Chapitre 12 - Eiko
Nous nous installâmes à l'abri de la pluie sous le kiosque. Clotilde avait fait des tonnes de gâteaux, et je me demandais un instant si elle avait pensé rameuter toute la ville à l'anniversaire surprise de Nour. Ils étaient tous posés au fond, leurs glaçages formant un joli arc-en-ciel de couleurs. Victor, lui s'était chargé de la décoration. Il avait accroché des lanternes des guirlandes et des photos de nous partout. Il y en avait tellement que ça donnait presque mal à la tête. Rose avait ramené des boissons et une nappe multicolore que nous avions étendue à nos pieds. Moi je m'étais chargée de la musique et de coordonner les équipes. Solal, quant à lui avait juste essayé de venir, ce qui n'avait pas été une mince affaire.
Au départ, nous avions pensé à faire une fête pour les dix-sept-ans de Nour, avant de réaliser qu'elle ne les aimait pas vraiment et que cela n'aurait eu absolument aucun sens. j'avais donc proposé de prendre possession du square en bas de chez elle, où elle pourrait nous rejoindre facilement et où nous serions au calme pour fêter ce jour. Dix-sept heures approchaient, et le ciel commençait déjà à s'assombrir, même si c'était difficile à dire à travers les nuages gris.
J'avais donné rendez-vous à Nour dix minutes plus tôt à l'entrée du square et je savais qu'elle mettrait encore au moins cinq minutes à arriver, si elle comptait le temps de trajet de chez moi à chez elle. En tout cas, je l'espérais parce que sinon la surprise que nous avions mis tant de temps et de cœur à monter s'écroulerait en quelques secondes. Je peaufinai donc les derniers détails de notre plan d'attaque.
- Je vais donc aller à l'entrée, pour l'accueillir. Vous cachez dans les buissons juste derrière moi. Quand vous entendez "tu es trop belle aujourd'hui", vous sortez. On est bien d'accord ?
Victor imita un salut militaire.
- Oui chef bien chef.
Je lui jetai un regard moqueur.
- Parfait. Allons nous mettre en place.
Nous nous dirigeâmes vers l'entrée, tout en vérifiant que personne autour de nous ne semblait intéressé par nos affaires. Nous n'avions aucune envie de nous faire voler quoique ce soit. Ils se dissimulèrent assez bien (mieux que je ne le pensais) dans les buissons. Moi, je rassemblai mes talents d'actrice et me composai une mine préoccupée, penchée sur mon téléphone.
Moi : Nourette t'es où ?
Nour : j'arrive je descends de chez moi.
Je n'attendis qu'une trentaine de seconde avant de la voir arriver au bout de la rue, radieuse avec son hijab pêche et son haut marine. Elle s'arrêta à ma hauteur et je m'approchai d'elle, les bras ouverts, consciente que j'allais devoir crier la phrase suivante.
- Tu es trop belle aujourd'hui ! m'exclamai-je.
Et je ne bougeai plus, attendant que nos amis sortent. ce qui n'arriva jamais. En soupirant, je me tournai vers les buissons sous le regard médusé de Nour et leur lançai :
- Les gars, sérieux, même m'écouter vous ne savez pas faire !
La tête châtain de Solal apparut au milieu.
- Pourquoi t'as dit la phrase ?
Nour s'approcha de nous, les sourcils au milieu du front.
- Attend Soso qu'est-ce-que tu fiches dans les buissons ?
Clotilde apparut à côté de lui.
- On est vraiment aussi nuls ?
Je levai les yeux au ciel et gémis.
- Oui !
Nour, de plus en plus interdite les regardait sortir de leur cachette un à un. Victor fut le suivant.
- Désolés, Eik', c'est qu'on a pas entendu tu étais de dos...
Rose fut la dernière, et, malgré mon énervement, je ne pus retenir un sourire en la voyant apparaitre, des feuilles dans les cheveux et un air coupable sur le visage, si loin de sa perfection habituelle.
- Moi j'avais entendu, signala-t-elle.
