Chapitre 18. Sortir de la caverne.

La sensation d'oppression l'écrasait comme si la roche toute entière s'était soudain refermée autour de son torse. Lucretia posa une main sur son cœur, et articula difficilement chaque mot :

- Tue-moi, gamine.

Elle entendit un hoquet de surprise, le bruit d'une respiration qui s'emballe, un levé brusque, un choc sourd et un juron. Charlie devait s'être cognée la tête contre le plafond du souterrain qui était visiblement plus bas qu'elle le pensait.

- Qu'est-ce que vous racontez encore ? S'exclama l'adolescente.

Elle parut fouiller les ténèbres à sa recherche jusqu'à ce que sa main vienne se poser sur l'épaule de la Stanhope.

- De toute façon, tu vas me conduire à tes supérieurs et ils vont m'exécuter. Alors que ce soit toi maintenant ou eux après..., souffla cette dernière.

– Qu'est-ce qu'il vous prend ? Tu n'avais pas l'air comme ça tout à l'heure ! Allez, secouez-vous !

– Je rêve, la combienne qui dit ça à une Stanhope... J'aurais tout entendu, ricana Lucretia malgré elle.

– Franchement, après avoir essayé de te sauver, tu abandonnes maintenant ? protesta à nouveau l'adolescente.

- Tue-moi, c'est ton travail. De toute façon, je n'irais pas plus loin. Je n'en ai plus ni la force, ni la volonté.

La jeune femme ferma les yeux et attendit le coup. Ce dernier ne vint jamais, elle n'entendait que la respiration saccadée de la pilote résonner dans l'espace exigu du souterrain.

– Et bien alors ? soupira-t-elle.

– Je ne peux pas..., finit par balbutier la petite voix.

– Comment ça ?

– Je ne peux pas ! Voilà c'est dit ! Je n'ai jamais tué personne, merde !

Lucretia rouvrit les yeux aussitôt, son visage était figé par la stupéfaction.

– Je n'ai jamais tué personne. Je n'y arriverais pas, répéta la combienne.

– Tu es un soldat, objecta la Stanhope.

– Mais quel est le rapport !

Aucune d'entre elles n'osa plus parler pendant de longues minutes. La jeune femme se surprit alors à envier la petite pour l'éducation qu'elle avait reçue : son oncle n'aurait jamais toléré une pareille excuse.

– Du coup, l'homme tout à l'heure, ce n'était pas ton premier, n'est-ce pas ? demanda Charlie.

La toute nouvelle intonation de sa voix surprit son interlocutrice. Lucretia chercha son visage dans le noir, mais avec les ténèbres autour d'elle, elle ne parvenait même pas à distinguer précisément sa position.

– Oui, lâcha-t-elle finalement.

– Tu as l'habitude de... tuer des gens ?

– Quand la situation l'exige.

– Et depuis quand... Je veux dire, ton premier...

Son interlocutrice croisa les bras sur sa poitrine : elle se sentait légèrement tremblante, mais ses pensées s'écoulaient hors d'elle sans qu'elle puisse les retenir. A chaque mot, le poids sur sa poitrine semblait s'alléger.

– J'avais quatorze ans quand mon oncle m'a emmenée avec lui pour mon baptême du sang. Il m'a demandé de l'étrangler. C'était une femme. Je ne me souviens plus de son visage.

– Et pourquoi ?

– Je ne sais plus. Ma vie appartient à la famille et avec Amélia, ils savaient ce qui était le meilleur pour elle.

Cette fois-ci, le silence dura plus longtemps que le premier et Lucretia prit l'initiative de le briser : elle savait pertinemment ce que l'adolescente devait penser à cet instant.

– Je te fais peur, gamine ?

– Oui.

La réponse avait le mérite d'être claire, sa sincérité était appréciable.

– Et moi, tu m'aurais tué pour t'enfuir ? souffla Charlie.

– Si tu t'étais opposée à moi, oui, avoua la Stanhope.

