Chapitre 15

Les avocats de ma mère sont d'une efficacité redoutable, elle les paie grassement pour ça vous me direz. C'est pour ça que dès mon réveil, j'avais un rendez-vous fixé pour neuf tapantes. Dès la lecture du message, j'ai enclenché le mode speed, un petit-déjeuner sur le pouce, une douche réduite à sa plus simple expression puis j'avais presque couru pour rejoindre le métro en suivant le rythme d'une musique qui coulait dans mes oreilles. Ce fût limite une bataille pour être à temps au cabinet vu à quelle heure je m'étais levé, mais finalement j'y étais arrivé. Je reprends mon souffle, vérifie l'heure. C'est bon, je passe la porte cochère de cet immeuble de standing dans ce quartier chic. J'ai l'impression de détonner par rapport à l'homme qui me précède. Costume très classique mais luxueux et cravate de grande marque comme mon père et mon frère portaient et portent encore. Dans l'ascenseur, il me fait face et me juge de haut en bas. J'appuie sur le bouton de l'étage. Dans le miroir, il me reluque sans vergogne sur mauvais fond de La Lettre à Elise. Qu'est-ce qu'y cloche chez moi ? Mes baskets sont propres. Mon pantalon noir n'a aucune tâche et bien repassé, je l'ai vérifié avant de le mettre. Mon blouson noir n'est pas trop criard mais c'est vrai qu'il démontre ce que je suis un travailleur ordinaire, très loin des moyens que le blond affiche comme un étendard. Il m'énerve ce mec avec son regard qui traîne sur mon corps. Je ne peux me retenir.

— Désolé, je ne savais pas qu'il y avait un dress code pour venir ici en rendez-vous ici, l'attaqué-je.

Je suis heureux de quitter l'ascenseur et d'aller rejoindre immédiatement le secrétariat, le laissant figé sur place à cause de mes mots acides. Je souris fier de moi.

Dès que je m'annonce mon nom de famille à la jeune femme à l'accueil, tout se bouscule autour de moi. Ce nom fait toujours de l'effet il semble. Oui, Monsieur Martens. Par ici Monsieur Martens. Que de courbettes et de belles manières trop sirupeuses à mon goût, je déteste mais je fais avec, je me retiens d'être cinglant avec la demoiselle, elle ne fait que son travail.

Prestement, on m'amène dans une salle de réunion où je retrouve l'homme de l'ascenseur et trois autres personnes que je reconnais aussitôt. Plus d'une fois, je les ai croisés dans les évènements mondains auxquels j'avais obligation d'assister plus jeune. Les deux frères Bloom, Armand son cadet Bertand et Monsieur Leviel qui n'a jamais aussi bien porté son nom, tous ces cheveux étaient blancs comme neige. Les trois mousquetaires comme je l'appelais, enfant, constituaient la garde rapprochée de Maman depuis toujours. C'était ceux contre qui mon père râlait car ils ne lui étaient pas loyaux mais uniquement envers à sa femme. Je les appréciais car ils avaient toujours refusé de se corrompre à ses côtés dans « ses affaires » à la limite de la légalité. Maintenant, ils sont quatre et méritent enfin leur surnom. Ils me saluent les uns à près les autres. Je ne peux m'empêcher de sourire quand le dernier se présente.

— Maître Pierre Auffret.

Oui, « mettre au frais », voilà ce qu'il promet avec son regard de glace et son air pince sans rire.

— C'est notre nouvel associé qui s'occupera de cette transaction alors, je lui laisse vous expliquer la charge juridique qu'implique l'ensemble des documents, ajoute Maître Leviel en me laissant aux bons soins du blond.

Je regarde la pile imposante posée sur la table. Je sens que ça va être aussi long et pénible que le discours de fin d'année du Président de l'université. Alors, je vais faire comme lors de ce genre de symposium, je vais sourire et hocher la tête de temps en temps en pensant à autre chose.

Les pages se ressemblent toutes du charabia juridique que je survole. Étrangement docile, je fais ce qu'on me dit, je paragraphe là où le doit me montre. J'écris P.E.M à chaque fois qu'on me le demande. De temps en temps c'est ma signature qui est exigée alors je la trace avec autant de célérité que de nervosité. Je n'en reviens de tous ses papiers exigés pour la tutelle de Kathy et la gestion du fond associé. Ça m'angoisse un peu. Cependant, je n'ai pas le choix. C'est ma responsabilité, mon devoir même. La longueur de ses démarches me rappelle juste l'importance de la décision que j'ai prise.

