8. Partie de chasse

L'héritier de la seigneurie de Blanquefort, William, descendait en sifflotant les marches qui menaient dans les caves où étaient entreposés les fûts de vin.

Il aimait bien venir faire un petit tour de temps en temps pour savourer la tranquillité de l'endroit et la fraîcheur. Son pêcher mignon était de goûter une des cuvées au hasard. Sentir ce sirupeux breuvage vermeil, glisser dans son gosier était jouissif et à chaque fois il avait l'impression de revivre.

Ces deniers temps, il s'était bien rendu compte qu'il venait ici un peu trop souvent. Sûrement pour noyer ses idées noires et son anxiété dans l'alcool. Anxiété qui avait au moins quadruplé avec l'arrivée de ces soldats dont un, qui avait particulièrement retenu son attention.
Il secoua sa tête en pressentant sa mauvaise humeur re-pointer le bout de son nez. Non, pas maintenant ! Il ne voulait pas se préoccuper de ce type. Ni de tous les problèmes qu'il avait avec son père. Son père ...
William était vraiment perdu quant aux intentions de son géniteur. Tout était en train de vasciller.

Le roux s'immobilisa à la vue d'un corps recroquevillé sur lui-même, par terre. Les cheveux blonds aux reflets roux l'informèrent sur l'identité de la personne.

— Marie ? Qu'est-ce que tu fais là ?

Celle-ci releva son visage et William se sentit tout d'un coup, très mal en apercevant les jolis traits tourmentés de sa petite-sœur. Il lui était intolérable de voir souffrir un membre de sa famille, surtout Marie qui était le portrait craché de leur mère.
Il s'approcha sans faire de bruit et vint s'assoir à côté d'elle pour la prendre dans ses bras et la réconforter. L'Anglaise se laissa aller avec bonheur, soulagée de pouvoir se reposer sur quelqu'un.

— J'ai... J'ai repris a forfet*une conversation entre Père et Geoffroy... J'ai peur Will, qu'est-ce qu'on va devenir ? Je ...

Elle ne parvint pas à achever sa phrase, trop hachée par les sanglots qui la rendirent inaudible.
Il fallait qu'elle évacue toute cette nervosité accumulée depuis plusieurs jours, à cause de vous-savez-qui et de la situation en général.

William se tendit imperceptiblement. Il devina aisément ce qu'avait bien pu entendre la jeune femme.

— Marie, il ne faut pas que tu t'inq...

— Tu ne comprends point Will !

Elle avait la chair de poule rien qu'en se remémorant l'altercation assez virulente entre les deux hommes.

« — Tu fais une grave erreur, Andrew.

— Au contraire, je crois c'est la meilleure chose que je puisse faire. Je n'ai plus vraiment le choix de toute façon.

— Tu ne peux point rompre tes engagements comme ça ! Beaucoup de personnes comptent sur ton soutien. Les rebelles ont besoin de toi.

— Geoffroy, les affaires sont au plus mal en ce moment et tu le sais très bien. Je ne peux presque plus vendre de vin de l'autre côté de la Manche à cause des mesures de rétorsion du Roi. Mes maigres recettes, je les dois à toi, qui arrives à faire parvenir quelques caisses à des lords et au marché noir. Je ne peux plus soutenir les rebelles financièrement. En plus, je n'adhère plus à leurs idéaux et à leurs objectifs, que cela te plaise ou non.

— C'est pourtant la façon la plus efficiente pour récupérer nos droits volés, avoua Geoffroy d'un air entendu.

— Écoute, je ne veux point avoir une discussion aussi compromettante céans, avec tous ces soldats qui sont dans les parages. Mais il faut que tu comprennes que malheureusement nous, Anglais, avons perdu. La Guyenne n'est plus à nous. Le plus sage est de se ranger du côté des vainqueurs et commercer avec eux si l'on veut survivre.

— Mais ...

