Chapitre 2 - Cologne, ou peu s'en faut

1er novembre

Les jours suivants se passent en partie à faire du tourisme, il faut dire qu'une semaine sépare le premier concert du second. Mais aussi à préparer ledit second concert.

Un jour avant celui-ci, alors que Carl est au téléphone avec sa femme dans le lobby de l'hôtel, celle-ci lui parle subitement de Paris
— J'ai vu le concert. Quelqu'un l'a filmé et mis en ligne.
— Ah ? Et à quel point ai-je été bon ? S'amuse t'il.
Elle sourit, il l'entend dans sa voix, mais elle continue pourtant sur sa lancée.
— Ne joue pas avec lui inconsciemment.
— Quoi ?
— Tu sais comment il est...
— Je ne comprends pas.
Elle soupire. Elle sait qu'il sait. Il doit forcément savoir. Il connaît Pete depuis bien plus longtemps qu'elle. Elle hésite, demande dans un murmure :
— Est-ce que tu as l'intention de me quitter, pour... filer le parfait amour avec lui ?
Carl est stupéfait. Comment peut-elle penser ça ?
— Quoi ? Mais non ! Bien sûr que non. Je t'aime, tu le sais. Et puis il y a les garçons...
— Oui... Elle laisse passer un peu de temps. Mais tu l'aimes aussi.
— Je...
Elle l'interrompt.
— Ne mens pas.
Carl ne veut pas mentir, mais il ne sait que répondre. Quatre jours se sont écoulés depuis le concert et il a peu vu Peter depuis. Pas qu'il l'a évité consciemment, mais il s'est arrangé pour avoir toujours quelque chose à faire depuis. Ne pas rester seul avec Pete. Ne pas trop parler avec Pete. Ne pas être tenté par Pete. Laisser la tension entre eux monter et se donner l'occasion de la relâcher sur la prochaine scène. Être chauds comme à Paris, lascifs et romantiques. Oui, il a envie de remonter sur scène et de reprendre leur parade nuptiale là où elle a été laissée. Il n'a pas conscience à 100% de tout cela, mais il a compris la trame principale. Oui, bien sûr qu'il aime Pete...
— Mais pas de la même façon que toi.
Elle laisse s'écouler encore un peu de temps alors que Carl tente de se justifier maladroitement. Elle a peur de faire plus de mal que de bien en disant ce qu'elle s'apprête à dire, mais elle fini par l'interrompre.
— Si tu ne peux pas lui offrir ce qu'il désire, et j'espère que ce n'est pas le cas, sinon c'est mal barré pour moi, ne lui donne pas de faux espoirs. Il est toujours dingue de toi, il l'a toujours été. Tu ne peux pas ne pas l'avoir vu. Ne joue pas avec ses sentiments, c'est cruel. Carl veut l'arrêter mais elle hausse la voix pour faire entendre ses dernières réflexions. Et il sombrera encore s'il pense que tu le quittes à nouveau.
Dans un élan qui surprend même Carl de par son honnêteté, il s'entend répondre :
— Mais si je lui donne ce qu'il veut, c'est moi qui vais replonger...
Blanc au bout du fil. À l'extérieur, par les grandes portes vitrées, Carl aperçoit John lui faire des signes, ils n'attendent plus que lui. Il met fin à la conversation.
— Je te rappelle. Je t'aime.
Il raccroche, replace l'étui de sa guitare sur son épaule et part à grands pas vers la sortie. Alors qu'il dépasse la porte menant au bar, il bouscule un homme qui en sortait. Il se retourne et s'excuse, mais les mots restent bloqués dans sa gorge. L'homme en question n'est autre que Peter. Depuis quand est-il là ? Qu'a t'il entendu ? Carl ne parlait pas fort, mais le lobby est quasiment vide et ce genre de pièce résonne toujours un peu. Pete le regarde de ses yeux tristes, puis il sourit. Il passe un bras autour des épaules de son ami et l'entraîne vers la sortie en le questionnant sur le programme de la journée. Il a été prévu que le groupe fasse une apparition dans une boutique quelconque pour signer quelques autographes, puis qu'il enchaîne avec une interview pour la télévision. On leur demandera sûrement de chanter un morceau. L'avant-veille ils se sont mis d'accord et ce sera Heart of the Matter. Une chanson qui accuse autant qu'elle traduit leur repentance.