Je soupirai, me demandant sincèrement ce que j'avais fait pour avoir des amis aussi peu dégourdis.
- Alors pourquoi tu n'as pas fait ce qu'on avait dit ?
Elle haussa les épaules et fit tomber une feuille de sa chevelure. Elle la considéra avec une expression neutre, avant de remonter son regard vers moi.
- J'étais pas sûre et comme les autres sont pas sortis...
Je me frappai la tête avec la main. Nour, à côté de moi, les regardai fixement sans avoir l'air de comprendre. Je me tournai vers elle en soupirant.
- Joyeux anniversaire Nourette. On t'a préparée une petite fête mais l'effet de surprise est... Totalement raté à cause de ceux qui nous servent d'amis.
- Eh ! fit mine de s'offusquer Victor. On t'entend je te signale !
Il eut un grand sourire.
- Joyeux anniversaire Nourette.
Les trois autres se dépêtrèrent des branches qui les bloquaient, et la prirent dans leur bras en lui souhaitant la même chose. Notre amie rougit et ne savait plus où se placer.
- C'est... Beaucoup trop.
- Mais non ! s'exclama Solal à côté de moi. Viens avec nous et là tu pourras dire que c'est trop.
je ris doucement et elle me jeta un coup d'œil alarmé.
- T'inquiète pas, il n'y a rien de trop extravagant...
Victor fit mine de s'étouffer à côté de moi et je lui donnai un coup de coude dans l'estomac qui eut le mérite de le faire se plier en deux et donc de se taire par la même occasion. Clotilde, ayant perçu mon geste me fit un clin d'œil et nous partîmes en direction du kiosque. Le regard de Nour s'embua en voyant tout ce que nous avions fait et elle plaqua une main devant sa bouche.
- C'est trop... Et dire que je pensais que vous aviez oublié...
Solal lui donna un coup d'épaule encourageant.
- Eh ! Tu as une si piètre opinion de nous ? Bon, ok, on a raté le surprise mais quand même...
Sans répondre, elle s'assit au milieu et nous fit signe de la rejoindre.
- Venez, espèce d'idiots.
Nous nous installâmes aussitôt. Je notai que Victor et Clotilde étaient à l'opposé l'un de l'autre, et en déduisis que leur soirée s'était mal fini la veille au soir. En réalité je n'en savais absolument rien, j'avais passé mon temps à côté de Rose, à me pincer pour être sûre que je ne rêvais pas.
La brune qui, d'ailleurs, m'ignorai, ou du moins c'était mon impression, depuis que nous nous étions rejoint. Je m'assis donc à côté de Clotilde, en prenant le moins de risque possible. Je ne pus m'empêcher de lui jeter un regard en coin alors qu'elle riait avec Victor. Elle semblait... changée. En bien. Et insaisissable. Loin. Inatteignable. Trop belle. Trop heureuse. Trop parfaite.
Pas assez Rosemonde pour moi.
Moi la maladroite, la folle, l'ironique. Celle qui rit trop fort, pleure trop fort, vie trop fort. Je me sens trop moi, à côté de ma meilleure amie, en train de taquiner Nour aux joues rougissantes. Je la sens trop elle, avec ses cheveux brillants et ses ongles manucurés posés sur l'épaule de Victor.
Machinalement, je commençai à me ronger un ongle alors que Solal tentait sans vraie réussite d'allumer les bougies qui s'éteignait sans arrêt à cause du vent.
- Eik' ! s'exclama Vic en s'asseyant à côté de moi.
Il me saisit l'épaule et me secoua comme un prunier.
- Bah alors, qu'est-ce que c'est que cette petite mine ?
Rose m'effleura du regard, un doux sourire aux lèvres. Je me forçai à sourire.
- Rien. Je peux t'aider Soso avant que tu ne fasses cramer le kiosque là ?
Il leva à peine les yeux et tira la langue.
- Je me débrouille très bien merci !