— Il est hors de question que je mette ma famille en danger pour une cause qui n'a pas d'avenir et qui n'est que folie ! Ils se réussiront jamais à ...

— J'entends mais j'espère que ton choix ne te coûtera pas la vie. Tu vas en mécontenter plus d'un. »

A partir de ce moment là, Marie avait complètement perdu le fils de l'échange entre les deux anglais. Elle était bouleversée par ces révélations et inquiète pour la sécurité de son père. La lettre qu'elle avait découverte, par ailleurs toujours dans la cachette, prenait tout son sens. En outre, elle se demandait aussi quelles étaient les réelles intentions des rebelles, Geoffroy avait interrompu son père juste avant qu'il n'en dévoile un peu plus.

Une pression, sur son épaule gauche, par son frère la ramena sur la terre ferme.

— Il est en danger ! Père est en danger !

— Je te promets, ma sœur qu'il ne lui arrivera rien. Je n'approuve pas non plus son revirement mais je t'assure qu'il ne risque rien. Je veillerai sur lui.

— Je suis tombée sur une lettre très alarmante. L'auteur ne porte guère notre père dans son cœur.

— Effectivement, il a reçu plusieurs lettres de menaces pour l'intimider et le faire changer d'avis. Mais je t'assure qu'il n'y a pas lieu de s'affoler. Ce genre de personnes qui n'ont même pas le courage de signer leurs lettres sont trop lâches pour attaquer. Tu comprends, c'est bien plus facile de proférer des menaces sous couvert d'anonymat.

La blonde n'était pas très convaincue mais le raisonnement de son frère n'était pas non plus dénué de sens. Son assurance la rassurait légèrement.
Pour la tranquilliser et lui faire oublier ses craintes, il lui proposa une distraction :

— Allez, n'y pense plus et viens plutôt avec moi chasser. Cela nous changera les idées.

La proposition fut bien accueillie mais Marie se promit de garder un œil sur l'affaire.

**********************************
Ils chevauchèrent, bride abattue, tout le reste de la journée à quelques lieues du château.
Ils s'étaient rendus à proximité d'une petite forêt dense, propice à la chasse. En cette saison de debut d'automne, l'endroit grouillait de bestioles à cornes et à poils.

Marie, sur le qui-vive, était immobile les muscles crispés sur son arc en bois et visait comme si sa vie en dépendait.Elle attendait le bon moment pour décocher la flèche qui irait se nicher dans le poitrail du chevreuil. Une goutte de sueur perla sur son front lorsqu'elle lâcha la flèche aiguisée.

Le rire sonore de William salua la prestation : une flèche plantée dans un tronc d'arbre mort et le chevreuil volatilisé.

— Fort heureusement, chère sœur, tu es née dans une bonne famille où l'on sert tous les jours les repas sinon je ne donnerai pas chère de ta peau. Tu fais vraiment une piètre archère. Père serait affligé s'il voyait sa fille adorée être aussi empotée.

La concernée adressa un regard meurtrier à l'encontre de son frère et tenta de faire un pas en arrière mais manqua de se casser la figure à cause de sa botte restée coincée dans le sol boueux. La zone était très humide car il y avait un marais à deux pas de là.

Décidément, quelle journée épouvantable ! Un déluge de catastrophes. Au lever du jour, elle s'était ridiculisée en se promenant à moitié nue dans les couloirs, ensuite les mauvaises nouvelles liées à son paternel et maintenant ça ! Elle n'avait rien attrapé, même pas un pauvre lapin.

— J'ai eu un moment d'inattention, ronchonna l'Anglaise de mauvaise foi.

— Comme les trois autres fois, dit William hilare. Ce n'est pas grave, tu feras mieux la prochaine fois ... ou pas. Bien, allons chercher les bêtes que j'ai réussis à avoir. Tu peux aller t'occuper de la biche ? Moi je gère le reste. On se retrouve à côté du marais.

