Prologue


En cette fin d'été de l'an 1440, une litière  richement décorée, portée par de  puissants chevaux et entourée de soldats, filait à travers les vignes qui s'étendaient à perte de vue.
Un homme, à l'allure noble, freina son destrier pour arriver à hauteur  de la caisse du véhicule qui protégeait les deux occupants du soleil ardent.

— Nous arriverons par tans*, ma douce.

La femme, affublée d'une belle robe bleue en soie et d'un hennin* assorti, en train d'admirer son fils assoupi, tourna la tête vers son époux, le vicomte de Sens. Elle l'observa avant de répondre.
Malgré sa morosité, c'était un beau mâle qui avait du charme. Son surcot bien ajusté à la taille par une ceinture orfévrée le mettait en valeur.

— Je suis fort marrie que nous n'assistions pas à la cérémonie. Faire tout ce chemin depuis notre vicomté en vain.

Le vicomte de Sens grogna un juron de paroles pour toute réponse :

— Morbleu ! Je préférais de loin me planter une épine dans le pied que d'y assister ! C'est bien parce que j'ai  des affaires à régler dans la région ! Sinon, nous  serions chez nous.

— Pour l'amour de Dieu, cessez d'ergoter* à ce sujet !

— Epousailler un Anglois* ! Quelle bouffonnerie ! Cette femme est vraiment fol dingo.

— Un Anglois ou un François*, quelle différence si elle l'aime ? Et puis il était temps qu'elle se trouve un promis. Vous savez bien qu'une femme qui reste seule est considérée comme une hérétique !

— Mordiable ! Mais ce sont les ennemis ! Elle déshonore la mémoire de mon défunt cousin, le seigneur de Blanquefort ! J'en rage de savoir que le château et les vignobles  vont passer sous la coupe de ces soudards !

— Ce n'est pas la première fois que cela arrive, s'exaspéra-t-elle.

— Certes. Ce n'est point la peine de me le rappeler.

— Je pressens que ta cousine par alliance, Ludivine, éprouve de tendres sentiments pour le chevalier Montgomery. C'est tout à son honneur de faire un marriage d'amour.

— Tssss ! Encore une ineptie, ma mie. Les sentiments se développent au cours du temps.

La vicomtesse avait dit cela tout en escomptant la réaction de son homme. Elle ne connaissait que trop bien son avis sur la question. Presque tous les hommes en réalité pensaient comme lui.

Un petit bruit à côté d'elle lui fit comprendre que son garçon, Louis s'était réveillé.

— Mère, sommes-nous arrivés ?

— Et tôt*, mon Trésor. Si tu te penches légèrement, tu peux apercevoir le château de Blanquefort.

Le jouvenceau s'exécuta et montra un vif intérêt.

— Ce fort est étrangement blanc.

Sa mère lui expliqua qu'il devait ses murailles blanches au calcaire. Puis, elle enchaîna avec la structure de la bâtisse en s'appliquant à lui faire comprendre que ce château normand avait évolué au fils des siècles pour devenir ce qu'il était. Lorsque la vicomtesse ajouta que cette forteresse militaire avait abrité le Prince noir, autrement nommé Édouard de Woodstock, roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine, les yeux du garçon s'agrandirent de stupeur.

Son père en profita pour s'exprimer :

— Les Anglois ne pensent qu'à prendre nos terres. Souviens-toi, mon fils, que tu devras toujours te méfier d'eux. Toujours ! Surtout s'il y a de la piquette* à la clef !

— Oui-da !

— C'est bien. Rends-moi fier. Toi, tu ne lieras point avec une Angloise plus tard, foi d'honnête homme !

La vicomtesse ne put s'empêcher d'intervenir :

— J'ai ouï dire que cet homme, Andrew Montgomery a deux enfants de ton âge, d'un précédent mariage. Dont une fille. Tu pourras faire leur connaissance, Louis. Et bien sûr, il y a la fille de Ludivine, la petite Isabelle.

