Chapitre 59

Tout autour de moi, des guerriers armés, prêts à combattre. La plupart discutaient, sans se soucier plus que ça de la bataille à venir, ou du moins, en donnaient l'impression. Des éclats de rire montaient de l'escouade du Loup, placée à côté de la nôtre. Les autres escouades de Valtarden n'étaient pas très loin, comme celle du Vent, dont les membres avaient 2 ans de plus que nous, légèrement en retrait sur notre droite.

Les escouades étaient réunis au sein de bataillons parfaitement équilibrés, sous les ordres d'un Général. Naek, capitaine du Renard, avait été nommé Général du nôtre. Cette escouade ayant une grande importance aux yeux du chef, nous étions le bataillon numéro 3.

Nous avions un peu de temps avant que le signal soit donné, alors certains en profitaient pour parler avec leurs amis, rire avec eux, peut-être pour la dernière fois.

« Tu viens voir les autres avec moi ? »demanda Téméria.

Accompagnée de son splendide cheval noir au sabots dorés, elle s'était approché de moi. J'hochai la tête, et la suivis avec Ace. J'avais besoin de me changer les idées.

En descendant vers l'escouade du Lac, je saisis une phrase échangée par Max et Zénith.

« Ne meurs pas. Promets-le moi. »

Idori, Kod et Elta riaient avec Stoler et Anger. Nous les rejoignîmes. Je remarquai avec étonnement que Téméria avait l'air nerveuse lorsque mon amie d'enfance était là, et qu'elle évitait de lui parler, comme si elle lui en voulait. Elles étaient amies, non ?

Je discutai et m'amusai avec les autres, mais au fond, je n'arrivais pas à vraiment me détendre. Comment rester calme alors qu'une bataille terriblement meurtrière était sur le point de débuter ? Comment ne pas fuir puisque nos pires cauchemars allaient devenir réalité ? Comment poser les yeux sur cette plaine tout en sachant que bientôt, elle serait couverte de sang ?

« Guerriers ! En place ! Attendez mon signal ! »

Tous se tournèrent vers Tom. Le chef de la Harde était monté sur une belle jument à la robe baie clair, la crinière en brosse soignée, et un jolie nez sombre. Des balzanes mi-hautes couvraient les jambes de l'éclateil. L'allure charismatique du guerrier reflétait son assurance, et me rappelait Maître Haken.

Son regard vert pastel s'arrêta sur moi, et il me lança un petit signe de tête, avant de reprendre son déplacement entre les troupes pour répandre le message.

« Allez, viens, me fit Ace avec douceur. Il faut y aller. »

Chacun regagna l'emplacement qui lui avait été assigné, et bientôt, l'armée fut composée de petits groupes bien ordonnés.

Derrière Maître Haken, la nervosité nous gagna un par un, même Max et Idori, d'habitude si détendus. Ce dernier posa la main sur l'épaule de Kate pour la rassurer.

« T'en fais pas, je te protégerai. »

Nous n'osions même plus nous regarder dans les yeux, de peur de montrer notre appréhension.

Le capitaine se tourna vers nous.

« Ne vous mettez jamais en danger inutilement, »fit-il en regardant spécialement dans la direction de Téméria et moi.

Puis, il plongea son regard gris dans celui argenté d'Idori, et dans celui vert clair de Max.

« Servez-vous de votre tête. »

Kate coinça une mèche de ses cheveux bruns clair derrière son oreille.

« Ne paniquez pas, donnez tout ce que vous avez. J'aurais toujours un oeil sur vous. »

J'hochai la tête, dans une tentative de paraître convaincant.

Une boule s'était formé dans mon ventre, et se compressait au fur et à mesure que le temps passait, en attendant le signal. La gorge serrée, je me hissai sur la selle de mon dragon, en posant mon pied gauche sur un rebord en cuir prévu à cet effet.

Les écailles rouges sombres de mon éclateil dégageaient un aura tiède qui me réconfortait et m'apaisait très légèrement.

