Chapitre 7 - Berlin, le soir
5 novembre
Toute l'équipe profite de quelques heures de sommeil bien mérité, et puis la même rengaine que les autres jours se met en marche : on déjeune chichement, on se rend à la salle de concert, on installe et teste le matériel. On boit quelques bières. Même si on ne peut pas dire que les jours se ressemblent, certains détails restent immuables.
Peter semble en forme, on dirait qu'il a oublié l'incident de la soirée précédente. Carl a toujours trouvé sa capacité à se remettre de ses gueules de bois stupéfiante. C'est peut-être d'ailleurs en partie à cause de ça qu'il n'arrive pas à décrocher.
Une heure avant le début du spectacle, les garçons écoutent la salle se remplir. Ils sont chauds. Après ce soir, ils auront un break de presque 15 jours avant de remonter sur scène. Carl se demande s'il ne devrait pas profiter de ce temps mort pour parler à Pete. Il sait que son ami a prévu de le passer à Paris, peut-être devrait-il l'accompagner ?
Plus l'heure approche et plus il se sent fébrile. C'est idiot. Il a déjà tant de concerts à son actif, il n'a aucune raison d'être stressé à l'idée d'un nouveau à y ajouter. Quand le signal de début retenti, il bout de l'intérieur. Dés les premiers morceaux, il s'agite comme une pile électrique. Il hurle dans son micro lors de ses solos, calque son rythme sur celui de Pete quand ils chantent ensemble. Il se sent électrisé.
Est-ce sa confession qui lui a libéré l'esprit ? Le fait qu'il aie décidé de parler à Pete ? Enfin, il ne l'a pas encore décidé, mais il y pense. Il a appris en se levant que Katia avait du repartir dés leur arrivée. Ce n'est pas un mal. Il se sent pousser des ailles.
Il se traite d'idiot.
Si Pete est heureux avec elle... Mais il revient justement à la charge, collé à lui pour chanter sur Can't stand me now.
Le front chaud de Pete contre sa joue, son nez heurtant le sien comme lors d'un baiser maladroit, l'odeur de ses cigarettes, de sa sueur... Il se sent repartir dans un état proche de celui qui a conduit à la prestation parisienne.
Il veut la revivre.
Et cette fois, il ne fuira pas.
Qui aurait pu croire à leur arrivée à Berlin que le show serait si sensuel ? Aucun membre de l'équipe, pour sûr. Et pourtant, rapidement on ne compte plus les embrassades, les rapprochements, les lèvres qui se collent pour chanter dans un seul micro, les mots prononcés loin des oreilles du public, chuchotés, avoués, déclamés, si près l'un de l'autre qu'aux yeux de la foule il ne peut s'agir que de mots d'amour.
La sérénade dure ainsi près de deux heures. Lors du rappel, dés le milieu de la première chanson, Carl s'agrippe à son partenaire. Il a une idée très précise de ce qu'il fait. Il ignore si c'est bien, si c'est mal. Il y a réfléchi durant le concert, alors que la tension montait entre eux. Il s'est dit que ça ne pouvait pas faire de mal. Que tout ce qui pourrait en résulter ne serait qu'amour.
Alors il se lance. Comme on se jette du tremplin le plus haut à la piscine. Sans regarder en bas. Sans se poser de question. Avec foi.
Entre deux changements de guitare, il passe ses bras autour du cou de Pete. Il l'embrasse sur la joue. La foule crie. Il lui glisse à l'oreille :
— J'ai très envie de t'embrasser.
Pete se retourne vers lui, l'air surpris.
— J'en ai envie comme jamais.
Puis il le relâche, reprend sa guitare et cours jusqu'au micro, où il se met à chanter.
Pete est perturbé. Peut-être craint-il ce qu'il vient d'entendre. Mais il reprend lui aussi le morceau. S'installe à son propre micro. Chante.
Il ne lui faut pas si longtemps pour reprendre le contrôle. Assez pour qu'un œil averti se rende compte qu'il se passe quelque chose d'anormal, mais ils sont rares ces yeux-là dans le public, et ceux qui le remarquent passent rapidement à autre chose.
Pete revient vers Carl, se penche vers lui. Et ils chantent. Ils chantent.
Ils chantent.
Leurs bouches collées, leur corps en sueur, tendus. Ils chantent. Pour oublier l'excitation. Pour la faire monter.
Quand ils entament la dernière chanson, ils ne forment déjà presque plus qu'un.
John se retourne de nombreuses fois vers Gary. Est-ce qu'il y comprend quelque chose ? Est-ce qu'il sait ce qui se passe ? Le batteur est aussi désorienté que lui. Après la confession de Carl, le matin même, il n'aurait jamais imaginé un concert pareil. Ont-ils discuté en son absence ? Non, impossible. Ils ont été ensemble tous les quatre toute la journée. Que ce sont-ils murmurés durant les dernières 120 minutes ? Il fait signer à John de laisser tomber. Tant que ces deux-là se rabibochent, rien n'a d'importance. Et si leur lien peut se renforcer en jouant ainsi les Roméo et Juliette sur scène, ça ne peut être que positif pour tout le monde.
