Chapitre 7 - Rose

Ce fut maladroit. Le premier choc fit entrer en contact nos dents, et Eiko partit dans un grand rire. Le deuxième fut plus doux, et un frémissement me parcourut. Le troisième se prolongea et devint passionné. Sa langue chercha la mienne, mes mains remontèrent le long de son dos jusqu'à ses cheveux, et je me pressai un peu plus contre elle.

Je voulais plus.

Toujours plus.

Elle ramena soudainement sa tête contre le mur ey je ressentis un grande vide, comme si une part de moi était partie. Je reculai le visage pour l'observer, les sourcils froncés.

- Qu'est ce qu'il y a ? demandai-je.

Elle plaça une main sur ma clavicule.

- Je... ne suis pas sûre là, Rose.

Sans répondre, je me penchai vers elle à nouveau mais elle s'écarta.

- Rose ! Serieux ! Qu'est ce qu'on fiche là ? Tu trouves ça vraiment intelligent de m'embrasser pour après mieux me repousser ?

- Je...

Qu'est ce que je fous, effectivement ?

- Tu as raison. Je suis désolée, c'était une erreur.

Je me redressai, m'éloignant de sa source de chaleur, alors que le désir quittait peu à peu mes veines. Entourant ma poitrine des bras, j'attrapai mon sac et descendis par le toboggan sans un regard en arrière.

La culpabilité de laisser Eiko, seule, derrière m'empoisonnait les pensées, mais je n'y pouvais rien. Elle avait tout arrêté. Qui sait jusqu'où je serai allée. Seulement, dire qu'elle avait eu tort serait mentir. Je ne savais pas ce qui m'avait pris, cet élan que j'avais éprouvé restait un mystère. 

J'avais embrassé une fille.

Un frisson de dégoût me parcourut. Je n'avais aucun problème avec les personnes homosexuelles, mais ce n'était définitivement pas un trip pour moi. Que dirait les gens ? Et ma famille ? Toute la famille de Clotilde était chrétienne pratiquante, et même si ils n'osaient pas e trop en parler, je savais qu'ils ne supportaient absolument pas les droits de ces personnes. Clotilde, en revanche était la plus fervente supportrice d'Eiko, et cela restait un mystère pour moi. 

Les gouttes d'eau qui tombaient du ciel, se mêlèrent à mes larmes, salées, qui coulaient de mes yeux. Les mains et les jambes tremblantes, je me dirigeai vers l'arrêt de bus le plus proche, qui me permettrait de rentrer chez moi et ma mère me ferait un mot d'excuse. 

Le nez plongeait dans mon téléphone, j'aperçus furtivement la silhouette élancée d'Eiko sortir à toute vitesse du parc, une main plaquée sur la bouche, l'autre maintenant la bretelle de son sac à dos. Mes larmes redoublèrent. Je l'avais blessée, bien entendu, et je m'en voulais. Même si la culpabilité ne menait à rien, je ne pouvais m'empêcher d'en éprouver. 

Je donnai un coup de pied dans un malheureux cailloux qui se trouvait devant moi. J'avais bien assez à penser cette année entre mon orientation et ma popularité à maintenir pour ne pas m'inquiéter de savoir si repousser Eiko après l'avoir embrassé même si je suis hétéro n'était pas une erreur. 

Mais qu'est-ce que je me fatigue... 

J'avais envie d'oublier. Même si généralement cette envie mène à une bêtise. 

- Rose réfléchis avant d'agir ! sifflai-je entre mes dents. 

Mes doigts pianotèrent furieusement contre ma coque de téléphone. L'hésitation me faisait vaciller. Pourtant, mes jambes se mouvèrent d'elle même et je me levai du banc de l'arrêt de bus où j'étais pourtant à l'abri de l'eau. 

Et voilà que le bus va arriver quand je pars. 

Je commençai à marcher vers la supérette du coin, où j'achetai une bière sans que le vendeur ne pose aucune question. Je retournai ensuite à mon arrêt de bus et téléphonai à ma mère avant de ne plus pouvoir articuler correctement. 

Au moins je sais réfléchir avant d'agir. 

- Allô ? 

- Oui Maman ? C'est moi. Je ne me sens pas trop trop bien, je pense que je vais pas aller en cours cet après midi, tu peux appeler le lycée ? 

Un soupir ennuyé me répondit. je pris une voix plaintive. 

- S'il te plait j'ai envie de vomir... En plus je ne vais rien rater d'important, j'avais juste un contrôle ce matin. 

- Rose... Bon très bien. Rentre à la maison. Je passerai peut être te donner de la soupe. 

