Chapitre 6 - La confession

Quelque part dans le passé, au début des années 2000


**


L'histoire se passe presque vingt ans plus tôt. Les Libs sont propulsés au sommet de leur gloire. Ils représentent la nouvelle génération de stars anglaises. Plus naturels. Plus irrévérencieux. Plus sales, aussi, que ce que le public se bouffe depuis des années. Ils arrivent au bon moment, ont les bonnes têtes d'ado qu'on a envie de câliner. Ils sont parfaits.
Carl et Pete sont fous de la vie autant que l'un de l'autre.
Ils ont des projets. Des rêves.
De la chance.
Mais le milieu dans lequel ils évoluent est plein de tentations.
L'alcool d'abord.
Trop simple. On en trouve littéralement partout.
Les drogues légères ensuite.
À portée de mains. Ils ont l'impression d'être nés avec un joint entre les doigts.
Il y a les filles aussi.
Ça fait longtemps qu'ils plaisent et ça n'a rien d'étonnant. Ils sont mignons. Et drôles. Et musiciens. Et chanteurs.
Elles se font juste plus nombreuses. Plus faciles. Là non plus, il n'y a rien que de très ordinaire et prévisible.
Mais rapidement arrivent les drogues plus dures, plus addictives.
Héroïne.
Cocaïne.
Ils pensent juste s'amuser. Ils sont bien. Les sensations sont grisantes et les chansons qu'ils écrivent sous leur dictature sont appréciées.
Ils s'aiment. Ils s'adorent.
Leur relation n'a rien d'exclusive et ça ne les dérangent pas. Ils n'ont pas choisi ce nom au hasard. Sur scène, ils font l'amour par micros interposés, dans l'intimité, ils ne vont jamais plus loin que quelques baisers volés.
Les filles passent et ils s'en lassent.
Mais entre eux le lien est plus fort.
Ils se croient amoureux, se font de grandes déclarations.
Mais toujours de façons détournées.
Plusieurs fois, l'info manque de tomber dans la presse. Mais leur relation reste platonique.
Ils sont heureux comme ça.
Puis Carl se perd. Il sombre chaque jour un peu plus. Dans l'alcool. Dans la coke.
Pete n'est que trop heureux de l'y rejoindre.
Il plonge à pieds joints. Le rattrape. Le dépasse.
Ensemble, ils ont l'impression de redéfinir le monde.
Très vite pourtant, ce qui n'était qu'un soupçon se confirme. Pete absorbe tout ce qui sort de Carl. Il boit ses paroles, suit son exemple, s'accroche un peu plus à lui à chaque instant.
Dans ses yeux, ont lit l'amour. Sur ses lèvres, l'attente.
Et Carl n'y est pas insensible.
Qui le serait ? Une telle fascination, on ne l'obtient généralement qu'en fantasme.
Il tombe sous le charme. Autant le sien propre que celui de Pete. Il tombe amoureux de l'amour qu'il lit dans ses yeux.
Et un soir, dans un hôtel miteux, alors qu'ils travaillent sur une nouvelle chanson, il l'embrasse.
Sans préméditation. Sans penser à rien.
Ni à l'avenir, ni au présent, encore moins au passé.
Il se noie dans ses yeux. S'échoue sur sa bouche. La chanson qu'ils écrivent ne verra jamais le jour, perdue dans une tempête qu'aucun d'eux n'avait sentie se lever.
Cette nuit là, il n'y a pas que du sang qui coule dans leurs veines. Encore. Toujours.
Peut-être est-ce à cause de ça. Peut-être à cause des yeux de Pete.
Il le demande en mariage.
En quelque sorte.
Il l'embrasse.
Il lui promet l'impossible.
Il l'aime.
Merde.
Il l'aime. Il l'aime. Il s'aime à travers ses yeux.
Il sème, en un geste, le fruit de leur discorde, des ressentiments, de la perdition. Celle des Libs. Celle de Pete.
La sienne aussi.

**

Quand Carl interrompt son récit, un silence de plomb tombe sur la pièce. Gary est vitrifié. Pendant 20 ans, son ami a gardé ce secret pour lui seul.
Encore une fois, pourtant, il se lance.
— Qu'est-ce qui s'est passé ensuite ?
Carl relève la tête, détourne les yeux. Son regard s'est éteint, repenser à tout ça le fait souffrir.
— Que veux-tu qu'il se soit passé ? Il sort une clope de sa poche de pantalon, en tapote le bout sur sa jambe, l'allume et tire dessus, lentement. J'ai merdé. Comme toujours. Il souffle sa fumée entre ses jambes, retire un coup. Je lui ai dit qu'on s'était mal compris, que j'étais défoncé. Il a protesté. Et j'ai tout bousillé. Après ça...
— Sa descente aux enfers ?
Carl confirme d'un bref mouvement de tête.
— Les concerts manqués... Les disputes... Le cambriolage... LA dispute... La dissolution...
À chaque fois Carl confirme. Ce n'est plus de la honte qu'il ressent, il a dépassé ce sentiment depuis longtemps. Il se sent misérable, nullissime.
— Quand on a repris... Mouvement de main dans le vide. Quand on a parlé de reformer le groupe... Les gens ont pensé que je l'avais pardonné... C'est faux. Je n'ai jamais rien eu à lui pardonner. C'est lui qui m'a pardonné.
— Et aujourd'hui ? Qu'est-ce qui se passe ?
Toujours penché vers l'avant les avant-bras reposant entre ses jambes, Gary cherche le regard de Carl. Quand celui-ci hausse les épaules, il insiste, il ne peut se contenter d'une réponse aussi vague.
— Tu t'es rendu compte que tu l'aimais vraiment ? Tu es retombé amoureux ?
Il esquive la question, ne répond pas. Quand il veut se lever, les mains de Gary se posent sur ses genoux. Il ne lâchera pas l'affaire.
— J'en sais rien. Je pense à lui, oui. J'ai envie qu'il me regarde. Qu'on reprenne là où on s'est arrêté...
— Tu dois le lui dire. C'est ça qu'il attend depuis tout ce temps, c'est toi. Ça a toujours été toi.
Ce n'est pas qu'un conseil, son ami est très sérieux, et s'il le laisse faire, Carl sent qu'il l'entraînera jusqu'à la porte de Pete lui-même s'il le faut.
— Je suis pas sur, Gary ! Je ne veux plus lui faire de mal, je ne veux plus qu'il s'en fasse ! Il détourne les yeux vers la fenêtre, semble soudain songeur. De toutes façons, ce matin ça ne servirait à rien. Il dort à l'heure qu'il est. Et on devrait en faire de même.


**

Hey mes canards !
Ce chapitre est très court, je sais. Mais, pour compenser, le prochain sera pas mal long ;)


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top