Chapitre 2

Quand j'émergeai d'un sommeil sans rêves le lendemain, il était presque midi. Je me redressai. Tout d'abord, je ne compris pas où j'étais ; puis le premier souvenir qui me revint en mémoire fut les cris, le feu, l'eau glacée, ma maison détruite.

Enfin, je revis Sirius me conduire dans sa demeure, dont la partie Ouest avait été démolie cette nuit-là, et m'amener directement dans la seule pièce de l'étage, aux murs complétement en bois, pour que je puisse dormir sur un matelas en paille.

Mon désespoir s'était calmé, mais la tristesse me rongeait toujours le cœur. Mes yeux me piquaient, mon âme s'épuisait, mais mon esprit tint bon. Il fallait que je sois fort. Je devais m'occuper, où ma peine reprendrait le dessus. Je me levai, et regardai par la petite fenêtre. Le paysage était magnifique : les falaises d'Isokel, la Cascade des Dragons, le lac d'Ohl, et, plus au Sud, les Monts de la Force.

Certaines habitations étaient en très mauvais état, voire complètement démolies, comme la mienne, mais la plupart avaient tenu bon, grâce à leur architecture solide, et au talent des artisans du village. Je contemplais encore une fois les ruines situées en haut du quartier Ouest. Ma maison était détruite, je n'avais nulle part où aller ; et sans mes parents ; ni mon frère, plus personne sur qui compter...Comment avait-il pu m'abandonner au moment où j'avais le plus besoin de lui ? Que peut-il avoir à faire d'autre que protéger son petit-frère orphelin ?
Non, je refusais d'admettre que cette personne était mon frère. Jadis, je l'admirais, et le considérais déjà comme un guerrier, alors qu'il venait tout juste d'être intégré dans une escouade à l'école Athéna. Il avait tout ma confiance et il l'avait trahie. Mon petit cœur était déchiré : si même quelqu'un auquel on confierait sa vie nous trahissait, sur qui pouvait-on compter ? J'avais compris la leçon, j'étais seul et pour toujours.
Puisque Sirius m'avait pris sous sa protection, je resterai chez lui. Je l'aiderai du mieux que possible, pour le remercier, et j'essayerai de vivre des journées normales, comme les autres enfants, pour ne pas lui causer de soucis.
Je me demandais comment mon cousin avait su que je me trouvais dans la forêt à ce moment-là, et surtout que mes parents n'avaient pas survécu, et que mon frère était parti. Je me promis de lui demander un jour.

Mon ventre gargouilla, réclamant un repas.

« J'espère que la cuisine est bonne, ici, sinon, je m'enfuis en courant. **(ha, ha, ha !! pardon, j'arrête...) **», déclarai-je en souriant. Soudain, je songeai à aller voire Kirielle, car je ne l'avais pas aperçue hier soir.

C'est alors que je remarquai un short bleu foncé, un T-shirt bleu marine et une veste de treillis qui m'attendaient à côté de mon lit de paille, soigneusement pliés. Ma nouvelle famille avait dû les déposer ce matin pendant que je dormais. Je lui en fus très reconnaissant. Je me changeai et descendit l'échelle solide qui reliait le premier étage au rez-de-chaussée.

En bas, il y avait la cuisine, pièce principale de la maison, au centre de laquelle trônait une table en bois, entourée de 5 tabourets. Autour de la pièce, le long des murs, se tenaient des espaces bien rangés, sur lesquels on pouvait cuisiner. Des boîtes, de multiples ingrédients et ustensiles étaient stockés sur des étagères solidement accrochées au mur. A gauche, la porte donnait sur la grange ; derrière l'échelle, sur deux chambres à côté d'une cheminée ; et en face, vers l'extérieur. Mais ce que je trouvais de plus incroyable dans cette pièce, ce n'était pas la propreté ni l'ordre qui y régnait, ni le mobilier fait à ma main,, ni la lumière qui pénétrait par la fenêtre, mais plutôt la femme qui était affairée à cuisiner, ses cheveux blonds attachés en chignon, son élégance ; et l'odeur alléchante de gâteaux qui flottait dans l'air matinal ; mais surtout, chose la plus étonnante, un petit garçon aux cheveux bruns et aux yeux verts me regardait, assis sur un tabouret, un gâteau à la main.

