Chapitre 2 - Eiko
Ma tête piqua vers ma table et mes paupières se refermèrent contre mon gré. La douce torpeur du sommeil m'envahit. Une douleur inattendue dans mes côtes me fit sursauter et eut le mérite de me réveiller. A côté de moi, Yseult me sourit et se reconcentra sur ses cahiers. J'aimais bien Yseult, elle était blonde, avec des immenses yeux bleus et ressemblait à une princesse Disney. Et elle avait le mérite d'assumer complétement son prénom, ce qui était tout à son honneur. A sa place, j'aurai fugué le jour où j'aurai découvert que mes parents étaient les responsables. Et j'aurai fui tous les Tristan existant.
- Merci, chuchotai-je en attrapant un stylo.
Nouveau sourire, qui dévoila une fossette dans sa joue droite. Je jetai un coup d'œil à l'horloge. Qui était apparemment en retard puisque c'était censé avoir sonné depuis cinq minutes. Je soupirai lourdement. Je me sentis à nouveau tomber, mais cette fois ce ne fut pas ma voisine attentive qui me réveilla, mais un bruit strident qui correspondait à la nouvelle sonnerie mise en place depuis septembre. Je grognai.
- Je ne m'y ferai jamais.
Yseult rit doucement, sans rien ajouter. Je rangeai rapidement mes affaires en ignorant le regard de ma prof de maths qui fomentait surement un plan pour m'assassiner. Un sourire d'excuse sur les lèvres, je me levai brusquement et quittai de la salle en courant, sans attendre aucune autorisation. Une fois dehors, je slalomai entre les élèves à toute vitesse et sortis du bâtiment des premières pour prendre le chemin de celui des terminales.
Pendant instant, la pensée de mon adorable voisine laissée pour compte me fit me sentir coupable, puis je secouai la tête et repartis. Si je n'arrivais pas assez tôt, ils partiraient sans moi. Ils n'avaient aucune pitié. En réalité, ils ne se doutaient pas que mes relations avec les personnes de mon niveau à quatre ou cinq exceptions près ne sont que cordiales si ce n'était extrêmement froide. Si je sortais trop tard de cours et ratais leur départ, je pouvais être sûre de manger seule à la gare en attendant leur retour. J'aimais dire que j'étais la moins attachée au groupe mais la réalité était tout autre.
Le bâtiment des terminales apparut finalement dans mon champ de vision et j'accélèrai mon pas déjà très rapide, afin de l'atteindre au plus vite. J'arrivai essoufflée devant la porte vitrée et montai sur la pointe des pieds pour essayer d'apercevoir quelque chose à l'intérieur, par-delà la foule d'élèves.
- Eiko !
Je me retournai pour voir qui venait de prononcer mon nom et grimaçai avant de me mettre une claque intérieure et de me reprendre.
Pitié, qui que tu sois, Dieu ou autre, fais qu'ils arrivent vite...
Un sourire hypocrite s'étendit sur mon visage alors qu'Alexandre s'approchait de moi, les mains nonchalamment rentrées dans ses poches de jeans, les lèvres étirés en un sourire en coin.
C'est dingue il a vraiment l'air d'un pauvre type comment j'ai pu...
- Ça... fait longtemps ! m'exclamai-je en retenant un mouvement de recul alors qu'il se penchait pour me faire la bise.
Il se redressa en laissant échapper un petit rire et se balança d'avant en arrière.
- C'est drôle de te voir ici !
Je fronçai les sourcils, pas vraiment convaincue.
- Pas tellement... Je veux dire, on est dans le même lycée, non ?
Il acquiesça lentement en riant et je tentai de le suivre, mais le mien sonnait faux.
- Je savais que je n'aurai jamais dû te laisser partir, t'es trop intelligente pour ça...
Une nouvelle fois, je fronçai les sourcils. Il était amnésique ou il le faisait exprès et cherchait à me provoquer ?
- En l'occurrence c'est moi qui t'ais laissée partir...
Un sourire doux prit place sur ses lèvres, je crus, pendant un instant, revoir l'Alexandre du début.
- J'aurai dû me battre...
- Ecoute, Alex je...
Il plaça un doigt sur mes lèvres et cette fois-ci je me reculai brusquement, mes instincts primaires reprenant le dessus. Il se gratta le crâne mais ne perdis pas son air assuré qui se refletait sur son visage depuis le début de la conversation.
