Chapitre 19

Premier jour de la saison des Neiges Sombres. Mon excitation apaisée par les flocons qui s'écrasent doucement dans la neige amassée sur le sol gelé. Le sweat à capuche noir avec l'intérieur en orange foncé et le pantalon de treillis que j'avais l'habitude de porter ne suffisaient pas à me tenir chaud. Mais mon dragon me réchauffait souvent les doigts de son petit corps chaud. Ace couraient à mes côtés, ses quatre pattes martelant les pierres du chemin, faisant bouger le pendentif de cristal rouge (partie de sa Pierre d'Invocation) attaché à son cou, projetant de la poudreuse autour de lui. Le jour du tournoi était arrivé.

Réunis dans la deuxième cour, l'excitation était palpable. On discutait peu, on attendait. Quand enfin Maître Sitex et Maître Arkor firent leur apparition, le silence se fit en un instant.

« Apprentis-guerriers, soyez prêts, le tournoi commencera dans quelques instants. » déclama solennellement le directeur, avec malgré tout un léger sourire d'amusement.

Des piquets de bois reliés par de lourdes chaînes en métal délimitaient le périmètre d'environ 20 mètres de diamètre, où les premiers adversaires étaient sur le point de s'affronter. Au fond de la petite cour, un certain nombre d'armes attendait d'être choisi.

« Je me demande contre qui je vais combattre...murmurai-je.

-T'inquiète de toute façon, tu vas t'amuser. » me rassura avec justesse mon éclateil. Oui... c'était sûrement comme ça qu'il fallait voir les choses.

« J'espère que je serai contre toi, ce serait marrant, »commenta Elta qui m'avait entendu. Je ne lui répondis pas, voyant que les maîtres revenait vers nous et s'apprêtaient à parler.

« Bien, fis Maître Sitex, je rappelle rapidement le règlement. Vous êtes déclaré vainqueur si l'adversaire abandonne ou y est forcé, s'il est à terre plus de 10 secondes, ou encore s'il sort du périmètre de combat.Et bien que ça ne concerne qu'Idori pour le moment, je rappelle qu'il est interdit d'utiliser son pouvoir. »

Ce dernier hocha discrètement la tête.

« Par ailleurs, precisa-t-il, une barrière magique à été érigée autour du périmètre, pour éviter que les projectiles n'en sortent et ne blessent quelqu'un. Vous pourrez donc utiliser les armes longue-porté sans vous inquiéter. »

« Ils ne sont peut-être pas si bêtes que ça, »plaisanta Ace.

« Parfait. Si vous avez compris, alors commençons, enchaîna le guerrier aux cheveux gris-argenté. Kiarès et Nerilios, vous êtes les premiers. Choisissez chacun une arme de distance. »

Un peu nerveuse, l'apprentie-guerrière aux cheveux noirs caressa la tête de son panda avant de se diriger vers les armes et de choisir un petit arc et une quinzaine de flèches légèrement pointues, tandis que le garçon aux cheveux blond-fauve souriait avec confiance en saisissant une poignée de petites lames aimantées à un bracelet métallique pour les saisir plus facilement que si elles étaient accrochés à sa ceinture. Tous deux se glissèrent sous les chaînes de l'aire de combat et se positionnèrent chacun d'un côté.

« Désolé pour toi Kiarès, avança -t-il avec arrogance, mais tu n'as pas beaucoup de chances contre moi. »

L'intéressée, plutôt introvertie, préféra ne pas répondre et se concentrer.

« Quand vous serez prêts, Thélos donnera le signal, » annonça le maître aux larges épaules.

Les deux élèves hochèrent la tête sans se quitter des yeux. Le lion doré rugit. Le tournoi commença.

Nerilios lançait les lames en longeant le périmètre sans jamais cesser de courir ; Kiarès esquivait, et les projectiles se cognaient contre la baririère magique avant de retomber au sol. Elle s'économisait, restait sur place, attendait le bon moment. Déjà, l'issue du combat ne faisait aucun doutes. Nerilios se fatiguait trop rapidement, il gâchait son énergie. Quand l'apprenti-guerrier au lionceau, trop concentré sur son lancer, fit déraper son pied sur un caillou, elle s'accroupit, retient sa respiration, et détendit la corde de son arc. La flèche lui érafla le ventre, et le déséquilibra. Il s'écroula dans le sable, les yeux écarquillés de stupeur. Puis, en l'espace d'une respiration, Kiarès s'élança vers son adversaire à terre, lui immobilisa le bras où était accrochées ses lames, et, se saisissant de l'une d'entre elles, la pointa vers son cou sans défenses. Le combat était fini. La patience avait triomphé de l'arrogance.

« Kiarès vainqueure ! »

Cette dernière souriait discrètement avec fierté ; tandis que le vaincu soupirait. Il se dirigea vers l'infirmerie pour se faire soigner son éraflure. Son jeune lion le suivit en trottinant.

L'élève victorieuse fut accueillie par des exclamations de joie et de félicitations. Un peu gênée, elle alla se reposer à côté de Biscuit, son éclateil, qui ne manqua pas de lui faire un énorme câlin en guise de récompense.

Vint ensuite l'affrontement à l'épée de Stoler contre Ruby. Le garçon châtain clair se faisait encourager par Morsure, sa jeune chienne berger allemand, qui jappait à toute voix. Les combattants virevoltaient, dansaient, s'entrechoquaient, s'écartaient, repartaient... Tous deux étaient vifs, et je comprenais aisément pourquoi Maître Sitex avait choisi de les faire s'affronter. Les élèves retenaient leur souffle devant un tel spectacle. La petite apprentie-guerrière laissait voleter ses longues mèches auburns, et répliquaient aux attaques de Stoler avec fourberie, ce qui lui permit de prendre un léger avantage. Mais son adversaire l'était aussi, et se démena pour parer les passes de la courte épée au pommeau brillant de son assaillante ; jusqu'au moment où les deux adversaires s'arrêtèrent à quelques mètres de distance à peine. Ruby se tenait droite, immobile, son regard plein de malice et d'arrogance ; mais le visage de Stoler reflétait une telle assurance, une absence de quelconque peur, le regard meurtrier et un petit sourire féroce. On l'avait toujours connu comme ça, c'était son style, et tout le monde le trouvait cool. Sur ses appuis, le bras tendu, son épée longue et légère sur le côté, pointée vers l'arrière, il envoya son bras loin devant avec force, mais une force maîtrisée, une puissance calculée au millimètre près. Ruby esquiva sans problème en arrière, mais il revint immédiatement à la charge en ramenant son bras dans l'autre sens, comme s'il voulait le faire revenir à sa position initiale. Il avait visé la protection en cuir qui couvrait l'épaule droite de la combattante et atteint sa cible. Elle s'effondra sur les genoux, tentant vainement de se rattraper avec la main gauche. Vif comme l'éclair, il plaqua délicatement  le tranchant de sa lame contre la nuque de l'apprentie-guerrière.

