9 - Éclairé par le clair de Lune


Lorenza


Nous restons un moment sans bouger, après la déclaration de Lynne. Mon corps entier, tendu, est en proie aux tremblements. Mais cela ne m'empêche pas de serrer d'autant plus la petite blonde contre moi, dans un geste protecteur. Je n'autoriserai pas qu'il lui arrive quoi que ce soit. Jamais. Je l'aime bien trop pour cela. Si quelqu'un devait lui faire le moindre mal, il devrait d'abord me passer sur le corps. Le regard rivé vers la fenêtre, où l'on ne peut voir que le reflet de la Lune, je plisse les yeux, essayant de ne pas laisser mon courage s'évanouir. Tâche compliquée, lorsque l'on sait à quoi ressemble la bête, avec ses grandes dents assez pointues pour transpercer la peau, et ses longues griffes acérées au point de pouvoir lacérer la chair. Je ne l'ai jamais expérimenté. Aucune de nous, d'ailleurs. Mais ce n'est pas bien difficile à deviner.

Je me suis déjà demandée si elle s'en prenait parfois à d'autres personnes, ou si nous n'étions que ses trois – quatre, avec Alexandre – seules cibles. Si tel est le cas, quelle en est la raison ? Avons-nous la moindre caractéristique l'attirant à nous, la poussant à nous hanter ? Je ne pense pas avoir la moindre particularité, contrairement à mon amante avec sa capacité à lire dans les esprits. Pourquoi ne nous laisse-t-elle pas tranquille ? D'où vient-elle ?

Le moment est mal choisi pour se poser ces questions, mais c'est plus fort que moi, je ne peux empêcher mon esprit de travailler à la vitesse de la lumière, en cet instant, alors que la peur s'immisce de plus en plus en moi. Si j'étais fatiguée, quelques minutes auparavant, je peux vous dire que l'adrénaline me parcourant le corps a effacé toute trace de cette somnolence me guettant de ses yeux avides. Le silence est pesant, dans cette pièce où seules retentissent nos respirations saccadées. Chaque seconde semble durer des heures, tandis que la peur assaille mon estomac, le faisant douloureusement se tordre.

Après deux longues minutes, je sens le corps de Lynne se détendre quelque peu. Son souffle se coupe, alors qu'elle se redresse d'un coup, sans cesser de scruter la fenêtre. Ses pieds se posent sur le sol dans un petit bruit sourd, faisant s'arrêter ma respiration à son tour. Le moindre bruit trahissant notre présence pourra nous être fatal. Bien que je me doute que le monstre sait où nous nous trouvons.

« Ce n'est pas nous qu'il cherche. » finit par lâcher la blonde, dans un murmure.

Quoi ? C'est une première, ça. Qui, alors ? Je fronce les sourcils en reprenant mon souffle.

J'inspire.

Je réalise.

Alexandre.

« Qu'est-ce qu'on fait ? chuchote Mei.

- On va l'aider, décidé-je.

- Tu es sûre ?

- Tu préfères qu'on reste les bras croisés, à le laisser se faire effrayer, voire pire ? Je te rappelle qu'on ne sait pas ce que ce truc serait capable de nous faire. »

Mon amie brune semble y songer un instant, avant de finalement opiner.

Nous nous levons alors à notre tour, malgré la peur ne s'évanouissant pas, et, accompagnées de Lynne, nous dirigeons vers la porte de la chambre, frontière entre ce chaleureux endroit et l'effrayant inconnu. J'ignore ce que nous serons en mesure de faire, si le monstre passe à l'attaque. Mais je refuse de laisser Alexandre tout seul. Je ne sais que trop bien ce que cela fait, de se retrouver face à cette chose. Et je suis sûre que lui aussi, au vu de ce que Lynne nous a raconté à son sujet.

Je pose ma main sur la poignée froide, et abaisse celle-ci, afin de pénétrer dans le couloir éclairé de cet étage réservé aux chambres des patients. La plupart d'entre eux doit sûrement dormir, à cette heure-ci. Aussi faisons-nous attention à ne pas nous déplacer trop bruyamment, malgré l'air se faisant filtrer dans nos poumons à grande vitesse, comme si nous venions de courir un marathon.

