Chapitre 13 - Rose

- Je mets ça ou ça ? demandé-je en tendant deux robes devant moi.

Ma mère, assise sur le lit, se mordit la lèvre inférieure et les regarda à tour de rôle. Une bleue, avec un décolleté rond et des manches longues, assez adaptée à la saison même, si elle paraissait courte. L'autre était rose pâle, a bretelle, courte, moulante, simplement magnifique.

- Tu sais très bien laquelle je préfère. Mais toi, tu aimerais laquelle ?

- Je ne sais pas... Je ne sais pas ce qu'il aime...

Elle haussa les sourcils.

- Tu portais quoi au premier rendez vous ?

J'avais annoncé à ma mère que je sortais avec Alexandre pour ne pas qu'elle me pose trop de questions. Surtout que je n'étais absolument pas prête à tout lui dire. Et à présent, j'étais bien embêtée, car sa question était logique, mais la réponse ne m'apportait rien.

- Je sais plus. Une robe je crois. Mais ce n'est pas la question. Je te demande ce que tu penses...

Elle haussa les épaules  avant de croiser ses bras sur la poitrine. Elle réexamina les tenues en soupirant.

- Ça dépend l'image que tu veux donner. Si tu veux lui faire comprendre que tu t'en fiches du regard des autres et que tu es une fêtarde déjantée, prends la rose. Si tu veux lui apparaitre comme une jeune fille bien rangée, prends la bleue. La bleue est plus élégante, par ailleurs. Ca dépend aussi où tu l'emmènes...

Je m'assis sur mon lit, abattue. Elle sourit tendrement et posa une main sur ma joue.

- Chouchou... Fais comme tu veux. S'il t'aime, il ne s'y intéressera pas.

J'acquiesçai mollement, peu convaincue, avant de regarder les deux robes à tour de rôles.

- Le bleu me va mieux au teint. Va pour la bleue.

Ma mère sourit largement, sourire qui dévoila ses dents du bonheur. Un élan de nostalgie s'empara de moi et je me jetai dans ses bras en la serrant fort contre moi. Comme si j'avais peur qu'elle parte, comme lorsque j'étais petite.

Cela avait toujours été ma mère et moi. Je n'avais jamais connu mon père, il avait disparu de la circulation peu de temps après ma naissance, et cela ne me dérangeait pas. Nous nous suffisions bien assez l'une à l'autre. Mais cela n'avait pas toujours été le cas, et jusqu'à mes dix, onze ans, je me posais beaucoup de questions, et celle qui revenait le plus était : est-ce que maman aussi va partir ?

Elle n'était jamais partie.

Mais la question résidait toujours dans un coin de ma tête. La peur d'être seule, d'être abandonnée avait toujours sa place dans mon esprit.

Eiko : Où est-ce qu'on se retrouve ?

Moi : 12 avenue des acacias, 20 heures.

J'étais arrivée en avance, évidemment. Le restaurant était à moitié vide, et des serveurs désœuvrés déambulaient lentement entre les tables. J'en étais déjà à mon deuxième verre. Les lumières de la rue éclairaient à grand peine, et seule de légères ombres d'enfants accompagnés de leurs parents étaient visibles. En me mordillant la lèvre, je me demandai ce qu'il se passait s'il sonnait au restaurant pour récupérer des bonbons.

En même temps, personne en France ne fêtait plus Halloween.

Un frisson me parcourut et je resserrai mes bras autour de mon corps. Un groupe de jeunes, non loin de moi, passait leur temps à me dévisager et à glousser. Je devais rester calme. Et pourtant, je sortis un miroir de poche de mon sac et vérifiait pour le énième fois mon maquillage et ma tenue.

Tout est ok.

Eiko : Je suis devant, j'entre ?

Moi : Non tu dînes sous le porche.

La porte d'entrée s'ouvrit et se referma, un courant d'air parcourut la salle, et les poils de mes bras se dressèrent. Je me concentrai sur mon verre de bière, seul alcool que je me permettais, par peur de me voir refuser les autres. Je ne voulais pas croiser son regard, deviner ce qu'elle allait me dire, finalement, qu'après ces deux semaines passées toutes les deux, elle avait compris que je n'étais pas à la hauteur.

