Chapitre 12. Le choix du labyrinthe.

Contrairement à ce qu'elle avait estimé, les températures baissèrent drastiquement la nuit. La Stanhope se gela donc, emballée simplement de sa chemise et de sa salopette. Et en silence pour des raisons évidentes de fierté.

Même le poids de sa fatigue ne fut pas suffisant pour l'empêcher de se réveiller, et cela plusieurs fois avant d'être complètement incapable de se rendormir à deux heures de l'aube. La marche de la journée risquait de se révéler encore plus pénible encore que celle de la veille.

- J'ai vraiment bien dormi ! déclara Lucretia au petit matin en baillant, des cernes immenses sous les yeux.

- J'ai veillé toute la nuit ! rétorqua Charlie en tapotant son aiguillon, alors que sa prisonnière était persuadée de l'avoir entendue ronfler à un moment.

Elles faisaient une belle paire de menteuses toutes les deux. Toutefois, aucune d'entre elles n'eut le cœur à relever le mensonge de l'autre. Le trajet fut compliqué et fatigant : elles avançaient lentement, mais eurent le bonheur de tomber sur une petite rivière qui coulait entre les collines boisées. La pilote pêcha pour elles des écrevisses, crues hélas en l'absence de feu, elles purent remplir une gourde et en s'allongeant, Lucretia tomba miraculeusement sur des plans de rhubarbe sauvage. Ce fut la seule bonne nouvelle de la journée, pour autant qu'on puisse considérer de l'eau et de la rhubarbe crue comme une bonne nouvelle.

Plus elles descendaient vers le Sud, plus le sol en forêt devenait plus sec et caillouteux, tandis que les reliefs plus accidentés d'heure en heure dessinaient dans le paysage des lignes ocres. Cela signifiait qu'elles allaient dans la bonne direction et la nouvelle procura un regain d'énergie à la combienne, pendant que Lucretia tentait une nouvelle technique : somnoler et marcher en même temps.

Les bandages ne furent pas suffisants et lâchèrent en milieu d'après-midi, sans rien pour les remplacer, alors qu'elles arrivaient en face d'une sorte de dédale de roche de calcaire jaunâtre. La forêt s'était faite moins dense et les collines s'étaient crevassées comme d'immense vergeture sur le paysage. Le résultat en étaient des corridors de pierre surgit de nulle part devant les deux voyageuses, dont les parois s'élevaient à six mètres de haut aisément. Par pure curiosité, Lucretia se demanda en combien de temps, elle serait capable de les escalader. En tout cas, elle n'avait jamais vu un décor pareil, c'était tout à fait étonnant de passer de la forêt luxuriante à ce labyrinthe.

L'adolescente, toujours le nez sur sa boussole, releva les yeux avant de les ramener vers son instrument.

- Nous allons tout droit. C'est plus court, conclut-elle.

Cette fois-ci, la Stanhope dut intervenir.

- Super gamine, de toutes les options que tu avais, tu choisis la plus mauvaise. Il nous reste peu de temps de soleil de disponible, s'engager dans ce labyrinthe maintenant implique une très forte probabilité de passer la nuit dedans. Si on ne s'y perd pas par-dessus le marché. Ensuite, cela va être encore plus difficile d'aller tout droit. Dans la mesure où tu te plaignais déjà des arbres... Troisième problème et pas le moindre, ce coin est parfait pour un repère de bandits de grand chemin. Regarde-moi ça, c'est tortueux, ça n'a aucun sens... Un maquis providentiel si tu veux mon avis...

- On ne le te demande pas ton avis, rétorqua abruptement Charlie.

- Je t'aurais prévenue. Je ne sens pas cet endroit, j'ai un mauvais pressentiment. Si tu avais un peu de jugeote, tu le remarquerais autant que moi. C'est idéal pour des embuscades.

La combienne observa à contrecœur le labyrinthe de calcaire et parut hésiter. Elle évalua la course du soleil, le labyrinthe à nouveau puis sa prisonnière qui la mettait au défi de prendre une décision. Cette attitude provocante ne plaida pas en sa faveur et la jeune femme songea qu'elle aurait dû montrer un visage plus conciliant pour ne pas braquer la gamine. Encore une erreur stratégique... Maudit manque de sommeil... Effectivement, la combienne s'exclama aussitôt :

- On va encore perdre du temps et plus on reste à Castelange, moins on a de chance d'arriver à Blanchecombe. En plus, je ne vais pas écouter tes conseils, qui me dit qu'ils sont bons ? Et... Et c'est moi qui une arme ! Donc, on va où je dis d'aller.