« Stoler vainqueur ! »

« Téméria et Elta. Prenez des armes de faible distance »

Ce combat là risquait d'être particulièrement intéressant. Mes deux amies allaient devoir se battre avec des équipements assez complexes à utiliser, qui nécessitent une certaine maîtrise. Les professeurs avaient organisé le tournoi en fonction des aptitudes de chacun ; et je trouvais que cet affrontement était un très bon choix. En effet, Téméria et Elta étaient toutes deux motivées et avaient dû beaucoup s'entraîner chez-elles. Si les deux futures guerrières savaient utiliser ce type d'armes entre le corps à corps, l'épée et la longue distance, cette lutte promettait d'être épique.

La jeune fille aux yeux ambrés se saisit d'un corde renforcée de métal. D'environ 2 mètres de longueur, cette arme très dure à utiliser avait l'avantage d'être totalement sous-estimée. Quant à celles aux yeux bleus pâles, elle avait choisi un double-hast. C'était une sorte de long bâton d'un peu plus de 2 mètres, avec une poignée en son centre, et doté d'une lame de forme particulière à chaque extrémité. Il n'était pas souple comme la corde renforcée, ce qui rendait sa longueur encore plus handicapante, mais aussi plus puissante, si on savait l'utiliser.

Les deux adversaires prirent place sur le terrain. Thélos rugit, Elta s'élança. Téméria préféra rester immobile, bien campée sur ses appuis. Elle attendait son attaquante, et misait pour l'instant sur la défensive. Selon moi, elles voulaient toutes les deux se jauger, se calculer avant de passer véritablement à l'action. Je connaissais assez bien Elta pour savoir que jamais elle ne foncerai sans réfléchir ; quant à Téméria, elle pensait différemment, mais pour l'instant, sa stratégie semblait identique.

Je voulais savoir de quelle façon la guerrière au cheval noir allait parer le coup de double-hast. Je ne fus pas déçu. Au dernier moment, elle tendit la corde au dessus d'elle avec ses deux mains pour arrêter le coup frontal de l'autre arme. Le métal résonna ; leurs puissances s'opposèrent ; leurs forces se confrontèrent. Pendant quelques secondes, elles restèrent ainsi lutter, à tenter de repousser l'attaque de l'autre.

Elta rompit le jeu de force, et pivota son arme vers le bas, laissé sans défense par son opposante. Celle-ci esquiva de justesse, coinça le bâton de son adversaire entre son bras et son buste, et riposta par un coup de pied latéral vers le ventre. L'apprentie-guerrière blonde attrapa le pied de sa main gauche avant qu'il ne l'atteigne. Elta ne pouvait utiliser ni ses mains qui étaient occupées, ni son arme, toujours bloquée par la fille aux yeux ambrés. Il lui restaient donc ses pieds. Quant à Téméria, il lui restait toujours son arme. Comme je l'avait prédit, elle décrivit un arc de cercle avec sa corde renforcée au niveau de la tête, en équilibre sur une seule jambe. Son adversaire esquiva habilement en arrière, mais fut forcée de lâcher le pied qu'elle tenait. Tout s'était enchaîné en l'espace de quelques secondes. Puis, la fille aux yeux bleus dégagea son double-hast de l'emprise de son opposante, et pris de la distance par un bond contrôlé en arrière. Téméria, son équilibre retrouvé, s'écarta elle aussi de son adversaire. À partir de ce moment-là, les deux futures guerrières se déchaînèrent. .....

L'une fendait l'air de sa double-hast, cherchant des brèches dans la garde de l'adversaire ; l'autre faisait tournoyer sa corde de la main droite et la rattrapait de la gauche, multipliant les feintes en espérant l'enrouler autour de l'un des membres de l'autre combattante. Une fois, elle avait entouré son arme sur celle d'Elta, et avait pu lui arracher des mains. Mais cette dernière était si vive qu'en une fraction de seconde, elle s'était placé derrière Téméria, et avait eu le temps de la lui reprendre. Elles continuèrent ainsi durant quelques minutes, et plus Téméria était déterminée, plus Elta devenait agressive. Les deux opposantes s'étaient dangereusement rapprochées du bord de l'aire de combat. Profitant que son adversaire décrive des cercles avec sa corde, Elta la laissa s'enrouler autour de son avant-bras, et, s'agrippant à l'un des poteaux en bois délimitant le terrain de sa main gauche, attrapa l'arme ennemie de la droite ; et brusquement, elle mit du poids sur ses appuis et, d'un puissant mouvement de bras, propulsa Téméria qui tenait toujours sa corde renforcée, contre la barrière en chaîne. Échouant à s'agripper quelque part, l'apprentie-guerrière au cheval ne put s'empêcher de passer par dessus les chaînes de métal. Elle atterrit sur le dos de l'autre côté, à l'extérieur du périmètre de combat.

« Elta vainqueure ! »

Il était évident qu'elle était plus vive et plus mince, mais je savais que Téméria non plus n'aurait jamais abandonné.

"Tu es super rapide ! Bravo ! "fit cette dernière, très bonne perdante. L'autre, surprise et essoufflée, répondit par un simple "Merci."

« Kod et Hardex! À l'arme lourde. »

Mon cœur s'arrêta de battre un instant...

« Bon courage Hardex ! me souffla Ace.

Je repris mes esprits, et calmai mon excitation. C'était à mon tour. Avec un peu plus d'assurance, je sortis du groupe des élèves, et rejoignis mon ami près des armes.

« On va bien s'amuser, me murmura-t-il en souriant.

« Ça c'est sûr ! Quelle idée de nous faire nous affronter... Surtout à l'arme lourde ! »lui répondis-je.

Ce type d'arme convenait parfaitement à Kod. Ce garçon était assez grand en taille, et depuis la rentrée, ses muscles s'étaient développés avec rapidité. Quant à moi, j'étais de taille moyenne, et bien que je m'étais musclé depuis mon arrivée à l'académie, je n'étais pas spécialement doué avec cette catégorie d'arme. Le combat s'annonçait difficile. Nous nous saisîmes chacun d'un petit bouclier de métal rond et d'une hache à double tranchant. Celle-ci était très lourde, et limitait considérablement les mouvements. Je me positionnai face à mon adversaire dans le périmètre de combat. Kod étant gaucher, il allait probablement placer son bouclier dans la main opposée. Le côté où il tiendrait la hache serait donc moins bien protégé, et je pourrait aisément y trouver une faille avec la hache que je tenais justement de ce côté-là. Mon opposant me fixai, en positon, plus que prêt au combat. Je l'imitai, et m'efforçai de me concentrer sur les battements vifs et réguliers de mon cœur. Le lion de Maître Arkor poussa son puissant rugissement.

