Chapitre 5 - Rose

Eiko fronça les sourcils et me donna un léger coup dans le bras.

- Eh la princesse des îles, sois pas triste, je rigolais ! 

Je secouai la tête et le moment de flottement disparut aussitôt, ma mauvaise humeur envolée.

- Ouais je sais, désolée.

Je sortis les sandwich de mon sac de cours et en donnai un à Eiko.

- Jambon tomate. Sans beurre parce que je sais que ça t'écœure.

Elle me le prit des mains en rougissant et en goûta un morceau. Son visage se transforma. Ses yeux s'agrandir et son sourire s'étendit.

- Rose il est...

Je souris et acquiesçai doucement.

- Je sais je sais. J'ai des talents cachés que veux-tu...

Elle rit et me donna une tape sur la tête.

- Mais bien sûr... J'ai été chez Clo hier tu sais. J'ai vu sa cuisine.

Je grognai.

- Je suis découverte. C'est le moment de fuir.

Elle secoua la tête et enroula sa main autour de mon bras.

- Pas si vite madame ! Même si tu ne sais pas faire à manger, c'est un peu la honte...

Je croisai les bras, la mine faussement boudeuse.

- Je sais faire les pâtes.

- Oh pardon, ô grande chef trois étoiles de cuisine !

Je tirai la langue et sortis mon déjeuner à mon tour. Le calme revint. Des canards cancannaient sur l'étang et un groupe d'enfants s'agitaient sur la rive d'en face. Je fermai les yeux et laissai le calme m'envahir. À côté de moi, Eiko mangeait en silence.

- Rose ?

J'ouvris un œil.

- Oui ?

Elle sourit doucement.

- Pourquoi tu m'as invitée ?

Bonne question...

- Je sais pas.

Un rire m'échappa, et Eiko fronça les sourcils, aussi perdue que moi. Je haussai les épaules.

- Pour être tout à fait honnête, je ne m'en souvient pas exactement, mais je sais que ça me fait plaisir, et que c'était une très bonne idée. Je sais aussi que ça m'arrive de faire ça avec les autres, mais jamais avec toi alors je me suis dit que c'était l'occasion.

Elle sourit mais je voyais bien qu'elle n'était pas satisfaite.

- Tu fais ça avec les autres ? Mais quand ?

Elle serait... Jalouse ? Je savais que mon amie était très territorialiste, mais savoir qu'elle l'était même en amitié me faisait doucement rire. C'était elle la première qui aimait faire des après midi en tête à tête avec Clotilde, des déjeuners seule avec Solal, des séances de révision avec Nour, et des trajets avec Victor.

Je me souvins brusquement de son petit ami de l'année dernière, Alexis, Alexandre, quelque chose comme ça, qui devait étouffer sous sa tutelle. Je ne pourrai pas être en couple avec quelqu'un comme elle, qui n'a absolument pas confiance en l'autre.

Je mastiquai lentement mon morceau de nourriture avant de lui répondre. Mais elle attendit patiemment que je veuille bien le faire.

- Je fais ça avec les autres de temps en temps. J'aime bien. Mais on fait tous des trucs à deux, ce n'est pas très étonnant. Mais il est vrai que toutes les deux nous n'avions jamais rien fait.

Elle ne répondit pas et se concentra sur les enfants sur l'autre rive. Elle avait fini de déjeuner et attendait patiemment que je fasse de même.

- Ça te dérange si je fume ?

Sa question me fit lever la tête. Elle avait déjà son paquet de cigarette dans la main gauche, et son sourcil droit était relevé.

- Alors ?

Je réalisai que j'étais bouche bée. En réalité, j'ignorais qu'Eiko fumait.

- Oui, pardon, bien sur vas-y.

- Ça va ? s'enquit-elle après l'avoir allumée.

J'acquiesçai lentement.

- J'avais juste oublié que tu fumais.

Elle avala une bouffée de fumée.

- J'avais arrêté. J'ai recommencé il y a pas longtemps.

Je ricannai.

- C'est mauvais tout ça.

- Je ne te le fais pas dire !

Je fronçai les sourcils, étonnée de savoir qu'elle en avait conscience sans pour autant faire quoique ce soit.

Elle va mal... réalisai-je

Je me rapprochai d'elle et enveloppai ses épaules d'un bras.