« Guerriers ! »

Ce cri eut plus d'effets sur mon coeur que ses propres battements. D'un même mouvement, tous les guerriers dégainèrent leurs armes. Je suivis le mouvement en essayant de ne pas trembler.

L'épée de mon père scintilla faiblement dans la lumière du soleil couchant. Je serrai si fort la garde que le cuir lisse grinça sous mes doigts. Je respirai une dernière fois l'air chargé de la senteur des hautes herbes, car je savais que bientôt, je ne sentirai rien d'autre que l'odeur du sang.

La Plaine Sombre, collée aux montagnes qui entouraient la Vallée du Roi et la couvraient partiellement de son ombre, était entourée de basses collines. Nous étions derrière l'une d'entre elle. Je pouvais apercevoir au loin, de l'autre côté du terrain, des formes se mouvoir et sortir de derrière les collines. Elles avançaient rapidement, entamant la traversée de la plaine, en direction de l'entrée de la vallée. Celle-ci était un simple espace d'une dizaine de mètres seulement, entre 2 montagnes. Et c'était la seule.

On les voyaient de mieux en mieux, maintenant. Les Chevaucheurs... Une mélange de cruauté, de destruction et de puissance. Ils le savaient. J'en étais presque sûr, ils savaient que nous étions là, à les attendre. Il n'y avait rien de plus prévisible. Mais peu importe. Ils continuaient d'avancer, et nous allions nous jeter dans la gueule du monstre, sans autre espoir que nous-mêmes.

Mon souffle s'arrêta net lorsque ce cri de Tom me parvint.

« Attaque ! »

Ce ne furent pas des milliers de guerriers, mais bien une seule armée, qui se jeta contre l'ennemi.

J'avais peur. Et cela me terrifiait encore plus de me l'avouer. Ace décolla et s'élança en même temps que tous les autres. Lui aussi était effrayé. Je ne savais pas si je devais être rassuré de ne pas être seul, ou m'inquiéter encore plus, parce qu'un dragon tremblait devant cette même menace. Et puis ce n'était pas UN dragon, c'était MON dragon. Celui qui avait changé ma vie, qui l'avait rendu tellement plus belle, qui lui avait redonné un sens.

Un premier choc retentit dans l'air lourd de la nuit tombante, et la paisible plaine devint un terrible champ de bataille. Les combattants des 2 camps entrèrent en collision, et des cris de guerre, de douleurs, d'agonie, résonnèrent dans les collines.

Ace volait assez bas, et était resté proche de notre bataillon, selon les ordres reçus. À peine le temps de reprendre mes esprits devant ce spectacle de haine intense et de violence, je me sentis tiré et jeté à terre par le côté. Le choc fut inattendu, mais dans la panique, je me relevai rapidement. Un assaillant avait sauté et s'était accroché à mon bras. Ses vêtements rouges ocre étaient arrangés soigneusement, du moins pour le moment, contrairement à ses cheveux bruns au carré qui n'étaient ni très épais ni très propre. Il maniait avec agilité une modeste épée longue, et me fixait avec une expression mêlée de dédain et de férocité.

Derrière lui, je vis s'avancer trois autres hommes, l'un armé d'une hache, l'autre d'une sorte de fouet métallique pour le combat, et le dernier tenait la poignée centrale d'un double-hast. Cette arme était un long bâton pourvu d'une lame de forme particulière à chaque extrémité. Le dragon rouge sombre se posa près de moi pour m'aider à affronter ces 4 adversaires.

« Tu t'occupes du premier avec une épée, et je prends le reste, ok ? »

J'hochai la tête avec hésitation. Ace était bien capable de se charger de 3 personnes à la fois, mais d'un autre côté, je craignais que...

Un rugissement féroce, chargé d'une nuance craintive détectable par moi seul, mit un terme à mes réflexions. Mon éclateil se jeta sur ses ennemis, et cracha un jet de flammes bleues glaciales.

