6. Carolus Magnus (1)

Bon pause ! J'imagine déjà vos têtes ébahies devant ce titre, genre : mais qu'est-ce qu'elle nous baragouine celle-là ? Pourquoi elle nous sort un vieux titre tout fumé ?
Non ce n'est pas un cours d'histoire ou de latin rassurez-vous. Vous allez comprendre en lisant 😂
On se retrouve à la fin du chapitre. Bonne lecture !
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Pendant deux jours, Marie resta cloîtrée dans sa chambre sous la surveillance exacerbée de sa servante Guenièvre, qui avait pris des airs de mère-poule. Elle s'était toujours montrée très protectrice envers Marie et William, comme poussée par un irrépressible instinct maternel. Elle avait été émue aux larmes par ces deux petitots, arrivés fraîchement du royaume d'Angleterre et qui venaient de perdre leur mère tragiquement de la peste.

C'est ainsi que cette mère de substitution avait décrété que sa jeune maîtresse devait se reposer suite au choc reçu et elle ne la lâchait pas d'un pouce au grand dam de celle-ci.
Ça, c'était la raison officielle. En réalité, elle craignait les débordements excessifs de sa protégée, qui lorsqu'en proie à la colère pouvait faire preuve  d'une grande bêtise.

Au départ, Marie avait tempêté qu'elle devait aller botter l'arrière train de ce freluquet et elle avait fait montre d'une grande résistance, surtout verbale en hurlant sur cette pauvre Guenièvre qui n'y était pour rien du tout.

« — Mais pour qui ils se prennent ces soldats à s'imposer chez les gens comme bon leur semble ? Surtout ce baronnet*, il se croit tout permis ! Je vais l'occire de mes mains !

— Tut, tut, tut ! Vous ne ferez rien du tout. Damoiselle Marie, ils sont là sur ordre du Roi ! Va falloir vous y faire, c'est comme ça ! En plus je ne crois point  qu'ils soient là de gaité de cœur. Y'a qu'à voir la trogne du fils du vicomte.

— Même si c'était le Pape en personne qui le demandait, je les ficherais quand même dehors ! Des envahisseurs, c'est tout ce qu'ils sont ! Ce Charles VII est la pire des vermines !

— Par mes aïeux ! Mais taisez-vous enfin ! C'est not' Roi à tous. Il a gagné la guerre, que cela vous plaise ou non.

— Tu dis cela parce que tu es française donc tu t'en fiches !Mais te rends-tu compte que la ville de Bordeaux a perdu tous ses privilèges et a dû donner 100000 écus à ce roitelet ?! ! Les gens ne supportent pas et veulent rester sous l'autorité anglaise. Sans parler du commerce qui en pât...

— Ooohh mais ce n'est point la fin du monde ! La Guyenne n'est plus anglaise et va falloir vous le met' dans  la caboche, ma petite. Et pour vot' gouverne, le sang anglais coule p'têt dans vos veines mais vous vous comportez comme une véritable française voire pire  ! Rien que vot' façon de vous égosiller et de jurer tout le temps le prouvent ! Vous êtes une véritable tête de mule !

— Guenièvre ! s'écria Marie, indignée.

— Vous savez que j'ai raison. Maintenant, ça suffit parce que vous êtes en train d'ameuter tout le château ! Si vot' famille se fait prendre à cause de vous, ça vous fera une belle jambe ! »

Après cela, elle avait fini par décolérer puis obtempérer. Elle s'était faite une raison en se disant qu'attaquer de manière frontale n'était peut-être pas la meilleure idée du siècle. Car si elle arrivait à se débarrasser de ce sottard de chevalier, il restait le problème du contingent. Et si par miracle, les soldats étaient vaincus, c'était devant le Roi que sa famille devrait rendre des comptes. Inutile de se lober, ils finiraient tous exécutés. Donc, elle en était arrivée à la conclusion qu'elle devait éliminer son ennemi numéro un, subtilement pour éviter tout soupçon à son encontre et donc par ricochet des représailles. Agir de manière rusée, comme le goupil*, Renart, en somme.

Ainsi prisonnière de sa chambre et fustrée, elle tournait comme un lion en cage. Ses seules distractions étaient de regarder à travers les vitrages les va-et-vient des soldats installés dans les baraquements de la cour.
Elle parvenait à retrouver le sourire lorsque sa famille lui rendait visite pour prendre de ses nouvelles. Par contre, impossible de se retrouver seule avec son père, car toujours accompagné d'un membre de la mesnie*, et de lui faire part de ses inquiétudes et d'aborder cette histoire de missive. Elle avait même dû inventer une fable concernant sa chute, cachant ainsi la vérité à son entourage.

