Chapitre 23
Les mains et les pieds attachés, balloté dans tous les sens, il m'était impossible de me débattre, ou de tenter quoi que ce soit pour m'échapper. Maître Katanor me portait autour de ses épaules, sans aucunes difficultés, et se déplaçait d'arbre en arbre avec une agilité que je ne lui soupçonnais pas.
« Honnêtement, fis le maître qui apparement, aimait parler aux gens qu'il capturait, on s'attendait à ce qu'un élève oublie d'être prudent, et s'éloigne du groupe. Mais je ne pensais pas que ce serait toi, le petit génie. Je circulais dans la forêt, en quête d'une bonne occasion. D'ailleurs, je dois dire que vous avez bien placé votre camp, car je ne l'ai pas encore trouvé. Mais si vous avez réussi à faire un feu, on ne tardera pas à découvrir sa position avec la fumée. »
Je ne répondis pas. Je ne le pouvais pas, car l'homme m'avait coincé dans la bouche un morceau de bois pour m'empêcher d'appeler à l'aide les autres apprentis-guerriers.
« Tes amis auront du mal à te retrouver, continua-t-il en en attrapant une branche de la main droite, tout en me maintenant autour de ses épaules de l'autre. Ils ne pourront pas suivre mes traces de pas dans la neige. »
Il poussa sur ses pieds et atteignit l'arbre suivant.
« Ils tenteront sûrement d'utiliser le flair de certains éclateils, mais mon pouvoir me permet de contrôler les molécules d'air proches de moi, et grâce à ça, j'ai appris à empêcher mon odeur de se répandre aux alentours. »
Reprenant son souffle et souriant à la fois, il conclut :
« Je sens qu'on va bien s'amuser avec les autres maîtres. D'ailleurs, on a commencé à réfléchir à vos petits surnoms... Que dis-tu de «l'Aimant » pour Anger ? Pas mal, non ? »
Il avait baptisé le garçon par rapport à son pouvoir lui permettant d'attirer à lui des objets assez proches.
J'observais attentivement autour de moi, ne loupant pas une miette de ce que j'observais, et mémorisais le chemin qu'empruntait Maître Katanor pour m'emmener jusqu'au camp des maîtres. Jusque là, le plan se déroulait comme prévu. Je m'étais fait capturer en m'éloignant du groupe sans même rester avec Ace, feignant de ramasser du bois. Je ne le voyais pas, mais je savais qu'un petit groupe mené par Téméria nous suivait discrètement. Celui-ci transmettait des informations à un messager caché dans un arbre, qui donnait à,son tour les instructions à Royal, le faucon d'Idori, qui rapportait tout à son invocateur. Ce dernier faisait partie du deuxième groupe, celui prêt à attaquer.
Nous atteignîmes une petite clairière, beaucoup moins profonde que celle dans laquelle la classe s'était installée. Les maîtres discutaient tranquillement, assis sur des rondins. Maître Tenk riait en servant à Maître Alfann du café fumant qui me fit envie.
Une puissante excitation monta en moi en même temps que le stress. Je devais réussir ma mission. Je ne devais pas paniquer, garder les idées claires.
« Tiens ! Katanor ! le salua Maître Arkor. Alors, la chasse était bonne ? Oh ! Mais tu nous as ramené le petit génie...
-Comment t'as fait ça ?renchérit Maître Tenk. T'as pas pris son dragonnet avec?
-Il était isolé du groupe, et sans son éclateil, expliqua l'homme qui me tenait, avant de me poser sur le sol gelé.
-Tu n'as donc aucun honneur ? »plaisanta le jeune maître.
Notre professeur de pouvoir m'avait adossé à un imposant rocher, mais je m'étais débattu pour faire plus naturel, et j'étais retombé allongé. Pieds attachés, mains liées dans mon dos avec de la corde qui me râpaient les poignets, ne pouvant plus me relever, je sentis le froid du sol gelé s'insinuer en moi. Je me secouai. Peu importe. Je devais tenir bon. J'avais à peine quelques minutes pour découvrir où étaient rangée la nourriture des maîtres avant que les autres apprentis-guerriers n'attaquent. Un tas de couvertures, un petit bouclier... là ! Deux grosse caisses en métal et une en bois. Ils la rangeaient sûrement dedans. Mais dans laquelle ? J'observais plus attentivement. La caisse en fer de gauche, située derrière Maître Karia, était entrouverte, et laissait apercevoir le manche d'un outil. Ils ne rangeraient pas les outils avec la nourriture. Enfin, je ne pensais pas... Ce n'était pas le moment de douter. D'ailleurs, nos professeurs n'auraient pas rangé les vivres dans une caisse mal-fermée, car ceux-ci pourraient se conserver moins bien à cause du froid et de l'humidité. C'était donc soit l'autre caisse métallique, soit celle en bois.
