6. Carolus Magnus (2)
Forte de sa résolution, Marie s'élança vers la cabane en bois servant d'herboristerie dans un coin de la cour du château . Elle entrouvrit l'huis* pour vérifier qu'il n'y avait personne et se glissa à l'intérieur. A chaque fois qu'elle venait ici, un bien-être l'enveloppait instantanément. Les odeurs caractéristiques de décoctions et de plantes assaillaient son nez et une douce chaleur était diffusée dans la pièce grâce au feu dans la cheminée , souvent allumé pour faire bouillir des breuvages, aux vertus curatives, préparés le plus souvent par Guenièvre.
La jeune femme ne s'attarda pas à contempler ce petit cocon et s'activa à chercher frénétiquement quelque chose dans les bocaux et récipients, disposés un peu partout. Après plusieurs tentatives, elle réussit à mettre la main sur ce qu'elle cherchait : un panier, sur une petite étagère, rempli de bardanes.
Exactement ce qu'il lui fallait.
La racine de bardane, connue pour ses nombreuses propriétés, permettait de lutter contre certains maux comme la goutte par exemple ou même d'apaiser les démangeaisons de la peau.
Par contre c'était une tout autre histoire pour la fleur et rien qu'en la regardant on comprenait pourquoi. Cette plante pouvait s'avérer une véritable plaie car les bractées en forme de crochet permettaient aux capitules de s'accrocher partout, aussi bien sur les vêtements que sur le pelage des animaux , d'où son autre appellation : « l'herbe aux teigneux». Et ce n'était pas ce qu'il y avait de plus agréable.
Marie, avec un air sournois, en chaparda quelques unes qu'elle enroba d'un linge et fourra le tout sous sa cape. C'est avec son butin qu'elle sortit en trombe et retourna aux écuries. Elle ne vit pas, qu'un peu plus loin, sa demi-sœur, Isabelle et Guenièvre, venant elles-même à l'herboristerie, l'avaient vue détaler comme un lapin.
Si Isabelle n'y prêta pas plus attention, Guenièvre, elle, fronça les sourcils. La servante eut un mauvais pressentiment. Allons bon ! Qu'est-ce que cette chipie allait bien pouvoir inventer encore ?
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S'il y avait de l'activité tout à l'heure dans les écuries, à présent c'était un véritable remue-ménage.
Tout le monde courait partout et l'Anglaise se dit que ça ne pouvait pas mieux tomber. Les soldats royaux partaient dans peu de temps et tous étaient concentrés sur leurs préparatifs.
Personne ne la remarqua.
Elle s'approcha de la stalle de Carolus Magnus et en un coup d'œil, elle vit qu'Isaac s'affairait à mettre le caparaçon*, où étaient brodées les armoiries de la famille de Louis : sur fond azur, une tour d'argent accompagnée de six fleurs de lis d'or, trois en chef, une à chaque flanc et une en pointe.*
Elle s'écarta vivement et se cacha derrière des caisses lorsque l'écuyer sortit du box pour certainement aller chercher la selle et le reste de l'équipement. Elle se faufila alors à l'intérieur et après avoir constaté, avec soulagement, que le cheval était attaché, elle se mit au travail en soulevant le large tapis puis fixa les fleurs de malheur sur le pelage du coursier. L'animal devint nerveux alors elle s'appliqua à finir au plus vite et sortit une fois le méfait commis. Elle se força à marcher pour ne pas attirer l'attention en quittant l'écurie.
Il était temps car en se retournant, elle vit que le bras droit de Louis était revenu avec tout l'attirail du cheval.
Un petit sourire satisfait apparut sur son visage. La chevauchée de ce pourceau* risquait d'être mouvementée. Tant mieux s'il se fracassait le crâne ou une jambe. Ça lui apprendrait.
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Elle passa le reste de la journée dans les vignes pour se vider la tête et ne rentra au château que vers la None* pour se reposer. En rentrant dans sa chambre, elle eut la bonne surprise de découvrir sur sa couche son petit Paul en train de lire un manuscrit avec Isabelle.
Lorsque son demi-frère la vit, il cria de bonheur :
— Mariiiiiie ! Tu es enfin là !
