Chapitre 3 - Rose
J'étais allongée sur le canapé de Victor, ma tête posée sur le torse d'un garçon de terminale. Son bras était enroulé autour de ma taille, et me pressait contre lui. Une ou deux heures plus tôt j'aurais peut être tenter de me dégager de son étreinte un peu trop entreprenante à mon goût, mais j'avais arrêté de réfléchir au bout du sixième verre. Ou septième. J'avais arrêté de tenir le compte.
Ma bouche était pâteuse, mon cerveau fonctionnait au ralenti, et je trouvais vraiment ce bras autour de ma taille très agréable. Peut être que j'aurais du me poser des questions quant à mon taux d'alcoolémie, mais je n'en avais plus rien à faire.
Eiko avait au moins autant bu que moi, mais elle semblait mieux tenir puisqu'elle était toujours en train de se déhancher sur la piste, collée à une jolie blonde que je ne connaissais pas.
Elle a du inviter des amis de première. en déduis-je, l'esprit brumeux.
Elles finirent par s'embrasser sous les sifflements de Clotilde qui dansait non loin de là. Eiko lui lança un regard noir, et malgré moi je ne pus m'empecher de rire. Pourtant, je perdais notre petit concours. Eiko avait sept points, je stagnais à cinq depuis au moins une demi-heure.
La main de mon oreiller personnel se decala soudainement sur le haut de ma cuisse, me ramenant à la réalité, et je détournai mon regard de la belle japonaise. Le brun au dessus de moi m'adressa un sourire rassurant. Pourtant, les derniers grammes de raison qui me restaient me hurlaient de ne pas lui faire confiance.
Je me redressai et ôtai sa main de mon corps, avant de me lever et de tituber vers Nour, qui, comme à son habitude, veillait sur tout le monde d'un coin dans l'ombre. Mes chevilles lachèrent au moment où j'arrivai à son niveau, et elle me réceptionna dans ses bras, une moue moralisatrice sur le visage.
- Je crois que tu as assez bu pour aujourd'hui Rose...
J'avançai ma lèvre inférieure.
- Donc après minuit je pourrai recommencer...
Elle alluma son téléphone sous mon nez, et la lumière m'éblouit. Je reculai de quelques pas en grimaçant.
- Il est deux heures du matin. expliqua-t-elle en rangeant son portable.
Je haussai les épaules et cherchai une nouvelle excuse.
- De toute façon c'est trop tard, autant que je continue.
Je fis mine de repartir vers le bar, mais elle m'attrapa le bras et me tira sèchement en arrière. Cette fois, elle ne rigolait plus.
- Je suis sérieuse Rose. Je ne tiens vraiment pas à emmener quelqu'un à l'hôpital.
Je soupirai et m'adossai contre le mur alors que le monde tournait autour de moi.
- Touches-en deux mots à Eik', elle a autant bu que moi.
Un sourire vint effleurer les lèvres de mon amie.
- Mais elle, elle galope comme un lapin.
Je me tordis le cou pour suivre la direction de son regard, et vis la plus jeune du groupe en train de s'éloigner vers le jardin, un bras autour de la taille de la blonde de tout à l'heure. Je me ressaisis.
- Bon c'est le moment où je suis censée passez à l'attaque et rattraper mon retard.
Nour haussa les sourcils.
- De quoi tu parles ?
- On a un concours, expliquai-je en jetant un coup d'œil autour de moi, à celle qui embrasse le plus de personnes ce soir. Elle gagne de deux.
- Tu as un défi avec Eiko pour savoir qui va embrasser le plus de personnes ?
J'acquiesçai, la mine sérieuse.
- Elle est complètement idiote. marmonna-t-elle entre ses dents.
Elle se ressaisit et posa une main sur mon épaule.
- Va te coucher Rose tu sembles fatiguer, je vais aller parler à Eiko.
- A propos de ?