Je grimaçai, heureuse de ne pas l'avoir en face de moi. 

- Je ne suis pas sûre que manger est la meilleure solution quand on a envie de vomir Mam's... 

Le bus arriva à ce moment là et je la saluai rapidement. 

- J'y vais maman, merci beaucoup. 

Je glissai ma cannette de bière dans mon sac de cours et montai sans rien ajouter. Une fois chez moi, je m'affalai sur le canapé, lançai la télévision sur une émission ennuyeuse au possible et bus rapidement tout l'alcool. Même si je savais pertinemment que ce n'était pas ce taux là qui allait me rendre complétement ivre, au moins espérai-je pouvoir engourdir une partie de mes sens et occulter de mon cerveau cet épisode dans une cabane pour enfant au sommet d'un toboggan. 

Va peut être falloir penser à un autre moyen d'exprimer ce que je ressens...

Je soupirai et rejetai ma tête en arrière. Elle heurta le dossier du canapé et je grimaçai. Une pensée me traversa l'esprit et j'attrapai mon téléphone.

Moi : Mam's, je n'irai pas à la danse ce soir.

Mam's : Sans blague. J'ai déjà prévenu.

Moi : T'es la meilleure.

Mam's : T'es pas censée être au fond de ton lit toi ?

Je me mordis la lèvre un peu trop profondément et le goût métallique du sang envahit ma bouche. Je fermai les yeux, lasse. La télévision parlait toujours dans un léger fond sonore, mais j'étais incapable de capté les paroles, épuisée, comme assommée, dans mon canapé.

- Alors tu as fait quoi hier après midi ?

Je plongeai le nez dans mon café en grognant. Clotilde et moi étions assise en terrasse d'un café, assez optimiste quand au temps qui semblait quant à lui assez menaçant. Ma cousine se pencha en avant, les sourcils haussés. Elle avança son index et fit glisser mes lunettes de soleil inutiles sur mon nez.

- Si j'en crois tes yeux gonflés et ta mine de déterrée, tu n'as pas passé la meilleure soirée de ta vie.

Je grognai et remontai mes lunettes.

- Tu sais très bien ce qu'il s'est passé, et si tu veux tout savoir, j'ai passé mon après midi sur mon canapé à remettre ma vie en question.

Elle ondula des sourcils en riant.

- Ta vie... Ou ton orientation sexuelle ?

Je m'étouffai et commençai à tousser violemment. Ma cousine se leva même pour me taper dans le dos, un air inquiet sur le visage.

- Ça va Rosie ?

J'acquiesçai toujours dans une quinte de toux, et me rejetai dans le dossier de ma chaise.

- Ça va.

- C'est ma question qui t'a mise dans cet état ?

Je lui adressai un regard noir et croisai les bras.

- Je ne vois pas de quoi tu veux parler.

Je lui piquai sa tasse de thé et en bus une gorgée. Elle la rattrapa et enroula ses doigts autour, territorialise.

- Tu es insupportable. Et arrête de dévier la conversation. J'ai passé une heure au téléphone avec Eiko hier pour te psychanalyser, tu en as conscience ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

Je me passai une main nerveuse dans les cheveux.

- J'ai paniqué. J'ai fait une connerie, et je n'assumais plus.

Elle secoua la tête, dépitée.

- mais qu'est-ce que vous voulez que je fasse avec elles... Les deux non mais vraiment.

Sans vraiment chercher à la comprendre, je bus une gorgée de café. Nous étions samedi matin, nos parents étaient en train de faire les courses ensemble et nous avions décidé de prendre un café toutes les deux.

- Autant jeudi c'était Eiko, autant hier c'était toi, vous enchaînez les départs énigmatiques...

Je soupirai.

- Clo, on est pas dans un de tes livres là, pas la peine de faire la narratrice, on est aussi idiote l'une que l'autre et maintenant je suis en panique à l'idée de la revoir... Parce que je me sens hyper coupable. Elle va se faire des idées, et puis je ne suis pas sur les filles ou quoi donc vraiment...

Le bruit mat de la tête de Clotilde qui tombait sur la table me fit sursauter. Elle s'appuya sur son menton, des reproches dans le regard.

- Tu as embrassé une fille sans savoir pourquoi qui, qui plus est, est une amie et toi et a donc risqué de tout ruiner. Mais, bien évidemment, tu n'es pas sur les filles.

Je tapai un peu trop violemment mon poing sur la table pour la faire taire et fit voler les tasses et soucoupes. Du thé et du café se répandirent un peu partout, et la mâchoire de ma cousine claqua dans le vide. Elle grimaça et m'assassina du regard. Moi, surprise par ma véhémence, je fixai mes phalanges rougies.