— Nenni ! s'écria l'homme à cheval en regardant sa femme de façon peu amène. Ne lui mettez pas des idées saugrenues dans la tête !

Le jeune garçon arrêta d'écouter les jactances de ses parents, trop habitué et patienta jusqu'à leur arrivée.

*************************************

Ils arrivèrent au moment des Vêpres, avant la tombée de la nuit. Ils traversèrent le village avant de s'engager sur le pont-levis débouchant dans la cour.

La dame du château, Ludivine de Duras-Sens, nouvellement Montgomery, s'avança vers les nouveaux venus en compagnie de son époux.
Les deux rayonnaient de bonheur dans leur vêtements de noces. Après des salutations protocolaires (et un peu crispés du vicomte), ils se dirigèrent vers l'intérieur du château dans la grande salle commune pour le banquet du soir. La grande table en bois était bien fournie de viandes, légumes et tartes sucrés mais on voyait que  les commensaux étaient déjà bien rassasiés.

Les festivités duraient depuis la Sexte*. Il restait presque rien de l'issue de table*. Par contre, les invités ne cessaient de se resservir de l'excellent breuvage, produit par les vignes appartenant au fief. L'alcool coulait à flot pour faire étalage de la bonne production.

Louis était assis à côté de ses parents et détaillait son environnement. La salle immense, décorée pour l'occasion était réchauffée par un feu dans l'âtre. Des danseurs, poètes et musiciens divertissaient les convives.

Il reporta son attention sur sa mère qui fatrouillait avec les hôtes du château. Son père ne pipait mot, trop occupé à lancer des regards courroucés à tous les Anglais présents dans la pièce, surtout au nouvel époux.
Mais celui-ci s'en tamponnait le coquillard*, bien trop heureux avec sa jolie femme, Ludivine.
Le jeune garçon trouva l'homme imposant. Il était déjà d'un âge avancé mais ses cheveux roux parsemés de fils argentés lui donnaient un air avenant. Les petites cicatrices sur son visage suggéraient qu'il était un homme de guerre .
Il tendit l'oreille lorsqu'il entendit quelques précisions sur l'Anglais. Il était, en fait, le frère d'un puissant baron du royaume d'Angleterre mais lui était devenu chevalier et était venu s'installer dans la région, après la mort de sa femme.

Le jeune fils du vicomte se désintéressa de la conversation lorsqu'il comprit que les tourtereaux commençaient à parler de la façon dont ils s'étaient rencontrés.

Il était en train de s'escagasser* sec quand il sentit contre sa jambe un frottement.
Il se pencha sous la table et tomba nez à nez avec une fille aux cheveux clairs, légèrement plus jeune que lui.
L'instant de stupeur passé, il vit qu'elle n'était pas seule. Une fillette était à côté d'elle, ainsi qu'un jeune garçon.
Celui-ci s'énerva:

— Je t'avais dit d'être discrète Marie ! On va se faire repérer à cause de toi !

— J'y peux rien ! Il a bougé sa jambe quand je passais, se défendit-elle.

Elle avisa l'air perdu du garçon qu'elle venait de toucher et lui demanda  :

— Tu vas nous dénoncer ?

— Euh... pourquoi vous vous cachez ?

Le garçon qui ressemblait très fortement à la jeune fille, prénommée Marie, avec des taches de rousseur en plus, prit les devants:

— On se cache de la duègne. Si elle nous attrape, elle va nous punir. Isabelle a renversé de l'hypocras sur sa robe. On s'est sauvé pendant qu'elle se nettoyait. Il faut qu'on sorte de céans.

Louis comprit qu'Isabelle était la petite fille qui s'agrippait à la plus grande. Elle ne devait pas avoir plus de quatre ans. Il releva la tête et vit un peu plus loin une grosse bonne femme à l'air revêche qui s'agitait dans tous les sens.
Il regarda en catimini ses parents et voyant qu'ils ne faisaient pas attention à lui, il retourna en dessous pour rassurer les fuyards :

— Je vais vous aider. Pendant que je la distrais, vous sortez prestement.