— Oui mon petit bonhomme, dit- elle en s'approchant pour l'embrasser. Je suis là. Dis-moi qu'est-ce que tu es en train de lire avec ta sœur ?
— Les histoires de Renart, j'arrive à lire presque tout seul comme un grand ! La duègne me l'interdit mais je m'en fiche ! Plus tard je veux être comme lui !
— C'est vrai qu'il commence à se débrouiller, ajouta Isabelle en riant. Je crois que nous avons un grand clerc* à la maison !
— Même pas vrai ! Moi je veux être un chevalier ! Un chevalier rusé, comme le goupil, pour sauver les gentils. Mais ...
— Mais ? interrogèrent les deux femmes en cœur.
— Je serai moins méchant. Renart est cruel parfois. Papa et maman me disent qu'il faut toujours bien se comporter. Dans l'histoire, le goupil gagne toujours mais ce n'est pas juste. Quand on est méchant, on doit être puni sinon on va en enfer .
Les deux sœurs étaient estomaquées mais pas pour les mêmes raisons.
Isabelle, c'était pour le discernement dont faisait preuve le petit garçon de même pas 6 ans. Comment un garconnet pouvait avoir les idées aussi claires ? Ça la dépassait mais elle était très fière de lui. Il ferait un preux chevalier, sans aucun doute. La jeune femme brune partit dans un fou rire en avisant la tête de sa sœur qui était encore plus stupéfaite qu'elle.
Mais en réalité, elle était loin de se douter que l'émoi de Marie était provoqué certes, par les paroles de Paul, mais aussi par une profonde culpabilité qui avait surgie de nul part. Enfin, façon de dire, car elle avait sa petite idée sur la question.
Par sa manigance, elle allait certainement tuer un homme. Était-elle vraiment prête à devenir une tueuse ? Non.
En tant que bonne croyante, l'idée d'être vouée aux enfers était inacceptable. Elle était en train de réaliser amèrement qu'elle avait réagi sous le coup de la colère et que cela allait entraîner des conséquences désastreuses. Même si elle exécrait Louis, il ne valait pas la peine qu'elle devienne une meurtrière. Alors elle se mit à prier ardemment pour qu'il ne lui arrive rien.
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Un peu plus tôt dans la journée, Louis chevauchait entouré de soldats et de son ami breton. Ils s'orientaient un peu plus au nord de Blanquefort, vers des villages où des signes de résistance et de rébellion avaient été signalés.
Ils allaient de bon train mais le chevalier sentait son cheval très nerveux et obéissait difficilement aux ordres. Il avait même tenté de le désarçonner peu après le départ du château . Le jeune homme n'y comprenait rien du tout car Carolus Magnus avait été extrêmement bien dressé et écoutait son maître au doigt et à l'œil normalement.
Le cheval recommençait à hennir sans raison apparente et Louis en avait plus qu'assez. Comprenant que son cheval allait encore faire des siennes, il prévint Malo :
— Continuez sans moi, il faut que je m'arrête pour comprendre pourquoi il agit comme un véritable corniaud. Commencez à fouiller les habitations et à interroger les gens, je vous rejoindrai.
Le Breton fit un signe de tête pour toute réponse et fila avec le reste de la troupe. Louis resta seul avec son destrier et son écuyer.
— Son comportement est vraiment curieux. Tu n'as rien remarqué d'anormal, Isaac ?
— Nenni, messire Louis. Il a peut-être quelque chose qui le gêne ? Pourtant je ne vois rien. Ah ! Attention ! Il recommence à s'agiter !
Effectivement, Carolus Magnus s'énervait de nouveau. Il devenait fou à force de sentir ses machins sur lui et n'arrivait plus à se contrôler. Il grattait le sol avec son sabot et de la bave sortait de sa bouche. Il essayait même de se cabrer mais Louis parvenait encore à le maîtriser.
Par contre lorsqu'il rua, son cavalier eut toutes les peines du monde à rester en selle. Au bout de la énième ruade, il fut désarçonné pour de bon. Issac poussa un hurlement en assistant impuissant à la chute de son maître dont la tête percuta de plein fouet une pierre. Son casque ne résista pas et explosa en plusieurs morceaux.