Nous nous approchions avec méfiance, feintant quelques accélérations pour faire réagir l'autre. Nous fûmes bientôt à portée d'arme. Comme je ne savais pas vraiment comment m'y prendre pour débuter le combat, j'attendis qu'il le fisse. Il ne tarda pas, et envoya sa hache dans ma direction. Instinctivement, je parai avec mon bouclier. A la force de l'impact, tous mes muscles se contractèrent, et je fermai les yeux. Le métal résonna et mon bras encaissa le choc. Je mis quelques secondes a rouvrir les yeux. Mais mon adversaire, lui, n'attendit pas avant de pousser son bouclier contre le mien pour me déséquilibrer. Je résistai et tint bon. Le feu de l'action fut comme une libération. D'un coup, je me sentis bien. Mon instinct prit le dessus et attaqua. Mon arme frappait, luttait, contrait... je prenais un réel plaisir à combattre contre mon ami. Le bouclier était encore plus utile que ce que j'avait imaginé. Je le faisait pivoter sous celui de mon assaillant pour tenter d'atteindre son ventre, mais sans succès. Pour le surprendre, je lâchai ma hache bien trop lourde pour moi, bondis sur le côté, et frappai avec mon bouclier. Mais en relevant la tête, je croisai son regard, et ne vis en lui aucune trace de quelconque peur. Kod avait toujours été indifférent à presque tout. Je ne m'étonnai donc pas d'une telle confiance en plein combat. L'apprenti-guerrier aux cheveux entre le brun et le roux riposta avec force. Il frappa mon bouclier avec son arme jusqu'à ce que je tombe en arrière, et posa le tranchant de sa hache à côté de ma tête.

"Kod vainqueur !"

Il me tendit la main pour me relever. Je la saisis et me relevai péniblement.

"Bien joué mon pote, le félicitai-je à bout de souffle.

-T'étais pas mal non plus," répondit le garçon, rayonnant.

Je me glissai sous les chaînes de métal qui délimitaient l'aire de combat, suivi par Kod. Maître Sitex nous fit le bilan de notre affrontement :

"Kod, tu as vraiment un talent pour ce type d'arme. Il te reste à apprendre des attaques précises pour déstabiliser l'adversaire. Hardex, c'était une bonne idée de lâcher la hache et d'attaquer avec ton bouclier. De plus, tu as utilisé des attaques intelligentes pour contrer la force de Kod. C'est un très bon début."

Après avoir remercié notre maître, nous nous installâmes un peu à l'écart pour nous reposer. Ace et Crust nous rejoignirent en trottinant.

« Tu t'es bien battu. »me fit mon dragon.

Je lui souris en retour.

« Que penses-tu du bouclier ? le questionnai-je. Je l'ai bien utilisé ?

-C'était pas mal, acquiesça-t-il. Franchement, ça ne m'étonne pas de toi. Tu trouves toujours des solutions, qu'il y ait un problème ou non. En utilisant la force, tu n'aurais jamais pu gagner contre Kod. Mais en te servant de ta tête, tu avais une chance de le déstabiliser. Dommage que tu n'y ai pas pensé plus tôt. On aurait pu s'y entraîner. »

De son côté, mon ami discutait lui aussi avec son éclateil. Bien que je ne puisse comprendre ce que disait Crust, je me doutait que le tigre félicitait son Invocateur.

Mon compagnon aux écailles rouges me renifla avec inquiétude.

« Tu es blessé ? »

Je m'inspectai. Des bleus sur le bras gauche, une douleur à l'épaule que je devrais éviter de bouger pour le moment, et une crampe au poignet droit.

« Non, ne t'inquiète pas, ça passera.

-Tu ferais mieux d'aller à l'infirmerie, insista-t-il.

-On verra, marmonnai-je. »

Je me tournai vers Kod. À part une éraflure sur le ventre, celui-ci n'avait rien de particulier. Sa maîtrise de sa force lui avait permis de très bien s'en sortir. Soudain, je sentis que quelque chose me tirait la jambe.

« Ace ! Qu'est-ce qui te prend ?

-Si tu vas pas tout de suite soigner ton épaule, je t'y traînerai sans hésitations. »

Il grogna, et tenta de saisir ma cheville entre ses crocs. J'esquivai maladroitement, épuisé par le combat. Pendant que Kod et son tigre nous regardaient en riant, j'esquivai une seconde fois. La troisième fois, je trébuchai et m'écroulai en gémissant. J'étais tombé sur la mauvaise épaule.

« Ça va...t'as gagné, murmurai-je à mon éclateil qui m'aida aussi bien qu'il le pouvait à me relever.

Quelques minutes plus tard, je revint auprès de Kod. Grâce aux talents de Maître Alya, je devrais être rétabli avant mon prochain combat. Pendant que l'infirmière de l'école m'avait positionné des bandages pour maintenir mon épaule en place et donné de quoi faire passer la douleur, un nouvel affrontement avait commencé. Max et Idori se démenaient à l'arme de distance. Le garçon aux cheveux noirs était un incroyablement doué avec un arc entre les mains. Si les maîtres avaient imposé un tel adversaire à Max, c'était sans aucun doutes pour observer comment il allait se débrouiller. Ce dernier avait opté pour une quinzaine de petits poignards, qu'ils projetait avec habileté. Il esquivait avec une intense concentration les flèches que son ami lui envoyait depuis le poteau de bois sur lequel il était accroupi. C'était audacieux de sa part. Il suffisait qu'il bascule de l'autre côté pour perdre le combat. Mais lui affichait son assurance habituelle. Le connaissant, il savait ce qu'il faisait. Je m'étonnais de voir que l'apprenti-guerrier blond, même en plein combat, conservait son regard pétillant et plein d'enthousiasme.

La fatigue me tournait la tête, alourdissait mes paupières. Une brume me cacha un instant la scène du tournoi. Je me secouai, impatient.

Idori avait commencé à se déplacer, et enchaînait les flèches avec ardeur. Max était plus concentré et déterminé que jamais. D'une flèche, l'archer accrocha la veste en jean de son ami au sol. Pendant que ce dernier tentait de se débarrasser de sa veste, et d'arracher le projectile du sable, Idori eut le temps de se jeter sur lui, et le menaça de son arc. Puis, une chose étonnante se produisit. Max, qui visiblement avait prévu cette situation, brandit un poignard vers le ventre de son assaillant. Aucun des deux ne pouvait bouger, sous peine de se prendre respectivement une flèche ou un poignard dans la tête ou le ventre.