- Eiko, je suis désolé, j'aurai jamais du réagir comme ça...
- Tu admets donc que tu as eu tort ?
Il grimaça et je serrai le poing en me retenant de lui mettre dans son joli visage, ce qui serait une grande perte esthétique pour la gente féminine. Pour ce qui était de l'intelligence, cela restait encore à prouver.
- Ok, je vois, tu espères quoi, que je te dise que j'ai changé ? Que la situation a évolué depuis juin ?
- Eiko je...
- « Tu » rien du tout ! Ecoute, si tu ne m'acceptes pas comme je suis, aucune relation ne sera jamais possible entre nous, tu en as conscience ?
Il se gratta une nouvelle fois le crâne. Je soupirai.
- Tu penses toujours que j'ai tort. Que je devrais changer. Ta mentalité du siècle dernier n'a pas changé. Ecoute Alex, je ne vois pas pourquoi tu es venu me voir mais...
- Arrête de m'appeler Alex, on n'a plus rien à se dire. Je voulais savoir si tu pouvais me présenter Rose, puisque vous avez l'air assez proche... Et que tu ne l'as jamais fait l'an dernier.
Je le dévisageai de haut en bas, dégoutée par son attitude, mais malheureusement pas étonnée, et aperçus au même moment le reflet familier sur la coque de téléphone argentée de Clotilde. Ils étaient enfin là. Sans rien ajouter pour mettre fin à la conversation, je tournai les talons et m'éloignai en marmonnant entre mes dents :
- Pauvre type.
Ce qu'il était, indéniablement.
Mes amis étaient en plein débat quand je les rejoignis enfin, et une discussion houleuse semblait être en cours entre Clotilde et Victor. Je m'approchai de Nour, dos à moi.
- Pourquoi vous les avez laissé se parler ? chuchotai-je dans son oreille.
Elle sursauta et se retourna brusquement. Ses traits se détendirent en me reconnaissant.
- Il se parlait déjà quand je suis arrivée, ils étaient en spé ensemble, j'ai rien pu faire.
- L'erreur ! marmonnai-je en riant.
Elle sourit en retour. J'enroulai mon bras autour du sien et l'entrainai avec moi vers l'avant.
- Bon, les cocos, Nour et moi allons déjeuner joyeusement, alors vous faites ce que vous voulez mais si j'étais vous j'écouterais l'appel de l'estomac plutôt que les cris des deux idiots ici présent.
Victor releva la tête, étonné par mon intervention alors que Solal et Clotilde sautillaient déjà dans ma direction. Rose, le regard sombre, resta en arrière avec lui.
- Tu t'excuses peut-être ! grinça Clotilde en arrivant à ma hauteur.
Elle me donna une chiquenaude et je me mis à rire.
- La vérité sort toujours de la bouche des enfants ! lançai-je joyeusement.
Pour une fois que mon année de moins pouvait servir.
- Donc tu te considères comme une enfant. fit remarquer Victor en arrivant à notre hauteur.
Je fronçai les sourcils.
- Laisse la tranquille. marmonna Clo.
- Je t'ai posé une question toi ?
- Je te rappelle que je suis aussi concernée que toi.
- Je te rappelle que nous ne sommes pas obligés d'être d'accord sur tout.
- Encore heureux, je ne veux pas avoir les même opinions que toi.
- Je...
- Stop ! hurlai-je en les interrompant.
Deux regards étonnés me répondirent. Rose nous atteignit enfin.
- Rose, par pitié, emmène l'un des deux avec toi, ensemble ils sont imbuvables.
- Je ne te permets pas...
- Ta gueule Vic.
Etonné par le ton sec de sa meilleure amie, Victor la suivit sans discuter. Je me retrouvai donc seule avec une Clotilde remontée.
- Il est insupportable, sérieux, t'as vu ça ?
- J'ai vu j'ai vu... répondis-je distraitement, en vérifiant du coin de l'œil qu'Alexandre avait bien disparu.
Elle continua son laïus jusqu'aux grilles du lycée. Là, les autres s'étaient arrêtés, à nouveau en train de se disputer.
Pour changer.
L'ambiance étaient tendues aujourd'hui, et je ne supportais pas cela.
- C'est pour quoi, cette fois ? lançai-je en arrivant à leur hauteur.
Nour, occupée à remettre son hijab leva les yeux au ciel pour toute réponse. Heureusement pour moi, Solal fut plus expressif.
