5. Mise en garde
Les servantes s'affairaient à débarrasser et à rapporter aux commensaux de la grande table de la salle commune de quoi se sustenter tout au long du repas. Ce soir là, elles avaient la main lourde avec le vin dans l'espoir d'apaiser les esprits car la bonne humeur n'était pas au rendez-vous. L'arrivée de l'armée royale et l'incident qui avait suivi n'avait pas mis Louis dans les bonnes grâces du seigneur du château. Loin de là.
Sire Montgomery et son ami Geoffroy noyaient leur rancoeur en ripaillant de tout leur soûl. Ils avaient jeté leur dévolu sur du lièvre et du canard et mangeaient jusqu'à plus faim .Les autres restaient silencieux, William lançant des regards noirs au chevalier breton, Malo, qui faisait les yeux doux à une jolie bonne et Isabelle était devenue soudainement muette, ce qui n'était pas dans ses habitudes car elle était d'un naturel bavarde.
Seule l'épouse du seigneur tentait de faire bonne figure et faisait la conversation avec les nouveaux-venus. Louis répondait poliment à ses questions mais il avait l'esprit ailleurs et se demandait s'ils allaient survivre plus de deux jours ici. À en croire les regards meurtriers jetés ici et là, ce n'était pas gagné.
Il ne savait pas s'il était le plus gêné par tous ces regards peu amènes ou par la façon insistante dont la vieille duègne le regardait depuis le début du repas. Elle avait pris un sacré coup de vieux, ses poils sur la menton en attestaient. Mais, à priori, son grand âge avait épargné ses yeux et pour le moment, elle s'en servait sans vergogne pour lorgner sur le jeune homme. Louis se demandait si elle se souvenait de lui et de la façon dont il lui avait roté au visage quand il était enfant. Si oui, c'est qu'elle n'en avait cure. Ou alors elle devenait sénile.
Louis était si dégoûté par cette vieille dévergondé qu'il tenta d'y faire abstraction en faisant appel à son imaginaire. Il faillit recracher son vin quand son esprit lui évoqua le joli visage de Marie. Il eut envie de se gifler lui-même pour avoir songé à cette folle furieuse. En plus, penser à elle, le mettait mal à l'aise car il avait quand même, quelques remords. Malmener les femmes n'était pas un plaisir pour lui, au contraire. Sa mère, si elle avait assisté à la scène de tout à l'heure, aurait été très mécontente.
— Messire Louis ?
Louis fut rappelé à l'ordre par dame Ludivine. Visiblement, elle lui avait posé une question et elle le fixait de ses yeux noisettes perçants.
— Pardonnez-moi, dame Ludivine. Vous disiez ?
— Je demandais donc, comment se portent vos parents. Depuis notre mariage, je n'ai eu que de brèves nouvelles. Je le regrette car j'apprécie votre mère qui est une femme charmante.
— Ils vont bien, je vous remercie. Père est très occupé à gérer la ville de Sens et les provinces qui l'entourent. Et Mère fait de son mieux pour l'épauler. Ils sont très pris par le temps donc n'y voyez pas un affront personnel si vous n'avez eu que peu de nouvelles.
— Pas le moins du monde, railla l'époux de Ludivine mais assez bas pour n'être entendu que d'elle. Moins j'ai de leurs nouvelles mieux je me porte. Si leur croquefedouille*, pouvait me faire le plaisir de débarrasser le plancher, ça m'arrangerait.
Ludivine lui lança un regard courroucé pour lui intimer de se taire. Décidément, cette soirée s'annonçait très longue.
— Bien entendu...Elle doit être satisfaite de voir que son jeune garçon est devenu un noble et beau chevalier au service du Roi. Je dois dire que c'est d'ailleurs assez incroyable que vous vous établissiez céans. C'est Dame Fortune* que de vous revoir, dit-elle pour amadouer Louis.
— Ou la malchance. Il veut surtout mettre la main sur le château...
Cette fois, elle lui écrasa carrément le pied. Louis qui avait entendu décida d'intervenir :
— Écoutez, messire Andrew, je ...
— Pour vous, c'est Sire Montgomery. Je ne suis plus simple chevalier. En convolant avec dame Ludivine, je suis devenu LE seigneur de Blanquefort et je compte bien le rester. Vous êtes sur MES terres alors je vous prie de respecter mon statut et par la même occasion de respecter les occupants du château et de ne point les brutaliser ! Nous n'avons rien à nous reprocher donc vous allez-nous laisser en paix et vous de votre côté, vous allez faire ce que vous avez à faire. Me suis-je bien fait comprendre ?
Message reçu pour Louis ! Pour lui, il n'y avait pas de doute: si la fille chérie était tombée, c'est qu'il n'y était pas pour rien.
Il se raidit et se retint in extremis de mettre sur la table le sujet du comportement plus que douteux de sa fille. Mais voulant éviter de déclencher une deuxième guerre de Cent ans, il rongea son frein. Il savait pertinemment qu'un affrontement serait ingérable pour les hommes de Blanquefort car les soldats royaux n'en feraient qu'une bouchée. Il empêcha aussi le chevalier de Kentel qui n'appréciait pas la tournure de la conversation de s'y mêler et se chargea de calmer tout le monde, pendant toute la fin du repas.
Oui le séjour allait être détestable au possible.