Le concert est terminé. Gary rejoint John pour saluer. Carl se vautre dans les bras de Pete. Tous deux vacillent. Trébuchent. Et tombent.
Carl en profite. Ses mains sur les joues de Pete, il l'embrasse sur le front. Ses mains faisant écran au public, au moins un peu, il l'embrase pour de vrai.
C'est bref. Extrêmement cours. Et ils gardent les yeux ouverts. Mais c'est sa déclaration.
Il se relève, tend une main à Pete et le remet sur pied. Ensemble, ils rejoignent Gary et John. En se tenant par les épaules tous les quatre, ils saluent. Encore. Et encore.
Sortir de scène, c'est prendre un risque. Celui que tout s'arrête. Mais c'est aussi une chance, celle de ne surtout pas s'arrêter.
Ils sortent enfin, et on les félicite. Ce show était super, génial, absolument parfait.
Tout le monde se dirige vers les loges, John et Gary en tête. Carl promet qu'il arrive, qu'il en a pour deux minutes. Il retient Pete par la manche. Personne ne le remarque. Pete assure qu'il va arriver, qu'il passe juste aux toilettes.
Quand il ne reste plus personne qu'eux dans le couloir, Carl se retourne, il plaque Pete au mur. Il se fait la réflexion que c'est la deuxième fois en deux soirs. Mais quand il attrape son visage, qu'il voit les lèvres de Pete entrouvertes, ses yeux toujours aussi amoureux que cette nuit-là, dans un hôtel minable, il y a 20 ans, il oublie la soirée d'hier. Il l'embrasse. Se colle à lui. Se fond dans son âme.
Quand des bruits leur parviennent des backstages, une porte qui s'ouvre, un rire, des pas qui viennent dans leur direction, Carl agrippe la main de son partenaire et l'entraîne dans la nuit.
Leur hôtel ne se trouve qu'à cinq minutes à pieds. Il leur en faut 15 pour arriver.
Carl se voit revenu à ses 15 ans. C'est absurde, il a presque trois fois cet âge. Mais il se sent jeune à nouveau. Et amoureux.
Merde. Il l'est.
Carrément.
Il envoie un message à Gary, lui dit qu'ils sont rentrés se coucher, trop fatigués.
Il ne gobera jamais un poisson de cette taille. Tant pis. Il en sait déjà beaucoup.
Il entraîne Peter jusqu'à sa chambre. Et il se sent maladroit, gourd, à fleur de peau. Il lui tient encore la main quand il referme la porte. Il n'a pas d'hésitation, mais il aimerait être sûr qu'il fait ce qu'il faut. Comme pour lui répondre, c'est Pete cette fois qui l'attire à lui. Il est doux. Ne semble pas avoir conscience de l'empressement de Carl. Il frotte son visage dans son cou. Y dépose quelques baisers. Carl ferme les yeux. Cela fait si longtemps. Il passe une main dans les cheveux de Pete. Respire son odeur. Un mélange de tabac, de bière, de sueur. Il sourit. Ça ne devrait pas l'exciter. Et puis, derrière tout ça, il y a la seule vraie odeur qu'il recherche. Celle de Pete. Il inspire encore. Referme ses doigts dans les cheveux humides de transpiration et de la pluie qui tombe finement au-dehors. Il écarte sa tête de son cou. Veut plus. Encore plus. L'embrasse. Pete fait un pas en arrière sous l'assaut. Il renverse une table d'appoint où étaient posés des prospectus. Ils ont un rire nerveux. Pete se penche, embrasse Carl à son tour. Au diable la table. Au diable le reste du monde.
Carl rompt le contact, s'écarte. Reprend la main de Pete et l'entraîne. Devant le lit, il s'arrête. Glisse sur le côté. L'embrasse encore. S'arrête et le pousse.
Pete tombe sur le dos, arrêté dans sa chute par le lit moelleux. Il se redresse sur les coudes, regarde Carl se délester de sa chemise. Il a toujours aimé le regarder, mais là, il est plus beau qu'il ne l'a jamais été. Carl le regarde aussi. A ce regard qui fait fondre toutes les groupies. Fait ce mouvement de la tête qu'il fait quand il ne sait pas quoi dire, qu'il est un peu gêné, sorte de hochement accompagné d'un regard de côté. Et Pete aussi fond. Carl se glisse sur le lit à son tour, le chevauche. Peter pose les mains sur ses hanches. Le sent respirer plus fort. Il a touché sa peau plus souvent qu'il ne saurait le dire, mais cette fois tout est différent. Tout est amplifié. Est-ce qu'il est en plein délire ? Les mains de Carl sur son torse l'empêchent de trop y penser.
