« Bon, déclara Téméria en frottant son bras endolori par une mauvaise chute, j'imagine que personne n'est assez en forme pour monter la garde ? »

Ceux qui en avaient encore la force acquiescèrent.

« C'est bien ce que je pensais. De toute façon, les maître n'attaqueront probablement plus cette nuit.

-Comment tu peux en être si sûr ? demanda Anger.

-Je n'en suis pas sûre, mais si tu veux monter la garde, personne ne te retient. »

Le garçon blond acquiesça. Tout le monde était épuisé, et ne rêvait que de se rouler dans sa couverture et s'endormir. À par quelques coupures et de nombreux bleus, personne n'était blessé. Les rayons de la lune se reflétaient sur les les feuilles argentées de certains arbres, illuminant la clairière d'une douce lumière.

« Qu'est-ce qu'on fait de ça ? »remarqua Idori avec justesse. Il désigna de la main, les pics de glace montant du sol créés par Téméria, les paquets de neige envoyés par le pouvoir d'Elta, et les quelques branches calcinées par le feu de Max, qui finissaient de se consumer sur la terre gelée. Toutes ces choses encombraient la clairière. Aussitôt, certains élèves déposèrent le bois qui se disloquait en braise dans le feu, et commencèrent à briser la glace. Je me tournai vers mon éclateil.

« Tu as encore assez d'énergie pour les aider ? » lui demandai-je.

Lui aussi paraissait épuisé. Sa petite queue traînait pitoyablement sur le sol, et ses yeux réclamaient le sommeil.

« Il m'en reste encore un tout petit peu.

-Alors je vais te donner du mien, »déclarai-je, sans trop savoir ce que je disais.

Sans réfléchir, sans comprendre, je posai la paume de ma main entre ses deux petites cornes, et concentrai le flux de mon énergie à cet endroit précis. Je sentis alors mes forces me quitter peu à peu. Quand il me sembla que j'allais m'écrouler, je stoppai le flux, et retirai ma main.

« Merci, fit le dragonnet, surpris, je me sens mieux. »

Il se rendit sur les tas de neiges et les pics de glace, et les fit fondre, grâce à ses écailles toujours chaudes. Je ne me sentais pas d'aller l'aider. Je m'assis par terre, et attendit qu'il ait fini son travail. Puis, je m'enroulai dans ma couverture grise, m'allongeai sur la terre gelée, et me collai contre les écailles tièdes du dragon. Le camp était éclairé par la lune et les dernières lueurs du feu. Je plongeai mon regard dans l'ombre de la forêt, et repensai à tout ce qui s'était passé cette nuit-là. Cet étrange pouvoir, quel était-il exactement ? J'avais reçu de la force, de la vitesse, et j'avais pu prédire les attaques de Maître Tenk pendant quelques minutes, puis, je m'étais écroulé, comme vidé de toute mon énergie. Utiliser un pouvoir impliquait de dépenser de l'énergie, ce qui supposait que j'avais bien éveillé mon pouvoir. Il me restait juste à comprendre en quoi il consistait, et comment l'utiliser.

Depuis tout ce temps, pendant les entraînements, Ace ne parvenait pas à cracher du feu, car il recherchait de la chaleur, et que son feu était froid. Tout simplement. Mais lui était-il possible de changer la température de ses flammes ?

Et je venais de découvrir que je pouvais transmettre mon énergie à mon éclateil en en modifiant son flux. Est-ce que ça fonctionnait aussi avec d'autres personnes ?

Ces questions tourbillonnaient dans ma tête à m'en faire mal au crâne.

« Tu réfléchis encore, n'est-ce pas ? »s'enquit Ace en levant la tête.

Devant mon silence, il continua :

« Tu devrais faire ça demain. On pourra en discuter tout les deux, ou avec les autres... En attendant, arrête de te torturer l'esprit, et dors.

-Ouais, t'as raison. »

Je fermai mes yeux, et laissai ma fatigue m'emporter dans le sommeil.

---

La plupart se réveillèrent à l'aube, et secouèrent les autres. Évidemment, personne n'avait assez dormi, mais nous devions apprendre à nous contenter de quelques heures de sommeil. Les premiers levés avaient trouvés un paquet qui contenait encore des petits pains. Le message  glissé dedans indiquait seulement que c'était notre récompense pour la victoire de cette nuit.