- Laisse tomber. Va au lit. Vous dormez dans la chambre de Laura ?
- Oui mais...
- Va dormir je te dis, ou tu vas le regretter demain.
Hargneuse, je lui attrapai le bras avant qu'elle ne puisse faire quoique ce soit. J'enfonçai mes ongles dans la peau nue de son bras, mais Nour ne dit rien et se contenta d'attendre que je parle.
- C'est sur que tu as beaucoup d'expérience sur les cuites...
Une lueur de peine traversa son regard avant qu'elle ne se reprenne.
- C'est petit Rose... soupira-t-elle en se dégageant de mon étreinte.
Cette fois-ci, je la laissai partir sans rien dire. Je posai ma tête contre la surface froide du mur en soupirant. Autour de moi, la fête commençait, lentement mais sûrement, à s'éteindre. Pourtant, mais amis étaient tous en train de s'amuser, sans remarquer ma solitude.
Victor dansait avec une fille, un œil possessif sur Clotilde qui riait avec une de ses amies non loin de là. Solal discutait et s'esclaffai doucement avec un garçon, et Nour et Eiko avaient disparu par la porte fenêtre. Moi j'étais seule. L'adrénaline qui circulait dans mes veine depuis le début de la soirée avait disparu. Une soudaine envie de pleurer me surprit, et je secouai la tête, tentant de me remettre les idées en place.
Peut être que je devrais dormir, en effet.
Je me redressai et partis d'un pas incertain vers l'étage. En arrivant devant les marches, je compris que je n'y arriverai pas avec mes talons. Je me baissais donc pour enlever mes chaussures, et un garçon passa derrière moi à ce moment là. Je le sentis poser une main sur mes fesses en riant. Avant que je ne puisse réaliser ce que je faisais, le talon que je venais d'enlever vola à sa tête.
Avec un bruit étouffé il partit en arrière.
- Conasse ! s'exclama-t-il une main sur son visage.
Il l'enleva un instant et je vis que mon talon avait laissé une marque rouge sur sa joue. Du sang.
- Je...
- T'es vraiment qu'une pute.
Ses lèvres se recourbèrent en un sourire mauvais et il s'éloigna vers ses amis, en tentant d'arrêter le sang. Hébétée, je ne pouvais plus bouger. Je réalisais à peine ce que j'avais fait. Pourtant, la seule chose à laquelle je pouvais penser, c'était la perte de contrôle au moment où il m'a touchée sans mon autorisation. Je cherchais le regret en moi, mais ne le trouvais pas. C'était sa faute. Je n'avais fait que me défendre. Un bâillement me ramena à la réalité, et je gravis rapidement les marches qui me séparaient de mon lit avec empressement.
Eiko vint se coucher deux bonnes heures après moi, m'informant que la soirée avait duré bien plus longtemps que je ne le pensais. Elle tenta de ne pas faire de bruit, mais c'était peine perdue, et je finis par allumer moi même la lumière pour lui permettre de rejoindre le lit où je lui avais gardé une place.
- Ah. Je pensais que tu dormais. fit-elle, en plissant les yeux.
- Je dormais. confirmai-je, l'esprit bien plus clair qu'elle. Mais tu m'as reveillée.
Une grimace d'excuse traversa son visage, et elle se dépêcha d'enlever ses chaussure et de se glisser sous la couette. Ses pieds vinrent effleurer ma cuisse nue, et elle rougit un instant avant de me faire signe d'éteindre.
- Dors bien Rose.
- Bonne nuit Eik'.
Le noir et le silence régnèrent à nouveau.
- Les morues reveillez-vous !
Quelqu'un toqua à la porte et je grognai en pressant mon oreiller sur mon visage. La poignée s'actionna dans le vide, et je bénis Eiko pour avoir fermé la porte à clés hier soir. Mes paupières s'ouvrirent quelques instants et je le regrettai immédiatement. Une lueur m'éblouit et je grognai à nouveau. À côté de moi, je sentis mon amie se retourner.
