Chapitre 11 - Paris
10 novembre
Katia est venue le chercher, avec les chiens. Il était heureux de la revoir. Et un peu honteux. Il aurait aimé que ce soit Carl qui vienne. Mais, bien sûr, il ne peut pas le dire. Il ne devrait même pas le penser.
À peine rentré à l'appartement, il s'est couché, tout habillé. Quand Katia est entrée à son tour dans la chambre, il a fait semblant de dormir. Elle est ressortie, a refermé la porte doucement. Et il a ouvert les yeux. Sur la table de chevet, il a trouvé la boite de pilules censées l'aider à décrocher. Après un moment d'hésitation, il en a pris une. Pas trois pour compenser les jours passés derrière les barreaux, mais pas aucune non plus, parce qu'il doit reprendre le traitement le plus rapidement possible, il doit se reprendre en main. En reposant la boite, il a aperçu son carnet, posé sous un livre de Mark Twain, et il s'est souvenu de l'avoir déposé là avant de ressortir trois jours plus tôt. Il a cherché à retrouver le jeune dealer, mais le parc était vide quand il s'y était rendu, alors il s'est mis à arpenter les rues jusqu'à en trouver un autre. Manque de pot, deux flics sont apparus à ce moment-là et les ont arrêté tous les deux. Il a protesté, leur a dit de faire attention aux chiens, de ne pas les blesser ou les perdre. Il a riposté, s'est montré récalcitrant, et on le lui a fait payer en le gardant presque trois jours en garde à vue. Il est presque sûr que c'est illégal mais se voie mal intenter quoi que ce soit contre eux. D'ailleurs, son avocat non plus ne pense pas que ce soit une bonne idée. Il va suivre ce que l'homme lui dira de faire. Payer, s'amender. Il ne risque pas grand chose pour avoir acheté un tout petit gramme de coke, de toutes façons.
Il se lève, arpente la chambre en relisant sa dernière chanson, en se remémorant les mains de Carl, les lèvres de Carl, le corps de Carl. Fébrile, en sevrage forcé depuis trois jours et sans l'aide de son traitement, il laisse tomber le carnet. Pendant plusieurs minutes il le regarde, au sol, il en fait le tour une fois, deux fois, trois fois, puis il s'allonge à ses côtés. Se recroquevillant en position fœtale, il tache de l'englober de son propre corps. Du bout des doigts, il en caresse la couverture. La bouche entrouverte, il murmure son nom. Il a besoin de lui. Il a envie de lui.
Quand sa hanche se met à vibrer, il ne comprend pas immédiatement que c'est son téléphone. Quand il le porte enfin à son visage et qu'il voit le nom de Carl s'afficher, il décroche sans réfléchir. Il veut l'entendre, le sentir.
— Carl ?
Merde. Il a décroché. Sa voix est un miaulement, une déclaration en un mot. Autant lui dire cash: Viens me retrouver. Je t'aime. Baisons toute la nuit. Je t'aime. Putain, Carl, ne m'abandonnes pas. Regarde moi. Aime moi. Je t'aime, Carl, merde. Je t'aime. Merde. Merde. MERDE !
— Oui... Oui. Pete ? Est-ce que ça va ?
La voix de Carl. L'inquiétude dedans. Putain. Cette inquiétude, il en est l'origine. Il voudrait le rassurer, lui dire que tout va bien, que tout ira bien s'il le prend dans ses bras. S'il le prend tout cours.
— Carl... Oui... Ça va.
Chaque mot lui pèse, il voudrait en dire d'autres. Il voudrait qu'ils soient ensemble.
— Pete, tu es où ?
Pas avec toi, et ça me tue. J'ai besoin d'un rail, Carl. Sans toi je déraille. Rejoins-moi. Pardonne moi. Putain, Carl, je t'aime.
— ... Paris...
— Katia est avec toi ?
Oui. Non. On s'en fiche. Non. Non, on ne s'en fiche pas. Je ne m'en fiche pas.
Pete se retourne vers la porte. Toujours fermée. Katia est peut-être sortie ? En se retournant à nouveau, Pete aperçoit une cigarette à moitié consumée sous le sommier. Il rampe jusque-là, la récupère et s'assied contre un pied du lit.