- Ce n'est pas un argument en faveur de l'intelligence de tes décisions, ça, soupira Lucretia en arquant un sourcil.

- Marche au lieu de critiquer tout ce que je fais.

- Je n'aurais pas à critiquer si tu agissais raisonnablement, gamine.

Une étincelle bleue électrique jaillit de l'aiguillon de la pilote. La prisonnière leva les yeux au ciel, soupira et en claudiquant s'engagea la première dans le dédale.

*****************

Sans surprise, elles ne trouvèrent pas la sortie avant que le soleil ne se mette à décliner. En revanche, elles trouvèrent bien des bandits, assez rapidement d'ailleurs, comme Lucretia l'avait prédit, bien que ce ne soit pas le genre de situations où elle était contente d'avoir raison.

Elles n'eurent même pas besoin de les voir pour deviner leur présence. Les deux voyageuses avançaient en silence, ce fut ainsi qu'elles purent entendre des voix d'hommes et de femmes avant de voir les individus eux-mêmes. La teneur de leur conversation sur le vol de la semaine ne laissait pas de place au doute. L'écho était infernal : avec lui, impossible de déterminer précisément où ils se trouvaient.

Dès que les premiers mots avaient retenti, la geôlière et sa prisonnière s'étaient figées, comme pétrifiées. Après quelques secondes, où elles avaient cru les entendre s'éloigner, les conversations avaient repris plus fort que jamais. Inquiète, Charlie avait poussé Lucretia à avancer alors que cette dernière aurait souhaité au contraire ne pas bouger pour ne pas faire de bruit. Et ce qui devait arriver arriva : en se dépêchant, ses chaînes tintèrent comme les cuivres d'un orchestre. Aussitôt, les deux voyageuses purent entendre très distinctement :

- Vous avez entendu ?

- Il y a quelqu'un ?

- On va voir.

- Par-là !

La Stanhope marmonna toutes les insultes qu'elle connaissait à l'encontre la pilote et n'eut plus d'autre choix que de fuir aussi vite que ses liens le permettaient sans se casser la figure. A chaque tournant, elle redoutait de voir apparaître leurs poursuivants. Ne pas savoir exactement où ils se trouvaient, ni même combien ils étaient et surtout ne pas les voir avait un aspect encore plus effrayants qu'une simple course-poursuite en terrain dégagé.

Et comme, tout s'enchaînait de mal en pire, elles finirent en plus par se retrouver complètement bloquées dans un cul-de-sac où poussait un simple genêt dont la cime n'atteignait même pas le sommet de la paroi. Enfer, comment la situation avait-elle pu dégénérer aussi vite ?

- Evidemment ! grinça Lucretia en jetant des coups d'œil inquiets derrière elle.

Les voix et les pas se rapprochaient. Cette fois-ci, elle n'avait plus le choix : Lucretia jura, se tourna vers la jeune fille et tendit ses poignets vers elle.

- Détache-moi.

- Dans tes rêves, reste derrière moi ! protesta sourdement la pilote, l'air affolé.

On ne pouvait retirer à la gamine son courage, mais son entêtement agaça Lucretia.

- Écoute, si tu te bats toute seule, tu n'as aucune chance.

- Non ! Il est hors de question que je t'enlève tes menottes ! Tu es mon ennemi !

- Mais ceux-là aussi ! Ma petite, je n'ai aucune envie de mourir bêtement dans ce ravin ! Libère-moi que je puisse au moins me défendre !

- Non...

Cette fois-ci sa protestation fut moins véhémente à mesure que les cris de leurs poursuivants se rapprochaient. Elle jetait sans cesse des coups d'œil inquiets derrière elle et malgré son sang-froid pour une gamine, son teint avait pâli. Lucretia mit toute son autorité et son assurance dans sa dernière injonction :

- Détache-moi, je t'en prie. Ils seront bientôt là !

La tension monta d'un cran, l'écho de l'escouade était plus distinct. L'adolescente poussa un juron et tira la clé d'une poche de sa veste.

- J'espère que je ne vais pas le regretter, marmonna-t-elle.

La serrure des menottes grinça un instant, puis les cercles de métal à ses chevilles et à ses poignets s'ouvrirent enfin. Lucretia massa ses poignets en poussant un soupir de soulagement et engloba aussitôt les parois du ravin d'un regard. Çà et là, elle apercevait les prises adéquates pour grimper, en se dépêchant, elle pouvait atteindre le sommet sans trop de problème. Elle rassembla en elle les dernières miettes d'énergie qui lui restaient, car il lui en faudrait pour ne pas tomber : mais avait-elle un autre choix de toute façon ?