À peine une ou deux minutes plus tard, j'eus ma réponse. Maître Arkor se leva à la demande de Maître Ilizza, et fouilla dans la caisse en bois à la recherche d'une pierre à aiguiser. J'eus le temps d'y apercevoir une grande bâche pliée. Si cette malle contenait une pierre à aiguiser et une bâche, alors l'autre contenait à coup sûr les vivres. Parfait. Il ne me restait plus qu'à attendre que les apprentis-guerriers de ma classe arrivent le plus discrètement possible, se mettent en position, puis attaquent. Le groupe qui avait été chargé de nous suivre, Maître Katanor et moi, et de transmettre la position du camp des chefs par l'intermédiaire d'un messager et de Royal, ne mènerait pas l'assaut, mais resterait un peu en retrait, pour ensuite aider ceux du groupe principal en difficulté, et retenir les Maîtres pendant que les autres s'enfuient vers notre camp avec la nourriture.
J'entendis un léger bruissement sur la gauche. Les battements de mon cœur s'accélérèrent. J'avais un goût de terre et de forêt dans la bouche à cause du morceau de bois qui m'empêchait de parler et faisait souffrir ma mâchoire. Le sol dur et gelé avait vibré sous mon épaule. Un mouvement derrière moi. Je devais rester calme, ne montrer aucun signe qui puisse trahir la présence de mes camarades autour de nous. Dans quelques instants...
« À l'attaque ! »s'exclama Elta en jaillissant d'un énorme massif de buissons.
Les autres la suivirent en criant. Selon le plan, l'assaut devait être très rapide. Il fallait profiter de l'effet de surprise. Idori se débattait ardemment avec Maître Karia, tandis que Royal harcelait sa tête de coups de becs. Anger menaçait Maître Ilizza de sa longue épée. La guerrière ne se laissa pas faire, et esquiva avec habileté les premières attaques du garçon. Elta avait rapidement immobilisé Maître Alfann avec Blizzard, sa panthère des neiges, et était maintenant aux prises avec Maître Sitex, qui avait eu le temps de saisir son épée, et qui échangeait quelques passes avec mon amie. Maître Arkor et Maître Tenk se remettaient à peine de leur surprise, et commençaient à se lever, car le grizzly d'Anger maîtrisait Maître Katanor sous leurs yeux.
Sorito apparut derrière moi, et trancha les liens qui enserraient mes poignets et mes chevilles. Je me redressai et retira avec hâte le morceau de bois que celui qui m'avait capturé m'avait mis pour m'empêcher d'appeler à l'aide. J'étirai ma mâchoire, soulagé.
« Merci, fis-je à l'intention du garçon qui m'avait libéré.
-De rien, répondit-il. Allons-y, je crois que les autres ont besoin d'aide.
-Ouais. »
Je me relevai, et courus vers la scène de combat malgré mes membres engourdis. Je m'élançai sur Maître Arkor qui avait plaqué Idori au sol. À deux, nous parvînmes à lui attacher les mains derrière le dos. Nous dûmes nous résigner à l'assommer, car il était trop puissant pour que nous prolongions plus longtemps l'affrontement. J'aidai ensuite Elta, toujours aux prises avec Maître Sitex. Le guerrier fit une fente entre mon amie et moi, et frappa mes côtes du plat de son épée. Je gémit sous l'impact, repris mon souffle. Soudain, un poids écrasa mes épaules et je sentis mon corps percuter le sol.
« Alors, p'tit génie, comme ça t'avais tout prévu ? »
La voix amusé de Maître Tenk monta au dessus de moi. J'étais immobilisé sur le ventre, le jeune professeur m'empêchait de bouger. Je me débattis tant bien que mal. Elta ne pouvait pas venir m'aider, car elle devait déjà parer les feintes de plus en plus rapides de son adversaire, mais je vis qu'elle me jetait un regard d'encouragement.
« Allez Hardex ! Tu vas t'en sortir ! »me lança-t-elle tout en tentant de dévier la lame de Maître Sitex qui lui érafla le bras.
Je résistais avec plus de fougue, mais à chaque fois, il resserrait sa prise sur moi, augmentant la douleur. Je sentis les larmes qui me montaient aux yeux, mais je tins bon. Je ne pouvais pas abandonner. Je tentais de surprendre mon adversaire, mais il restait ferme. Le jeune professeur était décidé à ne pas me laisser partir. Soudain, j'entendis un rugissement, et je fus libéré du poids de mon adversaire. Je me relevai promptement.
« Ace ! m'écriai-je. Tu es venu !
