Chapitre 9 - Rose
Je me regardai dans ma glace, étonnée par mon air heureux. J'avais le visage rosit, comme si j'étais partie faire une balade tôt le matin. Mais pour une fois, ce n'était pas dû au surplus de blush que je m'étais appliquée, mais bien à mon état d'esprit.
La soirée d'hier avec Alex s'était très bien passé, et je ressemblais aux adolescentes amoureuses qui étaient inquiètes de savoir ce qui allait se passer, à la seule différence que je le savais déjà. Parce que tout etait prévu de A à Z, comme toujours avec moi.
- Je suis trop bête, soupirai-je.
J'enfilai une petite doudoune et fis un crochet par la cuisine pour saluer ma mère.
- J'y vais Mam's !
Je lui déposai un bisous sur le crâne et sortis de l'appartement. Je ne m'attendais pas à ce que mon oncle vienne me chercher en voiture, ne serait-ce que parce que Clotilde commençait plus tard et que sa paresse était légendaire dans la famille. Et puis cela m'arrangeait finalement.
Le bus arriva bien vite, mais bien trop lentement à mon goût et je pus enfin monter dedans. Alexandre m'attendait au fond, les sourcils froncés, concentré sur son téléphone. Je me laissai tomber à côté de lui, et attendis patiemment qu'il leva la tête. Mes doigts finirent par faire le travail, et je relevai son menton en le bloquant entre deux ongles manucurés. Je les enfonçai un peu plus que nécessaire dans sa peau, ne serai-ce que pour lui rappeler qui j'étais et qui il était.
J'aimais beaucoup Alexandre, je ne pouvais le nier. Peut être que, en revanche, le personnage que je m'étais fabriqué, année après année, jour après jour, devant mon miroir dans ma chambre, en serrant de plus en plus mon chignon, lui, regrettait que je sois si proche de lui. Peut être qu'il avait peur qu'il découvre une faille dans mon armure, et qu'il s'y engouffre, découvrant la fille fragile que je dissimulais.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il au bout d'un interminable silence passé à se jauger du regard.
Je renforçai encore la pression de mes ongles. Il n'en avait pas encore conscience, mais je l'utilisais. Si des rumeurs sur ce qui s'était passé avec Eiko commençait à tourner elles mourraient dans l'œuf et mon nom en viendrait à tourner avec bien plus de force dans le lycée.
- Tu pourrais me dire bonjour quand même, non ?
Il haussa les sourcils en éteignant son téléphone et je souris intérieurement.
- C'est vrai. Désolé. Je n'avais pas réalisé que c'était toi.
Je relâchai enfin sa tête avec mes doigts et lui embrassai la joue en laissant une marque de rouge à lèvre sur sa peau, que j'étalais avec mon pouce.
- Qu'est-ce que tu veux Rose ?
Je me penchai vers son oreille, parfaitement consciente de l'attraction que j'exerçai sur lui.
- On est ensemble, d'accord mon chou ?
Et, à mon grand étonnement, un sourire bien connu s'étala sur son visage. Manipulateur, calculateur. Mon cœur rata un battement mais je ne laissai rien transparaître. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me ressemble.
- Bien sûr Rose. Ça me fait plaisir que tu proposes.
Je me redressai et sortis mon portable.
- Et bien nous sommes d'accord.
Nous arrivâmes sur le parvis de la gare en donnant l'image d'un couple amoureux : son bras autour de ma taille, ma tête posée sur son épaule. Il était encore tôt, et aucun de mes amis n'étaient présents, si bien que j'entrainai Alexandre vers un groupe de connaissances.
- Salut ! lançai-je à tue-tête en arrivant.
Ce fut un défilée d'embrassades et de fausses attentions, qui dans une autre situation m'aurait fatiguée et mise en colère.
- Je vous présente Alex, mon copain...
Un concert de piaillement me répondit et je me retins de grimacer. J'entrevis le regard fier d'Alexandre, et cela, en revanche, me fis sourire. Il était aussi bon acteur de moi.
- Rosie !
Je sursautai alors que deux mains puissantes m'arrachèrent à l'étreinte de mon copain et me firent voler dans les airs. Je me mordis la joue jusqu'au sang pour ne pas rire, et quand Victor daigna enfin de me poser au sol, je lui donnai une tape sur le torse avant de croiser les bras sur ma poitrine.
- Malpoli !
Il haussa les épaules sans se départir de son sourire.
- Ce n'est qu'une question de point de vue...
Je levai les yeux au ciel.
- N'importe quoi...
Il me donna un clin d'œil.
- Tu réfutes mon génie... Tu te sens menacée Rosie ?
- Je me sens surtout fatiguée par ton estime beaucoup trop élevée de toi-même mon Victor chéri...