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La servante Guenièvre sortait des cuisines. Alors qu'elle était en train d'apporter quelques légumes et du pain pour sa jeune maîtresse alitée, elle était passée devant la grande salle au moment précis où son seigneur avait pris la parole. Elle était, du coup restée un peu à écouter les joutes verbales, pour prendre la température, puis s'était remise en marche en direction de la chambre de Marie.
Lorsqu'elle passa le seuil de la porte et le temps que sa vue s'habitue à l'obscurité, elle constata que la jeune fille dormait toujours. Le feu dans l'âtre faisait danser des ombres sur ses joues pâles.
Guenièvre déposa doucement son plateau sur une petite table puis prit un tisonnier pour faire remuer les braises du feu qui étaient en train de mourir. C'est à ce moment là qu'elle entendit des bruits de draps. Elle se retourna et vit que Marie avait ouvert les yeux et était en train de s'extirper de la couche. La servante se précipita pour l'en empêcher.
— Oulah ! Doucement ! Restez tranquille. Comment vous sentez-vous ma petiote ?
— J'ai la tête qui bourdonne mais ça va.
— Vous nous avez fait une belle frayeur, damoiselle Marie. Mais Dieu soit loué ce n'est qu'une grosse bosse sur la tête. Pendant quelques jours, faudra juste faire attention à vous. Mais pour l'instant il faut manger.
Elle lui apporta le plateau et après une pause, elle reprit :
— Je suis curieuse, que vous est-il arrivé ?
Marie qui reprenait ses esprits doucement, battit des cils puis brusquement tous les événements lui revinrent en pleine figure. Le soldat ! La lettre !
— Par le sang du Christ !
— En v'la une façon de parler !
— Guenièvre, dis-moi ce qu'il se passe actuellement, exigea Marie hystérique.
— Ben... Ils font bonne chière*. Ce ne sont pas pas les grands amours par contre.
Marie était perplexe.
— Que veux-tu dire ?
— Je crois que vot' paternel a mis les points sur les i. Si ces messieurs doivent rester, ils vont devoir bien se comporter.
— Rester ?! Ils vont rester combien de temps ?
— Je l'ignore. Le temps de leur mission, pour détruire toute résistance, vous vous en doutez .Mais j'espère qu'ils ne vont pas s'éterniser. Plus ils restent plus y'a un risque qu'ils découvrent que votre père n'est pas un sympathisant du Roi. Ça serait très fâcheux. Les mois à venir vont être délicats. Je ne sais pas comment le seigneur Montgomery va gérer la situation.
— Oui-da. Dis aux autres servants d'être discrets à ce sujet et d'éviter les commérages.
— Vous pouvez compter sur nous. On tient à not' travail.
— Merci et ... euh ... Personne n'a rien dit à propos d'une lettre ? Et à mon sujet ?
La veille femme fronça des sourcils. Mais qu'est-ce qu'elle racontait la petite ?
— Une lettre ? Et vous ? Eh bien pas à ma connaissance. Qu'est-ce que c'est que ça encore ? Je vous repose la question, mademoiselle, que vous est-il arrivé ? Dame Ludivine m'a contée que vous vous êtes cognée la tête la première et que le chevalier de Sens vous a transportée jusqu'à la grande salle pour appeler de l'aide.
Marie pas tout à fait remise ne tilta pas sur le nom.
— Justement, à propos de ce chevalier, il n'a rien dit ?
— Ma foi, non. Mais je n'y étais point donc je ne suis point sûre. Mais pourquoi le petiot du vicomte de Sens, aurait quelque chose à y redire ? Il vous a aidée.
— Tu viens de dire quel nom ?!
— Nom de Dieu, mais vous êtes tombée sur la tête, pas sur les oreilles !C'est le petit sénonais*, Louis, le fils du Vicomte. Celui avec lequel vous vous êtes battue lorsque vous aviez 7 ans, je crois. Il est devenu un grand gaillard maintenant.
Marie eut littéralement l'impression de recevoir un coup de poing dans le ventre.
— QUOI !!!? LUI ? C'EST CE FILS DE MALFE QUI M'A FAIT TOMBER !
Elle n'arrivait pas à y croire. Lui ! Celui qui l'avait humiliée et traitée d'hérétique. Ce gougat, cet orchidoclaste* ! Et il allait rester là chez-elle ?
Une rage sans nom l'envahit.
— Pardon ? Il vous a malmené ? demanda Guenièvre alarmée.
— Il va me le payer ! Dire que ce pétoncle m'a traitée de souillon !
— Quoi ? Je n'y comprends rien ! Calmons-nous. Il doit y avoir une explication à tout cela. Demoiselle, tenez-vous tranquille, vot' père va gérer la situation. N'allez pas vous mettre dans les ennuis, d'accord ?
Mais Marie n'écouta pas un traitre mot de ce que disait Guenièvre. Elle était sous l'empire de la colère et bien décider à faire de la vie de Louis un enfer.
*croquefedouille : sacripan
*Dame Fortune : chance
*faire bonne chière: bien manger
*orchidoclaste : casse couille
*Sénonais : habitant de la ville de Sens
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C'était un petit amuse bouche pour faire patienter avant le plat de résistance
Vous voyez l'ambiance de la baraque mdr
J'en connais qui va devoir se méfier
Prochaine étape ... ça va secouer
A très bientôt !
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