-Bien sûr, répliqua-t-il, je sait très bien que je ne peux pas te laisser seul très longtemps. Tu fais n'importe quoi quand je ne suis pas là pour te surveiller. »
Je souris à sa réponse. Mon petit dragon était sur Maître Tenk, et lui montraient les crocs, menaçant de le mordre s'il lui venait l'idée saugrenue de bouger d'un millimètre sous les yeux d'un dragon. Nous ne pourrions pas tenir bien longtemps face à nos maîtres. Il fallait vite prendre la nourriture et repartir. Laissant à Ace le soin de retenir Maître Tenk, et me précipitai vers la caisse métallique de droite. Le couvercle usé grinça quand je l'ouvris, et je m'écorchai la main contre le bord. Mais je n'y prêtai pas attention. Ce n'était pas le moment. Je laisssai échapper un soupir de soulagement en apercevant tous ces petits pains aux céréales, ces épais morceaux de fromages, ces appétissantes tranches de viande séchée, et toutes ces réserves de pommes et de baies. Il y en avait beaucoup. Nous ne pourrions pas tout prendre. D'ailleurs, il fallait en laisser suffisamment aux chefs, où ils risquaient de nous attaquer à leur tour pour nous reprendre ce « trésor ». La question était : comment transporter tout ça ?
Je tournai la tête. Les maîtres étaient presque tous temporairement hors d'état de nuire. Mes camarades me faisaient confiance.
J'ouvris la deuxième caisse en fer et m'emparai de la bâche. Je pris rapidement les deux tiers des vivres de nos professeurs, et les mis a l'intérieur de celle-ci, m'en servant comme d'un contenant pour le transport jusqu'à notre camp. Balançant sur mon épaule ce lourd butin, je criai :
« On s'en va ! »
Aussitôt, chacun abandonna son adversaire, et s'élança vers la forêt. Je me précipitai à leur suite, Ace à mes côtés.
« Groupe 2 !appela Elta. À vous ! »
Aussitôt, six apprentis-guerriers surgirent et bloquèrent Maître Ilizza et Maître Sitex qui tentaient de nous rattraper. Maître Arkor reprenait à peine connaissances. Quand maître Tenk commença à les contourner pour nous poursuivre, Téméria, qui dirigeait ce groupe, s'interposa et lui bloqua le passage. Je regardai droit devant moi et fonçai à travers les bois. Je peinais à suivre mon groupe à cause du poids de la nourriture. Je respirais tellement fort qu'il me semblait que la forêt entière pouvait m'entendre. Elta me jeta un coup d'oeil en arrière.
« Ça va ? demanda-t-elle en sautant au-dessus d'une souche.
-Ouais, répondis-je, essoufflé. C'est lourd, mais ça ira. »
Mon amie me lança un regard dubitatif tout en se baissant pour passer sous une branche.
« Bon, donne-moi ça, fit-elle. Ce n'est pas à toi de le porter tout le temps. Tu t'es déjà sacrifié pour être capturé par les chefs, alors à moi de porter ce qu'on a volé.
-Non merci, je te dis que ça va. »
Blizzard, sa panthère des neiges, avait bien grandi. Elle lui arrivait désormais au dessus du genou. Celle-ci avançait au même rythme que son invocatrice, parfaitement synchronisée.
« T'es sûr de toi ? T'as fait un bout du chemin, je fais l'autre.
-Tu devrais accepter, me conseilla Ace. Tu dois économiser tes forces. »
Je regardai mon éclateil. Le dragonnet collait ses ailes rouge sombre contre ses flancs pour éviter qu'elles ne le gênent en se cognant dans tous les obstacles.
« Non, insistai-je malgré l'avis d'Ace. Ça ira.
-Mais quelle tête de mule, celui-là... »soupira Elta en accélérant.
Les feuilles bleues et argentées de la saison des Neiges Sombres s'envolaient sur notre passage. Nous avions volé de la nourriture aux chefs, un groupe les empêchaient de nous poursuivre et de la reprendre, et d'autres jouaient le rôle de messagers entre les deux groupes, et surveillaient le camp. Tout était clair dans ma tête. J'étais satisfait, et j'avais hâte d'être arrivé. Je me fis alors la réflexion que jamais nous n'aurions pu y parvenir si les maîtres avaient emmené leurs éclateils avec eux en mission, utilisé pleinement leurs pouvoirs, ou encore, s'ils se seraient battus de toutes leurs forces.
Un bruit lourd interrompit le cours de mes pensées. Maître Tenk avait sauté du haut d'un arbre aux longues feuilles bleu nuit, juste devant Elta, nous bloquant le passage. Cette bataille n'était pas encore gagnée...
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