— ... Non... Mais Zeus... et Narco sont là.
C'est faux, au moins un peu. Mais quelle importance ? Pete souffle sur la cigarette upgradée qui a pris la poussière pendant trois jours au moins sous le lit. Il ne se souvient pas d'elle, mais ça non plus, ce n'est pas très important. Au bout du fil, Carl s'énerve.
— Appelles la, Pete, fais là venir.
L'homme soupire et secoue la tête du gauche à droite. Arrête, Carl, c'est toi que je veux, pas elle. Il ne peut pas dire ça. Il ne peut pas, mais c'est dur de se taire.
— Non... Non. Elle ne vient pas.
Si dur. Pete fouille sa poche à la recherche d'un briquet. Cherche le réconfort là où il est sûr de le trouver.
— Pourquoi ? Non, oublie ça. Donne-moi ton adresse. Pete ? Pete ?
Il met de longues secondes à en trouver un. Il allume la clope, tire longuement dessus alors que, dans le téléphone qu'il a posé sur sa jambe, il entend Carl crier son nom de plus en plus fort. Il le reprend, souffle la fumée au-dessus de sa tête et répond.
— Non. Non, non, non. Pas à toi, Carlos
— Comment ça, pas à moi ?
Comment ça ? C'est clair, si tu viens je ne pourrais pas me retenir. Je t'avouerais tout. Et tu diras que tu ne m'aimes pas. Et je me défoncerai pour oublier. Non, Carl, non.
— Ne viens pas, Carl.
— Pete ?
Ne viens pas. Viens. Ne viens pas. Viens. Ne viens pas. VIENS !
— Ne viens pas, je vais bien.
— Pete !
— Tout va bien, Carlos, je t-
Il raccroche. Juste à temps. Qu'allait-il dire ? Il sait ce qu'il allait dire. Je t'aime. Je t'aime. Je t'aime, putain !? Mais à quoi pense-t-il ?
D'un mouvement, il éteint son téléphone. C'est plus prudent. Il le pose sur la commode devant la fenêtre et se laisse retomber sur le lit. Cette fois il va dormir. Vraiment. Mais d'abord, il doit terminer cette cigarette.
En regardant par la fenêtre, Pete remarque que la nuit est en train de tomber, il n'a pourtant pas l'impression d'avoir dormi si longtemps. Dans le salon, il ne trouve ni Katia ni les chiens. Elle est peut-être au parc avec eux, il va essayer de les rattraper. Il a besoin de sortir, ça tombe bien. Sur le chemin qui l'y emmène, il allume une cigarette. L'air frais lui fait du bien, il a presque oublié la discussion avec Carl. Dans une semaine, il le retrouvera et... Non, il ne doit pas penser à ça. Pas maintenant, alors qu'il se sent à peu près bien.
En arrivant dans le parc, Pete repère le nuage de fumée qui s'échappe de sous l'arbre nu et qui filtre à travers la lumière du lampadaire le plus proche. Il est tenté de s'approcher, mais il repense aux trois jours qu'il vient de passer enfermé et sent, presque malgré lui, ses pieds faire demi-tour. De toutes façons, il n'a vu ni Katia, ni les chiens dans le petit square, il n'a donc aucune raison d'y entrer. Il ne doit plus rien prendre. Rien. Il doit recommencer son traitement. Tirer un trait sur cette mauvaise habitude. S'il y parvient, Carl sera – Non ! Katia ! Katia sera fière de lui. Enfin, Carl aussi le sera. Mais c'est sur Katia qu'il doit se fixer. C'est avec qu'elle qu'il partage sa vie désormais.
En marchant au hasard des rues, il tombe sur un troquet assez typique, assez miteux. Une sortie de prison mérite bien un petit verre, décide-t-il, et il entre. La clochette accrochée au-dessus de la porte tinte et plusieurs têtes se tournent vers lui, majoritairement des hommes, plus vieux que lui d'après ce qu'il en déduit. Une dizaine d'habitués sont agglutinés autour du bar mais il reste quelques tables libres au fond de la salle. C'est là qu'il s'installe avec sa pinte de pisse que les Parisiens osent appeler bière. Se rappelant qu'il n'a rien mangé de la journée en entendant son ventre grogner, il commande également un plat du jour sans même se renseigner sur sa composition, persuadé qu'il ne pourra, quoi qu'il arrive, pas être pire que ce qu'il a ingurgité depuis son arrivée en ville.