La dernière chose que vit Louis, fut la tête complètement paniquée d' Isaac. Ou plutôt ses trois têtes paniquées. Les ténèbres l'engloutirent l'instant d'après.
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Il se réveilla bien plus tard. La première chose qu'il vit cette fois, ne fut pas Isaac mais un homme marqué par le temps. Son écuyer se tenait juste à côté, fou d'inquiétude. Ensuite, il remarqua qu'il était allongé sur une paillasse et qu'il ne reconnaissait pas l'endroit qui l'entourait. Sûrement chez le vieil homme, un paysan, au vu de ses habits rapiécés.
Louis se redressa lentement tant sa tête le faisait souffrir. Isaac s'empressa de l'aider gauchement. Il avait l'air pitoyable et regardait son chevalier en tremblant. L'autre n'y fit pas plus attention, encore un peu sonné et constata seulement à travers la seule fenêtre visible, que le soleil n'allait pas tarder à se coucher.
— Eh ben ! Heureusement que vot' gars était là ! J'ai ben cru que vous étiez mort quand il vous a amené !
— J'ai cru ma dernière heure arriver aussi, ironisa Louis. Nom de Dieu, ce cheval a bien failli avoir ma peau !
Le visage du vieil homme se durcit radicalement.
— En même temps, faudrait vous en occuper un peu mieux de vot' bestiau! Quelle idée de laisser ces saletés sur c'te pauv' bête .
— Je vous ai déjà dit que nous l'ignorions ! s'agaça Isaac.
Puis en voyant l'air ahuri du chevalier, il se ratatina sur place. Il savait qu'il allait se faire tancer* sévère.
— C'est quoi cette histoire ? demanda Louis.
Le vieillard sortit de sa poche une petite boule verte pleine de picots. La bardane.
— La v'la vot' histoire ! Y'en avait partout sous le tapis de vot' cheval.
Louis blêmit en voyant la chose.
Tudieu ! Pas étonnant que son cheval n'en puisse plus.
— Isaac ! Tu peux m'expliquer ?!
— Messire Louis, je n'y comprends rien non plus. Il n'y avait rien quand je l'ai sellé. Je suis vraiment désolé, messire Louis !!! J'implore votre pardon ! s'écria-t-il en se jetant aux pieds de son maître. Je mérite d'être foudroyé sur le champ pour mon manque d'attention. A cause de moi, vous avez failli trouver la mortaille. Je suis un misérable !
Le Sénonais prit en pitié son jeune écuyer et le releva.
— Du calme Isaac. Le principal c'est que je n'ai rien et qu'on ait trouvé la source du problème. Par contre comment ces choses sont-elle arrivées là ?
— Ce n'est plus vraiment la saison, prononça le paysan. Vous ne pouvez pas en avoir attrapé en chevauchant. Et pis, vot' tapis protège bien. C'est forcément quelqu'un qui les a mis !
— Vous avez raison, affirma Louis. Voilà qui est fâcheux. Isaac, n'as-tu rien vu de suspect ? Une personne qui rodait dans les écuries ?
— Nenni, messire Louis. Tout était normal. J'ai juste vu... euh...
— Parle, Isaac ! lui intima Louis
— Il y avait damoiselle Marie ! débita-t-il en oubliant presque de respirer . Mais elle n'a pas vraiment approché votre cheval, elle m'a juste posé des questions. Je ne crois p...
Le chevalier eut l'impression d'être frappé par la foudre. Il comprit tout. C'était elle ! Cette sorcière ! Elle avait tout manigancé !
Il se leva d'un bond, sortit de la chaumière puis sauta sur son cheval, le tout en un temps record. Isaac qui ne saisit pas, tout de suite, la haine profonde dans les yeux de son maître, comprit en revanche qu'il partait .
Il remercia l'homme de quelques pièces d'or et s'en alla à son tour.
Louis était déjà en train de partir au galop quand Isaac monta sur son propre cheval et eut du mal à le suivre, tant le chevalier menait un train d'enfer jusqu'au château.
Le jeune damelot n'avait jamais ressenti une telle fureur et il était impératif qu'il l'évacue.
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Lorsqu'il démonta dans l'enceinte du château, il faisait quasiment nuit. La pénombre commençait à rendre les formes et les couleurs moins nettes.