« Idori et Max vainqueurs ! »

« C'est bien joué de la part de Max, commenta Kod.

-Oui, acquiesçai-je, il savait qu'il ne gagnerai pas, alors il a obtenu un ex-æquo plutôt qu'une défaite. »

Puis, la fatigue me déconnecta de la réalité. Je suivais les combats, mais de loin, sans vraiment tout comprendre. Le temps passait en accéléré.

Sorito se battait contre Sallya, chacun armé d'un sabre. Les deux élèves aux cheveux noirs était tous deux plutôt introvertis, à la différence que l'une montrait une solide détermination, tandis que l'autre était plus fair-play.

Anger affronta ensuite Wend. L'invocateur du grizzly brandissait une épée avec assurance, tandis que la fille aux longs cheveux auburns répliquait à l'aide de deux glaives. Ses attaques étaient instinctives, et démontrait une grande efficacité. Mais lorsque le meilleur ami de Stoler, désarmé, devait contrer une attaque frontale imminente, ce dernier tendit la main vers son épée au sol, 3 mètres plus loin, dans un geste de désespoir. L'arme, comme attirée par une force invisible, vola droit dans sa paume, et le garçon contra l'attaque et enchaîna les passes comme si de rien n'était. Il mit rapidement son adversaire stupéfaite à terre. Wend le fixai, bouche-bée. Son ami Stoler fendit le groupe d'élève pour s'approcher de lui.

« Eh ! Anger ! T'as éveillé ton pouvoir ! »

Il le regarda sans comprendre.

« Ton épée ! Tu l'as attiré ! Elle était à 3 mètres de toi... »

Soudain, ce fut comme un choc. Sa tête semblait lui tourner, et il paraissait terrifié. Maître Sitex s'interposa alors.

«  Doucement ! C'est souvent un peu étrange, le moment où on éveille son pouvoir. Anger l'ayant utilisé sans s'en rendre compte, il n'y a pas de vainqueur pour ce combat.»

Quelques minutes plus tard, l'apprenti-guerrier était parfaitement remis, et souriait, aux anges, heureux d'avoir acquis cette nouvelle compétence.

Le soleil atteint son apogée dans le ciel froid, annonçant la pause du repas. Comme à mon habitude, je sortis déjeuner avec Max, Idori, Kod, Elta et Téméria. Tous les éclateils gambadaient et jouaient dans la neige. En fait, Ace s'entendait très bien avec ceux de mes amis. Il faisait le fou avec Royal et Zalden, se battait avec Crust, discutait avec Rébélior, et portait Blizzard sur son dos. D'ailleurs Téméria montait désormais son cheval noir, et invitait parfois quelqu'un d'autre à la rejoindre. J'étais venu avec elle, une fois. Le frison avait galopé dans les petites rues désertes, et il m'avait semblé que le temps s'arrêtait. C'était un des rares moments où je m'étais dit : "Peut-être que finalement, la vie n'est pas si horrible que ça..." Rébélior était vraiment un cheval magnifique. Chaque fois que je le regardais avec admiration, je sentais comme une sorte de légère jalousie monter au fond d'Ace. Alors je riais, et je lui disais à quel point il était beau, quand les reflets de la lune rendait ses écailles argentées à quel point ses petites cornes et ses grands yeux sables étaient mignons, à quel point le bout de sa queue en cristal gelé était stylé, et à quel point j'aimais être à ses côtés.

Le tournoi allait reprendre. Rassemblés dans la deuxième cour, nous remettions nos morceaux d'armure souple en cuir. Je n'avais fait qu'un seul combat ce matin, et par conséquent, j'allais combattre au moins une fois cette après-midi. L'affrontement de la matinée avait été particulièrement épuisant à cause du poids de la hache, mais si je me battais à l'épée ou en tout cas pas à l'arme lourde, j'aurai beaucoup plus d'énergie. D'ailleurs, je me doutais que les maîtres n'allaient pas me demander de me battre à l'arme de distance, car ils devaient savoir que je n'étais pas du tout doué pour ça.

« Tu es prêt ?me demanda gentiment mon petit dragon.

-Oui, j'ai hâte ! répondis-je.

-Alors, vas-y, fonce ! Parce que vu la façon dont Maître Arkor et Maître Sitex te regardent, je pense que le prochain combat est pour toi. »

Je relevai la tête, finis d'attacher la protection pour mon épaule gauche, et me dirigeai vers les autres élèves, près de l'aire de combat.

« Hardex et Sorito ! » appela Maître Sitex. « Au corps à corps. »ajouta-t-il.

J'aimais bien le garçon aux cheveux noirs. Il était discret, mais assez drôle et sympa, quand on prenait la peine de lui parler.

« Tu prends quoi comme équipement, Hardex ? »me demanda-t-il en fouillant dans le tas d'armes.

Au corps à corps, je pouvais prendre un ou deux petits poignards, et des protections spécifiques, même si celles en métal étaient interdites durant les affrontements à l'académie. Je me contentais donc de plaques de renforcement pour les poings et de protections pour les poignets en cuir souple, en plus de mes plaques d'armure habituelles sur les épaules, les tibias et les coudes.

« Que dirais-tu d'un combat à mains-nues ? proposai-je.

-C'est un défi ? Ça ne se refuse pas. De toute façon, je ne comptais pas m'encombrer d'un poignard, ajouta-t-il.

-Alors, c'est parti ! Ce fut un plaisir de te connaître, Sorito. »