- Les filles sérieux j'ai le remède miracle des gueules de bois... un doliprane !
Nouveaux toquements.
- Ta gueule Victor ! hurla Eiko alors que je grimaçai.
Un rire retentit derrière la porte.
- Il va pas lâcher l'affaire. marmonnai-je.
La japonaise grogna.
- Je te confirme.
- Bon les filles je sais que vous êtes réveillées, levez vous maintenant ?
- Je vais le tuer. articulai-je.
Je finis par rabattre la couverture et ouvris les yeux. Je mis quelques secondes à m'habituer à la lumière puis je me levai sans un regard pour le corps d'Eiko, toujours en robe. Je m'étais couchée en sous-vêtement et piquai donc un tee-shirt à la petite sœur de Victor qui étais un tout petit peu plus grande que moi. J'ouvris la porte en grand, l'air énervé.
Victor s'était adossé au mur en face, les bras croisés et un sourire moqueur sur le visage.
- Ah ! Les bêtes sortent de leur tanière.
Je levai les yeux au ciel et lui arrachai sa boîte de doliprane des mains.
- Au lieu de me soûler tu veux pas plutôt aller commencer à ranger en bas, qu'on ai moins de choses à faire ?
Il secoua la tête en riant.
- Oh Rosie... On a déjà tout fait...
Un éclair d'étonnement traversa mon visage. Je cherchais une horloge.
- Mais il est quelle heure ?
Il grimaça, faussement désolé.
- Ah. La question qui fâche.
Je soupirai lourdement, déjà à bout de patience.
- Quelle heure Victor ?
- Trois heures et quart. De l'après midi. crut-il utile de préciser.
- Sans blague... marmonnai-je.
D'un coup, j'étais réveillée. Je fis demi-tour et ouvrit en grand la porte de la chambre.
C'était une chambre typique d'adolescente, les murs couverts de photos et de poster, un grand bureau et une armoire qui deborde. Un lit double trônait au milieu de la pièce. Je me jetai sur la forme en dessous de la couverture dont seuls les cheveux noirs aux reflets bleutés dépassaient.
- Debout la marmotte on est déjà au milieu de l'après midi !
Eiko grogna et tenta de se débarrasser de moi. J'enfonçais mes coudes dans le matelas pour ne pas bouger.
- Je suis sérieuse.
Elle se retourna et son visage à demi-endormi se retrouva juste en dessous du mien. Elle ouvrit grand les yeux en s'en apercevant et déglutit. Étonné, je la contemplais quelques secondes avant de me redresser et de la libérer.
- Dépêche-toi, avant que Victor ne nous vire.
Elle acquiesça lentement et se leva en se frottant les yeux.
- Il est quelle heure ?
- Trois heures et quart.
Je m'activai déjà à enfiler un jean et un pull par dessus le tee-shirt de Laura. Je trouverai bien un moment pour lui rendre.
- On se voit demain du coup. ajoutai-je alors qu'elle émergeait à peine.
Je mis mes talons et lui embrassai le haut du crâne avant de sortir de la chambre. Mon meilleur ami m'attendait en bas. En réalité, tout le groupe se tenait autour de l'îlot central de la cuisine. Clotilde était la plus proche, le bras de Solal autour de ses épaules. Nour et Victor se tenait un peu plus en retrait, appuyés contre le plan de travail. Je haussai les sourcils, mais me contentai de prendre un bol dans un placard et de le remplir de lait.
- Fais comme chez toi surtout... ironisa Vic'.
Je lui souris largement et m'assis sur une chaise.
- Pourquoi ferais-je autrement ?
Il haussa les épaules et Nour laissa échapper un rire. J'entendis indistinctement Eiko arriver derrière moi.
- Ah la dernière Belle au Bois dormant est réveillée ! rit Solal.