La gamine ne devait pas savoir grimper, sans quoi, elle aurait immédiatement remarqué les fins replis de roche et ses proéminences pour escalader. Cette dernière paraissait d'ailleurs uniquement concentrée sur l'entrée du cul-de-sac où n'allaient pas tarder à surgir leurs poursuivants.

La Stanhope lui jeta un dernier sourire moqueur en coin, puis profitant de son inattention, elle jeta sur une des parois. Ses doigts et ses pieds trouvèrent les prises très naturellement et les gestes lui revinrent sans qu'elle s'en rende compte.

Pousse sur tes jambes, n'utilise pas que tes bras, contracte tes abdominaux... Cette prise-là est plus haute...

La voix impérieuse de son oncle ne cessait de lui jeter des conseils en vrac. En quelques secondes, Lucretia se trouvait déjà à plusieurs mètres de hauteur, évoluant sur le mur de pierre avec l'agilité d'un lézard. Le temps que la gamine se rende compte de quelques choses, elle avait déjà avalé la moitié de la distance qu'il lui restait à parcourir à la verticale. La seconde moitié fut une formalité et elle atteignit enfin le sommet avec soulagement, alors que ses bras allaient la lâcher. En bas, son ancienne geôlière avait fini par remarquer qu'elle n'était plus derrière elle et hurlait de rage. Elle agitait son aiguillon en l'air, mais cette menace ridicule ne lui servait pas à grand-chose.

- Tu me laisses me faire capturer en bas ! Espèce d'ordure ! s'époumona-t-elle.

- Tu t'attendais à quoi ? Tu allais me conduire à l'échafaud. Allez, sans rancune, petite, sourit Lucretia en lui adressant un petit signe narquois de la main.

- Va en Enfer !

Lucretia ignora ses insultes, se leva et s'enfuit à toute jambe. Derrière elle, les cris se faisaient plus lointains avant de disparaître tout à fait.

*************

Lucretia avait tout donné dans cette poussée d'adrénaline. Par conséquent, sa course fut assez courte, avant qu'elle ne s'effondre au pied d'un arbre, complètement exténuée. Quoiqu'il arrive, elle était incapable de remuer un orteil. La jeune femme tendit l'oreille. A part les piaillements d'animaux et tous les autres bruits habituels d'une forêt, elle n'entendait rien qui puisse témoigner d'une quelconque poursuite. Les bandits avaient dû se contenter de l'adolescente.

Elle ferma les yeux, s'étendit plus confortablement sur le sol puis décréta qu'elle passerait la nuit ici, à l'abri du vent. Ce fut sa dernière pensée avant d'assoupir tout à fait.

Cette fois-ci, même le froid ne parvint pas à la réveiller, preuve qu'elle avait vraiment besoin de dormir, et même pour être franche, elle ne fut pas non plus tirée du sommeil par le soleil. Quand elle ouvrit les yeux, ce dernier était même haut dans le ciel en vérité. Non, elle fut réveillée par un coup de pied dans l'estomac.

La Stanhope hoqueta, et manqua de cracher un peu de bile comme elle n'avait rien dans l'estomac à vomir, puis se retrouva face contre terre à essayer de retrouver sa respiration. La poussière du sol lui rentra aussitôt dans le nez et dans la bouche. Elle toussa à en cracher les poumons, puis les larmes aux yeux, tenta de pivoter la tête pour voir qui avait osé la réveiller de cette manière, alors qu'elle avait enfin réussi à s'endormir.

Elle n'en eut pas le temps car un second coup de pied dans l'estomac l'envoya à nouveau dire bonjour au sol, ponctué par une insulte en prime.

- Espèce de sale crevure de chiures de mouches dégénérées !

Tient ? Elle connaissait cette voix.

- Gamine ? s'enquit Lucretia en levant la tête. Ouch !

Un troisième coup de pied l'empêcha de poursuivre, car c'était bien l'adolescente, trempée de sueur et des feuilles et des branches pleins les cheveux comme si elle s'était amusée à courir dans des arbustes.

Et évidemment, très en colère.

- Tu m'as laissé seule dans ce ravin ! aboya-t-elle.

Lucretia la fixait sans comprendre :

- Comment est-ce que tu m'as retrouvé ? Et par Atalante, comment tu as fait pour t'échapper ? Et comment... ?

Un nouveau coup l'interrompit : en plein torse cette fois-ci. La jeune femme en eut le souffle coupé. Elle entendit alors un cliquetis métallique et avant d'avoir pu faire un geste, elle se retrouva avec une paire de menottes aux poignets.