Lorsque mon adversaire s'élança dans ma direction, la peur monta en moi et me paralysa jusqu'au moment où la lame du Chevaucheur s'abattit sur moi à une vitesse folle. Je parai maladroitement, et repoussai l'arme ennemie pour me positionner correctement sur mes appuis. Lorsqu'il attaqua une nouvelle fois, je me tenais prêt. Et bientôt, la folie du combat l'emporta sur ma peur.

Ma lame fendit l'air en direction du ventre de mon assaillant, mais une nouvelle fois, celui-ci fut plus rapide, et l'écarta d'un simple geste juste avant qu'elle atteigne sa cible. Dans le même élan, il faillit bien me blesser, si je n'avais pas reculé à temps. Mon adversaire était rapide et agile, et son talent à l'escrime n'avait rien à envier au mien. Haletant, j'attaquai sans relâche, ne pouvant me permettre de ralentir le rythme face à lui.

Malgré un enchaînement de 3 coups, la garde du Chevaucheur tint bon. Mais lorsque je pivotai mon poignet dans la tentative d'une feinte, l'homme recula, surpris, et évita de justesse le tranchant de ma lame sur son avant-bras.

Je plissai les yeux, curieux. Cette feinte était pourtant assez prévisible. Ce qui me laissait penser que derrière son escrime impressionante, mon adversaire n'était pas aussi intelligent que ce qu'il laissait paraître. J'avais donc une chance de m'en sortir.

Au moment où j'allais m'élancer à nouveau sur l'ennemi, avec cette fois une ébauche de plan en tête, quelque chose faucha mes jambes, et je me retrouvai à terre. J'eus un accès de panique en voyant l'homme qui m'avait fait tombé. Imposant, une lourde hache à la main, il riait devant mon désarroi. Ses cheveux noirs se voyaient mal dans la nuit tombante, mais j'aperçus qu'ils avaient été brulés par endroits.

Je me retrouvai désormais face à deux adversaires. Et mon épée avait volé un peu plus loin lors de ma chute. Je dégainai en tremblant le poignard en marbre noir veiné de blanc, offert par Altaïr. En retenant mon souffle, je roulai sur le côté pour éviter la hache de l'imposant Chevaucheur, qui atterrit à l'endroit exact où je me trouvais un instant plus tôt.

J'eus à peine le temps de me relever, que l'homme en habits rouges ocre attaqua à son tour.

Je passai quelques minutes à esquiver du mieux que je pouvais tous les coups qu'on me portait, mais parfois, ils étaient plus rapides, et de légères éraflures apparurent peu à peu sur mon corps.

Une nouvelle fois, le Chevaucheur à la hache me menaça. Cette fois, je passai sous son arme, et esquivai en me rapprochant de lui. J'eus juste le temps d'entailler son ventre de mon poignard sombre avant de m'écarter, dérapant à moitié sur l'herbe de la plaine. L'homme grogna de douleur et plaça la main sur l'éraflure, me laissant quelques secondes de répit.

Je devais trouver une solution, et vite. Mon pouvoir. C'était le seul moyen de m'en sortir, même si je ne parvenais toujours pas à le maîtriser.

J'ouvris alors mon esprit, et détectai presque aussitôt les nombreuses sources d'énergie qu'étaient les étoiles. Chacune d'entre elles me paraissait désormais totalement différente, selon l'énergie dont elle était constituée. Une multitude de choix s'offrit à moi, et parmi les myriades d'astres éclaircissant le ciel nocturne, j'en choisi une, un peu au hasard, qui brillait assez fort, et dont l'énergie me paraissait particulièrement chaud.

Je laissai avec un peu d'appréhension cette énergie entrer en moi et me parcourir. Elle me paraissait... bouillante. Un aura de chaleur m'enveloppa, et bizarrement, cela ne me dérangeait pas. Mes mains se mirent à rougeoyer étrangement dans la pénombre. Je remarquai que mes deux adversaires me fixaient avec étonnement, tandis que dans ma main, je sentis mon poignard chauffer à son tour.