Il fallut un moment à la petite pour poser enfin la dernière question qui lui restait sur le cœur :

– Mais alors pourquoi m'as-tu sauvé tout à l'heure ?

– Je ne sais pas, je t'ai dit.

– Et maintenant ?

– Maintenant quoi ? répéta Lucretia un peu agacée.

– Tu veux encore me faire la peau ?

– Non.

Un raclement de pierre retentit sur sa gauche, la pilote venait de s'asseoir à côté d'elle. Elle poussa un profond soupir.

– Pourquoi est-ce que tu m'as filée, gamine, au lieu d'appeler des renforts ? Tu aurais pu t'éviter tout ça, murmura Lucretia.

– C'est compliqué. Je ne veux la mort de personne, même pas la tienne.

Un nouveau soupir remua l'air confiné. Sa respiration s'accéléra un peu lorsque les mots s'égrenèrent hors de sa bouche :

-- Je veux juste prouver que je suis autre chose qu'une moins-que-rien. Quand je t'ai vu, je me suis dit que je tenais enfin une occasion. Je pourrais faire partie de l'escadron royal... J'aurais de l'argent et je serais seul maître de ma vie. Je serai quelqu'un, répondit enfin Charlie, une passion vibrante dans la voix.

– Tu as déjà essayé de retrouver tes parents ?

– Une fois. J'ai mis la main sur ma mère. C'était une ivrogne qui travaillait dans les ateliers de filage dans la capitale. Je suis allée la voir, je ne sais pas exactement pourquoi. Je voulais juste savoir d'où je venais. Elle m'a dit qu'elle n'avait pas eu le courage de s'occuper de moi, que c'était trop dur avec le travail, qu'elle n'avait pas la place... Puis, elle m'a demandé si je pouvais lui donner de l'argent. J'ai appris qu'elle s'était noyée dans le canal quelques jours plus tard.

La Stanhope ne sut pas quoi ajouter d'autre. Devait-elle parler de ses propres parents ?

– Tu me fais vraiment peur, lâcha soudain Charlie.

– Je sais.

– Mais ce que tu as fait, c'était impressionnant, rétorqua-t-elle presque aussitôt.

– Quoi ?

– Te faire passer pour l'une des leurs, attiser leur confiance et la dispute que tu as déclenchée chez les bandits...

– Ça ? Ce n'est rien. Ma grand-mère aurait fait cent fois mieux. De toute façon, c'est à cela que nous servons : provoquer la discorde et la guerre.

A ces mots qui avaient jaillis avec tant de naturel de sa bouche, Lucretia réalisa à quel point ils étaient vrais. Etait-ce donc ça qu'elle voulait faire de sa vie ?

– Tu avais l'air si à l'aise, on avait envie de croire ce que tu racontais, tu n'avais pas le même langage que maintenant. Tu étais quelqu'un d'autre... Invincible. Ce n'est pas toi qu'on aurait traîné dans un coin pour te... Heu...

La voix de la pilote se cassa lorsqu'elle évoqua le souvenir de l'homme à la barbe brune juste avant que la Stanhope n'intervienne. Une nouvelle pause ponctua leur discussion. En tendant bien l'oreille, Lucretia pouvait entendre le tonnerre au-dehors. Elle trouva dans le bruit des éléments déchaînés un aspect apaisant.

– Bon, j'en ai marre ! cria soudain la pilote.

La Stanhope sursauta de surprise et retint de justesse le glapissement de frayeur qui avait manqué de lui échapper et qui aurait nuit à son image impitoyable posée juste avant.

– Mes officiers m'ont répété sur tous les tons que tu étais une nuisance et dangereuse, commença la combienne. Le fait est que c'est vrai : ta morale et ton éthique n'ont pas l'air d'être à jour. Mais on est dans une situation compliquée et j'ai plus de chance de survivre avec toi. Donc tu vas bouger tes fesses et utiliser ta petite cervelle pour nous sortir de ces foutus souterrains.