- Tu comptes assassiner du regard ce verre toute la soirée ?

La voix joyeuse de ma copine me fit lever les yeux, et mon cerveau se déconnecta. Elle portait une robe jaune tournesol, éclatante dans l'ambiance assez sombre du restaurant. Elle soulignait le bleu noir de ses cheveux et le laiteux de sa peau. Je restai sans voix pendant presque une minute. Eiko, loin de s'en formaliser, devina aisément l'effet qu'elle me faisait et s'installa en souriant.

- Tu es... parvins-je à articuler au bout d'un long moment.

Elle fit passer ses cheveux derrière son épaule.

- Je sais. Toi aussi.

Je grimaçai.

- J'ai longtemps hésité tu sais. Tellement que j'ai du demander à ma mère et elle pense que je suis avec Alexandre...

Un éclair de jalousie passa dans ses yeux et je rougis, me sentant coupable.

- Je lui dirai, tu sais, ajoutai-je en prenant sa main.

Elle me caressa la mienne avec son pouce et sourit doucement.

- Je n'ai rien dit au mien, je ne peux pas t'en vouloir.

Un sourire timide effleura mes lèvres.

- On a l'air bête !

Elle rit.

- Un peu.

Un serveur arriva, interrompant notre discussion et nous donnant les menus. Eiko ouvrit le sien et soupira.

- Tu me gâtes Rosette, mais là, vraiment, je n'ai pas faim...

Vexée, mais refusant de l'avouer, je me penchai vers elle.

- Tu ne veux rien ? Mais Eik', c'est notre dîner...

Elle soupira à nouveau et se pencha vers moi, en attrapant à nouveau ma main. Je vis le couple à la table derrière nous se retourner sans la moindre discrétion et grimacer. Mon cœur se serra. Si je n'ai jamais été à l'aise avec les démonstration d'affection en publique, je l'étais encore moins à présent. Je me dégageai donc de l'étreinte en rougissant, et ma copine fronça les sourcils.

- Tu es énervée ?

Je niai en secouant la tête, mais elle parut encore plus perdue.

- Alors qu'est-ce qu'il y a ?

Je me penchai en avant en rougissant de plus belle. J'allais finir par ressembler à une tomate.

- C'est juste... Les gens derrière... Démonstration d'affection... Tout ça.

Elle ne parut pas comprendre et me dévisagea avec des yeux effarés.

- Rien capté. Tu peux faire ça en français s'il te plait ?

Je me grattai la joue, de plus en plus impatiente. Je ne voulais pas la vexer, mais je n'avais pas le choix. Un couple, c'est à deux non ? Si elle ne respectait pas mes choix... Je me jetai à l'eau :

- Le couple derrière nous dévisage depuis tout à l'heure et ça me met mal à l'aise que tu me prennes la main en public. C'est bon ?

Elle se renfrogna et se laissa retomber contre son dossier.

- Je vois, fit-elle sèchement.

Je ne dis rien, décidant de tenir mes positions. 

- C'est bien, dis-je devant son mutisme. 

Elle haussa les sourcils.

- Qu'est-ce qui est bien ?

- Que tu vois.

Elle soupira et mon cœur se serra devant la détresse qu'il exprimait.

- Écoute Rose... Je suis désolée, je comprends tout à fait que tu ne veuille pas de démonstration en public, c'est juste que, je me sens en permanence comparée à Alexandre.

Étonnée, je me redressai et m'apprêtai à nier quand elle leva le doigt.

- C'est une manie de couper la parole chez toi. Laisse moi finir. Je me sens comparée, et je me sentirai comparée toute ma vie, c'est normal. Donc je comprends. Pas de démonstration. C'est juste que je ne peux pas m'empêcher de me dire que tu as fait exactement ce qu'on est en train de faire avec Alex à votre rendez-vous, et je ne suis pas du tout d'accord avec ça. Je ne suis pas lui. Je n'aime pas les mêmes choses que lui. Je conçois que tu ais voulu me faire plaisir, mais la vérité, c'est que je déteste aller au restaurant, je trouve que ça fait vieux, et si je ne m'abuse après tu vas me trainer au cinéma, je n'aime pas non plus je me sens claustrophobe dans ces salles.