Il vit à peine Malo, soulagé, s'avancer vers lui pour lui poser tout un tas de questions. Il lui répondit de manière lapidaire et montra Isaac du menton, l'air de dire il-va-tout-t'expliquer.
Il s'apprêtait à s'engager dans le passage qui menait à la haute cour lorsqu'il vit la personne à l'origine de ses tourments. Elle était assise toute seule, sur un petit muret en train de se tordre les mains, dans la basse cour.
« La garce ! Elle est même restée dehors pour s'assurer de ma mort et que je ne rentre pas ! »
En deux temps trois mouvements, il se planta à côté d'elle. Jamais dans toute sa vie, il n'avait fait preuve d'une aussi grande rapidité. Marie n'eut même pas le temps d'être surprise, qu'elle se retrouva projetée sur le dos de Louis comme un vulgaire sac de patates.
— Vous êtes devenu, fou ! Lâchez-moi ! Qu'est-ce que vous faites ?!
— Comment oses-tu encore m'adresser la parole, paillarde ? Tu ne mérites même pas qu'on te vouvoie ! Tu es tellement rongée par le vice que tu n'hésites pas à souiller ton âme en voulant ma mort ! Avoue-le, traîtresse !
Se sachant démasquée, elle ne dit rien pour le contredire. Par contre, elle ne supporta d'être transportée comme un objet et le fit savoir :
— Posez-moi immédiatement, espèce de gougat ! Si je dois mourir, laissez-moi au moins ma dignité.
Au bout d'un moment, il s'arrêta et la posa avec violence devant lui. Elle ne réalisa pas bien où elle était.
— Oh non ma mignonne, tu ne vas point mourir. La mort est bien trop douce pour toi. Je vais m'assurer, en personne, que ton existence devienne une torture jour et nuit et tu me supplieras pour que je mette fin à ton calvaire. Et ça commence maintenant !
Sur ce, il la poussa de la paume de sa main et la pauvre Marie s'écrasa dans la boue. A l'entente du bruit caractéristique des cochons, elle comprit tout de suite où elle était.
— Voilà, où est ta place souillon. Avec les truies ! Tu dormiras à la porcherie avec tes comparses.
Folle de rage et souillée par la boue, l'Anglaise se remit debout mais non sans peine. Les larmes commencèrent à l'aveugler.
— Vous n'êtes qu'une ordure !
— Ah bon ? Pourtant ce n'est pas moi qui suis avec les porcs.
— Même les Sarrasins ont plus d'honneur que vous ! pleura-t-elle.
Satisfait de voir la jeune fille dans cet état, il tourna des talons. Mais Marie qui n'avait plus rien à perdre, saisit une poignée de boue et continua à l'injurier :
— Baronnet ! Fils de Malfé !
Elle le vit ralentir mais ne se retourna pas, alors elle continua :
— Boursemolle* !
Cette fois, il se raidit et s'arrêta. Au moment où il fit volte-face, elle lança la boue mais manqua sa cible.
— Je vais te montrer moi si je suis une boursemolle, espèce de sottarde !
Elle prit peur en le voyant revenir à la charge. Mais sa peur se changea vite en incompréhension quand elle entendit un bruit sourd suivit d'un couinement et resta tétanisée en voyant Louis tomber sur elle brutalement.
Comble de l'ironie, celui-ci s'était prit les pieds dans un cochon par inadvertance, provoquant sa chute et entraînant Marie avec lui.
C'est ainsi qu'il se retrouva affalé sur elle, leur visage presque collé, ainsi que leur bouche à moins de deux pouces l'une de l'autre.
Alors, l'inexplicable se produisit....
*huis : porte extérieure
*caparaçon : grands tapis de selle
* armoiries du vicomte de Sens : présence du lis royal car le vicomté a été rattaché au domaine royal au XI eme siècle
* pourceau : insulte
*None :15h
*grand clerc : « intello »
*tancer : disputer
*boursemolle : impuissant
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Purée ! Non pas maintenant ! Je les entends d'ici
J'etais obligée de couper ct trop long 😂
Désolée, vous pouvez me détester
Alors que va-t-il se passer ? 😉
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