IV
/Quelques phrases du chapitre précédent #3~
Plus je parlais, plus je pleurais en repensant à toutes ces horreurs. Mes myoclonies m'empêchaient de bien viser, mais j'essayai de me contrôler. Et si la meilleure solution était de le tuer ?
Sa bouche se tordait, pour venir former une moue. Il s'approchait doucement, me suppliant de ne rien faire.
« Recule... Recule ! RECULE ! RE... »
Pan.
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Je laissai tomber l'arme à feu contre mon parquet, complètement déboussolée.
« Pistolet à blanc. »
Wino continua de s'avancer pour me saisir et me maintenir contre lui. Il plaça sa main sur ma bouche une nouvelle fois et colla ses lèvres contre mon oreille.
« Tu pensais vraiment que j'allais venir ici avec une vraie arme ? Avec des balles et tout ? Elie, Elie... Je voulais juste te faire peur. Tu me connais. »
Mes pleurs reprirent de plus belle, mes gémissements de peur étaient bloqués par la main de ce monstre. J'étais finie. Qu'allait-il réellement faire de moi ? Me kidnapper de nouveau ? Me tuer ?
Il me transporta jusqu'au salon et me jeta dans un de mes deux fauteuils avant de ramasser son sac plastique. Il posa ses fesses sur ma table basse, à quelques centimètres de moi, et me fixa.
« Par contre, j'ai une arme blanche à ma ceinture. Ne joue pas à la mauvaise fille, Elie. Je te connais très bien. »
Je ne pouvais pas résister, me laissant faire. Avec le plus de volonté possible, je tentais de garder mes pleurs et mes plaintes en moi, me raccrochant à la pensée qu'un voisin allait venir voir pourquoi j'avais crié un peu plus tôt.
Wino sortit la fameuse arme, un couteau suisse, et me le tendit.
« Avant toute chose, je... Je t'assure que je te raconte la vérité. Si tu ne me crois pas, c'est ton droit mais... Je veux simplement que tu le saches, que tu comprennes et que tu vois de tes propres yeux par les documents que j'ai apportés. Garde mon arme si tu veux. Je m'en vais même si tu le souhaite. Mais sache que si je pars, je vais me faire tuer, au sens propre du terme. Je ne sais pas qui est derrière ce qui nous arrive, mais sache qu'il est puissant et qu'il nous veut tous du mal. Autant à moi, qu'à toi, Elie. »
Il tendit son bras et releva sa manche de veste. Sa peau était toujours aussi blanche. Il approcha la lame de celle-ci en me regardant toujours.
« Je sais que je suis quelqu'un de dérangé, de manipulateur, de tout ce que tu veux. Même de violeur. Mais sache que ce Wino-là, ce n'est pas le vrai. Parce que je... Je suis... Je suis un putain de manipulé... Comme tous les Rôdeurs, et depuis le début. Et ça, tu le sais, Elie... Je ne te mens pas en te racontant tout ça. Regarde bien, Elie. Regarde. Je t'en donne le serment. »
La lame de son couteau trancha lentement sa peau, laissant une vague de sang presque noir se déverser de la plaie. Wino n'eut presque pas de réaction. En revanche, j'eus un hurlement étouffé et cachai mes yeux avec mes mains, dégoutée, terrifiée à la vision de cette blessure volontairement provoquée.
« W-Wino ! A-Arrête !
-Voilà. Avec ça, je te fais la promesse que tout ce que je viens de dire est vrai. Vrai. Elie, crois-moi... »
Son sang dégoulinait de son bras et venait tacher le parquet clair de mon salon. Une plaie énorme s'était formée le long de son bras. Dans la panique, je ne savais pas quoi faire. Il perdait du sang si rapidement. Alors je retirai mon gilet et, par réflexe, je vins compresser le bras saignant de Wino qui réprima un grognement de souffrance.
« Tu... Tu es stupide ou quoi ?! Une plaie comme ça, c'est... C'est bon pour les urgences ! Et puis se trancher la peau ça ne se fait pas pour prêter un serment !
-C'est histoire de montrer que je suis sincère...
-C'est dégueulasse ! »
J'étais presque énervée contre lui pour avoir tâcher mon sol. Secouant mon visage encore humidifié par les larmes, j'essuyais sa plaie énergiquement pour former un garrot avec un bout de mon gilet.
