Chapitre 17
Étrangement, je file dans les couloirs de l'hôpital comme dans ceux du métro maintenant que je connais le chemin par cœur. Mais ici, impossible de faire abstraction du décor et des odeurs, j'ai essayé pourtant. C'est toujours aussi lugubre et la chanson qui passe dans mon casque n'aide pas. Le paradis blanc de Michel Berger s'est lancé lorsque j'ai franchi le hall d'entrée. J'aurais pu passer à une autre, zappant ce titre mais je ne peux nier la réalité de ce que vit ma mère, de ce qui nous arrive. Alors je laisse la musique et les paroles accompagner la montée dans l'ascenseur. Le ding annonçant l'arrivée coïncide avec les dernières notes. Un morceau plus insouciant et guilleret débute, une chanson de discothèque invitant à bouger son derrière, sans écouter réellement les paroles qui n'avaient aucune importance sinon t'inviter à danser. Je remercie le choix aléatoire d'alléger mon humeur qui s'assombrissait avant que ne franchisse le seuil de la porte de la chambre de ma mère.
Lorsque j'entre, Maman est paisiblement installée dans son fauteuil près de la fenêtre à lire. Je suis surpris de voir entre ses mains, l'une des dernières romances à la mode, loin des souvenirs des Goncourt, des Pléiades et autres livres très sérieux qui trônaient dans les bibliothèques de son bureau dans la maison de mon enfance. Elle sourit aux mots qu'elle lit, je n'ose pas annoncer ma présence, je la laisse profiter de ce moment serein. Elle a le droit à cette bulle d'insouciance. J'engorge ma mémoire de cette image d'une mère détendue que je n'avais jamais connu avant qu'elle m'enjoigne à venir la voir dans la clinique. Mes doigts me démangent de prendre un crayon à papier et de griffonner son portrait sur mon carnet. Puis merde, je cède à cette pulsion.
En étant le plus discret possible, je pose mon sac à dos au sol et en extrais mon matériel. Je m'appuie contre le mur et me fais glisser contre lui jusqu'à m'asseoir au sol. Trait après trait, le blanc se noircit et une silhouette prend vie. Une autre page, un autre dessin, son visage, ses yeux brillants d'un bonheur certains. Feuille suivante, je m'attarde sur d'autres détails. Et je saisis sa fragilité, les traces quasi imperceptibles de sa maladie : les cernes sous ses yeux, le teint blême malgré le maquillage discret, la perruque qui a glissé légèrement dévoilant la perte de ses cheveux consécutive à sa chimiothérapie.
Au bout d'un petit moment, elle réalise ma présence lorsque la sonnerie de mon téléphone résonne dans le silence des lieux attirant l'attention sur moi. Aucune question sur ce que je fais assis par terre dans sa chambre. Maman n'est pas du genre intrusif, elle n'exige pas de voir ce que je dessinais. Elle m'invite simplement à lui faire la bise pour lui dire bonjour.
Je m'approche, susurre les mots qu'elle me quémande sans rechigner, pas comme qu'enfant ma nourrice nous imposait d'embrasset ses parents si inconnus chaque jour. Là c'est franc et non distant. Ses bras autour de moi, son parfum m'enveloppant, ce câlin sont tous ce que j'avais besoin sans le savoir. Je le savoure, le prolongeant et lui rendant une franche accolade.
— Comment vas-tu... PEM ?
Cette phrase débute une longue discussion d'une banalité affligeante mais l'un des premières sincères entre nous. Le temps file sans que je m'aperçoive ponctuée de bip de ma messagerie.
— Regarde fils ! c'est peut-être important.
J'ouvre mon téléphone portable. Plusieurs textos, un du cabinet d'avocat me rappelant un ultime rendez-vous avec un juge pour finaliser le transfert de tutelle. Je l'ajoute à mon agenda et paramètre une alarme. J'en l'en informe vu qu'elle avait hâte que je prenne sa place auprès de sa sœur. J'apprécie de lui enlever ce poids sur ces épaules, ça me rend fier. Un second d'un de mes amis m'invitant à prendre un verre ce soir dans un bar où nous avons nos habitudes. Celui-ci est doublé par un autre membre de la bande et même triplé. C'est seulement que je me rends compte que je les ai négligés depuis lui et... Et lui ne me recontacte pas alors que j'ai fait le premier pas vers lui. Tout le contraire de ce que je m'étais juré de faire. De colère, je pose rageusement l'objet de ma contrariété sur la tablette roulante à côté du lit faisant trembler la carafe posée dessus. Pas assez discret, trop voyant pour ma mère qui a pris l'habitude d'observer son environnement depuis que sa vie est limitée à sa chambre d'hôpital.
— Qu'est-ce qui te contrarie ainsi ?
— Rien... tenté-je de mentir avant de me reprendre. Tout, finis-je par avouer devant son regard maternel plein d'inquiétude. Maman, j'ai l'impression que ma vie explose en ce moment. Je l'aimais bien ma petite tranquille et puis...
— Et puis, je l'ai fracassé avec mes exigences. Je suis désolée fils, je...
Je l'arrête d'un geste, ce n'est pas qu'elle, c'est un tout.
