Chapitre 8

"On commence par quoi ?
- Fargett, pour la forgerie et l'armurerie."

Je suivis Sirius dans une ruelle déserte. Mon excitation était à son comble, mais paradoxalement, je me sentais un peu perdu face à tous les choix qui s'offraient à moi. Me présenterai-je dans cette école d'armuriers, où tenterai-je ma chance ailleurs ? Je pourrai m'occuper des chevaux ou être soigneur... Il y avait tellement de possibilités !
4 ans s'étaient écoulés depuis cette terrible nuit où je perdis mes parents, et où mon frère m'abandonna. Il se passait rarement un jour sans que j'y songe. Une question hantait mes pensées et mes rêves : « Pourquoi Yohito s'était-il enfui ?". Et celle-ci s'accompagnait souvent d'une centaine d'autres telles que : "Est-ce que je n'ai pas été un frère assez bien pour lui ?", "Non ! Rien de tout ça n'est de ma faute. C'est entièrement la sienne. Pourquoi est-il devenu si lâche ?" "Mais où est-il allé ?", "Pourquoi ne m'en a-t-il pas parlé avant ?", "Reviendra-t-il un jour ?", "Est-ce qu'alors je pourrai me venger de celui qui m'a abandonné ?"

Je sortais toujours hargneux et frustré de ces réflexions ; voir plongé dans une intense tristesse, qui disparaissait bien vite à la vue d'Altaïr, le fils de mon cousin Sirius et de sa femme Kirielle. Nous passions beaucoup de temps ensemble, dans la forêt, ou plus particulièrement sur notre terrain de jeu, que le petit garçon avait découvert et gardé secret pendant un moment pour me faire une surprise le jour de mon anniversaire.

Altaïr avait maintenant atteint ses 10 ans, et moi mes 12 ans. Or, 12 ans, c'est l'âge où on entre dans l'école de son choix. Le village de Valtarden comportait de nombreuses écoles, même plus qu'à Lagdhol, le village voisin, dont certains habitants choisissaient une école à Valtarden, car ils ne trouvaient pas dans leur village un établissement avec les spécialités qu'ils voulaient.

Aujourd'hui et pendant 4 jours, les enfants avaient la possibilité de se rendre dans chacune des écoles pour découvrir l'apprentissage qu'elles offraient, et choisir celle qui leur plaisait le plus.
Mon cousin m'emmenait donc dans celles qui pourraient m'intéresser. Fargett était une académie réputée pour la dureté de ses professeurs, mais aussi pour l'efficacité de sa méthode de travail, où les moins motivés abandonnaient, et où ceux qui persévéraient devenaient de vrais maîtres forgerons ou armuriers.

Nous marchâmes jusqu'à une petite place, accessible uniquement par la ruelle d'où nous venions, et donc très peu fréquentée. La façade du bâtiment était en pierre, et la porte en acajou massif sculpté-main était découpées entre deux solides colonnes en granite sombre. Quelques passants circulaient près de l'entrée, mais nous nous retrouvâmes très vite seuls sur la place. Nous gravîmes les quelques marches du perron, et Sirius poussa la lourde porte, qui s'ouvrît sans un grincement. Un homme aux cheveux et à la barbe brune virant au gris semblait nous attendre derrière une table improvisée avec une planche et deux tréteaux.
"Kayato, visiteurs, "dit-il d'une voix rude.

Sa posture fière, sa grande carrure et les cicatrices qui couvraient son visage et ses bras laissaient deviner toute l'expertise et l'expérience du forgeron.

"Kayato, répondis-je en essayant de ne pas paraître trop impressionné par ce maître.

"Kayato," répéta Sirius.

L'air était frais dans cette pièce plutôt sombre, de laquelle partait plusieurs escaliers et deux couloirs latéraux. Bizarrement, le vieil édifice ne sentait ni l'humidité, ni la moisissure ; mais plutôt une étrange odeur de feu et de métal chauffé...et aussi une senteur indéfinissable...envoûtante...douce, mais un peu désagréable, comme...dérangeante...et surprenamment familière. Ça y est ! Je sais ! C'est de la graisse pour entretenir le cuir des armes et des armures. Je m'en étais servi en travaillant chez Vald.

"T'es passionné par la forge, gamin ? continua l'expert.

-Eh, bien...répondit pour moi Sirius, gêné. Pas vraiment...

-C'est à lui que je demande, coupa l'autre fermement.

-Pour le moment, je suis simplement INTÉRESSÉ par la forgerie et l'armurerie. » déclarai-je.

Je continuai avec témérité :

"D'ailleurs, Sirius est mon tuteur, et s'il veut parler à ma place, il en a tout à fait le droit."

Je fixai mon regard dans ses yeux d'un bleu brumeux qui me glaçait jusqu'aux os. Après un instant, il enchaîna.

"Tu es courageux, petit, ça me plaît... Venez avec moi, que je vous montre comment on travaille, ici."

Un quart d'heure plus tard, nous sortions de Fargett.

"Alors, me demanda mon cousin en s'étirant, ça te plaît ?