- Le lieu de déjeuner. Je veux manger chez Cric Croc, et Victor préfère se faire une pasta box.
- Vic ! S'il te plait, j'ai envie d'un croc monsieur ! gémis-je en me pendant à son cou, un air de chien battu sur le visage.
Cric Croc était un restaurant de vente à emporter qui faisait les meilleurs croc monsieur et croc madame de la ville. C'était mon pêché mignon et j'y allais très régulièrement. Trop régulièrement, pour être tout à fait honnête.
- Eiko, quand est-ce que tu n'as pas envie de croc monsieur au juste ?
Je tirai la langue à Victor et croisai les bras.
- Quand elle a envie de croc madame ? proposa Nour en m'entourant le cou de son bras.
Je me renfrognai encore plus.
- Vous êtes injuste. grognai-je.
- Alors c'est décidé on fait plaisir à la petite ! s'exclama joyeusement Solal en s'éloignant vers la gare, et le chemin du restaurant.
Rose lui emboita le pas, toujours silencieuse, alors que je fronçai les sourcils. Je n'avais pas entendu le son de sa voix depuis ce matin, à part quand elle avait agressé Victor tout à l'heure, même si sur le moment ça m'avait bien arrangé. Je trottinai justement vers le blond qui avançait la tête basse, les mains dans les poches de son jean, et qui en savait pour sur bien plus que moi.
- Elle a quoi, Rose ?
Il releva la tête vers moi et haussa les épaules.
- Elle est pas bien depuis ce matin, elle a pas dû aimé se retrouver ainsi exposée aux regards.
Je me mordis la lèvre et pris un air faussement dégagé. Pourtant je ne pouvais pas ignorer l'inquiétude qui me prenait la poitrine. Je cherchai un nouveau sujet de discussion, pour le sortir de la morosité dans laquelle sa discussion avec Clotilde l'avait plongé.
- Alors, ta soirée, t'es prêt pour samedi soir ?
Un sourire s'épanouit sur son visage et je sus que j'avais tapé dans le mille. Cela fait des semaines qu'il préparait cette soirée et montait un plan pour que son père ne se retrouvât pas chez lui ce soir là. Il était même allé jusqu'à passer un marché avec sa grand-mère pour qu'elle garde ses petits frères et sœurs. Si ses soirées étaient aussi renommées, c'était parce qu'on avait le contrôle de la maison et faisions ce que nous voulions.
- Ça va être dément. Tu viens un peu en avance, hein ?
- Je serai là à dix-huit heures pour t'aider à tout installer, c'est bon ?
Il sourit largement.
- C'est parfait.
Le samedi soir en question, je me préparais dans la salle de bain d'Elisa, la sœur de Vic, alors que les premiers invités arrivaient en bas. Je tentais sans grands résultats de tracer un trait correct d'eye-liner sur mes paupières, alors que mon téléphone vibra sur la vasque.
Rose : Eik, t'es là ?
Avec un soupir, je laissai tomber le tube et attrapai mon portable.
Moi : dans la salle de bain d'E. Toi ?
Quelques secondes plus tard, quelqu'un toqua à la porte, me servant de réponse. Je lâchai mon portable à son tour et partis ouvrir en souriant. Mon amie me repoussa pour entrer et balança son sac à côté du mien.
- On dort où ce soir ?
Je haussai les épaules et repris l'eye-liner.
- Dans la chambre de Laura je pense. On a qu'à laisser celle d'Elisa pour Clotilde et Nour, et Solal dormira avec Victor.
- Il reste une chambre vide dans tout ça.
La tradition depuis deux ans était la même. Après chaque soirée, on restait dormir chez Victor pour l'aider à tout ranger le lendemain. Lors de la première, Rose et moi nous étions écroulées complétement ivres dans celle des parents de notre hôte, encore ensemble à l'époque. Depuis, on avait gardé la tradition et on dormais toujours toutes les deux dans la même chambre, en laissant les autres se répartir.
- Tu veux m'abandonner ? fis-je semblant de m'offusquer.
Le pinceau dérapa et une longue trace noire s'étendit sur ma tempe. Je soufflai. L'air malicieux, Rose me poussa sur le côté, s'assit sur la vasque et me pris l'eye-liner des mains.
- Laisse-moi faire, je gère. Mieux que toi en tout cas. Tiens-toi immobile par contre.