– Tu n'as rien écouté à ce que j'ai dit, petite idiote ? grinça Lucretia, ébahie par cette soudaine réaction. Ta mort, ma famille et tout le reste ?

– Tu vois, tu as encore la force de m'insulter, alors tu vas l'utiliser pour soulever ton foutu postérieur de Stanhope comme je te le demande ! l'interrompit Charlie avec autorité.

– Et après ? objecta son interlocutrice.

– Et après, on s'en fout ! On verra bien ! Le fait est que je ne veux pas te tuer ! Tu veux me tuer ?

Presque par réflexe, la réponse échappa toute seule à Lucretia.

– Non.

– Et voilà ! Tu es encore en vie, rien n'est perdu ! enchaîna la pilote sans même reprendre sa respiration. Je ne te tuerai pas et si tu m'as demandé de le faire, c'est que tu n'as même pas le courage de le faire toi-même. En fait, tu ne veux pas mourir, tu es juste fatiguée ! Enfin bref, tu n'es plus mon ennemi, c'est simple.

– C'est simple ? s'étrangla Lucretia. Attends, il faut prendre en compte ton devoir, la volonté de tes officiers, les risques que tu prends... C'est de la désobéissance pure et simple !

– Ils ne sont pas encore là, j'ai le temps de continuer à plancher sur la question. Enfin, tu m'as empêché de me faire violer ? scanda Charlie en la coupant de son envolée.

– Oui.

– Tu m'as sauvé la vie ?

– Oui.

– Et on est bloqué de toute façon dans ces cavernes toutes les deux ?

– Oui, encore une fois.

– Bon et bah voilà, l'équation est quand même simple. Je ne vois pas pourquoi je me prendrais la tête plus longtemps, conclut la combienne avec la satisfaction d'un scientifique au terme d'une brillante démonstration.

La Stanhope n'arrivait même plus à trouver les mots et se contentait de laisser échapper quelques balbutiements pitoyables :

– Mais... Mais enfin ! Ce n'est pas comme ça que ça marche ! Il faut plus de réflexion et... et...

– Et pourquoi ça ne fonctionnerait pas comme ça ?

Les bras lui en tombaient. La logique immature de l'adolescente lui échappait totalement. Elle sentit une main se glisser dans la sienne. Charlie tira violemment et avant de le réaliser, Lucretia se trouva debout.

– Bon alors, qu'est-ce qu'on fait ? lança joyeusement la pilote.

– Je n'ai jamais dit que j'acceptais.

– Et moi, je dis que tu acceptes. Alors, on fait quoi ? rétorqua aussitôt la combienne.

– Mais... mais...

– Tu sais, tout à l'heure, tu étais une grande manipulatrice qui faisait trembler Blanchecombe, maintenant on dirait juste un clodo bègue.

– Je... Je ne te permets, sale gamine ! s'emporta la Stanhope.

– Tu... tu... comptes faire quelque chose ou tu... tu... continues à passer pour une idiote ? la singea Charlie en ricanant. Bon on va où ?

– Il faut partir dans le sens opposé de la coulée de boue, idiote ! Que veux-tu que nous fassions d'autre !

– Eh bien voilà, soupira enfin l'adolescente. Il t'en a fallu du temps, tu te dépêches ? Fais attention, le plafond est un peu bas.

Lucretia avait l'impression de s'être fait avoir en beauté, mais quand la gamine la prit par la main pour l'entraîner dans les souterrains, elle s'aperçut que son poids sur la poitrine avait disparu. Et même à vrai dire, elle s'était rarement sentie aussi légère.



Finalement, Charlie va prouver être d'une grande aide pour Lucretia afin de lui permettre de conserver sa joie de vivre ! Qu'auriez-vous fait à la place de Charlie d'ailleurs ? Elles s'enfoncent donc dans les profondeurs de la caverne, sur quoi vont-elles tombé? Un cul-de-sac ? 

La suite, la semaine prochaine ! 


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Crédit image. 

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