Sentant les regards des autres clients se tourner de plus en plus fréquemment vers lui, qui n'a pourtant pas grand chose du stéréotype du touriste anglais perdu dans la capitale française, si ce n'est peut-être l'accent, il décide d'appeler Katia pour qu'elle vienne le rejoindre. S'en suit alors, pour les clients, agacés plus qu'amusés par ce personnage excentrique, une vision surréaliste lors de laquelle Peter se met à déballer sur la petite table en bois verni l'entièreté du contenu de ses nombreuses poches. Celles de son pantalon d'abord, ne contenant que son portefeuille et un paquet de clopes complètement défoncé, écrasé, ratatiné. Non satisfait, Pete se relève, prend son manteau immonde sur le dossier de son siège, se rassied et entame la seconde fouille. Sont ainsi exposé aux yeux des curieux, trois mouchoirs ayant connu des jours meilleurs, un second paquet de cigarettes bien plus présentable que le premier, trois briquets, un joint, vingt-trois euros cinquante-sept, six livres sterling, un prospectus pour une librairie locale, plusieurs cartes de visites, une carte de fidélité déchirée avec un numéro de téléphone écrit au marqueur rouge, une affichette de leur concert à Paris pliée en mille, une petite peluche offerte par une fan, une paire de gants et quelques biscuits pour chiens. Mais pas trace de son portable. Ni même des clefs de l'appartement. Pour en avoir le cœur net, Pete se relève, passe la veste et recommence son inventaire. C'est ce moment que choisi le garçon pour lui apporter une assiette remplie de fayots trempant dans une sauce tomate douteuse, de deux malheureux morceaux de pommes de terre et d'une saucisse grasse suintant son huile parmi le reste des aliments. Pas entièrement sur de la raison de ce déballage, il interroge son étrange client.
— Vous partez, monsieur ?
D'un geste vague, Pete lui fait signe que non et l'invite à poser l'assiette sur la dernière portion de table non occupée.
Ses lèvres se plissant inconsciemment de dédain, le serveur hausse les épaules et abandonne le dîner entre un vieux mouchoir et le paquet de cigarettes intact. Il fait deux pas pour retourner vers le comptoir mais s'arrête, indécis. Il se retourne finalement et demande:
— Vous ne seriez pas Pete Doherty ?
Empêtré dans sa recherche infructueuse, Peter relève la tête et lui décoche un sourire embarrassé. Visiblement, le garçon n'en attendait pas plus puisqu'il fait demi-tour et retourne servir au comptoir.
Acceptant qu'il a oublié son téléphone, et ses clefs, à l'appartement, Pete remballe tout son bordel et attaque son repas sans grand entrain. Il en a à peine avalé deux bouchées qu'un type dans la trentaine vient s'installer sur la chaise face à lui. Il le dévisage, un sourire aviné collé au visage.
— Vous êtes le type, là. Le chanteur des... Il se retourne et crie en direction du bar, comment déjà, Pablo ?
Le prénommé Pablo, le serveur, se racle la gorge un peu gêné, et répond en bredouillant. Si bien que le trentenaire lui demande trois fois de répéter.
— Ah, oui, voilà, c'est ça. Des Libertines.
Il prononce le nom du groupe avec une tentative d'accent anglais totalement ratée et Peter a l'impression qu'il le fait exprès mais ne relève pas, se contente d'approuver d'un mouvement de tête en enfournant une nouvelle fourchetée de haricots.
Se sentant en confiance, le type abandonne le vouvoiement et enchaîne, plus provocateur.
— Y t'ont arrêté, hein. Les flics. Mais quand on est célèbre on n'y reste pas longtemps en zonzon, hein.
Pete choisit d'ignorer le type. Mentalement, il n'est pas en état de se battre avec un connard perclus de complexes et de jalousie. Et puis, il n'en a tout simplement pas envie. Il descend son verre, pose ses couverts et se lève pour partir.