- Mais c'est pas vrai ! Pas encore ! protesta-t-elle.

Elle eut beau les secouer dans tous les sens, les liens étaient bien réels. Elle poussa un profond soupir et toisa Charlie, qui ne semblait toujours pas calmée.

- Toi alors, tu ne lâches pas l'affaire, grogna Lucretia en s'asseyant en tailleur.

- Non !

La réponse avait au moins le mérite d'être claire, mais elle avait très envie de connaître le fin mot de l'histoire.

- Bon, comment t'es-tu échappé ?

- Pas grâce à toi !

Lucretia leva les yeux au ciel : oui, de cela, elle s'en doutait un peu.

- Sans rire, comment tu as fait ?

- Je les ai assommés, gronda la pilote.

- Toute seule ?

Cette fois-ci, la Stanhope était ébahie. Cette gamine avait mis hors service leurs poursuivants ?

- Ils étaient seulement trois en fin de compte. Il me restait trois cartouches dans mon aiguillon, renchérit la gamine en savourant l'expression d'intense stupéfaction qui déformait le visage de sa prisonnière.

- C'est...

« Impressionnant » allait dire la jeune femme avant de s'interrompre. Pour le coup, Lucretia n'avait pas de sarcasmes qui lui viennent. Enfer, cette adolescente avait plus de cran et de potentiel à revendre qu'elle ne le pensait. Tout à coup, elle songea qu'elle s'était seulement contentée de fuir, et elle piqua un fard.

- Ensuite, j'ai récupéré une des menottes, je n'arrivais pas à porter les autres, puis j'ai grimpé jusqu'en haut en m'aidant avec l'arbre dans le cul-de-sac. Les bandits ont pas su par où on était parti. Je les ai entendus nous chercher dans le dédale longtemps. Moi, je pensais jamais te retrouver, alors j'ai passé la nuit dans un arbre. Et ce matin, j'ai trouvé ça...

- Trouver quoi ? s'enquit Lucretia en se penchant avidement.

Charlie lui décocha un sourire carnassier et pointa des tâches par terre : des traces de sang séché. Il fallut une seconde à peine à la Stanhope pour faire le lien entre ses pieds ensanglantés et les marques de pas. La jeune femme poussa un grognement de dépit en enfouissant son visage dans sa paume.

- J'ai juste eu à les suivre, ricana Charlie en enfonçant bien le clou.

L'adolescence semblait prendre son pied et son expression revancharde tira à Lucretia un chapelet de malédictions.

- Et oui, la vieille, on ne se débarrasse pas de moi comme ça. Va falloir t'y habituer. Bon, on le reprend ce petit voyage ?

Encore un petit/ long chapitre ! Donc dans le vie de Lucretia, "Balade en forêt avec une ennemie" Partie 2 ! La pilote est increvable, il va falloir beaucoup d'efforts de la part de Lucretia si elle veut se débarrasser d'elle. Illustration de "Pourquoi il ne faut jamais sous-estimer un adversaire". Bon et est-ce que vous pensez qu'elles vont réussir à échapper aux bandits comme ça ? Ou alors, vont-elles tomber sur un autre groupe ? Pire ? Les deux ? Que pensez-vous des actions de Lucretia dans ce chapitre ? Au chapitre 11? Vous avez pu constater que la perspective d'assassiner une adolescente ne l'effrayait pas, ici nous l'avons vu en action. Comment va le lui faire payer la pilote ?

Dans la prochaine partie, nous allons retourner du côté de Castelange et plus précisément vers le couple Flamdragon! Vous avez fini par comprendre comment je fonctionne: trois chapitres par trois chapitres... Alors des suppositions ? Cela fait un an que le coup d'Etat a eu lieu. Comment Uther et Morgane se débrouillent-ils ? Sont-ils des tyrans sanguinaires ou de bons monarques ? Comment se passe l'idylle entre Maxime et Fenice ? Préparez-vous à l'introduction de deux nouveaux personnages ("Encore"! Comment ça "encore" ? J'introduis autant de personnages que je veux dans mon histoire, bande de mécréants !

Quoique cela m'amène d'ailleurs à vous poser une question: trouvez-vous que les personnages sont bien caractérisés ? Est-ce qu'on s'y perd? Les reconnait-on tout de suite ? Surtout après des chapitres à être séparés d'eux ?).

Suite mardi prochain ! Prenez soin de vous !

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Crédit image.

"Emeraude" par Alfonse Mucha (j'avoue, j'adore cette peinture... Entre le sourire mauvais de la femme, l'énorme serpent... Tout est cool !)

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