Cependant, je pouvais sentir le regard perçant de Wino me fixer, me faisant redoubler de frissons. Je ne savais pas quoi faire. Et si Wino disait la vérité ? Et si, depuis tout ce temps, on nous avait tous trompé ? Si les papiers qu'il avait amenés confirmaient ses dires, alors il avait raison. Et ensuite ?
Une fois le bandage finit, je pris de la distance en m'enfonçant dans le canapé, mes muscles recommençant à se contracter de manière incontrôlable. Wino eut un léger sourire avant de murmurer un « merci » et de me tendre plusieurs documents.
« Regarde. »
Je saisis d'une main peu rassurée le torchon qu'il me tendait et, avec appréhension, sans pour autant commencer à lire.
« Elie, murmura Wino. Je t'en prie... »
Pétrifiée, je le fixais avant d'avoir de nouveaux flashbacks de mon année en la compagnie des Rôdeurs. Je revoyais tout le sang, les corps, les photos de Yael sur les murs de sa chambre avec les visages des victimes totalement défigurés, et puis le corps de Raphaëlle pendu au plafond, Iris égorgée dans la piscine, Lyna enceinte, cette nuit avec Wino.
D'un coup, je me recroquevillais dans le fond du fauteuil, tremblant et gémissant d'horreur. C'était un véritable cauchemar. Rien n'était fini en réalité.
Quelques minutes passèrent. Je ne retrouvais pas mon calme, c'était trop dur. Wino n'avait pas bougé, mais il était plutôt aux aguets, ne me regardant plus.
« Tes voisins ne sont pas très réactifs. Un coup de feu. Des cris. Ils sont surement sourds. Tant mieux pour moi...
-Wino... Je veux que tu partes... Maintenant... »
Il me fixa de nouveau avant de redresser sa tête vers mon plafond. Mes voisins faisaient du bruit. Wino me fit signe de ne pas faire de bruit et se redressa pour se rapprocher lentement de la porte, sans me quitter des yeux.
Il resta ainsi plusieurs minutes. Le fait qu'il soit plus loin de moi me relaxait un peu. Mes yeux lorgnaient alors sur le sac plastique dans lequel il y avait des tonnes de papiers, et mon téléphone. Cependant, quelque chose attira mon œil. Une photographie. Ce sourire. Je tendis ma main vers le sac et en sortit une feuille avec des dizaines et des dizaines de choses écrites dessus. Mais je n'y prêtais pas attention.
« Taleb... »
Je fronçais les sourcils. Wino m'avait entendu et se rapprocha.
« Qu'est-ce que c'est ?
-Regarde. »
Je levai mon regard vers l'homme capuché, qui avait laissé son arme à terre un peu plus tôt. En déglutissant rapidement, ma main saisit d'autres papiers. Avec une attention quelque peu différée, je me mis à lire.
« Résultats des injections de... De...
-Laisse tomber les noms trop compliqués. Il y en a pleins », me coupa Wino.
Il y avait plusieurs dizaines de lignes avec des chiffres, dans différentes colonnes. Je me concentrais alors sur d'autres informations sur le papier saisit.
« Sujet numéro 342. Sujet numéro 342 ?
-C'est surement un de leurs cobayes. J'ai entendu parler les gens qui viennent nous piquer toutes les heures. Ce sont des bébés.
-Des bébés ?
-Ouais. Je crois... Et... Je ne sais pas ce qu'on leur fait, mais on entend des hurlements de nourrissons, parfois.
-Mais... Mais qu'est-ce que c'est que ça ? Positif. Veines apparentes, débit sanguin anormalement élevé, énervement démultiplié, pulsions instinctives redoublées... J'ai l'impression de lire un compte rendu d'un laboratoire qui expérimente des choses sur les animaux... Où tu as trouvé tout ça ?
-Dans l'un des bureaux autour de nos cages de verre.
-Cages de verre..., répétais-je comme si tout ce que je vivais était irréel.
-Regarde ça. C'est un...
-Une IRM. Je ne m'y connais pas mais... »
Je pris le sac, intriguée par toutes ces choses complètement folles. Je tombai alors sur une photocopie qui attira mon attention. C'était une sorte de fiche récapitulative, avec une nouvelle photo épinglée en haut à droite.
« Heryk...
-Fais-voir... Ah oui, c'est bien lui.
-Sujet initial numéro 3. »
J'étais bouche bée. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Heryk était avec Wino ? Je veux dire... Dans le même endroit ?