Un raclement de gorge à côté de moi et me fis sursauter et je réalisai qu'Alexandre n'avait pas perdu une miette de notre dialogue.
- Je vous dérange peut-être...
- Un petit peu oui mais... Aïe Rose ! Pourquoi t'as fait ça ! s'écria Victor en se massant le bras.
Je lui adressai un regard noir puis me tournai vers mon copain avec, je l'espérai, un sourire tendre.
- Alex, Victor mon meilleur ami, Victor, Alex, mon copain.
Le blond en face de moi ne répondit rien et me dévisagea comme si j'étais devenue folle en l'espace d'une nuit. Alexandre le salua mais il resta si silencieux, que je finis par le prendre par le bras et à m'éloigner avec un regard d'excuse pour le brun.
- Mais ça va pas ! Pourquoi t'as pas répondu quand il t'a dit bonjour ? Allô ! Victor ! Je te parle !
Je ne doutai pas que j'étais ridicule, petite comme j'étais, à gesticuler ainsi devant lui, mais j'étais absolument furieuse.
- Rosemonde mais qu'est-ce que tu as fait ? fut sa seule réponse.
Je voulus répondre, mais je m'arrêtai, la bouche ouverte, en apercevant Eiko un peu plus loin. Je dus me frotter les yeux pour vérifier qu'elle était bien réelle. Elle ne semblait pas sentir le froid, dans un pantalon noir en tissus fluide qui était resserré à la taille et qui mettait en valeur ses hanches et ses fesses, et dans un cache-cœur rouge sang beaucoup trop décolleté. Je déglutis difficilement sans pouvoir m'arracher à ma contemplation.
Elle finit par tourner la tête vers moi et eut un sourire mauvais en me voyant la regarder. Elle fit passer ses cheveux derrière son épaule, avant de me montrer son dos et de s'appuyer contre le torse d'un brun inconnu au bataillon. La piqure aigüe de la jalousie me fit grincer des dents avant que je ne me donne une claque intérieur et que je reprenne mes esprit.
Je redirigeai mon regard sur Victor et je le surpris sourire en coin avant qu'il ne se ressaisisse. Il croisa ses bras sur son torse et pris un air menaçant, ou du moins tenta. Ses dernières paroles se frayèrent un chemin jusqu'à mon cerveau et je pointai un doigt dans sa direction.
- Pourquoi tu m'as appelée Rosemonde ! Je te jure que si quelqu'un t'entend...
- C'est ça qui te perturbe le plus là ? me coupa-t-il sans état d'âme.
Je le dévisageai, étonnée.
- Pourquoi il devrait y avoir un autre problème ?
Il jeta un regard en biais et je me retournai pour voir de qui il s'agissait, avant de hausser les sourcils en apercevant Alexandre.
- Qu'est-ce qui ne va pas avec lui ? Tu ne lui as même pas parler je te rappelle !
Il se frotta énergiquement le visage avant de prendre un air sérieux, et je commençai à paniquer. Je connaissais Victor depuis des années, et le nombre de fois où je l'ai vu aussi sérieux peuvent se compter sur les doigts d'une main. Il avait un don pour communiquer par le rire ou la taquinerie, mais les discussions sérieuses étaient rares, du moins avec moi.
- Victor ?
Ma voix devint plaintive.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Rosie... Tu sors avec l'ex de Eiko. C'est pour ça que Clo te fait la gueule.
Il se gratta le menton.
- Enfin j'imagine, je ne l'ai pas vue dernièrement.
Sous le choc, je le dévisageai sans rien ajouter.
- Pardon ?
Il se pencha vers moi.
- Tu n'as rien compris ? Il faut que je répète ?
Je me dégageai sèchement de son étreinte et l'assassinai du regard.
- Si c'est bon, merci !
Je me massai les tempes en soupirant.
- Qu'est ce que tu veux que j'y fasse de toute façon, soupirai-je.
Il haussa les sourcils.
- Il n'y a pas une règle tacite chez les filles du style on ne touche pas à l'ex de ma pote, surtout quand je l'ai embrassée... non ?
Une pointe de culpabilité m'aiguillonna mais je ne répondis rien. Je ne le savais pas quand j'avais commencé à parler avec Alexandre, alors ce n'était pas alors que nous avions commencé une relation que j'allais tout arrêter pour les beaux yeux de la brune.
Très beaux yeux d'ailleurs...
Il était tard jeudi soir, et la pensée obsédante que je n'étais pas censée être là ne voulait plus quitter mon esprit. Il faisait nuit noire, et je ne me rappelait même plus pourquoi j'étais venue dans le studio au départ. Perdue dans mes pensées, je refermai doucement la porte vitrée derrière moi. J'allumai la lumière du hall et jetai un coup d'œil distrait à l'horloge qui ornait le mur au dessus du secrétariat.
Une heure quarante-cinq.
