Chapitre 2 - Tourments


À cette heure-ci, Élodie devrait être en cours, comme l'indiquait sa vieille montre au bracelet de cuir rouge usé. Et pour une fois, elle aurait bien aimé être assise à sa table, en histoire-géographie. Il était environ huit heures et demie, et elle marchait depuis une demie-heure, peut-être plus. Les cailloux crissaient sous ses baskets, les sapins se succédaient, devant elle, couvrant le ciel de leurs sombres branches. L'adolescente avait encore mal à la tête, sa nausée n'avait toujours pas cessé, et ses pieds lui criaient de s'arrêter. Mais elle ne s'arrêtait pas. Elle suivait son chemin avec obstination, en direction d'une des petites villes qui bordaient les montagnes, pour trouver de quoi manger. Elle était obstinément déprimée.

Alors, pour se rassurer, elle se répétait, de temps en temps : « On finira bien par s'apercevoir que je ne suis pas là, que j'ai disparu, on finira bien par me chercher. », mais elle n'y croyait pas. Elle avait l'impression qu'elle allait continuer d'errer ainsi, pendant une éternité, incapable de trouver une fin à son périple. Sa situation lui paraissait maintenant presque normale, comme si les choses devaient aller ainsi. Elle n'avait plus la force de les affronter, alors elles les subissaient. Elle attendait tout simplement que cela cesse.

Bien sûr, ce qui lui arrivait n'était pas de sa faute (ou tout du moins pas entièrement de sa faute), mais elle ne pouvait pas s'empêcher de s'en vouloir. La veille au matin, elle s'était disputée avec Liam, un de ses meilleurs amis, et elle ne lui avait pas envoyé de message pour s'excuser, l'après-midi venu (ils n'avaient cours que le matin, le mercredi). À vrai dire, fidèle à elle-même, elle attendait que ce fût Liam qui s'excusât. Mais maintenant qu'elle n'avait aucun moyen de communication, maintenant qu'elle n'était pas sûre de le revoir, elle s'en voulait qu'une si belle amitié se termine si brutalement et de manière si bête.

Elle se sentait bête aussi. Bête de ne pas avoir profité de sa vie tant qu'elle le pouvait, bête d'avoir gâché du temps à se disputer pour tel ou tel détail, bête pour toutes les fois où elle n'avait pas dit « je t'aime » à ceux qui comptaient pour elle. Alors, tout au fond de son cœur, elle se fit la promesse discrète mais sincère que si elle avait de nouveau l'occasion de vivre, elle le ferait pleinement, sans se soucier de rien, en pardonnant tout pour ne rien garder sur le cœur, entourée de ceux qu'elle aimerait.

Puis ses pensées se tournèrent vers son père. Il avait dû l'appeler plusieurs fois, la veille -il l'appelait au moins deux fois par semaine, le mercredi soir et le samedi-, et il devait se faire un sang d'encre : sa fille disparaissait, et lui, impuissant à cause de la distance, ne pouvait strictement rien faire. Mais Élodie connaissait son père : dès qu'il en aurait l'occasion, il rentrerait en France pour rechercher lui-même sa fille. Alors, tristement, elle baissa la tête. La peine qu'elle causait à son père l'abattait davantage encore. Puis, lassée par la monotonie de son parcours, elle laissa son esprit digresser. Son père appellerait alors la police. Elle se voyait déjà en photo, passer sur toutes les télévisions de France, accompagnée du logo rouge et blanc « alerte enlèvement », à côté du texte défilant décrivant le contexte de sa disparition. Mais les forces de l'ordre auraient beau retourner tout le Haut-Rhin, ils ne la retrouveraient pas : ses ravisseurs l'auraient déjà depuis longtemps attrapée...