- Qu'est ce qui ne va pas Eiko ?

Elle haussa les épaules mais posa sa tête sur mon bras.

- Rien c'est juste... Compliqué.

Je souris amèrement.

- Je connais le compliqué. Mais je suis sûre que tu vas trouver une solution, tu en as toujours, toi.

Elle se tendit soudainement et se dégagea violemment de mon étreinte. Interdite, je la regardai rassembler ses affaires à la hâte.

- Je... Qu'est ce que j'ai dit Eik' ?

Sans répondre, elle se redressa, écrasa sa cigarette du talon et commença à s'éloigner.

- Eiko !

Elle ne se retourna même pas.

- Eiko ! Reviens ! Explique moi au moins !

Je la rattrapai enfin, juste avant qu'elle n'atteigne le chemin. J'attrapai son bras et la fis se retourner sèchement. Quand je vis enfin son visage, il était strié de larme.

- Quoi Rose ? Qu'est ce que tu veux ? hurla-t-elle.

Sonnée, je reculai de quelques pas.

- Excuse moi mais je me plie en quatre pour faire un déjeuner sympa avec toi et toi tu te bars au bout de vingt minutes... Sympa !

Je pressentis le venin qui allait sortir de sa bouche rien qu'au tremblement de sa mâchoire et au clignement de paupière furieux.

Tu veux jouer à ça ? Et bien jouons Eiko.

- C'est sûr que c'était dur de demander à Clotilde de faire des sandwichs et de m'amener ici !

Un arrière goût amer emplit la bouche.

- C'est bas Eik'. Vraiment bas. Tu sais quoi ? J'avais prévu d'autres choses mais fais à ta guise ! Dégage si tu veux ! Sans me donner aucune explication ! Pas de soucis !

Elle se passa une main rageuse dans les cheveux.

- C'est trop compliqué pour moi Rose ok ? C'est plus simple si je pars, et tu le sais très bien.

Je soupirai lourdement.

- Non, je ne sais rien si tu ne m'explique rien !

Son regard s'assombrit.

- C'est compliqué, c'est tout.

Elle fit demi-tour et partit sans un mot de plus. Je donnai un coup de pied rageur dans un tas de feuille morte non loin de là.

- Putain !

Le soir même, je rentrai avec Clotilde, l'esprit en vrac. Je n'avais pas écouté un seul cours de l'après midi, obnubilée par le départ d'Eiko et l'ignorance dans laquelle j'étais quant à ses raisons. Ma cousine le voyait bien, et ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne me pose une question. Nous étions encore assises à l'arrêt de bus quand elle se lança :

- Ça va Rose ?

Je soupirai et posai ma tête sur son épaule, lasse.

- Non.

Elle caressa doucement mes cheveux et attendit patiemment que je parle.

- C'est Eiko...

- Je sais. me coupa-t-elle.

Je me redressai et la questionnai du regard.

- Quand ma meilleure amie revient d'un déjeuner en pleurs et couverte de boue, je m'inquiète un minimum. Elle m'a expliqué ce qu'il s'est passé, et depuis je la considère comme plus qu'idiote.

Je fronçai les sourcils et décrivis des cercles du bout de l'index sur sa main.

- Tu sais pourquoi elle a fait ça ?

Clotilde se tortilla, gênée. La déduction n'était pas difficile à faire.

- Tu sais. Super.

- Tu comprends que je ne peux pas te le dire...

Je haussai les épaules et me levai du banc de l'arrêt en voyant mon bus arriver. Celui de ma cousine arriverait après, alors je lui collai deux bises rapides et partis mes cheveux secoués par le vent. Une fois assise au fond, je sortis mes écouteurs et lança une playlist au hasard, le cœur prit par les interrogations. Je ne comprenais pas ce qui s'était passé. Tout se passait très bien, je lui posai une question...

Qu'est ce qui ne va pas Eiko ?

- Merde ! sifflai-je en réalisant.

Mes voisins m'adressèrent des regards qui oscillaient entre la réprobation et l'étonnement. Je fis fi de leur avis et me pris la tête entre les mains. Clairement, son humeur maussade des derniers jours et son énervement soudain avaient quelques choses à voir. Mais je ne pouvais rien faire tant qu'elle serait en colère contre moi, ce qui pouvait durer un bout de temps vu qu'elle était plus que rancunière.