Grâce à ses visites, elle avait réussi, tout de même, à grappiller quelques informations concernant la situation et à priori, la cohabitation avec les nouveaux arrivants se faisait tant bien que mal. Visiblement, ils partaient vers la Tierce* pour battre la campagne environnante ainsi que les villages et ne rentraient que pour les vêpres à l'heure du souper.
Au grand étonnement de la jeune anglaise, son frère, William, lui avait expliqué qu'ils ne cherchaient pas noises aux occupants du château. Pour l'instant du moins. Pour lui comme pour elle, cela ne faisait aucun doute, ils allaient bien à un moment s'occuper de leur cas et trouver la petite bête, afin de les faire passer pour des conspirateurs. Et comme ils n'étaient pas blancs comme noie*, ils avaient du soucis à se faire. Surtout que le chevalier de Sens semblait rôder près de l'étude un peu trop souvent, selon les dire de certains serviteurs.

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Au bout du troisième jour, Guenièvre se fit plus conciliante, en constatant que Marie s'était un peu calmée, et elle eut l'autorisation de sortir prendre l'air.
Elle troqua sa chemise de nuit pour une robe pourpre plus une cape légère et dévala les escaliers, tout en faisant un chignon à la va-vite, et se dirigea vers les cuisines. Elle but un grand bol de lait et croqua dans quelques  biscuits pour rompre le jeûne puis reprit sa course folle en direction du lieu de l'agression . Elle avait quelque chose à récupérer pour avoir l'esprit plus serein. Cette lettre même déchirée était plus que compromettante.
Elle y était presque mais elle fut forcée de faire un prompt demi-tour.

« Par la Malpeste ! Pourquoi ces gardes restent-ils ici à fatrouiller* ? Quelle malchance, il faudra que je revienne plus tard »

Ses plans chamboulés, elle prit la décision, cette fois de vraiment sortir à l'extérieur pour aller se balader et même pourquoi pas, aider à récolter le raisin avec les serfs.
Toute ragaillardie par cette idée, elle avança d'un bon pas pour rejoindre les vignes. Mais avant, elle fit un crochet par les écuries pour cajoler les pensionnaires en leur donnant quelques pommes et carottes.
Elle adorait sentir sous ses doigts leur pelage et caresser leurs naseaux. Arrivée sur place, elle constata qu'il y avait plus de tumulte qu'à l'accoutumée. Les cavaliers du Roi allaient bientôt partir faire leur besogne et du coup les palefreniers s'affairaient pour que tout soit prêt.

Elle remarqua très vite un magnifique étalon d'une blancheur sans pareil, dans une stalle. Comme hypnotisée par cette superbe bête, elle s'approcha et tendit la main pour lui gratouiller le chanfrein. Mais la bestiole ne le voyait pas de cet œil là. Le cheval, pas très commode, commença à renâcler et à hennir. Elle retira sa main à temps car juste après le bruit sec d'un claquement de dents fendit l'air. Elle était stupéfaite, cette bourrique avait failli la mordre, tudieu !
Un jouvenceau blond, très frisé  apparut dans le champ de vision de Marie. Il venait de se relever, sûrement qu'il était en train de curer les sabots de l'étalon, d'où sa tête rougie, et tentait d'apaiser l'animal effarouché.

— Touuuuut doux Carolus Magnus ! Allez ce n'est rien. Qui est-ce qui va avoir une belle pomme bien juteuse ? Qui c'est ?

Marie, qui était scandalisée par le comportement de la bête, ne put réprimer toutefois, un gloussement à l'entente du nom du cheval.

— Ce cheval se nomme Charlemagne ? Je gage que si cet homme avait le même caractère que ce cheval, ce n'est pas étonnant qu'il ait  réussi à bâtir  tout un Empire et à unifier le royaume des Francs.

Le jeune homme se retourna et voyant qu'il avait affaire à une jeune noble, il fit une révérence très appuyée et la questionna mal à l'aise :

— Pardonnez-moi, damoiselle mais j'ignore votre nom.

— Oh ! Bien sûr ! Je suis impolie. Je suis Marie Montgomery. Je suppose que vous êtes un écuyer, dit-elle en avisant la tenue du garçon, et que vous vous occupez du cheval de votre maître ? Vous êtes ?

Complètement paniqué d'avoir en face de lui, la fille du seigneur du château, il bafouilla tout rouge :

—  M... mille ex..excuses, damoiselle Marie. J'espère que mon ignorance ne vous a pas offensée.

