la trame principale, alors soyez attentifs ! 

Lucretia est enfin sortie de la caverne et commence son long chemin de rédemption. Hâte de vous faire partager tout ça ! 


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Crédit image. 

"Automne" par Alfonse Mucha

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