Chapitre 33
Demain. Nous partions demain. Vers l'inconnu, vers l'au-delà, découvrir le monde et franchir l'horizon... Au départ, je n'avais pas su que faire de cette nouvelle. D'un côté, c'était ce que j'avais décidé avec Ace : explorer le monde, et rechercher d'autres dragons. Mais... d'un autre, ce départ signifierait dire au revoir à ma famille pour un long moment... et mes amis des autres escouades ? Ils partiraient dans plusieurs lunes, à en croire leurs maîtres... Ils allaient me manquer. Depuis toujours, j'avais grandi aux côtés d'Elta. C'était vraiment étrange de se dire que je ne la verrai pas pendant plusieurs lunes.
L'astre de feu répandait ses rayons sur mon village. Non, notre village. Une des seules choses qui me reliait encore à mes parents et à ... Non, pas à lui.
Valtarden allait me manquer... Ses stands remplis de Pierres d'Invocation le long de ses rues pavées, ses colombages et ses poutres d'angles sculptées, les dernières lumières des braseros s'éteignant dans la paisible fraîcheur nocturne... et cette falaise, du haut de laquelle je contemplais le crépuscule chaque soir.
Pourquoi fallait-il que ça s'arrête ? Peut-être, comme me l'avait suggéré Ace quelques heures auparavant, que j'avais besoin de renouveau, de changer de vie... et si ça m'aidait à aller mieux ?
À cet instant-là, je pris vraiment conscience que j'avais peur. Peur de quitter la dernière chose qui me reliait encore à mes parents. Étais-je donc si faible que ça ?Je soupirai, et pressai mon pendentif dans ma paume pour me rassurer. Je fermai les yeux, et me remémorai ce jour merveilleux où j'avais invoqué mon dragon. Cela m'apaisait, souvent, et j'avais pris l'habitude de le faire quand je me sentais triste. Je soulevai mes paupières et contemplai le morceau de cristal rouge sombre.
« On m'a dit que je te trouverai peut-être ici. »
Je me retournai vivement. C'était Téméria. Je ne l'avais pas entendu arriver. Je ne répondis rien, tentai un faible sourire.
« Ça ne va pas ?fit-elle en s'asseyant à mes côtés, les jambes pendant dans le vide.
-Pourquoi tu dis ça ? la questionnai-je.
-En ce moment, t'as l'air...déprimé. »
Comme je ne disais rien, elle continua.
« Tu ne veux pas partir, je me trompe ? »
Mon amie était perspicace. Je haussai les épaules.
« C'est vrai qu'on va quitter beaucoup de choses, mais ... n'importe qui serait fou de joie à ta place. Je SUIS folle de joie ! Ne sois pas triste. On tourne la page, mais c'est...
-...mais c'est toujours la même histoire, complétai-je, n'y tenant plus. Oui, c'est ce que tu as dit. Et si... et si cette histoire se finissait mal ? Et si dans ce livre dont tu parles, nous étions tous séparés dans le chapitre suivant ? »
Je m'aperçus que je tremblai. À ma grande surprise, elle sourit, et plongea son regard ambré dans le mien.
« Au départ, c'était une simple métaphore, mais si ça peut te rassurer... »
Le Frison des Glaces **(rappel :c'est son nom de guerrière)** tourna la tête et contempla le paysage.
« Ce que tu n'as pas compris, P'tit Génie, c'est que c'est toi l'auteur de ce livre. C'est toi qui décides ce que tu fais de ta vie. Et même si tu ne peux pas choisir le monde dans lequel tu es né, ni les problèmes et obstacles qui surgissent en chemin, tu peux toujours décider de les surpasser et de continuer d'avancer vers tes rêves, ou bien d'abandonner, de t'arrêter... et si tu te bats de toutes tes forces, alors peut-être que dans le prochain chapitre, tu en seras récompensé.
-Tu crois ?murmurai-je.
-J'en suis sûre. Et si tu as besoin de nous, nous serons toujours là pour toi. »
Je lui glissai un « merci » à mi-voix, incapable de faire autre chose.
« J'y vais, fit mon amie en se levant. Je vais dormir pour être en forme demain matin. Tu devrais faire pareil. »
J'aurais aimé pouvoir la supplier de rester encore un peu avec moi, mais les mots se coincèrent dans ma gorge, sans en sortir, et je la regardai s'en aller, et glisser une de ses mèches brunes dans son chignon décoiffé.