Le soleil teintait le ciel de couleurs rosées, et chassait le froid de la nuit. Je dégustais quelques baies, une pomme et ma deuxième ration de survie en compagnie d'Idori, Max, Kod, Elta et Téméria. Nous discutions de nos nouveaux pouvoirs.

« Tu découvriras au fur et à mesure toutes les possibilités qu'il t'offre, me rassura Elta.

-Certains pouvoirs sont plus complexes que d'autres, » m'expliqua Téméria, adossé à Rébélior, son cheval.

Je hochai la tête. Kiarès et Nérilios, chargés de la surveillance de Maître Tenk, prirent chacun un petit pain, et en donnèrent un autre au guerrier. Tous les élèves le fixai, attendant qu'il mange pour commencer.

« Allez-y, fit-il, on les a comme même pas empoisonnés.

-Il ment, »s'écria Kiarès en se levant d'un coup.

Le maître parut surpris.

« Pourquoi tu dis ça ? s'étonna Nérilios.

-Je...je ne sais pas... bredouilla-t-elle, je l'ai senti quand il l'a dit. »

Elle tituba. Anger se précipita vers elle, et l'aida à s'asseoir.

« Ça va ? demanda-t-il doucement.

-Je sais, c'est ridicule, mais je savais ce qu'il ressentait à ce moment-là, et...je ne sais pas trop comment expliquer...

-Non, répliqua le garçon blond, moi je te crois. »

Tout le monde était stupéfait, et fixai son pain avec méfiance. Les maîtres les auraient empoisonnés ?

« Un pouvoir d'empathie, fit Maître Tenk. Intéressant...

-C'est incroyable ! continua Anger pour rassurer la fille au panda. Tu as éveillé ton pouvoir ! »

Nous fîmes donc vérifier chaque pain par le flair des éclateils, ce qui révéla que deux d'entre eux avait été empoisonnés, grâce à une plante destinée à nous endormir.

---

Le restant de la journée fut éprouvant. Nous passâmes notre temps à construire des fortins en bois et en ronces pour nous défendre contre les maîtres, faire des exercices d'approche pour les surprendre... La fatigue s'accumula, nous poussant à bout, exerçant notre mental et notre volonté. Quelques fois, Maître Tenk parvenait à s'échapper, mais tôt ou tard nous le rattrapions.

Au cours des différents exercices, Ruby repérait toujours nos professeurs avant les autres, même quand ils arrivaient de très loin, et il se révéla qu'elle possédait un pouvoir lui permettant d'élargir sa vision. Quand le soleil commença à se coucher, le soulagement de la classe fut si grand, qu'un regain d'énergie poussa chacun à courir sur le chemin du retour. Les plus épuisés se relayaient sur le dos de Rébélior et Toutdoux. Kiarès et Nérilios forcèrent Maître Tenk à courir avec nous. Mais ce trajet fut tout aussi épuisant que le reste de la mission. Devant repousser les embuscades incessantes des maîtres, nous dûmes bientôt ralentir le rythme.

Quand enfin nous sortîmes de la forêt et débarquâmes dans la plaine, certains poussèrent des cris de joie, d'autres tombèrent à genoux et s'écroulèrent.

Moi, je restai debout, contemplant la beauté du soleil couchant.

« C'est fini, hein ? fit Ace, savourant lui aussi la lumière incroyable de ce paysage.

-Ouais... »

Ils nous avaient mené la vie dure, pendant ces deux jours. Mais on s'en était sorti, tous ensemble... Une joie débordante m'envahit.

Les maîtres sortirent de la forêt, et tous les élèves se relevèrent et se mirent en ligne sur deux rangs.

« Apprentis-guerriers, commença Maître Arkor d'un ton solennel, votre mission était de ne perdre aucun membre de votre équipe, et non seulement nous n'avons pas réussi à capturer d'élèves, mais c'est vous qui avez fait un prisonnier. Ce n'est pas une victoire, c'est un triomphe. »

Son regard s'arrêta sur chacun d'entre nous, et il nous appela par le surnom qu'ils nous avaient trouvé durant la mission. Il y avait tout d'abord Tête-de-piaf(Idori), car c'était son insulte favorite, et qu'Anger avait fait remarquer que ça lui allait bien ; et bien sûr l'Aimant(Anger), à cause de son pouvoir lui permettant d'attirer des choses à lui.

