Chapitre 61

Aux côtés de mon fier dragon, je ne cessai de repousser des Chevaucheurs, dans l'espoir que cela se finisse un jour. Je ne comptais plus le nombre d'ennemis tombés, le nombre de blessures qui couvraient mon corps, le nombre de fois où j'avais échappé à la mort. Je n'en pouvais plus, mes membres semblaient refuser de combattre, la fatigue avait envahi ma tête. Et pourtant, à chaque fois je me relevai et à chaque fois j'ôtais la vie, encore et encore. Car je n'avais pas le choix. C'était ça, ou mourir. Se battre, ou laisser mon ennemi s'en prendre à ceux que j'aimais.

L'esprit embrumé d'épuisement, j'avais complètement perdu la notion du temps. Une esquive. Juste à temps. Je déviai un coup de bouclier, et désarmai la femme à la chevelure de jais. Une nouvelle opposante s'écroula à mes pieds, teintant ses mèches sombres de sang et de terre retournée. Mais depuis longtemps déjà, ce n'était plus des hommes et des femmes que je combattais, mais des ennemis. Purement et simplement. Mon coeur était déjà bien trop alourdi par cette bataille entre l'abandon et le désir de vaincre, pour pouvoir supporter en plus la culpabilité de tuer des personnes humaines.

À ma droite, Ace balayait plusieurs ennemis d'un coup de griffes, fendait l'air de sa queue, faisait résonner le ciel nocturne de son rugissement triomphal. Il avait peur. Je le savais. Mais jamais il ne cessait de refouler ses assaillants, malgré ses ailes fragiles et fatiguées, et sa patte blessée.

À ma gauche, le long fouet de combat d'un homme d'une vingtaine d'années faucha les jambes de Max, malgré la rapidité du petit blond. Zalden, son pelage en feu brillant avec splendeur dans l'obscurité, se précipita pour amortir la chute de son invocateur. Les mèches blond doré retombaient sur son front couvert de sueur mêlée d'éclats rouge sombre. Se relevant avec peine, il déclara :

« Je pourrais faire ça toute la journée. »

Furieux de la ténacité de mon ami, son opposant revint à la charge.

Étant sur le flanc d'une colline, relativement en hauteur, je pus contempler le champ de bataille. Des éclats de lumière provenant de quelconques pouvoirs illuminait cette plaine ravagée par la guerre. Avec désespoir, je m'aperçus que les troupes du roi Kleïten et de l'Héritier Zeïten avait largement l'avantage sur nous. Les escouades de la Harde reculaient peu à peu, malgré une ardeur incontestable. Avions-nous donc perdu cette bataille ?

« Hardex ! »

Je me tournai vers mon interlocuteur.

Maître Haken se tenait à quelques pas de moi seulement. En plus de celle sur sa joue gauche, son visage comptait une nouvelle cicatrice, barrant sa courte barbe de style « balbo ». Ses cheveux en « undercut »d'habitude si soigné étaient désormais en désordre. Il tenait ses deux épées courtes dégainées, haletant.

« On perd du terrain. Si on continue comme ça, on va tous se faire massacrer. »

Simplement à l'éclat de ses yeux gris, je sus que la situation était grave.

« On devrait battre en retraite, alors ? »l'interrogeais-je.

Il hocha la tête, décidé.

« Mais j'ai une chose à accomplir avant. »

De quoi parlait-il ? Le connaissant, il n'allait pas me donner plus de détails.

« Je veux que tu préviennes le chef Tom de ne pas ordonner la retraite tout de suite. Il doit attendre que j'ai fini. Il saura quand. »

J'acquiesçai sans vraiment comprendre. Notre capitaine autosuffisant savait ce qu'il faisait, comme d'habitude, et je n'avais rien de mieux à faire que d'avoir confiance en lui, autant que lui même le faisait.

« À vos ordres, capitaine. »

Il me fixa un instant, puis hocha la tête en soupirant.

Il se retourna, et partit vers le Nord. Je cherchai le chef de la Harde du regard, et le trouvai une centaine de mètres au Sud-Est. Je fis un signe de tête à Ace qui observait la scène, et il s'approcha de moi pour que je m'installe sur son dos, avant de décoller dans une bourrasque.