- Excuse moi, je peux m'asseoir ici ?

- Tu ne peux t'excuser toi-même... répliquai-je machinalement en me tournant vers la personne qui venait de parler, interrompant le fil de mes pensées.

Un garçon brun d'environ mon âge haussa les sourcils mais ne dit rien, attendant que je lui donne mon autorisation. Je déplaçai mon sac de cours pour lui laisser assez de place et lui fis signe qu'il pouvait. Un sourire qui creusait des fossettes dans ses joues illumina son visage.

- J'ai affaire à une reine de la grammaire apparemment.

Je haussai les épaules, mais accueillit avec joie cette distraction à mes pensées sombres.

- Je ne me qualifierai pas de reine de la grammaire mais après reine...

Il sourit amusé et se pointa du doigt.

- Je suis nul en français, alors je respecte. Je m'appelle Alexandre, Alex, au fait.

A mon tour de sourire.

- Rose.

- Je sais.

Je haussai les sourcils mais ne dis rien, attendant qu'il s'expliquât, même s'il n'y avait pas à douter qu'il venait du lycée.

- Je suis en première...

Alors que mon hypothèse venait d'être confirmée, je me tendis invariablement, sur mes gardes. Ma réputation était en jeu, il était temps de remettre mon masque.

- Je vois. J'ai une amie en première, peut être que tu la connais...

- Peut être.

Avant que le silence ne puisse s'installer, il se pencha vers moi et titilla du doigt le fil de mes écouteurs.

- T'écoute quoi ?

Je réalisai que cela pouvait être impoli de rester ainsi et stoppai ma musique aussi sec. Une chanson de Queen s'arrêta immédiatement et je cherchai très vite une solution plus acceptable pour quelqu'un de ma génération.

- Quelque chose.

Il laissa échapper un petit rire.

- Merci Rose, ça m'aide beaucoup !

Je me renfrognai. C'était moi ou toutes les personnes de premières que je connaissais passaient leur temps à se moquer de moi ?

- Un truc de vieux. marmonnai-je de mauvaise grâce.

Il hocha la tête.

- Tu as mis le volume un peu fort, je le savais déjà.

- Alors pourquoi demander ?

Il se renfonça dans son siège en croisant les bras, un léger sourire sur les lèvres. J'attendis avidement sa réponse.

- Parce qu'il me fallait une raison pour te parler !

Un rire que j'espérais crédible mais qui sonnait faux m'échappa. Je m'empêchai de grimacer même si l'envie ne m'en manquait pas. Lui, fier de sa répartie passa un bras sur le dossier de mon siège.

- Je vois. J'écoutais du Queen.

Il eut un sourire absolument craquant.

- Le meilleur groupe britannique.

- Le meilleur groupe tout court. rectifiai-je, un index en l'air.

Il leva les yeux au ciel.

- Là, je dois te contredire. Les Stones sont au dessus.

Je m'étranglai devant son insolence.

- Les Stones ! Mais qui es-tu ?

Il haussa les épaules. Soudain, je réalisai que nous étions arrivés à mon arrêt. Je me levai et rassemblai mes affaires, au moment où le bus s'arrêta, je vacillai et finis par tomber sur ses genoux. Il avait posé, par réflexe, j'imaginais, ses mains sur ma taille.

- Je... Je dois y aller. marmonnai-je.

Je me relevai brusquement et sortis du bus presque en courant. Sa prise m'en avait rappelée une autre, son sourire timide aussi, et son âge me ramenait encore et toujours à la même personne. Pourtant je ne pouvais pas dire que notre discussion m'avait déplue, mais je serai bien crédule de croire qu'il n'avait pas prévu cela. C'était rare qu'un garçon du lycée m'abordât sans aucune idée derrière la tête.

J'arrivai bien vite devant la porte cochère de mon immeuble et eus mon invariable et quotidienne minute d'attente devant l'ascenseur qui ne se décidait pas à avancer plus vite. Quand je pénétrai dans notre petit appartement, je compris tout de suite que ma mère n'était pas au summum de sa forme. Toutes les lumières étaient éteintes, plongeant le logement dans la pénombre, et une odeur de brulé s'échappait de la cuisine. Parfait. Nos états d'esprit étaient accordés. 