Je respirai un grand coup. Ses paroles m'avaient fait du bien. Pourtant, il me manquait encore quelque chose... J'aurai aimé revoir mes parents une dernière fois, les serrer dans mes bras, leur dire que j'étais devenu un guerrier, qu'ils pouvaient être fiers de moi, tout leur raconter, pleurer, me faire consoler, leur demander pourquoi Yohito était parti...ou au moins leur dire au revoir...
Une tache floue rouge apparut à l'est. Ace. Il partait de temps en temps chasser seul. Il se nourrissait aussi bien de fruits et plantes de toutes sortes que d'animaux sauvages des forêts.
Je me levai en l'attendant.
La tache grossit, et bientôt, je pus le distinguer plus nettement. Ses grandes ailes poussaient de puissants battements qui le rapprochaient de moi. Le sol trembla légèrement lorsque mon éclateil se posa sur la falaise.
« Heee ! fit-il doucement. Ça va pas ? »
Sans rien dire, je passai ma main sur ses petites cornes de chaque côté de son crâne. Il plaqua le dessus de sa tête contre moi, comme il le faisait toujours pour montrer son affection. Je gratouillai ses écailles le long de ses épines dorsales. Celles-ci étaient très courtes et épaisses, pas du tout pointues en haut, puis s'affinaient et s'allongeaient en descendant jusqu'au bout gelé de sa queue. S'il avait été un chat, Ace aurait sûrement ronronné.
Ce n'est qu'à cet instant que je remarquai qu'il tenait quelque chose dans les griffes de ses pattes arrières. Curieux, j'observai cet objet, mais les ailes de mon dragon le cachait à ma vue.
« Tiens, j'allais oublier, déclara-t-il, j'ai une surprise pour toi.
-Mais...pourquoi ? Et...
-Tu avais l'air triste, et... je voulais te faire plaisir, »me coupa-t-il.
Il plongea son profond regard sable dans le mien.
« Tu n'es jamais retourné dans les ruines de ton ancienne maison, n'est-ce pas ? »
Je secouai la tête, et articulai avec difficulté :
« Je ne vois pas vraiment ce que j'aurai pu y trouver à part de mauvais souvenirs.
-Mais moi, je sais... tu m'as tout raconté dans les détails. Tes parents sont morts près de ta maison. Je m'en souvenais. Alors... ça m'a pris un peu de temps, mais...j'ai fouillé sous les débris, et j'ai trouvé ça. »
Il écarta son aile, le prit dans sa gueule, et me présenta l'objet. Une épée. Splendide. Pas trop fine, pas trop large, lourde juste comme il fallait... De sa garde argentée ressortait des motifs légèrement en relief représentant des feuilles, des tiges et d'autres plantes d'un vert sombre discret, s'enroulant tout autour. Sa lame, quoique usée et émoussée, semblait encore en bon état. Émerveillé, je restais bouche-bée. Je posai délicatement mes doigts sur les lanières de cuir de la poignée, retirai l'arme de son simple fourreau dorsal couvrant seulement la pointe et le milieu de l'épée, et fendis l'air. Parfaitement équilibrée. Je retournai l'objet, et mes yeux s'emplirent de larmes quand enfin je compris. De l'autre côté de la garde, sous le pommeau en forme de flamme, subsistait une inscription encore lisible. « Wargen, Gardien Nocturne ». Cette arme...était celle de mon père.
Un regain de courage m'envahit alors. Désormais, autre chose que le village me relierait à mes parents. Et c'est en me battant avec l'épée de mon père que je voulais leur rendre honneur. Pas en restant à me lamenter là où je me sentais en sécurité.
Je tournai mon regard vers mon dragon, et passai mes bras autour de son cou dans un élan de gratitude et d'affection.
« Merci Ace, murmurai-je.
-Ne dis rien. Je savais que ça te ferait plaisir. »
Je sanglai le fourreau de cuir dans mon dos, et y glissai la lame. Et c'est sous la lumière du crépuscule que je me promis une chose : ne jamais abandonner mes rêves. Quoiqu'il en coûte.
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