En lisant la fiche descriptive du Rôdeur, je me rendais compte que certaines informations étaient « cryptées » dans un langage que je ne connaissais pas.
« Prise de la drogue H. Lit 3. Mais...
-Ce sont des informations sur lui. Elles ont été mises à jour au début de l'année, regarde, remarqua-t-il en pointant du doigt la « date de mise à jour ».
-Et là... ? Prénom : Herykler. Nom : X. « X » ? Nom d'emprunt : Juzen. Né à San Granger. 30 ans. Parents : non identifiés. Groupe Sanguin : A. Première injection... »
Les larmes me montaient de plus en plus aux yeux.
« Première injection : à 5 ans. Première injection de la drogue : à 15 ans. C'est quoi tout ça ?, demandais-je à Wino en ne comprenant rien, ma vision se brouillant à cause des larmes.
-Je... Je sais plus trop... Mais quand il parle d'injections, il parle de ça. »
Wino souleva un peu plus haut ses manches de veste pour dégager au maximum ses bras. Au niveau des pliures du coude, il avait une énorme tâche violacée, et des petits trous au niveau des veines. Veines d'ailleurs violacées elles-aussi.
Un cri étouffé me vint mais fut arrêté entre mes mains : j'étais épouvantée.
« C'est moche, je sais.
-Tu n'avais pas ça... Avant...
-Avant ? Avant quoi ? Quand tu étais avec tous les Rôdeurs, au repère ? Non. Je ne les avais plus. Nuance. Je l'avais avant encore, je m'en souviens. Je mettais une pommade de Kyron au repère pour que ça disparaisse. Et quand on nous a enfermés, après nous être rendus, ils ont recommencé. Les aiguilles dans les veines, tout le temps. Et voilà le résultat. C'est horrible...»
Il cacha alors rapidement, presque honteusement, les plaies de ses pliures.
Je n'en revenais pas.
« Tu veux dire... Qu'avant les Rôdeurs... Vous...
-Tu as bien lu pour Herykler ? Et c'est écrit que sa première injection était quand il avait 5 ans.
-Mais injection de quoi ?
-De quelque chose qui nous transforme, Elie. Tu vois bien comme je suis. Comme Yael est aussi. On a tous été piqués ! Je... Je... Je ne sais pas ce que c'est... »
Il prit alors sa tête dans ses mains et serra ses cheveux pour les tirer. Comme un animal, il poussa des grognements, mais de souffrance. Puis, il plongea la main dans le sac plastique et sortit pleins d'autres papiers. La plupart ressemblaient à des fiches, comme celle d'Heryk.
Taleb. Shey. Wino m'avertit qu'il n'avait pas eu le temps de prendre celles des autres.
Et une était barrée. C'était celle de Juan.
En revoyant sa tête, je me souvins de cette journée mortelle. Les tirs, la pourchasse vers la forêt du repère, tous ces hommes en noir, les corps de Juan et de Hyunsu à terre. Le sang. Non. Non, je ne voulais plus revoir ces images ! Je ne pouvais plus !
Je fermai alors les yeux pour essayer de les chasser mais rien n'y faisait.
« Celle de Juan..., murmurais-je.
-Il est..., chuchota-t-il à son tour. Il est mort. Alors ils l'ont barré. »
La fiche était barrée d'une croix noire, épaisse. Du même crayon, on avait coché les cases : « mort du sujet » et « rébellion ».
Mon cœur battait si fort que je sentais le sang partir et revenir jusqu'à lui, en passant par toutes mes artères et mes veines. Ce qu'avançait Wino plus tôt semblait alors être vrai. Sur chaque papier, il y avait un tampon avec la date et l'heure, ainsi qu'une sorte de signature. Un autre tampon.
Essayant de reprendre ma respiration, je m'enfuis un peu plus dans le canapé, avec Wino qui, face à moi, se tordait de douleur. Il devait repenser à ce qu'il se passait, là où il était.
« Elie, je t'en prie. On a besoin de toi. »
Il releva sa tête plus brune que sept ans auparavant pour m'observer et saisir mon regard.
« Je n'en peux plus de tout ça. On nous injecte des produits tous les jours. J'ai mal de partout. Et je crie tout le temps. Les autres aussi. Le pire, c'est Keith. Il est si jeune et on lui fait tant de mal. Elie... Elie, s'il te plait, aide-nous. Il faut que ces gens arrêtent de nous faire du mal... »
Wino avait les larmes aux yeux. Je ne l'avais jamais vu comme ça. Je le connaissais impulsif, méchant, violent, agressif, et si imprévisible. Mais je sentais une certaine sincérité qui se dégageait de lui. Il tremblait, il était armé mais ne m'avait pas réellement menacé avec une vraie arme, et puis, il était resté assez calme depuis qu'il était rentré chez moi. Devais-je le croire ?
