Chapitre 4 - Munich

3-4 novembre

Carl dort presque toute la journée dans le car qui est leur principal moyen de transport pour ces deux mois de concerts rapprochés. Quand il se réveille, c'est pour voir que les autres font la même chose que lui ou qu'ils sont rivés à leur téléphone. Aussi ne voit-il pas l'intérêt de se forcer à rester éveillé.
Vers 15h, pourtant, quelques accords lui chatouillent les tympans et il se relève tout courbaturé.
Il attrape une bouteille d'eau dans le mini frigo installé à l'avant du bus et revient sur ses pas. Plutôt que de se rasseoir à sa place, il continue jusqu'au fond du bus et se laisse tomber au côté de Pete qui gratte sa guitare, l'air absent.
Peut-être est-ce parce qu'il n'est pas encore bien réveillé, ou peut-être juste par la force de l'habitude, il se colle à lui le plus naturellement du monde et entame la discussion d'une voix pâteuse tout en luttant un instant avec le bouchon de sa bouteille en plastique.

Ils arrivent à Munich peu de temps après et s'installent à l'hôtel après un repas sur le pouce pris devant un foodtruck.
Ce soir-là, Carl ne boit pas une goutte d'alcool et discute longuement avec sa femme, Edie, au téléphone avant d'aller se coucher, sans se douter qu'au même moment Pete est sorti tester les bars de la ville.
Elle lui parle encore de Peter. À croire que le sujet l'inquiète réellement. C'est étrange, car c'est un sujet qu'elle n'aborde que très rarement. Elle a déjà assisté à des concerts, elle les a déjà vus se frotter l'un à l'autre. Se sauter dessus. S'embrasser. Elle sait quel genre de lien les lie tous les deux. Pourquoi ne s'en inquiète t-elle que maintenant ? A-t-elle senti ou vu quelque chose de différent chez Carl ?

Le co-leader revient aux petites heures du matin dans un état déplorable et dort la quasi totalité de la journée. Quand il se présente enfin à la salle de concert tout est fin prêt, et on attend au final que lui pour débuter la soirée.

Étrangement, tout se passe à peu près bien, les morceaux s'enchaînent, les marques d'affection aussi, quoique qu'elles sont bien moins nombreuses. Qu'à Paris, forcément, mais même qu'à Cologne. Pas de slow cette fois. Pas de déclaration sous forme de chanson. Pas de presque baisers volés. Mais une complicité pouvant faire penser à celle des débuts. Du moins, si on n'y regarde pas de trop près.
Moins d'érotisme. Moins de regards langoureux. Mais plus de bousculades. D'accolades qu'on qualifierait de fraternelles.
Le rappel ne s'éternise pas autant non plus, Carl ne s'en sent pas capable. Il a maintenu une certaine distance de sécurité tout le concert durant. Pour rassurer Edie. Pour ne pas se sentir tenté. S'il se relâche à 10 minutes de la fin ça n'aura servit strictement à rien. Après la dernière chanson, il remercie simplement le public et quitte la scène le premier, alors que les autres sont encore occupés à saluer.

Ce détachement lui a été facilité d'une certaine façon, mais il a le sentiment de ne pas pouvoir se mettre vraiment en colère pour ça, comme si ça n'était qu'une excuse.
Car, si on regarde leur prestation sans rien savoir de ce qui tracasse Carl, on peut facilement trouver une autre explication à son apparente froideur.
Peter est complètement bourré.
Et probablement drogué aussi.
Même si Carl n'en est pas sûr. Pas entièrement.
Sa journée comateuse n'a pas arrangé grand chose à son état. Mais Carl ne peut pas laisser sa rage de le voir ainsi éclater. Ou peut-être que si ? Il ne sait pas, et il n'aime pas ne pas savoir. Doit-il lui faire la leçon ? Mais il est mal placé pour le faire. Ce n'est pas comme s'il n'était jamais monté bien beurré sur scène, lui-même. Et est-il vraiment furieux contre lui à cause de ça ou à cause de tout le reste ? S'il veut être honnête, voir Pete complètement saoul n'est ni une première ni franchement surprenant. Soupçonner qu'il s'est drogué est en revanche beaucoup plus dérangeant. Il était clean depuis un moment maintenant, qu'est-ce qui l'a poussé à replonger ? Et à quoi sert Katia si elle n'est même pas foutue de le rendre suffisamment heureux pour qu'il laisse tomber toute cette merde ?

Il arpente toujours le couloir menant à la scène en ressassant tout cela quand les trois autres en descendent.
Il avait décidé de ne pas agir. Il s'était persuadé qu'il n'avait pas le droit de parler. Mais quand il voit le visage vaseux de Peter, il ne peut se retenir. Il l'attrape par le col et le plaque au mur.
Moins d'une semaine avant c'est d'une toute autre manière qu'il aurait eu envie de le plaquer au mur en sortant de scène. Ce soir, pourtant, il n'est plus que rage.
— On peut savoir à quoi tu joues ? Deux concerts ! T'as été capable de tenir deux putains de concerts ! Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ?
John l'attrape par les bras et le tire vers l'arrière alors que Gary se place entre les deux hommes pour retenir toute riposte pouvant venir de Peter. Mais celui-ci ne bouge pas d'un pouce, un air hébété d'ivrogne scotché au visage.
— Calme, Carl ! Calme
John le ceinture en tentant de le résonner, mais Carl est comme fou. Furieux.
— Pourquoi tu me retiens, hein ? Toi aussi t'en as ras le cul de ses conneries, me dis pas le contraire. Putain, Pete ! Mais réveille-toi, merde !
Carl ne décolère pas et se débat maintenant dans les bras d'un John qui peine de plus en plus à le maîtriser.

Voyant que Pete ne représente aucune menace, Gary arrive en renfort. Il se place devant Carl, occultant ainsi à sa vue celui qui l'a mis dans cet état, et prend son visage dans ses mains. Il approche son propre visage de celui de Carl dont les yeux s'humidifient sans qu'il ne puisse rien y faire.
— Carlitos, ça suffit. Il lui caresse les cheveux tendrement pour l'apaiser. C'est pas comme ça que t'y arriveras. Carl...
Ce que cet enfoiré peut être perspicace. Et ce que ça peut l'énerver. Quand son regard clair plonge dans les yeux sombres de son ami, Carl ne peut plus contenir les larmes qui menaçaient depuis plusieurs minutes, et elles se mettent à couler en silence. De rage. De tristesse. De déception. De jalousie aussi, même s'il est trop tôt pour qu'il s'en rende compte. Il pose son front sur l'épaule nue de Gary et mélange, en silence, son sel à la transpiration qui recouvre les muscles du batteur.

Personne n'a osé les interrompre, et tout s'est passé si vite. Mais une petite foule s'est accumulée autour d'eux. Parmi les spectateurs, se trouve le manager. Lui aussi bout, et si Carl ne s'en était déjà chargé, il aurait pour sur invectivé Pete sur sa piètre prestation et sur son état. Voyant que Carl semble s'être calmé, et profitant que John le retient toujours, juste au cas ou, il disperse tout le monde et entraîne Peter pour quand même lui remonter les bretelles, mais en privé.

Dans le petit couloir menant à la scène, John a lâché Carl, les curieux sont retournés à d'autres activités et Carl termine de sécher ses larmes d'un mouvement rageur du poignet. Les mâchoires crispées. Pourquoi s'être donné en spectacle de la sorte ? À t'il compromit les chances de la tournée ? Pourquoi est-il à fleur de peau depuis le début de celle-ci ? Que lui arrive t'il, merde ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top