Sur ce, nous nous mîmes en place sur le terrain, et le lion doré du directeur rugit. Le combat commençait. J'attendis qu'il attaque le premier. En 2 bonds, il fut sur moi, et débuta avec une double attaque : genou droit dans le ventre, et feinte du tranchant de la main. Je bloquai le genou dans ma paume, et sa main de l'autre, et, après l'avoir repoussé en arrière, répliquai d'un coup de pied latéral qu'il bloqua sans problème. Il était très doué. Un deuxième. De l'autre côté, cette fois, et il atteint les côtes. J'enchaînai avec le tranchant de ma main sur l'épaule gauche, achevant de le déséquilibrer. Un petit coup dans les pectoraux, et il tomba en arrière. J'avais sous-estimé son agilité : s'appuyant sur le sol avec ses deux mains, il m'envoya ses deux pieds dans le ventre, et, par une roulade arrière, se remit debout. La douleur fut brutale, inattendue. Le souffle coupé, je pliai un genou, sur le point de m'écrouler. Ma vision se brouilla un instant. Je sentis le lien qui me liait à Ace, et le souvenir de ses grands yeux sable me redonnèrent un peu de force... je devais... gagner... pour lui...pour qu'il soit fier de moi...comment pourrais-je un jour espérer surpasser mon frère si je m'écroulais au premier coup ? Alors, je me relevai péniblement, redressai la tête, tentant d'ignorer la douleur qui m'enserrait l'estomac. Derrière moi, j'entendais quelques murmures de stupéfaction parmi les élèves, et du coin de l'œil, je vis les maîtres sourire. Ace rugit doucement pour m'encourager, et cela suffit pour me redonner du courage. Je souris faiblement. Sorito était 5 mètres devant moi, et reprenait son souffle. Je tentai quelque chose pour le déstabiliser. Je sautai aussi haut que je pus, ratterris juste devant lui. Passant mon bras derrière sa nuque, je m'efforçai de le rabattre vers le sol. Mais au dernier moment, il se faufila en dessous. Une douleur au tibia. Je serrai les dents. Aucune importance. J'enchaînai les coups, sans le laisser reprendre son souffle, sans même reprendre le mien. Je ne savais pas si je pourrais tenir longtemps, mais en tout cas, il le fallait. Esquive du tranchant de sa main. Repositionnement des appuis. Attaque frontal. Doublé de l'attaque frontal. Ma vision se troublait... jusqu'au bout...je devais tenir jusqu'au bout... Mon pied dérapa. Je me rattrapai de justesse. Pendant ce cours temps de répit, mon adversaire s'était remis en position, et amorça une nouvelle attaque du bas vers le haut. Le coup dans le menton m'étourdit un instant, ce qui lui permit d'envoyer son poing aussi fort qu'il le pouvait dans mon ventre. Le choc me propulsa contre les chaînes de métal qui délimitaient le terrain. Je m'écroulai dans le sable, incapable de bouger. La douleur était si forte que je ne pouvais plus respirer. Il me semblait qu'une falaise entière s'était effondrée sur mon ventre. Le monde s'écroulait. J'avais si mal. Quelque chose me dévorait de l'intérieur. Des milliers de pointes me transperçaient, des milliards d'étoiles explosaient dans mon corps. Mes bras sur mon ventre, la bouche légèrement ouverte, j'essayais de crier mais j'en étais incapable. Mes joues se mouillaient sans que je m'en rende compte. Je ne voyais presque plus rien ; le monde n'existait plus, seule restait ma souffrance qui menaçait de m'engloutir totalement.

À quelques mètres de là, Sorito me fixai, hébété, sans savoir quoi faire, tandis que les autres élèves échangeaient quelques murmures inquiets. Les maîtres, quant à eux, se contentaient de froncer les sourcils. Je vis Ace se jeter sur Sorito et le plaquer par terre en grondant. Non!...

« Ace, Non!... »

Je n'avais pas dit cette phrase tout haut. Je l'avais simplement pensé. Mes lèvres avaient à peine remuées. Mais mon dragon, par le lien qui nous unissait, m'avait compris. Il descendit du pauvre garçon terrifié, et le laissa là sans même un regard pour se diriger vers moi. Il gémit en frottant son museau contre mon crâne.

« Ça va Hardex ? »me cria Max en brisant le silence.

Sa question eut pour effet de faire réagir Sorito qui courut vers moi.

« Hardex ! Qu'est-ce qu'il se passe ? »s'affola-t-il, accroupi à côté de moi.

Il se tourna ensuite vers nos deux professeurs.

« Maîtres ! Il faut arrêter le combat. Il n'avait pas aussi mal la fois d'avant. Il s'était même relevé ! Ce n'est pas normal. C'était juste un coup de poing ! »

Maître Arkor réagit, et, dans le plus grand des calmes, se glissa sous la barrière du terrain, et s'accroupit près de moi.

« Regarde-moi, petit, » ordonna-t-il doucement.

Je fis un effort surhumain pour plonger mon regard troublé et empli de souffrance dans le sien, calme et rassurant.

« T'as raison, »conclut-il en direction de Sorito.

Le directeur aux larges épaules me prit dans ses bras et me transporta hors du terrain sans le moindre effort. Il me posa délicatement dans le sable et écarta mes mains de mon ventre meurtri. Je n'avais aucune blessures extérieures. Pourquoi avais-je donc si mal ? Je ne comprenais rien. J'avais peur. Je respirais maintenant par saccades et je tremblai comme une feuille.

«  Calme-toi, petit. On est là. Tu n'es pas seul. »

J'avais l'impression que Maître Arkor savait exactement ce que j'avais besoin d'entendre. C'est ce moment-là que choisirent les 3èmes années pour débarquer aux abords de la petite cour, discutant à l'entrée du bâtiment. Ça devait être l'heure de leur pause.

« Kod ! cria l'imposant directeur. Fonce chercher Maître Alya. Et n'hésite pas à bousculer les 3èmes années qui bloquent le passage.

-Oui Maître ! » acquiesça le grand et solide apprentis-guerrier.

Il s'exécuta aussitôt, touché que le maître lui accorde sa confiance. Tout le monde savait pourquoi c'est lui qui avait été choisi. Le garçon courut à travers la cour et écarta les élèves plus âgés qui lui bloquaient la route, sans crainte de se faire bousculer en retour. Il disparut dans le bâtiment, tandis que Maître Sitex retenaient les élèves de la classe et les rassurait. D'un signe du menton, Maître Arkor désigna à Téméria le garçon aux cheveux noirs qui tremblait, terrifié de ce qu'il avait pu me faire. L'apprentie-guerrière comprit aussitôt, et écarta Sorito des autres élèves tout en le rassurant, et en lui expliquant que grâce à Maître Alya, j'allais aller mieux très vite, et que ce n'était pas du tout de sa faute. Entre deux hoquets de douleur, je m'émerveillai d'une telle bienveillance. La souffrance était toujours aussi forte, mais j'avais moins peur. La présence rassurante du guerrier au lion me rappelait une sensation que j'avais lorsque j'étais avec mon frère, plus de 5 ans auparavant. Mais pourquoi j'y repensait maintenant ? Ce n'était pas le moment... Des larmes de tristesse se mêlèrent au larmes de douleur.

« Arkor ! Qu'as-tu fait à ce pauvre petit ! s'exclama la voix douce de Maître Alya, infirmière de l'académie.

-Rien que tu ne puisses soigner, j'espère... » répondit-il, la voix empreinte de respect malgré sa plaisanterie.