L'Invisible (Sallya) pour sa discrétion, Double-lame (Ruby) à cause de ses armes, Immortal King (Nérilios)en référence à sa « modestie » bien connue...

Les maîtres taquinaient souvent Stoler, le traitant de P'tit-monstre, ce qui était à l'origine de son surnom.

Wend, l'Endormeuse à cause de son pouvoir provoquant la fatigue chez l'adversaire, et Téméria, Coeur-de-Glace (un délire des maîtres), avaient eu de la chance par rapport à Sorito, qui, grâce à son pouvoir, s'appelait Poing-de Gorille.

Max s'était fait baptiser le P'tit-Crétin-Blond, surnom que lui avait donné Idori.

Une vieille légende parlait d'un guerrier semblable à une panthère, Black Panther ; c'est pour cela qu'Elta, ayant une panthère blanche comme éclateil, avait gagné le surnom de White Panther.

Le Golem était un imposant monstre en pierre, et apparemment, ce nom allait bien à Kod.

Kiarès, avec son pouvoir d'empathie, était considérée par nos professeurs comme la psychologue (la Psy) du groupe.

Et il y avait moi, le P'tit Génie.

« Rentrez chez-vous et reposez-vous. Demain, vous n'avez pas cours.

-Ça c'est sympa, fit Idori.

-Non, répondit Maître Arkor en souriant, les maîtres avaient juste envie de se prendre des vacances...

-Ah oui, je me disais aussi...

-Après-demain, venez à l'académie le matin pour qu'on parle de cette mission, avant que vous oubliiez tout. Après ça, annonça-t-il, vous avez votre semaine de vacances. »

C'était une excellente nouvelle, mais personne n'avait la force de sourire.

« Félicitations pour votre mission, et à bientôt ! »

Chacun pouvait repartir chez soi. Les maîtres ramenèrent chez eux les élèves qui n'avaient plus la force de marcher, comme Max, qui s'effondra et perdit connaissance. Idori aida Maître Arkor à le hisser sur son dos.

«Ça va Hardex ? »s'enquit Maître Tenk.

Je hochai la tête, épuisé.

« Hardex ! »m'appela Elta.

Je rejoignis mes amis, et les saluai chacun d'un Razen (check très courant à Valtarden, signe d'amitié).

« Tsuki aka kudasai ! »fis-je avant de prendre le chemin vers le Sud-Est, suivi de mon éclateil.

Les flocons se mirent à tomber, très doucement, délicates plumes prises au milieu des bourrasques. La neige crissait sous mes pas, qui me guidèrent vers la falaise dominant le village, mon endroit préféré. Je laissai mes jambes pendre au dessus du vide, fermai un instant les yeux, et m'imaginai 5 ans plus tôt, entouré de ma famille, mes parents riant à une des blagues de mon frère, et moi, riant sans la comprendre. Ace plaqua son front contre moi, comme il le faisait pour dire bonjour, ou me réconforter. Je rouvris les yeux, et passai ma main froide entre ses deux petites cornes.

« Tu sais quoi ? »demanda-t-il.

Je lui lançai un regard interrogateur.

« Pendant ces deux jours, j'ai découvert des muscles que je n'utilisais pas auparavant dans mes épaules et mes ailes. Et...

-Et ?... fis-je pour l'inviter à finir sa phrase.

-Et regarde. »

Il s'approcha du bord de la falaise, et se laissa tomber.

« Attends ! »m'écriai-je, paniqué.

Il piqua sur une dizaine de mètres, puis deploya ses ailes, entouré par les rayons dorés du soleil couchant. Sous mon regard ahuri, il se propulsa d'un puissant battement d'ailes.

Mes yeux s'emplirent de larmes. Mon dragon savait voler ! Il avait eu le courage de se lancer du haut de la falaise, sans savoir s'il en était vraiment capable.

Cela faisait longtemps que je n'avais pas trouvé qu'une soirée était belle.