Eiko leva un doigt, bien plus réveillée que moi.
- À ce sujet, vous saviez que en fait le prince charmant il l'a violée et si elle s'est réveillée c'est à cause de l'accouchement ?
Victor grimaça, Clotilde blémit et Solal et Nour échangèrent un long regard.
- C'est... intéressant Eiko... finis-je par lancer après avoir bu une gorgée de lait.
Elle se regorgea en attrapant un bout de pain.
- Pas vrai ? J'ai appris ça sur tiktok.
La blonde non loin de moi leva les yeux au ciel, alors que notre amie embrayait.
- Ça montre bien à quel point la société patriarcale nous domine depuis toujours, même notre petite enfance, je veux dire, on nous apprend à attendre bien sagement que le prince charmant vienne nous réveiller pour qu'au final il nous viole. De toute façon ces contes sont très mauvais pour les enfants, vous vous rendez compte de ce qu'on nous inculque dès l'enfance ?
Je savais qu'elle avait raison, mais je n'avais aucune envie de me lancer dans le débat. Par lâcheté, peut être, lâcheté d'exposer mon point de vue. Ou par peur, peur de ne plus être considérée seulement comme la jolie potiche qui ne sert à rien. Et pourtant, une image obsédante ne veut pas partir, celle de la main du garçon, hier soir.
Mes mains se crispèrent autour du bol. Clotilde était aussi blanche que moi. Et Victor le réalisa bien assez vite.
- Absolument hors sujet mon Eiko, mais qui était cette fille avec qui tu as disparu aux alentours de deux heures ?
La japonaise parut réfléchir un instant, apparemment incapable de rassembler ses souvenirs.
- Ah ! Oui ! Yseult ! Bah... C'est Yseult quoi. Ma voisine.
Nour haussa les sourcils, attendant qu'elle développe. Moi, je ne pouvais m'empêcher de me rappeler les cheveux longs, lisses et blonds, les grands yeux bleus et les lèvres pleines d'Yseult.
Sérieux c'est quoi ce prénom ?
- Mais je ne suis pas... Elle n'est pas... D'ailleurs.
Solal laissa échapper un petit rire alors que j'expirai discrètement.
- Alors pourquoi tu lui as roulé la pelle de sa vie au juste ?
Une charmante piqure de rappelle, merci Soso. Eiko soupira et me jeta un regard qu'elle pensait peut être discret.
- C'était pour un défi avec Rose.
Quatre regards convergèrent vers moi. Je lâchai mon bol et levai innocemment les mains.
- J'y suis pour rien, c'était son idée !
Elle se tourna vers moi.
- Tu rigoles, c'est toi ?
Je haussai les sourcils et posai une main sur son front en faisant mine de prendre sa température.
- T'es sûre que ça va Eik' ? T'as pas l'air d'avoir les souvenirs bien en place...
Elle haussa les épaules.
- Tant pis. J'ai quand même gagné. Tu me dois un euro.
Une idée m'effleura alors que je gardais le silence. Une idée sûrement stupide et irréfléchie, et il y avait quatre-vingt dix neuf pour cent de chances pour que Clo me fasse la morale dessus après mais en même temps... J'imaginais déjà leurs yeux agrandis et leur regards réprobateurs. Les mêmes regards que celui de Nour, hier, quand elle avait appris l'existence du pari. Et si ils me jugeaient et me tournaient le dos après ça ? Si je les décevais juste parce que déjeuner seule à seule avec Eiko me ferait plaisir ? Évidemment, ce n'était pas un rancard, mais je voulais marquer le coup...
1
2
3
Respire.
Ce sont mes amis. Ils ne me jugeraient jamais. Ils connaissaient le vrai moi. Ils connaissaient Rosemonde.
- Check la météo, mais si jeudi il fait beau, je t'emmène déjeuner dehors. Sois prête baby !
Un silence s'installa.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top