Interloquée, je la dévisageai en silence.

- Je suis désolée, Rose, mais si notre relation doit être un copier coller des couples dans les films, autant ne pas en avoir du tout. C'est peut être violent, mais c'est comme ça que je le perçois.

Elle se tut enfin, à bout de souffle. Je ne savais que dire. Mon ego en avait pris un coup. J'étais également étonnée de découvrir que le plan du rencard parfait ne lui convenait pas. Je comprenais, au fond, que ce n'était pas contre moi, mais je ne pouvais qu'être vexée.

- Je... vois, soufflai-je finalement.

Le couple derrière elle se retourna à nouveau, visiblement intéressée par notre conversation. Je les assassinai du regard une bonne fois pour toute, pour enfin avoir la paix. Tiraillée entre mon bon sens qui me disait de rester ici et de la laisser partir pour finalement s'expliquer plus tard, et celui qui m'ordonnais de la suivre, j'hésitais. La vue du menu plastifié, classique, ennuyeux à mourir, me décida.

- Tu sais quoi ? On y va.

Je repoussai ma chaise, me levai et sortis du restaurant sous le regard médusé des quelques clients et du personnel. Eiko me suivit d'une démarche guillerette et me rattrapa rapidement. Elle s'accrocha à mon bras en riant.

- Qu'est ce qu'on va faire ? demanda-t-elle.

Je frissonnai au contact de l'air froid automnal. Je me tournai ensuite vers elle en faisant un clin d'œil.

- C'est Halloween, non ? Et bien on va fêter Halloween comme il se doit !

Nous refermâmes en concert les pans de nos vestes, avant de se mettre à marcher d'un pas énergique vers le quartier voisin, sa main imbriquée dans la mienne. Je ne voulais pas prendre le risque de tomber sur des connaissances, qui interpréteraient correctement mes gestes d'affection envers Eiko et qui raconteraient tout à ma mère.

- Je n'aurai pas plus d'informations, j'imagine, soupira-t-elle en tentant de suivre ma démarche rapide.

J'étais apparemment plus habituée qu'elle à marcher avec des talons. Cela me faisait doucement sourire.

- Tu imagines bien, confirmai-je en m'arrêtant quelques secondes, le temps de lui planter un bisou sur le nez.

Elle éternua juste après et je fis mine d'être vexée.

- Dis-le tout de suite si t'aimes pas que je t'embrasse non mais !

Elle ricana, s'arrêta à son tour et pressa ses lèvres froides sur les miennes.

- Je préfère quand c'est dans l'autre sens, confirma-t-elle en riant.

Sans prévenir, je m'immobilisais complétement, l'attrapai par la taille et l'embrassai avec force.

Elle répondit immédiatement à mon baiser, et je remontai mes mains jusqu'à ses cheveux. Elle me pressa contre elle alors que sa langue jouait avec la mienne. J'aimais sentir ses mains sur mon corps, ses cheveux qui s'entremêle avec les miens et sa bouche sur la mienne. Mon cœur battait à cent à l'heure et mes jambes ressemblaient à du coton. Au bout de quelques secondes, je me détachai pourtant d'elle à regret.

- Il faut qu'on y aille sinon tout le monde sera couché !

Je repris sa main et nous partîmes en riant. Je décidai d'ignorer les vibrements furieux de mon téléphone dans mon sac à main, refusant de sortir de ma bulle avec Eiko. J'observai ma copine alors qu'elle me racontait quelque chose à propos d'une Yseult et d'un Elias dont j'ignorai tout. Je remarquai pour la première fois des discrètes tâches de rousseur sur le bout de son nez, sa lèvre inférieur un tout petit peu plus proéminente et ses sourcils bien dessinés.

- Rose, tu m'écoutes ? demanda-t-elle soudainement.

Je me reconcentrai sur elle et eus un sourire navré.

- Je te regardai.

Elle haussa les sourcils avant d'éclater de rire, à mon grand désarrois.