Au même moment, la flamme du briquet s'éteignit et il jura entre ses dents. En riant, je le rejoignais, en tentant d'ignorer le regard brulant de Rose dans mon dos. Je ne mis pas longtemps à les allumer et Solal m'assassina du regard, vexé. Je lui fis un clin d'œil et me tournai vers nos amis, rassemblés en un cercle.
- Bon il est temps de pousser la chansonnette !
La traditionnelle chanson retentit rapidement et Nour devint cramoisie. Elle jeta des regards furtifs autour d'elle.
- Arrêtez on va se faire remarquer...
- ... Joyeuuuux anniversaiiireeee Nouur !
Elle souffla ses bougies d'un coup et nous applaudîmes avec ferveur.
- C'est quoi ton vœux ? demanda Clo en se penchant vers elle.
Elle ricana.
- Comme si j'allais vous le dire... Je veux qu'il se réalise moi !
Déçue, la blonde haussa les épaules et attrapa un couteau derrière elle pour couper le gâteau.
- Vous êtes trop mignons, soupira la reine de la journée en aidant à enlever les bougies. Vous n'auriez pas dû faire ça.
- Tu rigoles ? A chaque fois tu te plies en quatre pour nous sans jamais avoir de récompenses, et puis vu ce que tu nous as fait la dernière fois qu'on a évoqué ton anniversaire, on se devait de faire un truc mé-mo-rable.
Je levai les yeux au ciel devant l'enthousiasme de Solal, mais ne le contredit pas parce qu'il avait raison, même s'il en faisait des tonnes. Je sentis quelqu'un se glisser à côté de moi, et ma respiration se bloqua une seconde, ce qui fut bien assez pour qu'elle s'en aperçoive.
- Arrête de vouloir te tuer à chaque fois que tu es près de moi Eiko. A la longue je vais me retrouver avec un procès pour homicide volontaire... murmura Rose à quelques centimètres de mon oreille.
Sans esquisser un geste vers elle, je sifflai :
- Alors arrête de me provoquer...
Elle m'attrapa le poignet sans répondre et me força à me lever. Elle se tourna ensuite vers nos amis, qui tentait de nous observer sans en avoir l'air.
- On va faire un tour, laissez nous une part de côté...
Victor ondula des sourcils avec un sourire étrange.
- Vous baladez, je vois... Une seule part ou deux, les amoureuses ?
Rose se tendit à côté de moi et j'assassinai du regard le blond qui haussa les épaules sans comprendre. Clotilde et Nour, elles, tentaient d'étouffer un rire.
- Vous me fatiguez tous, soupirai-je en entrainant Rose plus loin. Je me demande pourquoi je traine avec vous !
Solal se leva et plaça ses mains en porte-voix.
- Parce qu'on est absolument géniaux, beaux, populaires, et drôles ! Et que par rapport à nous tout les élèves de ton niveau sont fades et sans intérêts !
Je secouai la tête, amusée par son ego, et la pensée que je devrais peut être voir Elias et Yseult m'effleura l'esprit. Je les avais appelé le matin même pour leur faire part de mes avancées, puisqu'ils étaient les plus grands fans de notre histoire et suivaient les évolutions au jour le jour. Mais cela faisait quelques jours que je ne les avais pas vu.
Quoique... Je leur ai parlé vendredi ça fait pas si longtemps.
Chassant ces pensées de mon esprit, je suivis Rose jusqu'aux balançoires à l'autre bout du parc et surtout protégées par des buissons du regard indiscret de nos amis. Elle s'assit sur la première et commença à se balancer doucement, en me faisant signe de m'installer à côté d'elle.
- Je me disais qu'on devrait peut être... Parler, tu sais. De ce qu'il s'est passé hier et ce qu'il se passera potentiellement dans le futur.
Le cœur au bord des lèvres, appréhendant ce qu'elle allait m'annoncer, je serrai fort, trop fort, les chaines au bout desquelles se balançait le siège de la balançoire. Des marques rouges s'imprimèrent sur mes paumes.
- Oui ? relançai-je d'une petite voix.
Elle soupira et se gratta le bras, mal à l'aise. Je ne l'avais jamais vue comme ça, et j'oscillai entre le rire et l'inquiétude.