Elle murmura quelque chose que je ne compris pas. Peu importe. Je voulais seulement que ça s'arrête. Pour de bon... j'implorais dans ma tête que quelqu'un me libère, sans savoir si l'on m'entendait. Peu importe. Plus rien pour moi n'avait de sens.

« Hardex ! Hardex! »insista Maître Alya.

Je commençai à perdre connaissance.

« Il faut qu'il reste conscient. Tu peut t'en occuper pendant que je prépare son traitement ?

-D'accord. »

Pourquoi faisait-il déjà nuit ?

« Petit ! Petit ! Regarde-moi. Tu dois rester avec nous ok ? ALLEZ ! C'est bientôt fini. Regarde-moi. » Le son de sa voix se faisait de plus en plus tenu. Puis revint brusquement au premier plan dans mon esprit.

« ÉCOUTE-MOI PETIT ! » Je rouvris les yeux.

« Regarde-moi. Voilà. » Sa voix baissa d'un ton. « Tu veux retrouver ton frère, n'est-ce pas ? » Je sursautai quand il prononça ses mots. Comment savait-il ?...  « Lui prouver à quel point tu es fort ? Le surpasser ? Alors regarde-moi. Ne ferme pas tes yeux. Voilà. C'est presque fini. »

Ces paroles avait eu l'effet escompté : il avait empêché que je perde connaissances.

« Merci, Arkor. Ça va aller, maintenant. » Maître Alya posa sur mon ventre un galet brillant faiblement. Je sentis une onde de bien être se répandre dans mon corps. Mes muscles se relâchèrent, et quelques instant plus tard, je respirai presque normalement. Avec l'aide de Maître Arkor, je pus me mettre assis. Ace me sauta dessus et se frotta contre moi. Je l'entourait de mes bras et sentis la chaleur irradiant de ses écailles.

« Il est resté près de toi. Il n'a pas bougé, » précisa Maître Arkor.

Encore incapable de parler, je souris. La douleur s'était estompée, mais il me restait encore quelque chose, comme une cicatrice.

« Ça va mieux ? »me questionna Maître Alya.

Je hochai la tête.

« Tiens. Prends ça. Tu devrais aller mieux pour ton prochain combat »

Elle me tendit quelques feuilles encore vertes que je mâchai sans broncher. Le jus était sucré, mais devenait légèrement amer en fin de bouche.

« Ce soir, quand les effets seront finis, tu auras sûrement un peu mal à l'estomac, peut-être envie de vomir et pas très faim, mais ça ira. »

Max et Idori vinrent m'aider à me relever, Elta me sauta au cou, et Sorito semblait un peu gêné. Il devait se sentir coupable. Mais maintenant je pensais avoir compris.

« Sorito... » Je me raclai la gorge pour réajuster ma voix rauque. « Je pense...je ... attends... »

J'attrapai un sac de frappe utilisé pour l'entraînement et m'efforçai de le tenir devant lui à la bonne hauteur.

« Maintenant, ferme les yeux un instant et quand je te le dirai, frappe de toutes tes forces, ok ? »

Voyant qu'il hésitait, j'ajoutai : « Fais-moi confiance. »

Il s'exécuta et attendit mon signal. Je vis qu'Ace avait déjà comprit ce que je m'apprêtais à faire. Je jetai un regard à Maître Arkor qui sourit en hochant la tête. Lui aussi avait saisi. J'attrapai un rondin de chêne qui traînait dans un coin de la cour, et le positionnai à la place du sac de frappe.

« Vas-y, frappe ! »

L'apprenti-guerrier envoya son poing contre le solide morceau de bois qui se brisa, écorchant très légèrement mes doigts qui le tenaient au passage. Sorito ouvrit les yeux de stupeur.

« Tu...tu as remplacé le sac de frappe par un morceau de chêne ?bégaya-t-il sans comprendre.

-Exact, acquiesçais-je.

-Et...et je l'ai brisé.

-Exact, »répétai-je.

Il restait hébété.

« Il semblerait qu'Anger ne soit pas le seul à avoir éveillé son pouvoir aujourd'hui, et que le tien soit plutôt utile en corps-à-corps, expliqua le directeur de l'académie.

-Tu peux durcir ton poing ? Trop fort ! »commenta Stoler avec enthousiasme.

Pendant quelques minutes, le garçon aux cheveux noirs contempla ses mains, les ouvrant et les fermant. J'étais content que mon idée aie fonctionné. Si je lui avais simplement demandé de frapper dans le rondin, il aurait douté, et n'aurait pas activé sa capacité. Il sourit et écouta un instant les commentaires des autres élèves de la classe. Soudain, il se tourna vers moi.

«  Ça veut dire que je t'ai envoyé mon poing dur comme du métal en plein ventre ? »

Il paraissait terrifié.

« Ne t'inquiète pas ! Grâce à Maître Alya, je suis presque totalement remis. J'ai hâte de faire mon prochain combat. Oh, et d'ailleurs, c'est toi le vainqueur du combat. Je n'aurai pas tenu longtemps après un tel coup, même sans ton pouvoir. Bravo, tu es très fort. Mais un jour, on remettra ça, et cette fois, je te battrai. »

Il resta un instant silencieux avant de me rendre mon sourire.

« Merci. »murmura-t-il.

Une discussion avec mes amis et la compagnie de mon dragon suffirent à me remettre totalement sur pieds. J'assistais à beaucoup de combats, et avec Ace et Max, nous nous amusions à encourager les combattants le plus fort possible. J'avais vraiment hâte de combattre à nouveau. Je n'avais toujours pas gagné de combat, et trépignait d'impatience. Qui sera mon prochain adversaire ? Avec quelle arme ? Même si j'avais ma petite idée là-dessus, je n'en pouvait plus d'attendre. Le soleil se couchait déjà, teintant de gris pâle et d'argent la neige qui tombait maintenant en flocons réguliers, quand on m'appela à nouveau.

« Elta et Hardex, à vos épées. »

Un sourire fendit nos visages au même moment. Des exclamations d'enthousiasme résonnèrent parmi nos camarades de classe. Tout le monde savait que nous étions amis depuis...toujours en fait, et notre point fort à l'épée ne passait pas non plus inaperçu. Le dernier combat de la journée. Sous le soleil couchant. Pour réveiller ceux qui s'ennuyaient. Quel idée...incroyable.