Le visage des trois enfants s'illuminèrent et ils acquiescèrent. Louis se leva de table et se dirigea vers la vieille avec un bout de pain en bouche. Il fit diversion en simulant un étouffement. La bonne femme s'inquiéta et lui tapa dans le dos. Le garçon vit du coin de l'œil la petite Isabelle hilare, tirée par Marie, qui se retenait elle-même de pouffer de rire. L'autre garçon déguerpissait à leur suite.
Quand il fut sûr que les autres étaient suffisamment loin, il stoppa net sa comédie, assurant que le pain était finalement passé dans le gosier. Il éructa copieusement avant de pendre conger. La femme s'indigna devant le comportement de ce petit vicomte et vitupéra en le voyant partir.

*********************************

Louis sortait du château quand il les vit tous les trois dans la haute cour. Isabelle s'élança vers lui pour lui sauter dans les bras.

— Il nous a sauvés de la méchante sorceresse* !

Marie et le garçon s'approchèrent aussi. Le roux fit les presentations d'un air enjoué :

— Bien joué ! Merci pour ton aide. Laisse-moi te présenter ma sœur, Marie, dit-il en désignant la jeune fille à côté de lui. Et voici Isabelle, notre demi sœur. Moi c'est William mais tu peux m'appeler Will. Arrête, Isa, tu le gênes !

Celle-ci protesta et n'écouta pas son frère et resta dans les bras du sauveur.

— Mais euh !

Louis les scruta tour à tour et se rendit compte qu'effectivement la petite Isabelle n'avait pas vraiment un air de ressemblance avec les deux autres.
Il dévoila à son tour son identité:

— Louis de Sens, pour vous servir, dit-il avec grâce.

William parut surpris:

— Oh ! Tu es le fils du vicomte de Sens ! Eh bien, ça par hasard ! Il paraît que ton père  déteste les Anglois, continua William sur la défensive. J'ai ouï Ludivine le dire une fois.

Devant l'air dégoûté de Marie, il s'empressa, sans vraiment savoir pourquoi, de démentir :

— Que nenni ! Enfin, il est juste un peu... euh ... méfiant au vu de la situation. Mais moi je m'en fiche !

— On va jouer ! On va jouer ! A cache-cache avec  les raisins ! cria Isabelle pour faire revenir l'attention sur elle.

Ses aînés approuvèrent tout comme lui.
Rien de mieux pour faire passer le malaise.

Marie corrigea sa sœur :

— On va se cacher dans les vignes, Isa. Pas avec les raisins.

La fillette fit fi et se mit en marche vers les vignes situés derrière le château.

Ils s'amusèrent comme des petits diables. Mais à la fin, ils durent se rendre à l'évidence que Marie était introuvable. Soudainement, Louis la vit sortir de nul part avec un sac en toile sur l'épaule.  Son frère leva les yeux en ciel en sachant pertinemment ce qu'elle voulait.
Lorqu'elle se planta devant le fils du vicomte, elle en sortit des épées en bois.

— On va changer de jeu !

Isabelle qui voyait aussi à quoi faisait allusion sa sœur, rechigna :

— T'es méchante ! Je veux continuer cache-cache. C'est nul ce jeu !

— On reprendra après. Allez, Louis, à toi !

Sans lui laisser le temps de faire quoi que ce soit, elle lui fourra une épée dans les mains et engagea le combat.

Ses coups étaient plutôt rapides mais maladroits. Louis esquivait sans peine. Depuis l'âge de sept ans, il recevait une formation pour devenir chevalier. Il en était actuellement à l'étape de page.

Profitant d'une maladresse, il la désarma envoyant son épée rouler dans la terre.
Marie resta coite. L'humiliation l'assaillit.

— Et voilà ! Tu n'as que ce que tu mérites. Père avait dit que tu ne devais t'entraîner qu'avec lui. Cesse donc de provoquer les gens à tout va ! la sermonna William.