Si je me souviens bien, je l'ai déjà vu entrer dans la 213. Ce serait donc la sienne. D'un signe de la tête, j'intime mes deux amies de bien me suivre, tandis que nous nous faufilons jusqu'à la porte où se trouve inscrit le numéro recherché. Elle se trouve non-loin de la mienne. Ce qui n'est pas logique, au vu du nombre. Mais je n'ai jamais cherché à comprendre le sens de cette numérotation.

Mes compagnes et moi nous regardons, nous mettant silencieusement d'accord pour que je frappe. Pourquoi est-ce qu'un badge ne pourrait pas ouvrir toutes les chambres ? Parce que ce serait trop facile de voler les affaires de quelqu'un... Mais avouez que, face à ce genre de situation, ce serait tout de même pratique, non ? Si Alexandre se fait attaquer, je doute qu'il puisse prendre le temps de venir nous ouvrir. Ou bien, même s'il est paralysé par la peur.

*

Alexandre

Eveillé, les iris plantées sur le plafond de ma chambre, je cherche un moyen de me fatiguer. Ce serait trop simple si je pouvais m'endormir d'un claquement de doigt, au vu de ce qui m'arrive parfois la nuit. Même les cachets donnés par le personnel infirmier ne me fait que légèrement somnoler. Peut-être devrais-je leur demander d'augmenter la dose ? Non, je refuse de me laisser droguer par ces cachets. Je considère ce que je reçois comme étant déjà suffisant. Je ne suis pas un sympathisant des hôpitaux. Encore moins maintenant que je me retrouve dans cette situation.

« C'est pour ton bien, tu dois te reposer. »

Et à quoi bon, si même ici, la qualité de mon sommeil laisse à désirer ? Un soupir s'échappe de mes lèvres tandis que je me retourne sur le flanc, face à la fenêtre, histoire de regarder le ciel.

Mais quelle n'est pas ma surprise, lorsque je me rends compte du visiteur se trouvant là, le visage collé contre la barrière de PVC. Ses yeux immondes me dévisagent goulument, comme s'il se trouvait face à un plat totalement exquis qui n'attendait qu'à se faire dévorer. Je sursaute, et, alors que je sens la température de mon corps s'élever à une vitesse affolante, sors du lit pour reculer, m'efforçant de ne pas montrer ma peur à cette chose. Elle ne va tout de même pas briser la vitre et entrer, si ? Je déglutis, et serre les poings. Mes membres me brûlent. Comme à chaque fois que je me retrouve face à elle.

« Va-t'en... » murmuré-je entre mes dents.

Ses griffes acérées lacèrent la fenêtre, exprimant son envie de rentrer afin de me déchiqueter. Je ne vois que trop bien que l'envie ne lui manque pas. Et que suis-je censé faire ? Appeler à l'aide ? Appuyer sur ce bouton rouge que l'on m'a désigné, le jour de mon arrivée ici ? Mais qui serait capable de faire quoi que ce soit, dans cette situation ? De plus, personne à part moi ne l'a jamais vue. A chaque fois que j'appelais mes parents pour leur prouver que je n'inventais rien, elle disparaissait sans laisser de trace, comme si elle n'avait jamais existé. J'en suis venu à douter de ma santé plusieurs fois. Mais non. Je sais que c'est réel. Mon corps ne réagirait pas autant, si tel n'était pas le cas.

C'est à ce moment que j'entends quelqu'un frapper à ma porte. Ce sont trois petits coups, hésitants. Je ne réponds pas. Prétendons être endormi. Je ne peux pas dériver mes yeux de cette bête, après tout. Ni que qui que ce soit ne me voit ainsi. Que dirais-je alors ? Non, autant ne pas bouger, et attendre sagement. Elle finira par partir. Elle finira par se lasser.

« Alexandre ? C'est nous. Tout va bien ? »

Je reconnais la voix de Lorenza. Elle s'inquiète. Est-elle au courant ? C'est impossible. Comment pourrait-elle l'être ?

Je baisse mon regard vers mes mains, illuminée d'une faible lueur produite par mon corps tout entier. Une lumière blanche, chaude et rassurante.

« Tout va bien. »

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