Carl se penche. Embrasse Peter sur la tempe. Descend. Ses lèvres sont empressées, son cœur enflammé. Ses cheveux chatouillent le cou de Pete, sa joue, son nez. Il ne se lasse pas d'embrasser sa peau. Leurs joues se frôlent. Les mains de Pete sont remontées dans son dos, le caressent, plus tendrement que jamais. Carl voudrait le voir plus excité, plus nerveux. Est-il le seul à être dans cet état ? Il embrasse le coin de sa bouche. Sent les mains dans son dos le presser plus fortement. Prend appui sur ses coudes. Va chercher sa langue. Se cambre sous les caresses.
Il se redresse soudain. Haletant. Assis sur les cuisses de Peter, il tire sur son t-shirt, l'attire à lui. Quand Peter se redresse à son tour, il le débarrasse du vêtement, l'envoi à terre.
Tous deux torses nus, face à face, ils se dévisagent. Leurs bouches entrouvertes, mélangeant leurs souffles. Ils se regardent. Prennent la mesure de ce qu'ils sont entrain de faire.
Pete est le premier à bouger. Avec ses yeux de chiot dévoué, il rendrait n'importe qui fou amoureux. Il veut parler. Se retient. Ce moment ne tient qu'à un fils. Ne pas le détruire avec des paroles. Il lui lèche l'oreille, pince son lobe de ses lèvres, embrasse sa mâchoire. Les doigts de Carl, enfoncés dans les muscles de son dos, laissent des traces. Il se raccroche à lui. Comme s'il allait se noyer. Comme s'il suffisait d'un mauvais mouvement pour qu'il sombre à tout jamais.
Carl a peur. Car c'est ce qu'il redoute. Mais l'excitation et le bonheur de ce moment ont fait céder ses appréhensions. Il croise ses bras derrière la nuque de Pete. Enfoui son visage dans son cou. Se serre contre lui de toutes ses forces. Il ne le lâchera plus. Que pour monter sur scène. Et exposer leur bonheur nouveau aux yeux de tous.
Il entend son cœur battre tellement fort. BOUM BOUM BOUM. BOUM BOUM BOUM. Il entend Pete appeler son nom. CARL. CARL. CARL. Pourquoi crie-t-il ainsi ? Des murmures conviendraient mieux. Et son cœur qui bat encore la chamade. BOUM BOUM BOUM.
Pete a arrêté de l'embrasser. Il regarde la porte. BOUM BOUM BOUM. Carl comprend. Ce n'est pas son cœur, mais la porte. La voix crie encore son nom. Il ne l'a pas reconnue tout de suite, mais il est maintenant presque sûr qu'il s'agit d'un des roadies. Peut-être même l'assistant du manager. Celui qui le suit partout comme un petit chien. Pourquoi vient-il gâcher ce moment ? Il lui répond.
— Pas le moment.
Appuie son nez contre l'épaule de Peter. Ferme les yeux. Mais l'autre insiste.
— C'est important.
— Putain...
— Carl ! C'est Pete...
Carl se dégage, marche jusqu'à la porte et l'ouvre en grand. La main toujours sur la poignée, il demande :
— Quoi Pete ?
— Il a disparu, s'emballe le roadie. Il doit à peine avoir 20 ans et aucune expérience. Pourquoi le manager s'encombre-t-il de ce type ?
Carl fait un mouvement de tête vers la gauche, invitant le gamin à jeter un œil. Ce qu'il fait.
La vue de Pete à moitié allongé sur le lit lui arrache un « Ah » rassuré, et il se met à sourire. Jusqu'à ce qu'il se rende compte de ce qu'il a sous les yeux. Son regard passe alors au t-shirt roulé en boule par terre, à la chemise de Carl dans le même état, à la table basse renversée et aux prospectus éparpillés, avant de remonter au visage de Carl et de le voir enfin tel qu'il est à cet instant. Transpirant. Ébouriffé. Terriblement sexy dans son agacement. Haletant.
— Oh...
Carl le toise, hausse les sourcils, incline le visage. N'a pas besoin de plus pour lui faire comprendre qu'il est de trop.
Le gamin s'excuse. A un rire nerveux. Recule d'un pas. Et la porte se referme devant lui.
De l'autre coté, la magie s'est brisée.
Carl se retourne. Il est beau comme un Dieu aux yeux de Pete. Mais la réalité à réintégré la chambre. Tous deux se sentent un peu bêtes. Carl fait un pas vers le lit. Il est moins assuré qu'avant. Pete se rassied. Ils se regardent. Il n'en faudrait pas beaucoup pour qu'ils reprennent où ils en étaient. Mais il en faudrait encore moins pour que tout s'arrête.
**
Hey les gens !
Les updates se font plus espacés, mais c'est parce que je privilégie le calendrier de l'avent des nouvelles qui doit être mis à jour quotidiennement (d'ailleurs, si vous ne le lisez pas encore, allez y jeter un œil, on ne sait jamais, sur un malentendu ça pourrait vous plaire).
Après Noël, on devrait retrouver un rythme plus régulier ;)
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