La sensation magique de voler sur le dos d'un dragon me fit oublier pour un instant la lourde réalité de la défaite qui planait sur nous.

Pour éloigner les ennemis qui affrontaient Tom, mon éclateil utilisa ce qui lui restait de feu. Un cercle vide d'adversaires s'ouvrit autour du guerrier et de sa jument baie clair, dont les balzanes étaient à peine visibles à travers la terre et le sang qui les recouvraient. Ace put donc atterrir.

L'homme se tourna vers nous, lançant un regard pastel interrogateur.

« Maître Haken nous envoie. Il affirme que... vous devriez attendre un peu avant d'ordonner la retraite. Il dit que vous saurez quand le faire, mais qu'il doit accomplir quelque chose avant.

-Qu'est-ce qu'il nous fait, encore... » murmura-t-il en fronçant les sourcils.

Il secoua la tête et sourit.

« Il a tellement confiance en lui, comment ne pourrais-je pas croire en Haken ? C'est bien reçu, petit. Retourne avec ton bataillon, et fais attention à toi. »

En quelques battements d'aile, nous atteignîmes le lieu dont nous avions décollé. Mais autre chose m'était venu à l'esprit. Je fis signe à Ace de ne pas atterrir, et cherchai le maître du regard. Après quelques instants, je repérai un guerrier brun qui courait au milieu des combats, esquivant les coups, sautant par dessus les corps ensanglantés. Qu'essayait-il de faire, au juste ? Je tapotai l'encolure du dragon rouge, et celui-ci vola en direction de Maître Haken. Je rengainai mon arme dans mon dos pour plus de comfort. Elle se balançait désormais au rythme des tournants qu'effectuait ma monture.

Le maître dépassa les dernières lignes, et sortit de la zone de combat. Il se déplaçai maintenant en direction de... l'entrée de la Vallée du Roi ! Ce passage entre deux montagnes, le seul accès à la vallée tant convoitée... J'avais enfin saisi les intentions du capitaine.

Arrivé devant le passage large d'une vingtaine de mètres, il prit une grande inspiration, fixant la Vallée, puis posa sa main gauche au sol.

La terre trembla et certains combats s'interrompirent un instant pour observer la muraille de roche qui s'élevait du sol, obstruant peu à peu l'entrée entre les montagnes.

Cela bloquerait la seule issue pour pénétrer dans la Vallée du Roi. Pas éternellement, certes, mais les Chevaucheurs auront besoin de plusieurs lunes pour briser cette barrière rocheuse. Assez de temps pour que la Harde se prépare à une nouvelle bataille. Ce que le capitaine nous offrait ici grâce à son pouvoir, c'était une seconde chance.

Une lueur d'espoir vint illuminer l'amertume de la défaite qui planait jusque là sur notre camp. Les combats reprirent avec ardeur, tandis que la muraille de pierre continuait de s'élever entre 2 montagnes.

Ace se posa près des dernières lignes pour protéger Maître Haken. De nombreux Chevaucheurs tentèrent de s'interposer pour stopper notre capitaine, mais toute l'escouade avait rappliquée, et d'autres guerriers comprirent la situation, et nous rejoignirent. Bientôt, tous les ennemis voulurent s'en prendre à l'homme que nous protégions, et la Harde entière s'y opposa. Les guerriers donnaient leurs dernières forces, comprenant l'enjeu de cette ultime opération.

Une ligne complète d'habitants de Valtarden se forma, empêchant quiconque de s'approcher de notre maître. Anger usait de son pouvoir pour attirer à lui les armes de son adversaire. Il s'était entraîné à les rattraper correctement, évitant ainsi qu'une lame ne le blesse.

Kod, tout en jouant de sa hache, protégeait de nombreux guerriers des tirs de flèches grâce à une demi-sphère translucide aux reflets dorés, d'une dizaine de mètre de diamètre. Depuis qu'il avait éveillé son pouvoir, son bouclier avait bien évolué.