Quand j'arrivai bas, je lui souris, et il me sourit en retour, une miette accrochée sur sa petite joue.

Quand elle m'entendit, ma cousine se retourna, radieuse :

« Bonjour, toi ! Bien dormi ? »

La question, naturelle et cordiale me réchauffa le cœur.

« Très bien, merci, répondis-je. Je n'ai pas rêvé ; mon cerveau devait être trop excité de te voir bientôt.

-Heureuse de l'apprendre ! dit-elle en souriant. Lui, déclara-t-elle en montrant son fils, il s'appelle Altaïr, et il a cinq ans. Assieds-toi ! Je vais t'apporter quelque chose à manger. »

Je m'assis donc à la table, et dit à Altaïr :

« Salut ! Moi, c'est Hardex. »

Il ne répondit pas, mais agita timidement la main. Ce qui me fascinait chez cet enfant, c'est qu'il aurait pu être mon petit frère. Je m'étais toujours demandé ce que ça faisait d'en avoir un. Peut-être que lui, il aurait aimé avoir un grand-frère. A ce moment-là, je me promis de le protéger, en remerciement à Sirius et Kirielle qui m'avait recueilli.

« Tiens, tu aimes les Coukys ? me demanda la jeune femme en m'apportant un plat de gâteaux aux pépites de chocolat. »

Je haussai les épaules, car je n'en avais jamais goûté. J'en saisis un, et le croquai. Il était à la fois croquant et moelleux. Le gâteau fumait encore et les pépites fondaient. Quelques noisettes croustillaient, et un goût de miel emplissait ma bouche, comme s'il coulait le long de ma langue. Je n'avais jamais rien mangé d'aussi bon.

Lorsque je me fus resservi de nombreuses fois, et que j'eus avalé un grand bol d'un délicieux café-au -lait sucré, ma cousine me dit :

« Sirius est au village aujourd'hui, tu peux faire ce que tu veux. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à me demander ! »

Je la remerciai, et m'en allai. Tout en marchant vers la forêt, je me demandais encore la raison du départ de mon frère. Il m'avait tout appris. Nous passions de longues journées dans la forêt, à cueillir des baies, capturer et élever des lièvres, grimper aux arbres, aller à la rivière, explorer...  J'arrivais justement dans notre cabane. Je gravis l'échelle de corde, m'assis sur une fourche de l'arbre, le dos appuyé contre le mur de bois solide. Je remarquai alors un parchemin soigneusement roulé. À côté, était posé un morceau de papier, sur lequel étaient griffonnés ces quelques mots :

                                                                                         Petit frère,

ne m'en veux pas, un jour, tu comprendras. Je sais que tu ne veux pas écouter ce que j'ai à te dire, mais quand le moment sera venu, quand tu te sentiras prêt, quand tu feras face au destin, lis le parchemin.

                                                                                                                                                    Yohito, ton grand frère.

Je passai le reste de ma journée assis en haut de la falaise qui dominait le village, à regarder le paysage, et les ruines de ma maison. Je pensais à la lettre de Yohito, et à son parchemin. Je ne savais pas si j'aurais envie de le lire un jour. J'avais hésité à le balancer rageusement dans la rivière, mais je l'avais finalement laissé dans la cabane.

Le départ de mon frère était probablement la chose auquel je m'attendais le moins. Pourquoi avait-il choisi de partir ? de me laisser, moi, son petit-frère adoré ? Juste après la mort de nos parents ! Comment pouvait-il me faire ça ? J'étais complètement abattu, à bout de forces.

