Il s'était arrêté de neiger. Nous nous enfoncions dans la poudreuse jusqu'au milieu du mollet. Après avoir déposé nos affaires dans une petite grotte sur le bord, à côté d'un arbre, nous nous mîmes à déblayer la petite clairière en poussant toute la neige sur le côté avec de larges morceaux d'écorces, faute de matériel plus adapté. Ace y participa avec empressement. Une fois le sol de la crevasse dégagé, nous nous concertâmes sur la meilleur chose à faire. Devant la nécessité de faire un feu pour nous réchauffer, nous prîmes la décision d'envoyer une équipe chercher du bois mort à peu près sec, ainsi que des feuilles d'Iriscos(petite plante dont les larges feuilles vertes, frottées avec force sur une pierre, produisent des étincelles. ) Pour garder la réserve de bois au sec, nous n'aurions qu'à la stocker avec nos affaires dans la petite grotte. Anger et Toutdoux son jeune grizzly, Stoler et Morsure sa chienne berger allemand, et Ruby étaient donc partis dans les environs trouver de quoi faire du feu. En attendant, on tentait de se détendre malgré le stress et le froid. Chacun tentait de ranimer ses petits doigts gelés, les frottant et soufflant dessus. Wend semblait le vivre particulièrement mal, et grelottait, assise sur une pierre à côté de son isard qui tentait de la réconforter avec de petits coups de museau. Quant à Sallya, elle était pâle, et paraissait vraiment mal en point. Téméria était déjà auprès d'elle. Je m'inquiètai pour ma discrète camarade, et m'approchai pour écouter.

« Je..me fatigue très vite... ça a toujours été comme ça. Je ne voudrais pas être un boulet l'équipe, murmura-t-elle dans un frisson.

-Ne dis pas ça, la rassura mon amie. Ce n'est pas de ta faute, et puis d'ailleurs, c'est normal, dans une équipe, chacun apporte ses points forts et ses points ses faibles, c'est comme ça. »

L'intéressée hocha la tête visiblement peu convaincue.

« Et toi Wend ? »m'enquis-je.

Je m'accroupis pour être à sa hauteur.

« Ça ne vas pas, pas vrai ?insistai-je.

-Jj-je....résiste très mal ...au froid...mon corps ne ...supporte pas et mes muscles se crispent, j'ai mal partout, ça me fatigue énormément... »

Je croisai le regard ambré de Téméria dans l'espoir qu'elle ait trouvé une solution, mais visiblement, elle non plus n'avait pas résolu le problème.

Je regardai Ace jouer dans la poudreuse avec les autres éclateils, envoyer d'un coup de queue une masse des flocons sur le museau de Zalden. Mon dragon s'amusait bien, apparement. Lorsqu'il sauta pour esquiver un morceau de glace lâché par Royal en plein vol, je vis que là où mon dragonnet se tenait un instant plus tôt, la neige avait fondue.

Mais oui ! Bien sûr !

« Ace ! l'appelai-je. Tu peux venir ici, s'il te plaît ? »

Il arriva aussitôt, ses pattes griffues martelant le sol gelé.

À part le bout glacé de sa queue, Ace était chaud.

« Venez vous réchauffer en attendant qu'on ait du feu, » leur suggérai-je.

Elles hochèrent la tête en signe de remerciement. Les deux apprenties-guerrières s'assirent sur un rondin de bois que je fis rouler jusqu'à elles, et Ace se plaça au milieu. Wend et Sallya posèrent leurs mains contre les écailles tièdes et poussèrent un soupir de soulagement en sentant sa chaleur se répandre doucement en elles. Mon dragonnet passa ses petites ailes autour des leurs épaules pour finir de les réchauffer. 

Ace ne m'arrivait pas encore à l'épaule, mais vu le rythme auquel il grandissait, ça ne tarderai pas à arriver. Ses cornes et ses épines dorsales avaient poussées, et il parlait parfaitement bien, désormais.J'avais encore du mal à m'imaginer qu'aucun autre humain ne pouvait comprendre ce qu'il disait. Comme moi je ne pouvais pas comprendre ce que disait les autres éclateils à leur maître.

Quelques instants plus tard, l'équipe chargée de ramasser du bois revint, Stoler en tête. Ils avaient les bras chargés de bois, et tout semblait aller pour le mieux. Pourtant, je sentis chez les trois apprentis-guerriers une certaine tension, et leur lançai un regard interrogateur.

« Nous avons repéré des traces de pas d'un individu, datées d'il y a moins de deux heures, annonça le garçon châtain clair. Nous sommes rentrés immédiatement pour avoir votre avis.

-Vous avez bien fait, me devança Téméria. On est jamais trop prudent.

-Il faut suivre ces traces, suggéra Elta. Même si je doute que les maîtres soient si négligents, ça nous donnerait peut-être des informations sur l'emplacement du camp des maîtres.

-Je pense la même chose, acquiesça Ruby. Ça ne me dérange pas de repartir.

-T'en penses quoi, Sorito ? »fis-je en me tournant vers le garçon introverti qui passait sa main dans ses cheveux noirs.

Je voulais faire participer les plus discrets à la vie du groupe.

« Je pense qu'il vaudrait mieux rester prudent. C'est un peu risqué, non ? »

Après quelques délibérations avec le reste des élèves, il fut décidé que Stoler, Anger, Ruby et leurs éclateils retournerait là où ils avaient découvert les traces de pas dans la neige, et les suivraient pour tenter d'en savoir plus. Mais si au bout de 200 mètres ils n'avaient rien découvert d'intéressant, ils rentreraient au campement. Mes trois camarades s'exécutèrent, s'enfonçant dans les bois gelés.

Nous nous concentrâmes alors sur l'allumage du feu. Max frottait contre une pierre l'une des feuilles d'Iriscos ramassées par Stoler, Anger et Ruby. Cette feuille avait la propriété de produire des étincelles si on savait comment s'y prendre. Mais ça ne fonctionnait pas. Le garçon avait beau s'acharner de toutes ses forces, rien ne se produisait. Le « petit crétin blond », comme l'appelait Idori, était têtu, et n'abandonnait pas. Je pouvais sentir son énervement, sa fatigue et sa détermination. Je me levai, voyant que ça ne le mènerait à rien. Mais au moment où je m'apprêtai à partir, j'entendis des cris de stupeur. Je tournai la tête, et aperçut les petites brindilles à peu près sèches que l'on avait disposées en train de se consumer, dévorées par un feu, apparut on ne sait comment. Si cela avait été grâce à la feuille d'Iriscos, cette dernière se serait aussi consumée, ce qui n'était pas le cas. Max fixait ses mains avec une immense surprise. Je me penchai pour les regarder moi aussi. Une petite flamme dansait au creux de sa paume.