Idori était descendu du dos de Royal pour protéger Kate, et déséquilibrait ses adversaires par de violentes bourrasques. La petite guérisseuse affrontait ses opposants avec courage et détermination, utilisant son savoir-faire au corps à corps, enseigné par mon ami archer. De temps en temps, elle lançait avec précision un petit poignard, sa lame enduite d'un poison qu'elle avait elle-même fabriqué grâce à ses connaissances en plantes.

Elta se débrouillait très bien. Elle aveuglait les assaillants par des nuages de flocons de neige. Même si elle avait plus de mal à l'utiliser en approche de la période du Zénith, son pouvoir lui était bien utile. Blizzard, sa panthère des neiges, en profitait pour bondir sur l'ennemi, et s'en donnait à coeur joie.

Quant à Téméria, elle montait Rébélior, et ne laissait personne échapper à sa corde renforcée et son épée. Parfois, quelques pics de glace jaillissaient de terre, surprenant l'ennemi.

Quel plaisir de voir mes amis en vie ! Avec une ardeur nouvelle, je fauchais les Chevaucheurs en quelques coups, frappais de toutes ma force, feintant sans relâche. Grande inspiration, coup plongeant. D'un mouvement que le capitaine aurait sans aucuns doutes qualifié de téméraire, je passai sous l'arme du combattant adverse, et le frappai dans le dos. Un autre Chevaucheur s'écroula à terre, une tâche rouge s'élargissant vers ses épaules.

Soudain, une flèche bien mieux tirée que toutes les autres détourna mon attention. Son sifflement retentit comme une mise en garde. Dans la pénombre, je peinais à la distinguer nettement, mais tournai la tête dans l'espoir de la voir se heurter contre un bouclier. Pourtant, elle continua inexorablement sa course au dessus du champ de bataille, tel une étoile filante, se démarquant parmi ses semblables.

Mes yeux s'agrandirent de terreur en voyant vers où filait cette menace pointue. Mon maître était en danger. D'un élan soudain, mes jambes me propulsèrent, et je me mis à courir dans l'espoir fou d'arrêter cette flèche avant qu'elle n'atteigne sa cible, et empêche Maître Haken de renverser la situation, de transformer cette défaite assurée en une promesse de revanche.

J'esquivai quelques coups qui fusaient sur mes côtés, vaines tentatives de m'arrêter. Quelques sauts me permirent de passer outre les cadavres qui jonchaient le sol, et me voilà enfin en dehors de la zone de combat. La flèche me frôla, trop tard. Je ne pouvais l'arrêter. Elle était bien trop rapide, c'était évident. Pourtant, une fraction de seconde s'écoula à peine, et un guerrier surgit près de moi, se plaçant entre la menace et Maître Haken. La pointe se planta dans son épaule avec un bruit net. L'homme serra les dents, et je poussai un soupir de soulagement. Ses cheveux entre le brun clair et le châtain parés de reflets lumineux, étaient coupés de la même façon que notre capitaine : les côtés et le derrière taillés très courts, laissant le dessus plus long. Mais l'inconnu avait une coupe plus courte, créant un agréable contraste entre les côtés extrêmement ras, et le léger volume du haut. Il était caractérisé par une carrure plutôt athlétique, une taille moyenne, un visage carré avec des traits marqués et des pommettes bien définies.

Sa tenue était entièrement noire, et les deux lanière de cuir qui se croisaient sur son torse étaient sombres elles aussi, tout comme l'arc à poulie qu'il tenait dans sa main droite. De taille moyenne, l'arme de teinte mate semblait renforcée de parties métalliques. Elle s'assortissait avec les nombreuses flèches accrochées dans le dos du guerrier.

D'un geste sec, il arracha celle plantée dans son épaule gauche.

L'homme me lança un regard, et se fondit dans la foule des combattants avant même que je ne puisse le remercier d'avoir sauvé mon maître.

La barrière rocheuse s'élevait de plus en plus haut entre les deux montagnes, dominant la plaine, et s'approchait peu à peu de leurs sommets. Le capitaine semblait pris dans une intense concentration, une main appuyée contre le sol de terre.

Ace m'avait rejoint, et je dus me replonger une nouvelle fois dans la violence du champ de bataille.

La Bataille de la Plaine Sombre touchait à sa fin...

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