Je poussai la porte du pied en posant mes clefs sur le buffet et entrai dans le salon où, ma mère, une assiette de cookies calcinés entre les jambes regardaient les Reines du Shopping. Je posai mon sac de cours dans la chambre, ôtai ma veste et enlevai mes basket pour rester en chaussettes.

- Ça va Rosie ? demanda ma mère depuis le salon.

Je la rejoignis en trainant des pieds.

- Je te retourne la question.

Elle soupira lourdement et souleva le plaid sous lequel elle était blottie pour me laisser une place.

- Tu peux prendre un cookie mais je les ai raté.

Je ricanai.

- Ça sent depuis l'ascenseur.

Elle grogna. J'en pris un pour lui faire plaisir, et fus positivement étonnée en remarquant qu'il n'était pas si mal. En tout cas bien mieux que ce que je ne ferai jamais.

- Ils sont plutôt bon ! m'exclamai-je en posant ma tête sur son épaule.

Elle me caressa les cheveux en riant doucement.

- Pas la peine de me dire ça pour me faire plaisir, je suis loin des exploits culinaires de mon adorable nièce.

Je fus obligée d'acquiescer.

- Je ne peux dire le contraire.

- Comment s'est passé ton déjeuner pour lequel elle a disparu toute la soirée de mardi ? me relança-t-elle.

Je me tendis immédiatement.

- Mal. Mais tu t'en doutais, et non, je n'ai pas envie d'en parler.

Elle acquiesça lentement.

- Moi aussi j'ai eu une longue journée. On est deux.

Un sourire moqueur craquela le pli sévère de ma bouche.

- Les Reines du Shopping hein ? Vraiment, Mam's ?

Elle me donna un coup de coude et je ricanai.

- Tu aurais fait la même !

Je pris un air offusqué.

- Tu rigoles ? J'aurai mis Chasseur d'Appart !

Elle leva les yeux au ciel. Je me concentrai sur la télévision où la candidate essayait une robe absolument hideuse.

- C'est... commençai-je en secouant la tête.

Ma mère se mit à rire.

- Absolument dégueulasse !

A mon tour de rire.

- Je ne comprends pas, tu ne veux pas ça pour ton anniversaire ?

- Je t'aime, Rosie, mais si tu m'achètes ça...

Je secouai la tête alors que mon corps était encore secoué par des spasmes de rire. Mon téléphone vibra soudainement dans ma poche arrière de jeans et ma mère ouvrit un œil, d'un coup bien curieuse.

- Fais au moins l'effort de sembler ne pas t'y intéresser... grognai-je en sortant mon portable.

La notification provenait d'Instagram.

Alex_grd a commencé à vous suivre.

Alex_grd a partagé un lien.

Alex_grd : toujours convaincue de la supériorité de Queen ?

Je souris doucement, ce qui n'échappa pas à l'œil de lynx de ma chère maman. Elle éteignis le son de l'émission et m'enjoignis à cliquer sur le lien.

- C'est qui ? ajouta-t-elle en souriant étrangement.

Je haussai les épaules.

- Un mec du lycée. Rencontré dans le bus.

Un concert des Stones s'afficha en petit sur mon écran et je levai les yeux au ciel.

- Il est persuadé que les Stones sont meilleurs que Queen. C'est une honte.

Elle acquiesça énergiquement et m'arracha le portable des mains.

- Je suis désolée Rosemonde, mais ça ne va pas le faire avec ce garçon. A quoi il ressemble ?

Je haussai les épaules.

- Il est... Brun.

Je réalisai que je n'avais absolument pas fait attention à son physique lors de notre discussion.

- Montre son compte Insta idiote ! Non mais tu es censée être la jeune ici !

Je lui donnai un coup de coude mais cliquait sur son compte où aucune photo n'était publié.

- Il n'y a rien. constata ma mère, déçue.

- Rien du tout. confirmai-je en me mordant les joues pour ne pas rire.

- Tant pis je n'aurai pas la chance de voir le visage du nouvel "ami" de ma fille.

Elle dessina les guillemets dans l'air. Je soupirai lourdement.

- Quoi ?

- Rien Maman. Viens là.

Elle je me blottis dans ses bras, comme lorsque j'étais petite. Quelle est la meilleure place au monde pour résoudre ses problèmes si ce n'est contre sa mère ?

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