Touchée par la gêne saisissante de cet écuyer au visage légèrement enfantin,  elle tenta de le rassurer du mieux qu'elle put. Elle le trouvait attendrissant. Si seulement, les hommes pouvaient se montrer aussi consciencieux que lui...

— Ne vous mettez point en peine. Vous ne pouviez savoir.

— Merci de faire preuve de mansuétude, damoiselle Marie.

Il lui sourit timidement, puis se souvenant qu'elle lui avait posé une question, il lui répondit en toute hâte, oubliant un détail :

— Je me nomme Isaac de Blosset. Je suis effectivement écuyer et je passe le plus clair de mon temps à m'occuper de ce valeureux destrier. Mais ne vous fiez pas à ce comportement un peu bourru. C'est une excellente monture sur les champs de bataille. Il a sauvé plus d'une fois la vie de son maître.

— Son cavalier peut se sentir confiant en ayant à ses côtés un personnage aussi prestigieux, plaisanta-t-elle gentiment.

— Oui-da. Messire Louis en est très fier et le traite avec respect. Je suis heureux de servir un chevalier qui ne maltraite point sa monture. C'est plutôt rare.

Marie eut un mouvement de recul et bafouilla à son tour :

— Quo... V... Votre maître est... le chevalier de Sens ?

— Euh... Oui. Pardonnez-moi dans la confusion j'ai oublié de le préciser. Je suis vraiment désolé, l'implora-t-il.

Interloqué, il vit toutes les émotions passer en rien de temps sur le visage de son interlocutrice. Il crut même l'entendre dire : « Si c'est lui son maître, ce n'est pas étonnant que cette mule ait un caractère épouvantable! » mais il préféra se dire que c'était le fruit de son imagination.
L'Anglaise finit par se reprendre et balbutia une phrase à peine audible pour prendre congé et s'enfuit de façon peu cavalière. Isaac haussa des épaules, complètement perdu par ce changement d'attitude et retourna  à son travail.

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C'est en pestant dans sa tête, qu'elle foula le sol fertile des vignes. Cet endroit arrivait toujours à l'apaiser mais pas cette fois-ci.

« Décidément, rien ne va depuis le début de cette journée.  Non, depuis plus de trois jours en fait, quand ces envahisseurs de pacotille sont arrivés ! Tout est de la faute de cet abruti de ... »

Elle percuta de plein fouet un torse puissant. Elle recula tout en se massant le nez et eut un haut-le-cœur en comprenant qu'elle venait tout juste rencontrer par inadvertance le chevalier de Sens.
Elle fut éblouie, malgré elle un court instant, par son incroyable prestance. Un simple regard et on comprenait tout de suite qu'il était un dominant. Tout dégageait la virilité chez lui, sa taille qui devait bien frôler les 1m80, sa large carrure et sa façon de se tenir. C'était vraiment un beau spécimen. Sa tenue ne le rendait que plus impressionnant, faisant ressortir un côté ténébreux. Tout était noir, son gambison*, ses gants, ses braies*. Ses bottes en cuire marron et son fourreau beige, qui renfermait son épée,  étaient ses seules extravagances.
Quant au visage, il n'avait rien à envier au corps. Comme il ne portait pas la barbe, elle put distinguer sans peine, sa mâchoire puissante et ses traits nobles. Le tout était adouci par ses cheveux blonds cendrés coupés plutôt courts. Quelques petites mèches dorées virevoltaient au vent. Enfin, sans hésiter  le plus impressionnant était ses yeux. Que dire... Ils étaient une véritable invitation au voyage. Rien qu'en les contemplant, elle avait l'impression de sillonner les mers. Était-il possible que des iris concentrent toutes les nuances de bleu, de l'indigo au cérulé en passant par le turquoise ?
Elle était en train de se noyer complètement dans ses yeux si intenses quand un raclement de gorge la ramena sur terre.

Louis, un peu gêné par cet examen appuyé, rompit le silence pour s'enquérir de la santé de la jeune femme. Il reconnaissait qu'il culpabilisait légèrement de ne pas avoir réussi à la rattraper dans sa chute.

— Hum... Comment vous sentez-vous damoiselle Marie ? Votre... tête ?

Elle resta interdite devant cette question inattendue, puis énervée de s'être laissée aller à l'admirer, elle répondit plus sèchement que prévu :

— Mieux... Mais ce n'est certainement pas grâce à vous ! J'estime que vous me devez des excuses. J'exige des excuses !

— Plaît-il ? Vous vous degenglez*de moi, j'espère ? Si vous aviez obéi et cessé prestement cette mascarade, on n'en serait pas arrivé là.

— Vous n'étiez pas obligé de me brutaliser ! Espèce de rustre ! s'époumona-t-elle. Vous ne savez faire que cela ! Depuis tout petit, même !