Élodie s'arrêta un instant et s'adossa au tronc d'un arbre. Elle ferma les yeux, et inspira profondément. Son père avait raison. Bien sûr : son père avait toujours raison. Seulement, cette fois, elle ne l'avait pas écouté, elle lui avait désobéit. Elle aurait dû se douter que c'était une mauvaise idée. À vrai dire, elle s'en était doutée, elle l'avait su, même. Mais elle ne s'était pas écoutée. Elle avait préféré fermer les yeux plutôt que de voir la vérité. Oui, tout cela était de la faute d'Alexis, mais au fond, elle aussi avait sa part de responsabilité.

À la simple pensée de son ex-petit ami, la nausée de l'adolescente redoubla. Pourquoi tout devait sans cesse se ramener à lui ? Pourquoi ne pouvait-elle juste pas l'oublier ? Sa respiration devenait de plus en plus difficile, son énergie vitale circulait de moins en moins, son esprit était de moins en moins clair...

D'un coup, son pied dérapa, et elle manqua de peu de se retrouver par terre à dévaler la pente. Elle s'était rattrapée de justesse à la branche d'un sapin, qui se trouvait là.

Elle devait se remettre en route. Son ventre fit savoir par un gargouillis impromptu qu'il approuvait cette décision. Il faut savoir que son dernier repas remontait presque au petit-déjeuner de la veille, et elle se contentait généralement d'au moins deux repas par jour. En rentrant du lycée, elle avait préféré à son déjeuner le fond d'un paquet de chips de crevette, et elle n'avait pas pu prendre un dîner correct, étant donné qu'elle n'avait mangé qu'une dizaine de spaetzle, lorsque des inconnus avaient commencé à défoncer sa porte d'entrée. Puis, après une brève et douloureuse confrontation, elle s'était enfuie dans les montagnes, par son jardin, en emportant avec elle les seuls objets qu'elle avait sur elle : un sweat-shirt noir, un T-shirt, un jean troué, ses baskets, sa vieille montre rouge, et un porte-monnaie qui contenait seulement six euros. Une chance que sa maison jouxte ainsi la forêt. Elle avait couru toute sa peur, jusque haut dans les sommets ; jusqu'à se perdre et ne plus savoir même dans quelle direction étaient Guebwiller et sa maison. Sa course lui avait paru plutôt courte, mais elle s'apercevait maintenant qu'elle devait avoir couru une heure au moins pour se perdre ainsi.

D'ailleurs, elle avait totalement oublié les routes par lesquelles elle était venue. Quand elle était sortie de son abri, le matin même, elle avait donc trouvé un sentier, qui menait à une route. Elle avait ensuite commencé à descendre le pan de la montagne en suivant cette dernière, jusqu'au moment où elle avait réalisé que si elle devait croiser un des individus qui l'avaient pourchassée la veille, ce serait sur une de ces routes. Elle avait donc ensuite décidé de suivre les routes, mais cette fois légèrement en contrebas, cachée par les centaines de sapins qui s'alignaient sur le flanc de la montagne. Sa progression était ainsi lente et difficile, principalement à cause de l'inclinaison du sol, mais Élodie préférait de loin marcher lentement et être en sécurité plutôt qu'aller plus vite en étant à découvert et ainsi risquer de rencontrer les brutes qui avaient tenté de l'enlever.

La lycéenne songea alors qu'en ville, elle serait à découvert, et elle aurait bien du mal à se cacher. Mais c'était un risque à prendre.


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Hey ! J'espère que vous avez apprécié ce deuxième chapitre ^^

Alors c'est vrai, il n'y avait pas beaucoup de révélations, mais il y avait quand même quelques petits indices...

J'ai dû m'y reprendre à deux fois pour écrire ce chapitre, parce que la première version ne me plaisait pas. J'aime bien celle-ci, mais ensuite, à vous de juger si c'est réussi ou non ! 😉

Ne vous inquiétez pas, de plus grosses révélations arrivent bientôt ! 😝

Allez, la bise, à la prochaine ! ❤

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