Rien n'était moins sur : j'étais supposée être au fond de mon lit. Je me glissai dans le couloir parallèle au mur, les clés tintant dans ma main droite. Je me glissai dans les vestiaires et allumai la lumière en clignant faiblement des yeux. Une paire de collants oubliés trônaient autour d'un porte manteau, et un mascara me nargait sur le lavabo à côté du miroir.
Qui se maquille pour danser en même temps ?
Je posai lourdement mon sac sur un banc, et retirai ma doudoune avant de prendre mon téléphone, d'attacher mes cheveux et de sortir des vestiaires pour passer dans le studio. Le parquet grinça sous mes pas légers alors que je m'approchai du placard au fond.
4-6-8-1
Le cadenas se déverrouilla avec un grand bruit et je pus ouvrir les portes pour sortir l'enceinte, que je connectai à mon téléphone. Je m'assis ensuite par terre, les jambes repliées sous moi, et cherchai une musique dans ma playlist. Marine, la directrice de l'école de danse dans laquelle j'étais inscrite depuis mes six ans m'avait donné deux ans plus tôt les clés, en m'autorisant à venir en dehors des heures de cours, mais je n'étais pas sûre que le milieu de la nuit corresponde vraiment à ce à quoi elle avait pensé.
Je trouvai enfin la musique que je cherchai, et me relevai avant de la lancer et d'aller me placer au centre de la salle. Mon reflet me rendait mon regard défiant, et mes bras s'arquèrent dans une courbe parfaite juste pour me prouver que j'en étais capable. La chanson démarrait, mais je restai immobile, ma respiration en suspension dans l'air.
I walked across an empty land
Mon corps se mouva de lui même, alors que mes pensées explosaient dans mon esprit. Je pirouettai tourmentée par l'image de Eiko, par celle d'Alexandre, et même par l'air réprobateur de Clotilde.
I knew the pathway like the back of my hand
Je sautai en l'air, décidée à échapper à mes démons et agitai le bout des doigts, pour sentir l'air glisser sur ma peau. Je revoyais Eiko, dans la salle de bain d'Elisa, le souffle court. Et mes doigts sur sa peau, et les étincelles qui s'en échappaient et que j'avais fait exprès d'ignorer.
I felt the earth beneath my feet
Comme en accord avec les paroles de la chanson, je réatterrit sur le sol et courbai l'échine, en sentant le fantôme de la main baladeuse du garçon sur mon corps. Je me redressai aussitôt et fit un grand battement rageur.
Sat by the river and it made me complete
Je tournoyai dans la salle vide, mon image se reflétant en quatre fois sur les quatre miroirs muraux, les ombres solitaires s'étendant sous mes pieds. Je respirai laborieusement mais pour rien au monde je ne me serai arrêtée.
Oh simple thing where have you gone
Alors que la voix du chanteur montait en puissance, mon esprit était tourné vers le baiser avec Eiko. La pression d'abord douce puis passionnée de ses lèvres, le battement effréné de son cœur et le mien qui battait furieusement contre mes côtes.
I'm getting old and I need something to rely on
Je me revis m'abandonner à cœur perdu dans cette étreinte, au monde qui tournait autour de moi, au frémissement de ma peau.
So tell me when you're gonna let me in
Je sentis ses mains sur mon corps, les miennes sur le sien, son souffle qui échouait sur mes lèvres.
I'm getting tired and I need somewhere to begin
Et soudain, mon pied dérapa, à l'instant où je revivai le moment où elle avait interrompu le baiser. Je tombai par terre en me tordant la cheville au passage et grimaçai.
I came across a fallen tree
Je m'assis en silence et n'arrêtai pas la musique, la laissant défiler.
I felt the branches of it looking at me
C'était stupide de repenser à cela. Cela ne pourrait jamais exister. C'était un moment d'égarement. Je ne pouvais pas être homosexuelle.
Is this the place we used to love ?
Et pourtant... Si c'était à refaire, je le referai sans hésiter. Si Eiko se tenait dans ce studio, je me jetterai sur elle.
Is this the place that I've been dreaming of ?
Je ne regrettai rien de ce que j'avais fait. Mais ce n'était pas moi. C'était une partie inconnue de mon subconscient qui avait agi à ce moment là et qui prenait le dessus sur ma raison à chaque fois que je pensais à la jolie brune.
Oh simple thing where have you gone
Et si... je m'interrompis, m'interdisant de formuler cette idée, même dans ma tête.
I'm getting old and I need something to rely on
Et si...
So tell me when you're gonna let me in
Et si finalement...
Je me pris la tête entre les mains, incapable de réfléchir correctement.
I'm getting tired and I need somewhere to begin
Je me pinçai le creux du coude. C'était irréaliste, irréfléchis, et ne pouvait correspondre à la réalité.
Et si finalement j'aime les filles ?
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