Chapitre 39


Maître Haken n'avait jamais autant eu notre attention auparavant. Après nous être bien reposés, l'escouade avait repris un peu la route, et s'était installée dans un bosquet d'Aquarius (espèce d'arbre). Et, comme promis, sous le crépitement du feu de camp, notre capitaine commença à raconter son histoire.

« Je suis né et j'ai grandi comme vous, à Valtarden. Le jour de mes 12 ans, j'invoquai mon éclateil, un splendide cheval alezan.

-Comment était-il ?s'enquit Téméria, intéressée.

-La crinière en brosse, curieux de tout et bienveillant. Drax était ce qui me manquait pour être heureux. Bon élève à l'Académie d'Athéna, je devins vite assez populaire. J'avais un grand nombre d'amis, mais l'un d'entre eux était pour moi comme un frère.

-Son nom ?demanda Idori.

-Renner, »répondit-il.

Il fixait le sol couvert des feuilles ambrées et dorées de la saison des Brumes Dorées, nous cachant son regard.

« L'autre personne que j'appréciais le plus était Gwen. Cette fille me redonnait le sourire quand ma vie perdait son sens. À la fin de l'année, j'obtins sans problème mon nom de guerrier. Je fus désormais connu comme l'Étalon Solitaire, et je rejoignis l'escouade de la Lune avec Renner et Gwen. Certains disent que je suis narcissique et mauvais équipier, et c'est peut-être vrai. Mais ce qui est arrivé ensuite n'était pas vraiment ma faute. »

Il fit une pause, plongea ses yeux gris dans le ciel nocturne. Chacun de nous buvait ses paroles.

« Nous avions alors 16 ans. Nous effectuions une mission contre un groupe important de Chevaucheurs, entre la Cascade des Dragons et les Monts de la Force, dans le Désert Sableux. Notre capitaine nous donna un ordre, mais Renner, obstiné comme il était, ne suivit pas cette ordre. Cela faillit lui coûter la vie, mais Gwen s'interposa entre le Chevaucheur et lui, et c'est sa vie que l'épée ennemie enleva. »

Dans le silence, chacun accueillit avec tristesse ces paroles. Idori demanda ce que tous le monde se demandait :

« Quel était cet ordre que Renner a refusé de respecter ?

-Je devais retenir seul le groupe de Chevaucheurs, pendant que les autres contournaient la dune sans se faire voir pour les attaquer par surprise. Notre capitaine disait que j'étais le seul capable de le faire, et les autres avaient un rôle important lié à leur pouvoir ou à leur éclateil, un rôle que je ne pouvais pas remplir. Mais le maître avait raison, le plan était parfait, et je me sentais tout à fait capable de retenir les ennemis quelques minutes. Renner, lui, jugeait que c'était trop risqué, et resta avec moi. Les autres qui devaient attaquer par derrière, ayant besoin de lui, revinrent sur leurs pas, et Renner et moi dûmes donc nous battre plus longtemps, car contourner la dune leur prenait du temps. Mon ami ne vit pas l'un des Chevaucheurs l'attaquer par derrière. Les autres arrivèrent à ce moment-là, et Gwen se précipita pour le protéger. Elle sauva Renner, mais personne ne parvint à la sauver.

-Et...qu'est-ce qui s'est passé ensuite ?murmura Téméria.

-Ensuite ? Nous fûmes obligés de battre en retraite. Et je me suis disputé avec mon ami. Je lui en voulais. Beaucoup. Elle était morte, et plus rien d'autres ne comptait à cet instant. Nous étions sous le choc, ni lui ni moi ne savions ce que nous faisions, et notre capitaine dut nous regarder nous battre sans rien faire. Nos épées s'entrechoquaient avec une force que l'on n'utilisait même pas contre des ennemis. Ne le supportant pas, mon éclateil s'élança et tenta de nous séparer. »

Sa voix se brisa, mais il continua.

« Renner ne put retenir son coup, et, sans le vouloir, frappa Drax. Mon cheval ne s'en releva pas. Alors je me suis enfui. En une soirée, j'avais perdu celle que j'aimais, mon éclateil et m'étais battu avec mon meilleur ami. C'était trop pour moi. Beaucoup trop. Je partis seul, traversai tout le Désert Sableux, me rendit à la Cascade des Dragons, puis je continuai de voyager. Quand enfin je commençai à aller, mieux, j'offris mes services à la Harde. Et un beau jour, je décidai de rentrer à Valtarden. Pour la première fois en 10 ans, mon village me manquait. »

Il ferma les yeux un instant, goûtant la fraîcheur de la nuit.

« Si seulement j'avais su le convaincre de partir avec les autres. Si seulement j'avais insisté plus longtemps. Si seulement j'avais été plus fort, peut-être qu'il m'aurait fait confiance, qu'il ne se serait pas inquiété pour moi. Je l'ai laissé rester avec moi. Je n'aurai pas dû. Si seulement j'avais su. Si seulement j'avais pu.

Je ne sais même pas si c'est de sa faute ou de la mienne. Je ne saurais pas le dire. J'ai fait autant d'erreurs que lui. Tout ce qu'il a fait, il ne l'a pas voulu. Je me suis énervé le premier. C'est moi qui l'ai poussé à se battre contre moi. »

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Ce soir-là, lorsque mon esprit s'enfonçait dans les méandres du sommeil, la dernière image que j'eus en tête fut celle de notre capitaine, seul sur une dune à l'entrée du désert, dégainant ses deux épées dont les fourreaux pendaient en croix dans son dos.

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