- Je suis une vraie gravure de mode, je sais.

Je l'embrassai sur la joue, doucement, délicatement.

- Bien sûr.

Elle leva les yeux en ciel et pinça les lèvres mais ne répondis rien. Je regardai autour de moi, profitant de ce court moment de répit, et souris, satisfaite.

- On est arrivées.

Son visage s'illumina alors qu'elle sautillait sur place.

- Tu vas enfin me dire ce que tu ne veux pas me dire ?

Je ris brièvement.

- On va sonner. Demander : des bonbons ou un sort ? Se faire regarder bizarrement parce qu'on est sûrement trop vieilles pour ça, et puis s'enfuir en courant, ça te va ?

Elle eut un grand sourire.

- Ça me parait parfait comme programme pour un premier rencard.

Je rougis.

_ Je sais que c'est pas parfait mais...

Elle me fit taire par un baiser puis m'embrassa à son tour sur le nez.

- On est pas parfaite, notre relation n'a pas besoin de l'être. Et puis franchement, je préfère ça.

Je souris doucement et l'embrassai à nouveau.

- Alors c'est parfait.

Main dans la main, nous nous avançâmes vers un pavillon aux murs blancs et à la porte bleue. Je sonnai, et bientôt une femme entre deux âges apparut. Elle sembla étonnée de voir deux jeunes femmes de notre âge mais ne dis rien.

- Des bonbons ou un sort ! lança Eiko en se retenant difficilement de rire, je le voyais au tressautement de sa mâchoire.

Elle nous dévisagea, éberluée.

- Je... au revoir.

Elle referma la porte et j'éclatai de rire en m'enfuyant en courant, ma copine me suivant. Je me sentais libre ainsi, le vent jouant dans mes cheveux, ma robe s'étendant autour de moi comme un drapeau. Loin de mes problèmes. Loin des regards scrutateurs. Moi, Eiko, et la nuit. Je finis par ralentir à un carrefour et attendis que la brune me rejoigne avant de m'asseoir sur un banc et de lui faire signe de me rejoindre.

Je me glissai entre ses bras et ramenai mes genoux sur le banc alors qu'elle entourait ma taille de ses bras. Je me blottis contre elle, sans pouvoir ôter un sourire épanoui de mes lèvres.

- Je suis bien, marmonnai-je au bout d'un moment.

Elle posa son menton sur le haut de mon crâne.

- Je sais.

Je ricanai et lui donnai une tape sur sa main.

- Ça va le melon, pas trop de mal à passer les portes ?

Elle haussa les épaules et je sentis son souffle chaud contre mon oreille alors qu'elle pressai son visage contre mon cou et qu'elle inspirait brusquement.

- Ça va, ça va, souffla-t-elle, me faisant frissonner.

Je me laissai retomber en arrière. Nous étions sur une place ovale, à moitié éclairée par un lampadaire solitaire.

- Tu veux pas me donner mon téléphone, il est dans mon sac s'il te plait, quelqu'un m'a appelé tout à l'heure, mais je ne sais pas qui c'est.

Eiko se pencha par dessus moi, et sortit mon portable. Elle alluma l'écran d'accueil, une photo de notre groupe d'amis, tous rassemblés sur un banc, datant d'il y a au moins un mois, puis le déverrouilla quand je lui eus donné mon code. Cette fois-ci, elle sourit en tombant sur une photo e nous deux, prise pas Clotilde ce fameux soir au bar.

- On est belles, sourit-elle.

Je la regardai des étoiles dans les yeux, alors qu'elle tirait la langue à la photographe.

- Comme toujours, répondis-je en riant.

Elle me donna mon téléphone, ouvert sur l'icône SMS.

- T'en as cinq de ta mère.

En fronçant les sourcils, je les ouvris et mon sang se glaça immédiatement dans mes veines.

Mam's : Rose t'es avec qui exactement ?

Mam's :Je peux savoir qui est cette fille que t'embrasse en pleine rue ?

Mam's : D'ailleurs depuis quand tu embrasses des filles ?

Mam's : ROSE RÉPONDS MOI

Mam's : on doit parler. Dès que tu rentres.

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