Louis à peine remis de ce qu'il venait de se passer, intégra les paroles de Will.

— « T'entraîner »? Parce que tu reçois un entrainment ? Ce n'est point le rôle d'une fille de se battre.

— Je me bats si je veux d'abord ! s'énerva Marie.

— Tu veux finir comme Jeanne d'Arc ?

— Qui c'est Jeanne d'Arc ? Qui c'est  ?

Louis ignora la question d'Isabelle.

— Les femmes qui se battent sont considérées comme des hérétiques et finissent au bûcher.

— JE ne suis PAS une HÉRÉTIQUE !

— En plus, elle a été plus brûlée par les Anglois ! ajouta-t-il pour l'achever.

Très mauvaise idée car la jouvencelle sortit de ses gonds et bondit sur Louis pour le mordre jusqu'au sang.

— JE TE DÉTESTE ! JE HAIS LES FRANÇOIS ! ON VA VOUS ÉCRABOUILLER !

Les deux enfants se battirent comme des chiffonniers. Louis essaya de retenir ses coups mais il était hors de lui.
Isabelle commença à pleurer quand Will se prit un coup de poing par sa sœur alors qu'il tentait de les séparer.

— Ils sont là, messires !

William vit avec horreur la duègne accourir vers eux, suivie de près par les parents.

Une main puissante attrapa Louis par la peau du cou et le garçon fut secoué dans tous les sens par son père. Sa mère, sur ses talons le laissa faire, mortifiée.

— Quelles sont ces manières de rustre, Louis ?! N'as-tu donc aucune honte à frapper une  fille ?

— Mais c'est elle qui a ...

— Il suffit ! Je croyais t'avoir mieux éduqué que cela. Tu vas recevoir une telle correction que tu t'en souviendras jusqu'à la fin de tes jours. Tu me déçois Louis.

Louis honteux baissa la tête. Il eut toutefois le temps d'apercevoir Marie se cacher derrière son père qui lui caressait les cheveux doucement.
Elle lui lança un regard narquois, couronné d'un « tirage de langue ». Louis s'échauffa malgré lui, oubliant la poigne de son père ainsi que la bienséance et lui tira la langue en retour .

Le vicomte décida qu'il allait infliger la sanction derechef. Il partit en grommelant tirant son fils sans ménagement derrière lui.

— Tudieu ! Même leurs donzelles sont enragées ! Te faire estriller par une Angloise ! On aura tout vu ! Des sauvages ! Quand vont-ils déguerpir pour rentrer chez eux ces couards ?

Louis écoutait son père tout en trouillant sec quand à sa punition. Mais pour la première fois de sa vie, son ire et sa honte le conduisirent à adhérer au propos de son père.
A cause de cette Anglaise, même les éphémérides se souviendraient de son châtiment .

* Par tans : sous peu
* Ergoter : pinailler
*hennin : long chapeau en forme de cône
*Anglois : Anglaise et *François : Français ( je ne mettrai pas toujours cette écriture pour éviter que ça devienne indigeste , mais pour le prologue, ça me paraissait important afin de bien recréer l'ambiance )
* Et tôt : Bientôt
*Piquette : vin
* Vêpres : période avant le coucher du soleil
* Sexte : équivalent de midi
* issue de table : dessert
* s'en tamponnait le coquillard : très vulgaire, coquillard désignant l'anus au M-O
* s'escagasser : s'ennuyer
*sorceresse : sorcière

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Alors que dites-vous de ce premier chapitre ? Vous vous sentez plonger dans le Moyen-Age ?
Bon j'avoue je n'ai pas pu résister  à l'envie de rédiger une petite bastonnade( enfin c'est plus une dispute d'enfants mais bon ) 😂 dès le prologue ça taillade

Pour la suite on va faire un bond de 13 ans . Et la pour le coup, il va y en avoir de la guéguerre.

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