Elle écarta les jambes et me fit signe de prendre place au milieu d'entre elles. Puis elle attrapa mon visage et le tordit dans tout les sens sans douceur. Elle finit par le laisser légèrement penché et tourné vers la droite, ses mains posées deçà et là de mon œil gauche. J'avais une conscience aigüe, presque douloureuse de ses cuisses si proches de mes bras et de sa peau contre la mienne. Je retenus mon souffle, comme si ce moment était aussi fragile que de la porcelaine. Ses doigts effleurèrent doucement ma peau.
- Tu peux respirer tu sais. lâcha-t-elle en riant doucement.
Une quinte de toux mélangée à un rire me prit, et Rose enfonça ses ongles dans ma peau pour m'empêcher de bouger. Son mouvement fit rapprocher ma tête de la sienne, concentrée. Je résistai à l'envie de lisser le pli entre ses sourcils.
- C'est ta faute si je ris. chuchotai-je, le souffle court.
Elle leva les yeux au ciel. Ses dents attrapèrent sa lèvre inférieure, mettant mes bonnes résolutions au supplice.
Eiko, tu veux la faire fuir ou ça se passe comment ? me morigénai-je en me donnant un claque intérieur.
La pression redescendit d'un cran.
- J'ai fini pour l'œil droit, tourne la tête de l'autre côté. lança soudainement ma maquilleuse du soir.
J'obéis en respirant à peine.
- Bon, si je pouvais éviter de t'emmener aux urgences, ça serait bien ! lança-t-elle en riant. Tu as besoin de respirer pour vivre.
- Tu m'as dit de pas bouger.
- Oui ! Pas de mourir dans mes bras !
- Faudrait savoir ce que tu veux. grommelai-je, faussement outragée.
Elle resserra ses cuisses autour de mon corps sans répondre, et je laissai mes mains tomber le long de mon corps, en évitant au maximum de la toucher. On tint encore deux minutes dans cette position, avant qu'elle ne se recule pour admirer son œuvre et me fit signe que c'était bon. Je me reculai à mon tour, et ignorai délibérément le frémissement de ma peau au contact de la sienne.
- Merci, tu viens de me sauver la vie.
Elle leva les yeux au ciel, dans un accès de fausse modestie.
- Je t'ai juste maquillée, pas la peine d'en faire tout un plat. On y va maintenant ou on reste ici à rien faire ? Je veux trouver quelqu'un ce soir moi !
Un rire étranglé m'échappa. Evidemment qu'elle voulait quelqu'un. Quelqu'un qui n'était pas moi, ni aucune autre fille puisqu'elle était à cent pour cent hétéro.
- De malade, moi aussi. Tu sais quoi ? A celle qui en embrasse le plus. Un euro que c'est moi.
- Tu paris haut dis moi ! dit-elle en riant. Tenu. Mais tu triches toi t'as plus de cibles.
Je haussai les épaules.
- Fallait être bi, écoute.
Son visage se ferma soudainement, et je me demandai ce que j'avais fait de mal. Mais avant de pouvoir lui poser la question, elle me salua et sortit de la pièce, me laissant seule pour me débattre avec les talons que j'ai sortis spécialement pour ce soir. Je les enfile à la quatrième vitesse, en essayant désespérément d'effacer le souvenir de ses mains sur la peau nue de mon visage et descendis les escaliers après avoir déposé nos sacs dans la chambre de Laura.
Une vingtaine de personne était déjà présentes, et Victor se démenait tant bien que mal pour ouvrir la porte aux nouveaux arrivants tout en surveillant du coin du l'œil un garçon un peu trop entreprenant avec Clotilde à son goût. Je manquai de m'étrangler de rire devant cette scène qui ne manquait pas d'ironie, avant de déchanter aussi vite en voyant Rose déjà sur les genoux d'un terminal inconnu. Elle ne perdait pas de temps. En me voyant, elle leva son verre rempli de vodka en souriant, et je me laissai tomber contre la première personne que je rencontrai, qui s'avèra être un grand brun.
- Salut ! lançai-je en souriant.
Il me dévisagea de haut en bas, comme un morceau de viande. Je réfrénai les frissons de dégoût qui me parcoururent, et mon sourire s'élargit à la place.
- Salut. Répondit-il la voix rauque.
Je lançai un clin d'œil à Rose. Que le jeu commence. Même si je devais y perdre mes ailes.
Voir un peu plus...
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