Je fouillais le tas d'armes en quête d'une bonne épée. Elta en faisait tout autant, et en sélectionna une longue, fine et légère qui lui correspondait parfaitement. Elle lui permettrait d'être rapide, et de rester vive. J'en choisis une tout aussi longue, mais puissante et un peu moins légère. On ne se parlait pas, on souriait juste. On se comprenait assez bien comme ça. Je commençais déjà à préparer un plan. Contre quelqu'un d'aussi intelligent, sans stratégie précise, je ne pouvais pas gagner. Ou alors ma victoire ne serait dû qu'à la chance. Elta était vive, rapide, intelligente, et douée. Comment contrer toutes ses qualités ? Par ses défauts. Oui, c'était ça la solution. Son plus grand défaut. Mon amie pouvait se montrer très agressive. À ce moment-là, elle était imprudente, et ne réfléchissait plus. Si j'avais assez d'énergie pour me concentrer à 100 pour-cent, je pourrais trouver une faille dans sa garde. Mais pour tenir jusqu'au bon moment, il fallait trouver un moyen de contrer sa vitesse. Pour ça rien de plus simple. Il suffisait de trouver ce que j'avais de plus par rapport à elle : j'étais légèrement plus fort et robuste. Si j'utilisais ma force à bon escient, j'avais de bonnes chances de réussir. Ça y est. Ma stratégie était prête.

Phase 1 : économiser un maximum d'énergie, esquiver, si possible la frustrer.

Phase 2 : offensive. Lui faire croire que c'est le temps fort du combat, l'influencer pour utiliser plein d'énergie.

Phase 3 : Augmenter brusquement la puissance de mes attaques. L'obliger à parer plutôt qu'à esquiver, et frapper de toutes mes forces pour fatiguer ses poignets fragiles et habitués depuis peu à manier l'épée.

Phase 4 : Ralentir d'un coup et trouver une brèche dans sa position pendant qu'elle est dans le feu de l'action et qu'elle baisse un peu sa garde.

Selon mes calculs, durant la phase 4, si tout se déroulait exactement comme prévu, je devrais avoir environ 80 pour-cent de ma concentration. J'avais donc des chances d'échouer même si mon plan réussissait. Je devais prendre ce risque. C'était ma seule chance. J'avais tellement hâte de combattre contre mon amie...

Quelques minutes plus tard, la phase 1 était en cours. J'avais attendu qu'elle attaque la première, en prenant soin de bien esquiver ses feintes. Elta avait paru légèrement frustrée au début, puis était restée impassible. Me connaissant, elle devait savoir que j'avais quelque chose en tête. C'était sûrement pour ça qu'elle semblait économiser elle aussi son énergie. J'avais peur que rien ne se passe comme je l'avais prévu. Et si je m'étais totalement trompé ? Plus le temps de changer de stratégie. Je devais aller jusqu'au bout. Et passer rapidement à la phase 2. Tant pis si j'avais beaucoup moins d'énergie et donc de concentration, je devais essayer.

Début de la phase 2. Je réalisait une nouvelle fois l'écart qui nous séparait. Sa vitesse et ses talents d'épéiste n'avaient vraiment rien à envier à ma stratégie minable. Elle savait sûrement que je voulais la fatiguer. Elle dépensait donc autant d'énergie que moi. La phase 2 était un échec. Tant pis. Les phases 3 et 4 seraient donc décisives.

Nos épées s'entrechoquèrent un instant, je bondis en arrière pour pouvoir amorcer une nouvelle attaque. Coup plongeant à gauche. Elta tenta de faire dévier ma lame avec le plat de son épée, mais je m'y attendais, et mis toute ma force dans la direction opposée. J'atteins ses côtes. C'était une légère coupure, mais j'espérais que ça l'handicaperait pour le reste du combat. Après une lueur de surprise, son regard se raffermit, et elle enchaîna par une attaque frontale de haut en bas, que je parais rapidement. Je pivotai alors mon arme, et rabattis la sienne vers le bas. Je devais rapidement passer à la phase 3. Dès que le bon moment se présenta, je mis beaucoup plus de puissance dans mes attaques, et augmentai ma vitesse. Je profitais de la moindre occasion pour frapper de toutes mes forces lorsqu'elle contrais pour fatiguer ses poignets qui devait résister et supporter le choc. Je donnai tout ce que j'avais. Je voulais qu'elle aussi fasse son maximum. Je sentais déjà que j'avais plus de mal à esquiver à temps, qu'il me fallait plus de force pour contrer. Je devais tenir bon jusqu'à ce qu'elle craque et abandonne toute prudence. Pour cela, je ne devais montrer aucun signes de faiblesse, et lui montrer ma détermination.

J'effectuai des passes risqués, guettant le moment de passer à l'acte. Là. Coup plongeant long. Extrêmement risqué de part. Je calculai le moment précis, attendait la seconde exacte. Si je le faisais trop tôt, elle aurait le temps de se repositionner. Il fallait qu'elle soit sûre d'elle. Maintenant. Je me décalai à gauche, me retournai vers mon adversaire, et balayai ses jambes d'un seul mouvement de pied circulaire. Elle s'écroula dans la sable. Je pointai vivement mon épée vers sa tête. Elle avait négligé ses appuis, qui devaient lui assurer un équilibre parfait.

« Hardex vainqueur ! »

Des exclamations s'élevèrent du groupe des élèves. J'avais gagné. J'avais vaincu Elta. J'avais vraiment du mal à le croire. Je relevai mon amie.

« Ça va ? Tu es super forte ! J'ai eu chaud.

-Tu te bats bien toi aussi, répliqua-t-elle. Elle m'énerve ta stratégie.

-Pourtant, tu as bien failli la faire échouer. »

Maître Arkor et Maître Sitex se dirigeaient vers nous. Je me glissai sous les chaînes de métal à la suite d'Elta.

« Félicitations, commença Maître Sitex. Vous vous êtes très bien battus. Elta, tu es extrêmement douée. Et tu as conscience de l'importance de l'énergie. Quand tu as remarqué que ton adversaire voulait te fatiguer, tu t'es obstiné à en dépenser autant que lui, ce qui démontre une grande intelligence. Pourtant, tu dois apprendre à garder la tête froide, et à te contrôler. » Notre maître de cours d'armes se tourna vers moi.

« Hardex, tu as toi aussi un talent à l'épée. Et ta stratégie n'était pas mal. Mais tu dois t'entraîner à en imaginer chaque fois de meilleures, avec une probabilité d'échec la plus basse possible. De plus, tu aurais dû plus observer ton adversaire, et analyser ses gestes avant le combat. Tu es doué pour ça, et il faut mettre toutes les chances de ton côté. »

Je hochai la tête, conscient de la progression qu'il me restait encore à faire avant de devenir un guerrier, et de surpasser mon frère.

Ace courut vers moi, et se frotta contre ma jambe en grondant doucement de bonheur. Je caressai affectueusement ses écailles près de ses petites cornes.