— Ben alors ? On a rien à répondre à ça, Monsieur la Star ? T'y es pas resté longtemps, mais t'as quand même du y déguster, hein. Pas sûr que ton petit copain va apprécier qu'on aie touché à son mobilier.
Pete n'a pas tout compris mais il a saisi l'idée générale. Debout, à hauteur du type qui est toujours assis, il l'insulte en anglais. L'autre se relève immédiatement en bousculant la table. Sous le choc, l'assiette dégueule une partie de ses haricots qui s'étalent sur le bois verni.
— T'as dis quoi, espèce de connard ? Tu veux pas que ça se sache ? Mais tout le monde est au courant que t'es sa petite pute. Suis sûr qu'il a qu'à mentionner sa grosse bite pour qu'tu te retrouves à dandiner du fion devant lui.
Pete le regarde avec tout ce qu'il a de mépris pour ce genre de débris. Il sent qu'il n'aurait pas dû boire une si grande bière alors qu'il n'a rien sur l'estomac. Il se souvient aussi que son médecin lui a fortement déconseillé de boire pendant qu'il est sous traitement. Il ne s'en est pas vraiment privé alors qu'il était avec le groupe, mais il n'avait alors aucune raison de craindre des provocations stupides. Il respire profondément, prend sur lui et décide de quitter le café. En se retournant, il voit que plusieurs clients se sont levés. Est-ce qu'ils ont l'intention de le séquestrer ici ou d'empêcher une bagarre ? Derrière le bar, le garçon dépose un verre à vin avec le torchon dont il se servait pour l'essuyer toujours à l'intérieur. Il apostrophe le type qui est apparemment un habitué.
— Quentin, ça suffit maintenant. Tu as trop bu. Rentre chez toi ou je te mets dehors.
Mais le Quentin n'en a pas fini, profitant de ce que Peter le bouscule légèrement de l'épaule en passant à côté de lui, et croyant avoir décelé quelque chose dans son regard, il attrape Pete par le bras et le force à lui faire fasse à nouveau. Ce dernier s'écarte en sentant la main se refermer et tente de lui faire lâcher prise.
— À moins que ce ne soit lui la grosse chiennasse en chaleur.
Pete cesse de se débattre.
— Ça lui correspondrait bien avec ses petits airs de tarlouze. Je suis sûr qu'il aime se faire titiller la prostate entre deux pipes qu'il taille à son micro.
Non-désireux d'en savoir plus sur la supposée vie sexuelle de Carl tout droit sortie de l'esprit malade d'un poivrot sans talent et oubliant tout de ses résolutions pacifistes, Pete projette son poing droit dans la mâchoire du provocateur et l'envoie côtoyer les fayots sur le bois sombre de la petite table.
Plus surpris que sonné, l'homme se relève et, après un moment de flottement, lui saute dessus. En deux secondes, les autres clients les ont encerclés et Peter a brièvement l'impression d'être un ours auquel on aurait arraché les griffes et les crocs lancé dans une arène pour combattre un chien enragé dans le seul but de divertir un tas de connards.
Le garçon est l'un des seuls à s'insurger. Il menace de jeter tout le monde dehors, mais absolument personne ne l'écoute s'égosiller. Il décroche alors son téléphone et fait la seule chose qu'il lui reste à faire, il appelle la police. Moins de cinq minutes plus tard, une patrouille s'arrête devant le bar, où les deux combattants ont cessés de se donner des coups, mais continuent à s'insulter dans deux langues différentes. Les policiers les embarquent alors que Pete se maudit d'être sorti de son lit.
***
Hey mes poulets !
Aujourd'hui (le 6 juin) c'est l'anniversaire de Carl, mais il est à peine présent dans ce chapitre, bouuuh.
À part ça, je ne sais pas s'il y aura un nouveau chapitre la semaine prochaine parce que je n'en ai plus d'avance... On verra bien si j'ai le temps d'en écrire un nouveau d'ici là.
Des bisous (avec le coude, pour toujours et à jamais).
Happy Birthday, Carlos !
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