« Elie... Tu ne me crois pas ?
-Que veux-tu que je fasse ? Tu... Tu es l'un de mes anciens tortionnaires, Wino. Tu es un criminel. Tu as tué des gens, tu as enfermé des gens... Tu fais partie des Rôdeurs. Et je suis l'une de vos victimes. Je ne peux rien pour toi... Rien. »
Il ne prit pas la parole une nouvelle fois et lâcha mon regard, laissant sa tête tombée, visage vers le sol.
Le silence prit place quelques instants. Je vis alors des larmes tomber au sol, venant se mélanger avec le sang : Wino pleurait. J'étais désemparée. Je ne pouvais rien faire. C'était impossible. Tout ce qu'il a fait, enfin, tout ce qu'ils ont fait, fait que je ne peux rien pour eux.
« Tu ne me crois pas..., murmurait Wino très bas. Pourtant... Pourtant tu as bien vu, non ? Mes bras, les documents... »
Mon corps était comme bloqué dans mon canapé, mes yeux étaient fixés sur l'homme face à moi, assis sur ma table basse et courbé en deux. Je ne le reconnaissais plus. Ce n'était pas le Wino des Rôdeurs, d'il y a sept ans. L'horrible, le monstre. C'était... Une autre personne.
Il redressa sa tête d'un seul coup, le visage rougit et trempé par les pleurs, les sourcils froncés fortement au-dessus de ses yeux clairs.
« Si tu ne fais rien, tu laisses ses gens-là gagner ! Ils vont finir par nous tuer, et même toi et les autres, Elie ! C'est à cause d'eux que les Rôdeurs ont kidnappé et qu'ils ont tué ! Tu faisais partie de leur cible aussi ! Ils te tueront aussi Elie. Ce n'est qu'une question de temps ! »
Mes yeux grossissaient au fur et à mesure. Je ne m'attendais pas à ce qu'il ose pleurer face à moi. Suite à ses mots, quelque chose se raviva en moi. Des souvenirs que j'avais mis profondément de côté.
« Elie, nous sommes leurs cobayes ! Leurs cobayes ! Ils vont finir par nous tuer ! Ils l'ont déjà fait avec Nilson !
-Quoi ?, demandais-je en revenant un peu à la réalité.
-Ils ont tué Nilson... Ils l'ont tué... Je crois... Il devenait incontrôlable et il voulait tout révéler. C'était... Son idée d'aller te voir... Il savait que tu avais un cœur et que tu l'écouterais... Il te connaissait mieux que nous... Mais quand ils ont su... Ils... »
Wino se tut, baissant la tête de nouveau.
Nilson était mort. Je n'étais pas au courant. Personne dans ce monde ne l'était, à part de là où venait Wino. Dans tous les reportages récents faits sur l'histoire des Rôdeurs, on parle de ce qu'ils seraient aujourd'hui, et jamais on ne dit qu'un d'eux est décédé. Il y a pourtant eu des interviews à Sainte-Anne, du personnel, du directeur même... On parlait de 8 personnes. De 8 Rôdeurs vivants. De Shey, de U.R, de Wino, de Yael, de Keith, de Taleb, de Heryk ET de Nilson. Pas de 7.
« J'ai décidé de prendre la place de Nils, reprit Wino. Parce que les autres étaient tous attachés, sur des lits. Moi et Yael, on était dans des cages renforcées, mais sans lit, libres de nos mouvements. C'est moi qui aie réussi à sortir parce que ces gens expérimentent une nouvelle dose de drogue sur lui. Il est... Il est devenu complètement dingue, différent. Vraiment... Je le suis aussi, je sais mais... Je devais le faire. Par moment... Par moment je suis un peu plus lucide, comme maintenant et... Je veux que tout ça s'arrête, Elie... »
Je commençais à comprendre quelque chose. Alors que j'allais parler, on sonna à ma porte, et on toqua aussi fortement.
« ELIE ! ELIE, QUE SE PASSE-T-IL ?!
-ELIE ?! »
C'étaient mes voisins et mes gardes du corps. Enfin.
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N°4~
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