— Comme son Altesse voudra, bougonna Marie vexée.

Elle ramassa, au passage, les appâts disséminés sur le sol , les fourra dans sa besace puis monta sur son palefroi gris et slaloma entre les arbres pour aller collecter l'animal.

************************

Non loin de là, Louis attendait seul, le retour de Malo. Les deux hommes avaient décidé de congédier leurs hommes et de s'octroyer une petite pause dans leurs recherches, en se baladant dans la belle campagne bordelaise.

Louis, juché sur Carolus Magnus, profitait d'un raie de lumière qui trouvait son passage parmi la cime des arbres.
Un frottement de branches et de feuilles le sortit de sa léthargie. Un chevreuil passa à toute allure devant lui.

" Malo a raison, cette forêt pullule de bêtes sauvages"

Justement celui-ci revenait avec un sourire victorieux. Il avait l'air aussi fier qu'un coq.

— Tu ne devineras jamais ce que je viens de voir.

Louis se prit au jeu et lança une boutade :

— A la vue de ce sourire, je dirai une femme dans sa tenue d'Eve.

—Presque ! Je suis tombée sur ton Anglaise !

Louis fronça les sourcils.

— Attends, tu veux parler de ...

— Marie ! jubila le Breton.

— D'abord, ce n'est pas MON Anglaise et ensuite tu es sûr ? Qu'est-ce qu'elle ferait dans cette forêt ?

— Pour être sûr, j'en suis sûr ! Elle est en train de dépecer une biche. Tu verrais ça, elle est impressionnante. On voit qu'elle sait ce qu'elle fait. A ta place, je me méfierais d'elle, pour une femme, elle manie drôlement bien le couteau, plaisanta-t-il.

— Sans rire, répliqua Louis morne.

— On la suit ? On ne peut pas laisser filer une telle proie.

Le blond hésita un peu mais la curiosité prit le dessus.

****************************

Ils arrivèrent discrètement au moment où elle se hissait sur son cheval, la biche vidée déjà attachée sur la croupe de l'équidé.

Même s'il ne la vit que de dos, Louis la trouva effectivement impressionnante.
Elle ne faisait pas du tout décalé dans cette forêt, avec ses cheveux tressés façon couronne, son haut en peau de bête, bordé de fourrure au niveau de la capuche et son arc dans le dos.
Elle avait un côté sauvage et en l'apercevant ainsi vêtue, comme un homme, c'était encore plus flagrant.

En un claquement de langue, elle fit avancer sa monture d'un bon pas et les deux chevaliers la suivirent à distance raisonnable.

Quelques instants plus tard, ils constatèrent qu'elle s'arrêta à nouveau près d'un marais, son frère, déjà là, l'attendait, assis sur une grosse pierre.
Les deux hommes mirent pied à terre et s'approchèrent le plus possible d'eux sans faire de bruit. Ils s'allongèrent derrière des épais buissons pour suivre la suite des événements.

— Merci Marie ! On se repose un peu puis on rentre à la maison ?

— Ça me convient, dit-elle en rejoignant le roux.

En même temps qu'elle s'assit, elle poussa un soupir à fendre l'âme.

— Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda William en caressant les cheveux de sa sœur. Si c'est par rapport à la chasse, on peut réorganiser une autre excursion. Je peux même dire à Père que c'est toi qui a occis la biche. Ne te fais pas de bille pour ça.

Louis sans comprendre pourquoi, fut prodigieusement agacé par la complicité entre les deux. Il sentit la jalousie se tordre dans son estomac quand la jeune femme posa sa tête sur l'épaule de son frère. Bizarrement, il voudrait qu'elle repose sa tête sur son épaule à lui.

— Ce n'est pas cela, Will, dit-elle en souriant. C'est juste que ces derniers temps ont été éprouvants...

William, comprenant que trop bien sa sœur, compatit d'un air triste. Lui seul savait, de quelle main avait été tué Oliver, l'ex-fiancé de Marie.