— Non Maman, ne le soit pas. Je déteste ce mot. Il m'énerve plus qu'il me pousse à accepter des excuses des gens qui le jettent à la figure des autres sans le penser. Ce n'est pas toi de toute façon, c'est un ensemble de choses. J'ai l'impression que tout se cumule en ce moment. Tu vois ce que je veux dire. Les emmerd..
Je stoppe face à son regard dû à ce gros mot et je me reprends.
— les ennuis qui s'enchaînent à d'autres, comme si tout venait par série.
— Jamais deux sans trois ! affirme-t-elle comme le disait toujours...
— Marie-Paule, complété-je, lorsqu'elle ratait les trois premières crêpes avant de réussir son immense pile avec facilité.
Ce moment de complicité spontanée me fait me rapprocher un peu plus de Maman brisant encore plus les souvenirs que j'avais de Marie-Clotilde pour les remplacer par celui-ci.
— Et qu'est-ce qui est pire dans cette série d'accumulations ? me questionne-t-elle. Ma maladie et ce qu'elle implique, mes secrets que tu découvres, ma demande envers Katy, revoir ton frère, des tensions envers ton compagnon, autres choses ? Priorise-les PEM puis surmonte-les, une à la fois de la plus simple à la plus compliquée, me conseille-t-elle avant qu'un bip émît par mon téléphone ne nous fasse sursauter tous les deux.
On observe l'objet du délit qui vibre maintenant sur la tablette pour compléter l'annonce sonore, avant de se regarder l'un l'autre. J'hésite l'attraper, les yeux bienveillants de ma mère me poussent à le faire finalement. Mon doigt glisse sur l'écran révélant le nom de l'expéditeur. Thomas, mon cœur fait un bon dans ma poitrine et je ne peux retenir l'exquise d'un sourire.
— Alors ? s'inquiète-t-elle.
Je lis les mots jusqu'à ces émoticônes, ces cœurs qui signent autant son message que l'initiale de son prénom. Une fois, deux fois pour être sûr de son contenu, de tout saisir.
Chaque heure loin de toi est une torture surtout en sachant que tu as besoin de soutien.
Est-ce ça aimer ? Je le pense.
Chaque instant manqué à deux me ronge de l'intérieur, un peu plus.
Est-ce cette douleur lorsque je ne suis pas à tes côtés ? Oui mais pas seulement
Chaque jour cette distance entre nous s'agrandit à cause de mon travail et de la vie qui n'est pas rose envers nous.
Est-ce aussi ce manque ? Sûrement.
Chaque nuit, je rêve de te rejoindre pour me faire pardonner et te faire oublier ta souffrance.
Est-ce cet espoir ? Je le crois, PEM.
Mais c'est aussi laisser à l'autre du temps et de l'espace pour lui-même quitte à en souffre.
Alors comme je t'aime comme il n'est pas permis, je te l'offre.
Je ne serais pas un amant égoïste qui ne pense qu'à son bonheur avant le tien.
Sache que je suis là dans l'ombre, tous près, et prêt à reprendre ma place à tes côtés dès que tu me feras signe pour te soutenir dans le meilleur comme le pire.
<3 <3 <3 T.
Les derniers mots sonnent comme une promesse d'un avenir. Que répondre à ce genre d'assertion si forte. Je suis coi et en même temps j'ai envie de crier ma joie. Un grand OUI au bord de mes lèvres. Oui à son amour, oui à sa présence, oui à l'intégré dans ma vie pour les bons comme les mauvais moments. Oui, mais !
Mais Maman a raison, Thomas n'est pas la priorité numéro un en ce moment même si je le désirais profondément. Il se tient devant moi, elle a besoin d'être rassurée et d'âtre accompagné jusqu'à... Je ne veux pas y penser. Elle a besoin de moi et je me dois d'être là. Puis, elle n'est pas la seule dont je dois prendre soin. Il y a Katy à protéger de l'avidité de père avant de dire à Thomas cette réponse qui me brûle les lèvres. Alors, je réfléchis à la réponse que je m'apprête à lui envoyer. C'est rapide, ça fuse dans ma tête. Je crayonne sur une page ce que j'ai en tête puis capture en photo mon dessin de nous deux sur un canapé dans une scène banale de vie commune, nos doigts amoureusement entrelacés, que j'accompagne d'un simple bientôt. J'espère qu'il remarque le subtil détail. Je caresse les anneaux que j'ai ajoutés sur nos mains d'un coup de trait appuyé.
Le téléphone retrouve ma poche, et je lance une discussion avec Maman sur sa lecture.
— Il est bien ton livre ?
Je ne m'attendais pas son s'enthousiasme sur cette romance de croisière. Elle s'extasie sur le fait qu'il y ai deux couples : un hétérosexuel et un homosexuel sans aucune différence de traitement entre les deux. J'en apprends plus sur l'auteure et sur l'histoire elle-même, les amours d'une mère et de son fils. Elle adore le ton plein d'humour du livre et m'assure qu'elle me le prêtera après l'avoir fini. Je n'ose pas lui avouer que je lis peu, je n'ai plus trop le temps de le faire comme lorsque j'ai enfant enfin je préfère profiter de mes heures libres pour dessiner ou sortir avec mes amis.
On toque à la porte, une infirmière entre avec son chariot pour faire son travail. Je fais donc mes adieux à Maman en lui promettant de revenir après-demain après ma sortie avec Katy.
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