Louis, sentant qu'il commençait à s'échauffer, croisa les bras et prononça d'une voix glaciale :

— Si un garde, de surcroît, de l'armée royale ou un chevalier vous ordonne quelque chose, vous devez vous y plier. Un point c'est tout ! Et le fait que vous soyez la fille de Sire Montgomery n'y change rien. Vous êtes en terrain conquis maintenant, martela-t-il. Vous devez obéissance à votre Roi et à ses vassaux. Or je suis vassal du Roi. Et d'ailleurs comme notre mésentente* n'est toujours pas résolue, vous allez me faire le plaisir de me remettre ce que vous tentez de cacher désespérément. La fameuse lettre.

— Vous la voulez absolument ?

— Oui, damoiselle Marie.

Un rictus mauvais se dessina sur les lèvres de la jeune fille et elle cracha :

— Eh bien, sachez qu'elle n'est plus dans mon estomac depuis belle lurette. Allez la chercher dans le purin si vous l'osez !Remarquez, je suis sûre que vous vous sentirez dans votre élément.

Louis se décomposa sur place et se fit violence pour ne pas la frapper. Il serra si fort ses poings que les jointures devinrent blanches.

— J'avais raison de vous traiter de souillon, fulmina-t-il. Vous êtes une honte pour la noblesse ! Mais dites-moi, je suis sûr que votre soupirant serait ravi d'apprendre que ses lettres finissent parmi vos immondices, non ?

Marie, tremblante de rage, s'apprêtait à lever la main pour lui infliger le plus grand soufflet de toute l'histoire de l'Humanité mais le chevalier anticipa le coup et lui attrapa le poignet avec diligence. Il serra si fort son poing qu'elle gémit de douleur. Cette plainte ne l'arrêta pas et il la traîna encore plus vers lui. Il allait lui infliger une correction mémorable mais il fut distrait par un mouvement sur le côté. Il jeta un coup d'oeil et vit que des serfs et des vilains, attirés par leur querelle s'approchaient dangereusement. Ils n'avaient pas l'air d'apprécier de voir la fille de leur seigneur en train de se faire molester. Il la lâcha carrément quand un vieil homme avec une fourche eut l'outrecuidance de le menacer.

Profitant de cette chance, Marie s'enfuit comme une voleuse, laissant Louis, qui était vraiment hors de lui. Il ne comprenait pas comment cette mégère arrivait aussi facilement à le faire sortir de ses gonds. Et surtout, il ne saisissait pas comment une si belle enveloppe charnelle pouvait contenir autant de noirceur. Comment de si belles lèvres charnues ne pouvaient débiter qu'un flot continu de médisances. Ça le dépassait. Elle avait intérêt à bien se terrer parce que s'il parvenait à lui mettre la main dessus, ça n'allait pas être joli-joli à voir...

Marie, elle, était aveuglée par des larmes de rage et courait sans trop savoir où aller. Mais une chose était sûre : elle ne trouverait le repos que lorsqu'elle se serait vengée de cet affront. Elle voulait éradiquer ce misérable de la surface de la terre à n'importe quel prix ! Comment allait-elle s'y prendre ?
Elle avait bien sa petite idée sur la question. Et Carolus Magnus allait certainement être mis à contribution...

*baronnet : insulte pour les nobles assez violente
*goupil: renard et le personnage s'appelle Renart avec un "t"
* se degengler :se moquer
* Tierce : 9h du matin
* blanc comme noie : blanc comme neige
*fatrouiller :discuter
Carolus Magnus : nom latin de Charlemagne
* gambison : vêtement matelassé
* braies : pantalon
* mésentente : brouille, conflit

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Oui vous avez bien compris, le canasson de Louis s'appelle Charlemagne. Tout ça pour ÇA . Je sais c'est pathétique , j'abuse 😂mais c'est vraiment dur de trouver un nom stylé pour un cheval alors autant partir dans l'extrême.

Bon sinon qu'avez-vous pensé du chapitre ?
Un peu long oui effectivement, je m'en excuse, et heureusement que je le scinde en deux.
Mais vraiment en général, j'essaye de ne pas dépasser les 2000 mots .

Sinon, C'est vraiment le bordel entre ces deux jeunots.( a force d'écrire en vieux français, je commence à parler comme une vielle, ça devient grave , mes aïeux !)
Pour le prochain vous vous en doutez , Marie va faire une connerie ( pour changer ) et Louis va faire aussi une connerie
On est bien avec tout ça !

En tout cas merci d'avoir pris le temps de me lire et à bientôt
❤️

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