- Désolée. C'était non voulu.

Clotilde grimaça.

- Un peu quand même. C'est pas grave. J'ai compris le message. Tu n'es pas gay, bi, ou que sais-je. Mais pas la peine de m'agresser pour le faire comprendre.

Les aiguilles pointues de la culpabilité s'enfoncèrent dans mon cœur et je me penchai avant en papillonnant des yeux pour dissimuler ma première réaction : pleurer.

- Je suis vraiment désolée Clo, je sais pas ce qui m'a prise. C'est juste... Je ne le suis vraiment pas, et je m'en veux tellement d'avoir donné de faux espoirs à Eiko, parce que je sais qu'elle m'aime un peu plus que raison et...

Une main apaisante se posa sur mon avant-bras et Clotilde se leva pour venir s'asseoir sur mes genoux et posa sa tête sur ma poitrine.

- Relax Rose, ça va aller. Eiko sait très bien ce que tu penses d'elle, et sincèrement elle te pardonnera, même si ça doit mettre un peu de temps.

J'acquiesçai lentement, peu rassérénée. Une pensée horrible mais persistante me traversa l'esprit.

- Elle... Elle ne va rien dire, on est bien d'accord ? Personne d'autres que toi, Vic, Solal et Nour ne seront au courant... Comme des gens à l'école par exemple...

Un coup de coude me servit de réponse.

- Rose ! Qu'est ce que tu crois ? C'est d'Eiko qu'on parle là ! Pas de la première venue !

Je me pris la tête entre les mains.

- Je sais mais... Imagine ça se sait par je ne sais quel moyen... C'est la catastrophe !

- Ecoute. Déjà je ne sais même pas pourquoi tu t'escrimes à vouloir rester la reine du lycée vu comment ça te pèse. Ensuite, peut être que ça se saura, et alors ? Quelques critiques n'ont jamais tués personne...

- Tu ne comprends pas... soupirai-je, le cœur au bord des lèvres. Je veux rester la reine du lycée parce que...

J'ai peur de perdre le contrôle que j'ai sur les autres. J'ai peur de ne pas savoir où me placer par rapport à eux. J'ai peur d'être seulement une figure de l'ombre, que l'on croise, comme ça. J'ai peur de ne plus être la fille la plus désirée du lycée. J'ai peur de perdre les regards admiratifs, de ne plus être l'exemple.

- Parce que j'aime me sentir aimée. complétai-je.

Ce qui était vrai. Mais seulement une partie de la vérité.

alex_grd : tu fais quoi ?

rose.gn : repas de famille.

alex_grd : oh ! c'est sympa quand tu as des cousins du même âge !

Je fronçai les sourcils en fixant l'écran de mon téléphone, dissimulé sous la nappe blanche de ma grand-mère. Comme avait-il deviné...

alex_grd : moins quand tu n'as pas de cousins ou qu'ils sont petits ou grands.

Je souris, rassérénée.

rose.gn : j'ai une cousine de mon âge, mais on s'est engueulée hier.

Nous nous parlions avec Alexandre depuis jeudi, et je devais admettre que recevoir un message de sa part me faisait toujours sourire.

alex_grd : oups ! Bah, au moins j'ai l'honneur de ta discussion !

rose.gn : tu m'étonnes, tu es content, toi.

- Et toi Rosemonde, quoi de neuf dans ta semaine ?

Je relevai la tête pour tomber sur le visage de ma grand-mère.

Oh ! Pas grand chose Mamie, j'ai rencontré un garçon, embrassé une amie, et je me suis disputée avec Clotilde mais sinon...

- Rien de spécial.

A côté de moi, Clo étouffa un rire, mais ce qui d'habitude était une marque de soutien était ici une moquerie.

- Et toi, Clotilde ?

Le rire mourut sur ses lèvres et m'amena à m'interroger sur sa vie.

- Rien Mamie. J'ai eu cours quoi. Comme Rose.

- Ah oui, Rosemonde, ces cours ?

Je levai les yeux au ciel et pinçai la cuisse de ma cousine qui se raidit et m'adressa un regard noir.

- Rien Mamie, je te l'ai dit. On se prépare pour le bac.

J'enfonçai mes ongles manucurés dans la peau de ma voisine. Clotilde se dégagea sèchement et eut un sourire enjôleur.

- Ah oui, le bac les filles, comment ça avance ?

- On a le temps Mamie, c'est en juin. répondit la blonde.

Notre grand-mère leva les yeux au ciel.

- Et ParcourSup, alors ?