Il n'a rien entendu, c'est sûr. Et en même temps, avec les années il a appris à encaisser, à cacher sa peine. Carl n'en peut plus. Qu'à t'il entendu exactement ? D'ailleurs, a-t-il dit quoique ce soit qui puisse être mal interprété ? Il ne s'en rappelle pas.


La journée se passe sans heurt. Les fans sont contents de repartir avec une photo ou un autographe, la journaliste a su poser des questions intéressantes et leur mini prestation était plus que correcte. Quand les garçons rentrent à l'hôtel, c'est avec la sensation qu'une bonne journée vient de se terminer. Ils se posent dans l'une des suites, se font livrer à manger. Et à boire. Surtout à boire. Demain, ils passeront la quasi-intégralité de leur journée à préparer le concert. Et la soirée à jouer. Alors, ce soir, ils s'amusent.
Une partie de l'équipe et des amis les ont rejoins, et bien vite les cannettes et les bouteilles vides s'entassent entre les canapés luxueux. Carl discute avec Gary depuis une heure quand il décrète qu'il se fait tard. Et il est effectivement 2h du matin passées. Il va aller se coucher.
Il s'extrait du fauteuil en titubant, accroche de son pied la jambe de Gary et manque de lui tomber dessus. Refusant l'aide de son ami, il se redresse seul et s'éloigne en direction de la salle de bain. Une bonne douche lui ferait du bien, mais il va juste se vider la vessie avant de rejoindre son lit. Il sera toujours temps de la prendre au réveil, cette douche.

Alors qu'il s'apprête à poser la main sur la poignée de porte de la salle de bain, il la voit se dérober devant lui et, alors qu'il fait un pas en avant pour la rattraper, se retrouve nez à nez avec Pete. La clope au bec, l'air évanescent, celui-ci le regarde s'approcher sans s'écarter.
— Carlos, marmonne t'il en tirant sur sa cigarette.
— Pigman. répond l'intéressé en faisant un pas de plus, en le percutant pour le faire reculer et en laissant la porte se refermer derrière lui.
Proche au point de sentir son torse s'élever et s'abaisser contre le sien, il passe un bras autour des épaules et du cou de Pete. De l'autre, il glisse délicatement la clope hors de sa bouche et la porte à ses propres lèvres.
Le lavabo à sa droite est orné d'un miroir démesuré et il s'observe un instant, exhalant la fumée acre. Il trouve la scène qui se déroule sous ses yeux sexy. Mais un peu minable aussi. Pourquoi faut-il toujours qu'il boive autant ? Il voit dans le reflet, avant de la sentir, la main de Peter se poser sur sa hanche, et quand celui-ci lui reprend la cigarette des mains, il rapproche son visage du sien. Pete inspire la nicotine, observe intensément Carl qui reste pendu à ses traits la bouche entrouverte, puis détourne la tête pour recracher la fumée nocive.

Carl s'accroche plus forts à ses épaules. Il repense à ce qu'il a dit au téléphone, voudrait que ce soit faux. Il enfouit son visage dans le cou de Pete et tangue un peu. À cause de l'alcool. Et peut-être d'autre chose aussi. Il sent la joue de son partenaire se poser contre son crane. Et il entame les paroles de You're my Waterloo. Il chante faux. Il est bourré. Il se sent ridicule.

Quelqu'un frappe à la porte. C'est Katia, la femme de Peter. Elle lui demande s'il est là. Il répond que oui. Elle dit qu'elle entre.
La scène à laquelle elle assiste ne semble ni la choquer ni la surprendre. Elle lui demande s'il vient dormir. S'il vient baiser, voudrait hurler Carl, ironique, mais il se contente de continuer à chantonner. Pete confirme d'un mouvement de tête, décroche Carl de ses épaules. Il l'embrasse sur la joue. Ferme les yeux.
Avant de quitter la salle de bain il lui demande si ça va aller. Carl répond par un grognement et lui indique de s'en aller d'un vague mouvement de main.
Il est seul maintenant et sent des larmes de rages lui monter aux yeux. Il ferme à clef. Se passe la tête sous l'eau. S'affale sur le sol. Merde. Il n'aurait jamais dû boire autant.

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