Qui était vraiment Yohito ? Peut-être que je ne le connaissais pas si bien que ça, finalement. Non mais franchement, à quoi ça rimait, tous ces moments de joie ? tous ces moments où nous explorions la forêt, où nous jouions dans la rivière, tous ces moments passés, à regarder le soleil se coucher, en profitant des derniers instants dehors avant de rentrer à la maison, tous ces moments où nous étions heureux, tous les deux, alors tout ça, ça n'avait aucun sens pour lui ? ... des larmes coulaient doucement sur mes joues. Peut-être que le bonheur est visible uniquement par les yeux des enfants... Oui, Yohito était bien plus qu'un enfant... Son intelligence dépassait peut-être même celle des adultes... Après tout, c'est lui qui m'avait tout appris, nous n'étions pas au même niveau... Ma perception des choses était vraiment celle d'un enfant. Je n'avais vu que les jeux et le bonheur, mais lui avait bien d'autres projets en tête... Je devrais peut-être revoir ma vision du monde...

Aucune raison n'expliquait l'abandon d'un petit frère orphelin ! Il m'avait laissé seul ! sans hésitation, il avait laissé tomber la chose qui avait le plus besoin de lui.  Qu'est-ce que je vais devenir, maintenant ? Et mes parents ? Pourquoi étaient-ils morts, déjà ? tués par un Chevaucheur. J'exterminerai ceux qui m'ont pris des êtres chers, et je déverserai ma peine sur celui qui m'a trahi. 

Je me noyais dans mon désespoir... Mon cœur se déchirait, et me faisait souffrir plus que n'importe quelle blessure. J'aurai voulu l'arracher, et jeter loin de moi ce qui me causait autant de douleur ! Mon amour était écrasé par ma haine ; mon espoir enseveli sous ma peine, et ma confiance étouffée sous mes pleurs. Ma vie n'avait aucun sens, mais pourtant, il fallait que je la finisse, que je la vive jusqu'au bout... quelle cruauté... Ce monde était-il si horrible que ça ? Si j'étais aussi malheureux, c'était uniquement parce que j'avais trop aimé. A quoi bon aimer des gens, si c'est pour être si triste quand ils ne sont plus là... Si Yohito m'avait trahi, alors je ne pouvais plus avoir confiance en personne...  J'étais donc seul face à ma vie, que je pouvais construire, face à l'avenir que je pouvais explorer...

Le soleil se couchait. Le ciel se teintait de mille-et-une couleurs, et les nuages paraissaient surnaturels. Mon cœur se serra. D'habitude, c'était avec Yohito que je regardais l'astre de feu se coucher. C'était notre moment préféré de la journée. Quelquefois, mon père et ma mère se joignaient à nous. Je n'écouterai plus jamais les histoires qu'ils me racontaient avant que je m'endorme, quand les étoiles se réveillent. Où étaient-ils, maintenant ? Est-ce qu'ils me regardaient ? Je voulais les rendre fiers de moi. Je me battrai pour les venger, pour qu'ils sourient en me voyant, de là où ils sont... Mais le soleil se couchait sur mon ancienne vie sans que je puisse l'en empêcher. Il me faudrait de la force pour commencer quelque chose de nouveau.

Soudain, j'eus faim ; et je me rendis compte que je n'avais pas mangé depuis mon départ ce matin, car je n'étais pas rentré à ma nouvelle maison. Je me hâtais sur le chemin du retour, et cachant mes larmes au fond de mes yeux, je franchis en courant le petit sentier de pierres qui menait jusqu'à la porte d'entrée. Je poussai la poignée et entrai. Sirius était en train de faire rôtir du chevreuil dans la cheminée, et Kirielle disposait des grands bols de soupe fumants sur la table. Altaïr devait déjà être couché.

« Me voilà ! annonçais-je. Désolé du retard, j'ai dû massacrer un troupeau entier de dragons qui encombrait le passage. Ça m'a pris environ cinq heures. »

Tous deux rirent de bon cœur.

Pendant le dîner un meuglement grave se fit entendre, en provenance de la grange.

« J'arrive, Tarkor, dis mon cousin en finissant son assiette. »

Comme je le regardais d'un œil interrogateur il ajouta :

« Viens, Hardex, je vais te présenter mon éclateil **(Attends un peu et tu comprendras ce qu'est un « éclateil ».)**. »

Je le suivis dans la grange. Il poussa la lourde porte et je vis un imposant et magnifique taureau aux cornes dorées.

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