Un tas de feuilles de plus, et je continue presque sans interruption, à moins qu'un minuscule expresso avalé cul sec ne compte. La brûlure amère du café m'avait donné juste le coup de fouet nécessaire pour continuer cet exercice oppressant. Je signe encore et encore sous l'œil attentif de la cohorte d'avocats, surtout d'un, le plus costume-cravate de l'ascenseur qui me met mal à l'aise.

Lui ne me quitte pas des yeux bleu pâle depuis que j'ai relevé les manches de ma chemise tout à l'heure. Il avait fixé mon bracelet tressé arc-en-ciel qui je porte sans peur pour annoncer mon appartenance au mouvement LGBT.

Un instant, j'avais eu envie de le rembarrer et de lui demander si ça le gênait que j'aime les bites et les culs quand j'avais compris que non, c'était même tout le contraire.

Merde ! Pas de ça !

Pour me remettre de cette information gênante, avec calme j'ai juste bu le verre d'eau servi avec le café ; puis j'ai continué le travail qu'on m'avait attribué depuis tout à l'heure.

Je ne vois plus le temps passé. Je sens la fatigue qui monte en moi. Je roule mes épaules. Je souffle un grand coup et continue. Les feuillets passent d'un côté à l'autre de l'immense table de réunion. Je n'ose pas regarder.

Et puis merde !

Je le fais, celui des non signés ne se résume plus qu'à quelques pages. Je ne peux pas retenir un petit son de soulagement à cette vision faisant sourire. Le jeune loup aux dents longues qui me fait face. Je trouve qu'il me fixe un peu trop d'intensité. Ses yeux clairs me glacent le sang et me chauffent la peau. Le soupçon de désir que j'y lis me trouble. Je ne devrais pas mais je ne suis qu'un homme donc faillible et faible par nature.

Je contresigne le dernier endroit désigné et m'apprête à fuir avec une véritable excuse.

— Merci encore de votre diligence. Je m'excuse Messieurs mais je dois vous quitter pour rejoindre Mère.

Je n'en reviens pas du ton pédant, du phrasé que j'ai utilisé. Je pensais avoir oublié ses drôles de manières depuis que je vivais à Paris. Mais non. Je me suis tellement peu à ma place ici que c'est ressorti. Mon éducation désuète est devenue ma protection.

— Nous le comprenons très bien Monsieur Martens, répond le jeune affamé, mais permettez-moi au moins de vous raccompagner.

Je ne peux pas refuser ce geste de politesse devant ses associés alors j'accepte avec une idée en tête : le remettre rapidement à sa place. Lui démontrer que ce qu'affirment son attitude et son regard ne me plaît pas. Monsieur désire me croquer le cul tout cru. Moi je ne suis pas une proie fragile pour ce jeune loup aux dents longues. Dommage pour lui, je peux être parfois patient avant de mordre ma victime.

J'attends donc que les portes de l'ascenseur se referment pour m'éloigner rapidement de la main de Monsieur l'affamé m'avait collé dans le dos.

— Pas touche mon grand ! Propriété privé, sifflé-je ! On recule, insisté-je. J'aime mon espace vital.

— Sûr et certain ? m'interroge-t-il l'œil coquin et le sourire goguenard.

— Oui, je suis affirmatif sur mon absence d'intérêt pour vous. Puis de mon père j'ai appris, une chose. Enfin, pas vraiment ! J'applique le contraire de ce qu'il fait. Moi, je ne mélange pas le travail et le plaisir. Alors, tu vas rester sur ta faim et garder ta place de sous-fifre car ce n'est pas en me sautant que tu graviras les échelons de la haute société.

J'apprécie de voir ce petit con abaisser le regard à chacun de mes mots.

Son oui « Monsieur Martens » affirme qu'il n'est pas si idiot que cela, juste trop ambitieux.

— Pour info, j'ai été banni alors ça ne t'aurait rien apporté sauf un bon moment ! conclus-je en sortant du bâtiment.

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