— La mort d'Oliver à la guerre, t'as beaucoup affectée... Sans parler de ces paltoquets* qui sont arrivés dernièrement.

Malo adressa un rictus sardonique à son acolyte qui le lui rendit.

—Mais ne t'inquiète pas, continua William, tout va rentrer dans l'ordre et tu vas pouvoir te retrouver un nouvel époux bientôt. Maintenant que j'y pense, j'ai remarqué que depuis quelques jours tu ne portes plus ta guimpe.

— Ah non ! Tu ne vas pas t'y mettre toi, non plus ! J'ai déjà Guenièvre pour ça !

— Mais elle a entièrement raison Guenièvre. Tu dois te remarier ! En plus, cela ne devrait point poser de problème puisque votre union n'a pas été consommée. Ce baron anglais n'était pas très entreprenant avec toi et heureusement.

Malo cette fois donna un coup de coude à Louis et lui murmura un : " Ça alors ! Une petite vierge !"

— Je n'ai plus envie de convoler ! Mets-toi à ma place. C'est insupportable de craindre à chaque seconde pour la vie de son bien aimé. Je ne veux plus revivre cela.

— Bien aimé... bien aimé ! C'est vite dit ! Je ne crois point que tu étais très amoureuse de lui.

— Peut-être mais lorsque que j'ai appris sa mort à Castillon, j'ai été effondrée. Il ne méritait pas ça.

Louis eut une drôle d'idée mais il la chassa vite.

William, pas très à l'aise non plus, orienta la conversation dans une autre direction.

— Ce sont les risques de la vie. Malheureusement, une épouse craindra toujours pour la vie de sa moitié et vice-versa. Mais tu sais, rester tout seul, ce n'est pas un sort enviable surtout pour une femme. Et tu ne serais pas heureuse dans un couvent.

—Grand Dieu non ! Pas le couvent !

— Bien ! Donc il faut de trouver un homme et un respectable qui ne te maltraite point. Avec ta dot, on devrait pouvoir trouver sans grand mal, réfléchit William en se grattant sa barbe de quelques jours. Mais peut-être faudrait-il retourner en Angleterre...

— Je suis pas un corps sans âme contrairement à ce que peuvent penser certains imbéciles vis-à-vis des femmes. Je ne suis pas non plus un objet qu'on peut balader où l'on veut et je pense que j'ai le droit d'avoir voix au chapitre* concer...

Un bruit derrière les buissons empêcha Marie de se plaindre et contraignit William à se remettre debout à l'affût du moindre danger.

Malo sans faire exprès avait buté dans des petits cailloux avec son pied, ce qui lui valut le regard noir de son compagnon. Le brun tout penaud lui fit signe qu'il allait s'en occuper. Il se mit à quatre pattes et s'éloigna en faisant du potin pour attirer le rouquin. William mordit à l'hameçon et ordonna à sa sœur de l'attendre.

Marie pas très rassurée de rester seule dans les bois, saisit une branche morte et s'approcha au ralentit du buisson. Son pied buta contre quelque chose de dur et elle s'affala de tout son long dans une flaque d'eau croupie boueuse. Elle poussa un hurlement à réveiller les morts lorsqu'elle vit Louis tapis dans l'ombre. Elle pensait qu'elle avait la berlue mais en constatant la mine carnassière du jeune homme, très vite elle sut que sa santé mentale n'était pas en cause. Il était vraiment là.

* reprendre a forfet : prendre sur le fait
*paltoquet :emmerdeur 
*avoir voix au chapitre : donner son avis
////////////////////////////

Je suis vraiment désolée j'ai dû couper ici car ça commençait à faire trop long. Vous saurez tout dans le prochain chapitre, bien évidemment.
Je peux d'ores et déjà quelques indices : baignade improvisée, sauvetage, malfrats et course-poursuite .
Je vous dis à bientôt et bon week-end! 😉😁

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top