La peur de perdre le contrôle refit surface dans mon esprit, et mes épaules tremblèrent doucement. Non. Cette fois, je n'avais pas le choix. Je devais réussir, car personne ne pouvait m'aider. Je repoussai mes craintes, et me répétai les paroles de Téméria et de Maître Haken. « Essaye de te détendre, d'accepter cette force comme une aide, comme quelque chose que tu vas utiliser, qui va te rendre plus fort, non comme une énergie qui va te contrôler. Ouvre ton coeur, et aie confiance en toi, ça t'aidera à ne pas paniquer. »« Je suis sûr que si tu ne paniques pas, tu réussiras à contrôler ton pouvoir. »

Avec difficulté, j'acceptai le pouvoir, le laissai me parcourir de toutes parts, lâchant complètement prise. Je retins mon souffle, mais rien ne se passa, je gardai tout à fait le contrôle. Je me sentis étrangement mieux, et l'énergie circula de façon beaucoup plus fluide. J'avais réussi. Enfin, c'est ce qu'il semblait pour le moment.

Je pris une grande inspiration. Je n'étais pas vraiment sûr de comprendre comment fonctionnait ce pouvoir, mais j'étais prêt à essayer.

Une épée ennemie fit vibrer l'air furieusement. Je parai avec mon poignard, puis attrapai le poignet de l'homme dans une tentative de lui faire lâcher son arme. Il hurla de douleur. Surpris, je retirai ma main, et contemplai la peau craquelée et brûlée de l'ennemi, à l'endroit même où je l'avais touché. Une vive odeur de cramée monta jusqu'à moi.

Je souris malgré la fatigue. J'avais compris ce pouvoir. Je pouvais faire chauffer des parties de mon corps à de très hautes températures, sans même me blesser.

Aussi, quand l'imposant combattant tenta de m'attraper le bras, je me laissai faire. Tout en me rapprochant de lui, il baissa sa garde. Grave erreur. Je concentrai une grande quantité d'énergie à l'endroit où il me tenait, et je sentis la température de mon avant-bras augmenter très fortement. L'adversaire me lâcha dans un gémissement de douleur, et j'en profitai pour pivoter, et placer ma paume rougeoyante sur l'épais cou du Chevaucheur. Il hurla de douleur, tandis que je sentais sa peau se craqueler sous mes doigts brûlants. Il se débattit, mais je ne lâchai pas prise, et augmentai le flux d'énergie. Celui-ci s'interrompit d'un seul coup. J'avais épuisé toute l'énergie de cette étoile, et ne pouvait plus utiliser ce pouvoir.

Je lâchai alors l'homme presque mort, qui s'écroula dans l'herbe. Je me sentis soudain assez fatigué. Pas le temps de me reposer, mon deuxième adversaire, remis de son ébahissement, se précipitai vers moi en poussant un cri de guerre. Cette fois, j'étais préparé, et je l'accueillis d'un grand coup de pied dans la mâchoire. Je remerciai intérieurement Maître Tenk de m'avoir appris ce mouvement, tandis que le Chevaucheur aux vêtements rouge ocre s'écroulait quelques mètres plus loin. Je courus récupérer mon épée, et m'approcha du combattant qui peinait à se relever. Il s'immobilisa en me voyant. Je brandis mon arme, et l'abattis de toute ma force dans ses côtes. Ses yeux s'écarquillèrent, et un filet de sang coula de sa bouche entrouverte. Il s'écroula enfin.

J'avais réussi ! J'avais maîtrisé mon pouvoir ! Mais j'avais tué 2 hommes. Ôter la vie me répugnait toujours autant. Je secouai la tête comme pour me débarrasser de l'image troublante de leurs deux cadavres, et cherchai Ace du regard. Celui-ci avait lui aussi vaincu ses ennemis, et se dirigeait vers moi, pour m'aider face à d'autres adversaires.

La Bataille de la Plaine Sombre ne faisait que commencer.

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