« Heureux de te revoir, mon pote, » lui murmurai-je.

Maître Arkor s'adressa à toute la classe :

« Apprentis-guerriers, vous avez tous montré de très bonnes capacités, aujourd'hui. Ah, oui, je ne vous aie pas encore dit, mais la troisième semaine des Neiges Sombres, vous aurez une mission de survie. »

Un mélange de murmures excités et inquiets se répandit parmi les élèves. Tout ce qu'on savait de cette « mission de survie » provenait d'informations arrachées aux deuxième année. Apparement, cela consistait à passer plusieurs jours en forêt avec toute la classe. Les profs devenaient alors nos ennemis, et l'objectif était variable en fonction des missions. Ça pouvait être de capturer un prof, leur voler un document, ou quelque chose comme ça... Les conditions de vie étaient très dures, et en pleine saison des Neiges Sombres, les longues nuits risquaient d'être... fraîches. De plus, il fallait éviter de se faire capturer par les maîtres, et repousser leurs potentiels attaques.

« Est-ce qu'on est censé avoir la trouille, ou plutôt être heureux ?lançai-je.

-Oh, fit Maître Arkor avec un sourire énigmatique, vous verrez.

-C'était censé être rassurant ?ironisa Idori, les mains dans les poches.

-Non, c'est juste bien plus drôle de voir vos têtes terrorisées, tout en sachant que vous ne pouvez même pas imaginer ce qui vous attend. »

Ça, c'était pas DU TOUT rassurant.

« D'ailleurs, voici quelques petites informations en plus :

Vous serez dans un tel état de fatigue, de faim, et de stress, que vous ne vous contrôlerez pas de la même façon. On pourra donc voir ce qui reste de vous dans des conditions comme celles-ci ; on verra votre vraie personnalité qui sommeille en vous.

Ensuite, même si vous ne nous verrez pas tout le temps durant ces quelques jours, nous vous surveillerons presque toujours.

Et si vous avez un problème grave et urgent comme une énorme blessure, ou quelqu'un en danger de mort, vous pourrez nous prévenir grâce à un Roc de détresse. Nous vous en distribuerons au début de l'épreuve. Il s'agit d'une pierre, qui, une fois brisée, émet un rayon de couleur très puissant, que nous verrons de très loin. En revanche, simple règle : interdiction de bluffer avec pour nous attirer quelque part. C'est pour une urgence ou rien.

Par ailleurs, c'est généralement durant ces missions de survie que les professeurs donnent des... surnoms aux élèves. Vous les détesterez au début, mais vous finirez par vous y attacher.

On vous en dira peut-être plus dans les jours qui suivent, car demain commencent votre entraînement pour cette mission de survie. »

Quand il eut fini de parler, les discussions reprirent.

« Tu penses qu'à ce moment-là, Royal et Zalden seront assez grands pour qu'on monte sur leur dos ? Comme ça, on aura moins à marcher... »remarqua Idori à Max.

Leurs éclateils étaient en effet des Montures, et il ne tarderait pas à pouvoir porter quelqu'un sur leur dos.

« Bon, enchaîna le directeur en claquant ses mains, programme de demain. Vous commencerez une heure plus tard, et vous aurez 2 heures de cuisine. Oui, oui je sais, ça fait bizarre dans une académie de guerriers, mais c'est justement pour la mission de survie. Ça fait partie de votre programme d'entraînement. Vous apprendrez à trouver un maximum de vos ressource sur places, quelle cuisson faire, comment bien assaisonner, etc. C'est extrêmement important pour le moral et l'énergie des troupes ou de l'escouade.

Après votre pause, pour conclure la matinée en beauté, une heure de stratégie. »

L'ironie du directeur ne réjouit pas à tout le monde. En effet, cette matière ennuyait la grande majorité des élèves.

« Attendez, attendez,... on a été gentils, on vous a mis deux heures de pause-repas. »

Je souris. Même si nos professeurs étaient parfois durs, ils étaient toujours bienveillants.

« Et toute l'après-midi, ce sera cours d'armes. Vous travaillerez exclusivement vos armes de prédilection, cette fois-ci. Sur-ce, vous êtes libres ! Et à demain. »

La cour se vidait rapidement. Les apprentis-guerriers, épuisés par le tournoi, avaient hâte de rentrer se reposer chez eux. Mais moi, il me restait une dernière chose à faire avant de partir.

« Maître, interpellai-je le guerrier au lion.

-Oui Petit ? »

J'hésitai un instant.

« Comment savez-vous, pour mon frère ? »

Il soupira, et plongea son regard dans le mien.

« Yohito était un de nos meilleurs élèves. Je le connaissais bien, et son escouade venait souvent ici pour aider l'académie. Je sentais bien qu'il préparait quelque chose. »

Il fit une pause, jeta un coup d'œil vers l'horizon et la forêt.

« Lorsque les Chevaucheurs débarquèrent, je défendis le village autant que je le pouvais. J'en traquais un ou deux dans la forêt, quand je l'ai croisé. Il m'a expliqué qu'il partait, peut-être pour toujours. J'ai cru voir une larme au fond de ses yeux, mais je n'en suis pas certain. Il faisait nuit.

-Pourquoi n'avez-vous pas essayé de...m'emportai-je.

-J'ai essayé, me coupa-t-il calmement. J'ai tenté de l'arrêter. Mais il était fort. Et la seule façon de le stopper aurait été de le blesser, voir de le tuer. Or, j'en étais incapable. Faire du mal à mon ancien élève m'était tout bonnement impossible. Il le savait, et avait trop de respect pour moi pour attaquer le premier. Alors il est parti. Je suis désolé. »

Alors quelqu'un l'avait vu après moi. Il m'avait poussé dans l'eau pour éviter que j'essaye de le retenir ; mais pourquoi s'en aller ? Il avait tout pour être heureux à Valtarden. Les seules personnes à être au courant de son départ étaient Sirius, Kirielle, Altaïr, Elta, Helrick et Maître Arkor. Même son escouade n'était pas au courant. Ils pensaient qu'il avait trouvé un travail à Lagdhol. Ma solitude refit surface. Je pensais pourtant que j'allais mieux. Non, non... je n'étais pas seul. Ace était là, il ne m'abandonnera jamais lui.

Je relevai la tête.

« Merci Maître. À demain. »

Je me retournai, me dirigeai vers la sortie. Maître Arkor m'arrêta, une main sur mon épaule.

« Attends Petit. Je ferai de toi un guerrier. Plus fort que ton frère. Crois-moi. Tu vas y arriver.

-Merci Maître. »

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