- Quelle est la prochaine école à visiter ? dis-je en éludant sa question.

- Leent, répondit-il sans insister. J'ai pensé que la menuiserie pourrait t'intéresser.

-J'suis curieux de voir comment ça marche, là-bas."

Nous nous dirigeâmes vers le sud, chauffés par le soleil matinal.

Si je n'avais pas donné mon avis sur Fargett, ce n'est pas parce que je la détestais, loin de là. Au contraire, j'avais plutôt apprécié son ambiance de travail et la sympathie des élèves à mon égard. De plus, la plupart des maîtres semblaient avoir une très bonne entente avec leurs élèves, malgré leur sévérité. Mais je voulais réfléchir avant de me décider. Je devais m'inscrire demain au plus tard. Il me restait donc l'après-midi pour me décider.

Au Zénith, il nous restait une dernière école à aller voir. Il s'agissait d'Athéna, l'académie qui formait les combattants en tout genre ; mais surtout l'ancienne école de Yohito. Ça me rendait nerveux, au point que même Sirius s'en aperçut (même s'il ne dit rien).

Un mur en pierre d'environ 2 mètres de haut délimitait l'enceinte, et pour y pénétrer, nous dûmes aller jusqu'à la seule entrée, (à l'Ouest,) qui était simple, sans portail. Elle donnait sur une cour au sable épais, où quelques brins d'herbe solitaires se battaient pour survivre, à l'ombre d'un grand Aquartus.
Je fus surpris que le sable ne rende pas l'atmosphère plus poussiéreuse que ça.

La porte rouge Bordeaux à double battant, s'ouvrait sur un carrefour lumineux : tout au fond, l'accès au gymnase, à gauche, une pièce avec des bureaux et du matériel de dessin, à notre droite, une salle de classe ordinaire, et enfin en face de nous, un escalier en maleskin**(sorte de pierre lisse très légère)**. Les matériaux qui constituaient ce dernier ne grinçaient pas, ce qui étaient plutôt agréable. Une fois à l'étage, nous suivîmes les quelques personnes qui tournaient à droite, dans un grand couloir, et qui rentraient dans une salle de classe (encore à droite) identique à celle que nous avions vu tout à l'heure : sur le mur, un tableau vellida**(permet d'écrire dessue, d'effacer puis de réécrire)**, ainsi que des chaises et des bureaux pour les élèves, sous forme de gradins.

Près du tableau, au bureau du professeur, un jeune homme assez fin, aux cheveux bruns, d'environ une vingtaine d'années discutait avec...

"Helrick ! Elta ! Kayato.

- Ça fait plaisir de te voir, mon grand ! fit l'homme à la barbe blond foncé.

-Salut Hardex ! enchaîna sa fille. Toi aussi tu veux devenir guerrier ?
- Je ne sais pas encore... Je viens pour découvrir...Et toi, Elta, tu t'es décidée ?
-Ouais ! répondit-elle fièrement.

- Elta a refusé de prendre ma suite auprès des Pierres d'Invocation, ajouta Helrick en passant la main dans ses cheveux blond clair.
- C'est un truc de vieux..."le taquina-t-elle.

Pendant que Sirius saluait mes amis, je m'avançai à leurs côtés. J'avais bien envie de connaître les raisons pour lesquelles Elta avait choisi cette école, mais pour le moment, je choisi d'écouter ce que disait Maître Tenk, car apparemment, c'est comme ça que s'appelait le représentant de l'école.

"Ici nous vous apprendrons à choisir votre arme de prédilection, et à trouver votre propre style de combat. Bien sûr, les éclateils sont autorisés, et un certain nombre de cours seront dédiés à ce sujet. Si vous avez un pouvoir, nous vous aiderons à le développer et à bien l'utiliser, en fonction de vos compétences. Nous vous enseignerons aussi à vous en protéger, et tous ce que nous savons sur le monde. Et évidemment, je ne citerai pas toutes les matières physiques et sportives."

En empruntant l'escalier vers la sortie, je discutais avec mon amie :

"Où veux-tu qu'on se retrouve ?

-J'en sais rien, trouve-moi un endroit sympa dans la forêt, tu la connais mieux que moi..."

Nous arrivions dans la rue.

"D'acc, j'ai ce qu'il nous faut. À partir du quartier Ouest, contourne la falaise, et continue au Nord, (va pas trop à gauche), jusqu'à la rivière. Là, continue tout droit sur 200 mètres. Je t'attendrai là, précisai-je.

-Ça marche, à tout' !"

Je souris en la voyant franchir une barrière par un magnifique "saut du voleur".

Sirius m'emmena déjeuner dans une petite auberge (l'Épi d'Or), où il me fit goûter la spécialité de Lagdohl, (le plat s'appelle aussi le "Lagdohl"), à base de fromage et de friture. C'était super savoureux !
Puis, je me rendis dans les bois, sur le lieu de rendez-vous fixé avec Elta. À ma grande surprise, elle y était déjà, contemplant l'étang. Je m'assis à ses côtés.

"Tu contemples mon domaine ?