- J'avais préparé un speech et tout mais là c'est trou noir dans ma tête.
Je ricanai en tentant d'évacuer le stress mais sans grande réussite. Elle se passa une main nerveuse dans ses cheveux.
- Je... T'ai un peu tout dit en même temps. Hier soir. Je t'aime beaucoup. Trop. Et... J'aimerai bien qu'on soit plus que juste Rose et Eiko tu vois ?
- Rose est gênée, une première !
Un mince sourire effleura ses lèvres. Je me reconcentrai.
- Plus sérieusement... Est-ce que... Tu serai en train de me demander d'être en couple ?
Elle haussa les épaules, rougissante.
- Potentiellement, oui...
Le poids qui alourdissait mon cœur disparut, et un grand sourire s'étendit sur mon visage.
- Mais... Un vrai couple ?
- Non, un couple mais seulement le 30 février, ça te va ?
Je fronçai les sourcils, perdue.
- Mais ce jour n'existe pas...
Elle leva les mains, dépitée.
- Justement ! Oui, un vrai couple Eiko, quoi d'autre ?
Je rougis et commençait à me balancer.
- Désolée. L'étonnement, j'imagine. Je ne m'attendais pas à ce que tu me dises que tu aimais aussi les filles hier. J'ai toujours pensé que c'était un attachement à sens unique, mais non et... je n'étais pas préparée.
Elle se pencha vers moi en arrêtant son balancement. Moi, je montai de plus en plus haut. Le vent me fouettait le visage, sifflai autour de mes oreilles, et pourtant j'étais euphorique. Un grand sourire s'étendait sur mon visage, et je voulais sauter, hurler, danser.
- Ça fait combien de temps que tu as... Un "attachement" ? s'enquit, Rose, curieuse.
Je haussai les épaules, en rougissant à nouveau. Je me sentais stupide. Et pourtant il n'y avait pas de quoi. Elle voulait être avec moi ! Moi ! Eiko ! Et personne d'autre !
- Trop longtemps. Pourquoi ?
Elle gloussa.
- Je vois. Non, juste comme ça.
Nous nous balançâmes un moment en silence.
- On devrait se faire un truc pour le marquer, non ?
Je sautai par terre, et courut vers le buisson le plus proche, couvert de petites fleurs blanches.
- Rosemonde Genet, acceptez-vous d'être ma copine et de partager avec moi tout les moments, bons et mauvais, jusqu'à ce que nos consciences décident de nous séparer ?
Je lui tendis la fleur blanche, et elle me rejoignit en riant, ses cheveux volants autour d'elle, la fine pluie qui avait commencé à tomber brouillant légèrement ma vue. Elle s'arrêta devant moi et me pris délicatement la fleur des mains. Elle la coinça derrière son oreille avec un grand sourire. Elle me dépassa ensuite pour aller à son tour chercher une fleur, puis revint devant moi.
- Oui ! Eiko Ito, acceptez-vous d'être ma copine et de... Tu avais dit quoi après ?
J'explosai de rire et lui pris la fleur des mains.
- Je sais plus. Mais oui !
Je la coinçai à mon tour puis pris son visage en coupe et l'embrassai délicatement, aussi légèrement qu'une plume, avant de me reculer. Sans attendre, elle m'attrapa par la taille et me ramena contre elle pour un baiser bien plus passionné. Nous nous pressâmes l'une contre l'autre en souriant. En arrière plan, j'entendais vaguement des rires et des cris, mais j'étais incapable d'identifier à qui ils appartenaient.
- je crois qu'on nous regarde, chuchota doucement Rose.
Je posai mon front contre le sien et rit légèrement.
- je crois aussi. J'ai une forte envie de les renvoyer dans leurs pâturages, je peux ?
Elle haussa les sourcils et recula d'un pas.
- Les renvoyer où ?
Je soupirai.
- Laisse tomber, moi et les expressions françaises...
Elle explosa de rire, et ce rire fut la plus belle musique que j'entendis ce jour là.
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