II - Animaux
Terra – Secteur 3. La Ferme.
L'homme ne savait plus depuis combien de temps il était là. Au vu des douleurs qui parcouraient ses articulations, il devait être vieux. Peut-être 60 ans. La lumière violente des néons lui fit cligner des yeux. Il partageait un dortoir avec près de cinquante autres de ses congénères. Malgré la fatigue, son corps se leva de lui-même et il rejoignit la file d'attente pour recevoir la ration du matin.
A chaque fois le même rituel. A chaque pas la même lassitude.
Il aimerait bien se laisser mourir mais cela lui était impossible. Son esprit était bridé et c'était tout juste si il lui arrivait de penser par lui-même. Les quelques rares personnes qui s'abstenaient de manger était gavés de force et leur séquençage neural se retrouvait davantage entravé. Il parvint à tourner la tête vers son compagnon le plus proche. La peau sombre, peut-être la trentaine. Il se souvenait qu'il était arrivé dans le bloc quelques mois plus tôt. Son corps robuste contrastait avec le vide de son regard. Si peu de temps passé à la Ferme et déjà un fantôme de plus.
Pourquoi leur faire subir un tel calvaire? Il serait plus simple de tous les tuer. Si seulement le Cerveau n'avait pas besoin de main d'œuvre pour continuer à faire tourner ses installations... Il ne pensait qu'en coûts de production et efficacité. Peu lui importait la souffrance et les épreuves endurées par les Hommes. Il ne les comprendrait jamais. Il n'avait jamais été programmé pour. Tant que le travail était fait...
La porte du bloc s'ouvrit et laissa entrer la lumière du jour. La file se mit en branle vers le bâtiment de production qui lui était dévolu. Un étroit chemin de gravier leur servait de piste à travers les dédales d'acier. Le vieil homme était le seul à encore regarder furtivement les collines de sequoias qui entouraient les installations. Jadis, ces bois regorgeaient de gibiers, il s'en souvenait encore, mais les animaux avaient fuit depuis longtemps les zones occupées par l'Entité.
Leur travail consistait à préparer les rations nutritionnelles pour l'ensemble des travailleurs. Des blocs de viande sortaient du bâtiment K, auxquels il fallait ajouter divers agents de synthèse, vitamines et anabolisants. Personne ne savait ce qu'il se passait dans le grand hangar à l'allure macabre. Aucune activité n'avait l'air de s'opérer pendant les rares moments qu'ils passaient dehors.
Vers la fin de journée, le vieil homme sentit une douleur sourde au niveau de la poitrine et s'effondra par terre. Les inhibiteurs et autres molécules de dopage présentes dans les cavités médicales de son corps ne parvinrent pas, sur le coup, à endiguer ce qu'il ressemblait à un infarctus. Personne autour de lui n'avait arrêté le travail et l'homme mit un peu plus d'une minute à retourner à son poste. Il avait le souffle court, le front en sueur et souffrait énormément mais la partie motrice de son cerveau ne lui obéissait plus.
Un sas s'ouvrit et le vieil homme vit du coin de l'œil un superviseur venir dans sa direction. Le nouvel arrivant se campa devant lui et l'examina sans ménagement à l'aide d'une sonde multi-sensorielle.
- Encore demain puis on verra, se contenta-t-il de dire avant de tourner les talons.
Encore demain? Qu'est-ce que cela pouvait-il bien vouloir dire... Un signal retentit et les travailleurs déposèrent leurs tabliers avant de reprendre la direction du bloc. Au vu de la vapeur qui s'échappait de sa bouche, il devait faire froid. La nuit était tombée assez tôt et il ne parvenait pas à voir les arbres de l'autre côté de la clôture.
La file d'attente pour la ration était plus longue ce soir. Il y avait de nouveaux arrivants. Certains devaient avoir son âge, d'autres beaucoup moins. Il y avait même certaines personnes avec les yeux bridés, chose que le vieil homme n'avait plus vu depuis longtemps. Un autre signal retentit et il se coucha juste avant que les lumières ne s'éteignent. Le noir était total et les substances relâchées par sa capsule médicalisée ne tardèrent pas à le faire s'endormir.
La lumière violente des néons le réveilla. Le vieil homme ne savait plus depuis combien de temps il était ici. Ses articulations et sa poitrine le faisaient souffrir mais il se leva instinctivement en même temps que les cinquante congénères avec qui il partageait le dortoir. Il s'inséra dans la file pour la ration du matin.
A chaque fois le même rituel. A chaque pas la même lassitude.
Il parvint à tourner la tête vers son compagnon le plus proche. La peau sombre, peut-être la trentaine. Il se souvenait qu'il était arrivé dans le bloc quelques mois plus tôt. Son corps robuste contrastait avec le vide de son regard. Si peu de temps passé à la Ferme et déjà un fantôme de plus...
La porte du bloc s'ouvrit pour les laisser aller vers le bâtiment de production. Il pleuvait ce jour-là et le vieil homme pensa avec tristesse que cela ferait fuir les animaux. Il n'en verrait sans doute pas ce matin.
La journée de travail fut plus dure qu'à l'accoutumé. Le vieil homme se retint à grande peine et plusieurs fois de tomber devant la chaîne de montage.
Le retour au bloc se fit dans un froid glacial. La nuit était tombée depuis longtemps et il pleuvait toujours. Le corps du vieil homme fut prit de frissons que ses inhibiteurs n'arrivaient pas à calmer totalement. Quand il entra dans le bloc dortoir, il constata qu'il y avait quelques nouveaux arrivants. Ils avaient l'air tous plutôt jeunes et en bonne santé. Ses frissons ne le quittèrent que lorsqu'il eut finit de manger sa ration du soir. Au moment de rejoindre sa couche, un texte défila dans son exovision. On lui demandait de rejoindre un sas annexe dans le fond du dortoir. Il s'exécuta. Sitôt le sas franchi, un superviseur lui fit passer un courant électrique dans la nuque et le vieil homme tomba, foudroyé, vers l'avant. Le noyau parasitaire qui contrôlait son système moteur était mort. Il était conscient mais ne pouvait plus bouger.On charria son corps dans un conteneur où d'autres personnes qui devaient avoir le même âge que lui étaient déjà entassées.Le véhicule prit la direction du bâtiment K.
On déchargea brutalement le contenu de la benne sur un tapis roulant. Le vieil homme ne se rendit compte qu'à ce moment-là où il était. La bande métallique semblait finir sa course dans un énorme broyeur, en contrebas d'une grande trappe ouverte. Un superviseur actionna la machine et la masse inerte de corps se mit à avancer vers la gueule béante de l'engin. Le bruit des moteurs se faisait de plus en plus intense.
Attendez, pensa-t-il. Je peux encore travailler. Je peux encore travailler !
Son corps bascula dans l'abîme. La dernière chose qu'il vit fut l'énorme trappe qui se referma sur lui dans un grincement strident. Une série de craquements sinistres se firent entendre. Puis, le néant.
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