Je me renfonçai dans mon siège en croisant les bras, déprimée d'avance. Ces discussions suivaient toujours le même schéma : les félicitations pour Clotilde qui voulait faire des études d'ingénieur, et des critiques pour ma carrière littéraire. Le soutien, ou plutôt l'absence de soutien de ma famille ne me dérangeait pas tant que cela, tant que j'avais celui de ma mère, mais je savais que l'opinion de son frère et de sa mère lui importait beaucoup, et la menace d'un radical changement d'avis planait au dessus de chacune de mes décisions.

- On se renseigne Mamie. finit par répondre Clotilde.

Je lui adressai un regard reconnaissant, interprétant cette réponse comme une demande de paix. Nous nous étions quittées fâchée la veille, énervée par l'attitude de l'autre, et nos retrouvailles glaciales quelques heures plus tôt n'avaient pas arrangés la situation.

- Il faut, il faut les filles, parce que ça va arriver plus vite que vous ne le pensez ! Un jour on est jeune est en pleine santé, et le lendemain, on se retrouve vieille et édentée, comme moi. Vous ne voulez pas ressembler à votre grand-mère quand même...

- C'est sur que j'éviterai d'appeler mes petits enfants par leur nom entier qui en plus d'être long sont ringard. chuchotai-je.

Je vis les épaules de ma cousine tressauter alors qu'elle aspirait ses joues pour cacher son rire. Sa main vint attraper la mienne et elle traça un P dessus avec son ongle. D'après notre langage développé depuis notre jeunesse, cela signifiait que nous faisions la paix. Je répondit par un O.

Mon téléphone vibra contre ma cuisse, me faisant sursauter et ma cousine lâcha ma main et se pencha sur mon épaule pour voir de qui il s'agissait.

alex_grd : Rose, je sais que ça fait que 4 jours qu'on se connait, mais j'ai vraiment envie d'apprendre à te découvrir...

Clotilde fronça les sourcils.

- Pourquoi il lâche ça comme ça, lui ? Ça n'a aucun rapport avec votre discussion !

A côté d'elle, son frère, Paul, rajouta son grain de sel.

- C'est vrai ça !

- On t'as pas sonné Paul.

Je décrochai de leur dispute, le monde tournant autour de moi à une vitesse affolante.

rose.gn : Qu'est ce que tu veux dire par là ?

alex_grd : Je sais pas... Peut être qu'on pourrait se voir et discuter, non ? En mode sortir quelque part... Au cinéma ? Au restaurant ? C'est moi qui invite.

- Il te propose de sortir avec lui là... souffla Clotilde alors que Paul était à nouveau silencieux. J'acquiesçai lentement.

- Je crois, oui.

- Et donc ? Tu vas dire oui ?

- Pourquoi je dirai non ?

Ma cousine me donna un coup de pied sous la table pour ne pas alerter les adultes.

- Tu le connais depuis quatre jours !

- Oui mais...

J'aimerai oublier Eiko.

Sauf que je ne pouvais pas annoncer cela à Clotilde, surtout avec les oreilles de ma mère dans les parages.

- Je l'aime bien. Il est gentil.

Elle me jeta un regard glacial.

- Être gentil ne suffit pas.

Je me passai une main sur le visage.

- Écoute, je sais que tu ne veux pas que j'accepte à cause de ce qui s'est passé, mais je pense que c'est la meilleure solution, ne serait-ce que pour lui faire comprendre qu'il n'y a rien, tu vois ?

Elle soupira.

- Bah non justement, je vois pas. Mais fais ce que tu veux, c'est ta vie. Mais ne viens pas pleurer après si truc t'as dis des choses à propos de ça, ou si ça se barre en cacahuète, compris ?

Je voyais rarement ma cousine en colère. Clotilde était quelqu'un tout en arrondis et en douceur. Mais là, je pouvais assurer qu'elle était furieuse. Je ne savais même pas pourquoi. Sûrement à cause d'Eiko, mais d'un autre côté je ne lui devais rien. Les vestiges de notre dispute d'hier se réveillèrent et je cherchai un moyen de l'apaiser.

- Je verrai écoute. Mais ne te sens pas responsable de mes actes.

Ses ongles dans ma paume me répondirent.

- Je ne me sens pas responsable, ne t'inquiète pas. siffla-t-elle. Enfin si, justement, inquiète toi.

Comprenant que la paix n'était plus de mise, je sortis mon téléphone et répondis à Alex avec toute la sincérité dont j'étais capable.

rose.gn : ça me ferait trop plaisir ! Mardi soir ?

alex_grd : mardi soir, c'est parfait !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top