- La forêt ne t'appartient pas, si ?
-Non, sauf que mon neveu m'a offert cette partie-là pour mon anniversaire, il y à 4 ans. Ici, fis-je en désignant l'endroit où nous étions, c'est notre lieu de repos. Et par là, dis-je en désignant le petit passage entre les ronces, qui s'était un peu élargi au fil du temps, c'est notre terrain de jeu.

-Je vois...me taquina-t-elle. L'endroit est juste...magnifique..."ajouta-t-elle en changeant de ton.

C'est vrai que l'endroit était joli, avec son étang aux eaux claires, ses quelques petites fleurs épanouies, où ses bourgeons, et sa barrière de ronces. En 4 ans, j'avais beaucoup grandi (encore heureux...), mais mon visage, bien que moins mignon, n'avais pas trop changé. Mon nez n'était ni gros ni pointu. Il était même légèrement plat sur le dessus. Mes joues n'avaient jamais été rebondies, mais elles ne s'étaient pas non plus creusées avec le temps. Mes cheveux roux foncé bouclaient un peu sur le dessus, mais je les gardais très courts sur les côtés et derrière. Et mes yeux étaient d'un vert émeraude profond... Je ne me trouvais pas beau... c'était moi, et rien d'autre.

Mon reflet se tourna vers mon amie. Je vis qu'elle fixait le sien, elle aussi. Sa peau très claire devenait bien plus brune juste sur ses pommettes, sous ses yeux, et se dégradaient en quelques toutes petites taches de rousseur. Ses traits étaient fins, et sa longue chevelure presque blanche était coiffée en demi-queue tressée sur les côtés, comme à son habitude.

Très directe, elle me demanda :

"Avoue que t'hésite à aller Athéna à cause de ton frère."
J'aimais bien sa franchise. C'était une personne de confiance. On pouvait tout lui dire, car elle ne jugeait personne, et on savait qu'elle nous disait tout, car elle n'avait pas peur qu'on la juge. À part Sirius, Kirielle et Altaïr, son père et elle étaient les seuls à connaître le départ de Yohito, car c'étaient des amis très proches de la famille. Elle, elle avait perdu sa mère il y a bien longtemps, tuée par des Chevaucheurs, et se souvenait à peine d'elle. Mon amie pouvait donc se montrer très compréhensive. Ses yeux bleus et calmes comme les eaux d'un lac me fixai intensément.

"Ouais, dis-je simplement.
-Oublie-le, fais-le sortir de ta tête, commença-t-elle en me faisant une pichenette sur le crâne. C'est pas en pensant à lui que ça s'arrangera... Et puis tu ne vas quand même pas abandonner une école simplement parce qu'il y a été... tu ne vas quand même pas arrêter de respirer sous prétexte qu'il l'a fait avant toi..."

Comme je ne répondais pas, elle ajouta :

"Et puis tu sais aussi bien que moi que ce n'est pas à cause de son école qu'il est parti.

-Pourquoi m'a-t-il abandonné, alors... murmurai-je.

-Et pourquoi l'école Athéna l'aurait-il poussé à le faire ?"répliqua-t-elle avec justesse.

Depuis que nous nous connaissions, elle avait toujours trouvé les mots justes pour me convaincre.

"Tu as raison, repris-je. Mais je pense que j'entrerai à Fargett, où à Kiroa.

-Je vois, murmura-t-elle, compréhensive. Et comment comptes-tu choisir entre les deux ? continua-t-elle plus haut.

-À pile ou face ?"proposai-je avec entrain.

Voyant qu'elle fouillait dans sa poche pour y dénicher une pièce, j'enchaînai :

"C'est une blague ! Je ne suis pas encore assez fou pour jouer mon avenir à pile ou face.

- Pas encore...me taquina-t-elle, mais un jour, tu me remercieras d'avoir toujours une pièce sur moi, pour prendre les décisions difficiles.

-J'ai hâte de voir ça !"doutai-je en souriant.

Nous changeâmes bien vite de sujet, riant pour un rien, sans voir le temps passer.

"Je vais y aller, fit Elta. J'ai promis à mon père de l'aider à trier ses Pierres d'Invocations.

-D'accord. À bientôt, alors !

-Tsuki aka kudasai !"ajouta-t-elle en se levant.

Une fois la fille d'Helrick partie, je me rendis sur la falaise pour réfléchir, comme à mon habitude. J'aimais bien contempler Valtarden, avec ses petites maisons en pierres, et ses solides colombages.

Je devais choisir entre deux écoles radicalement différentes, mais qui me plaisaient autant. Je savais que ce choix influencerait toute ma vie, mais je n'avais aucune idée de comment les départager. Si seulement Sirius pouvait m'aider... Je lui avais demandé au déjeuner, mais malheureusement, il avait refusé, affirmant qu'il ne voulait pas influencer mes choix, et que moi seul devait choisir. Et évidemment, Altaïr devait avoir reçu l'ordre de ne pas m'aider. J'étais seul, face à ma vie, face à mon destin...

Je venais de me souvenir de quelque chose...

Je me levai d'un bond, et fonçai vers la forêt.

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